Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 17-01-2015 07:00
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Patrice Emery Lumumba, 54 ans après… – Iseewanga Indongo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Patrice Emery Lumumba, 54 ans après…

Par Iseewanga Indongo-Imbanda

Le présent texte, un peu retouché, a été traduit de l’allemand en français. Le texte original (en langue allemande) avait été présenté lors d’un Panel sur la RD Congo en 2002 à Francfort sur le Main (RFA). Etant toujours d’actualité, j’ai jugé utile de le placer sur le Net afin de revivre dans la mémoire de ce Grand Fils de notre pays qui, actuellement, traverse une période difficile, mouvementé et sombre de son histoire..

A l’occasion du 54 ème retour annuel de l’assassinat de Patrice Emery Lumumba, notre Héros National, je me suis assigné une difficile tâche, à savoir celle de rendre,  en peu de mots, compte de ses idées et de son héritage politiques. Je dis ici « une difficile tâche » parce que, depuis son élimination politique et physique, les « forces du mal » – traduisez les ennemis de notre pays -, et leurs laquais n’ont eu et non de cesse d’empêcher que P.E. Lumumba et son action politique deviennent une source d’inspiration pour les peuples opprimés…

C’est dire que, en vue de faire obstacle à la naissance, à l’apparition d’un « nouveau Lumumba », les idées et le combat politique de notre Héros National contre la domination coloniale et néocoloniale devaient être effacés absolument de la mémoire collective.

Pour ce faire, ils s’étaient attelés et continuent à s’atteler à s’opposer, à tout prix, à la réalisation de son projet nationaliste. Un projet nationaliste qui, demeurant jusqu’à ce jour d’actualité, vise à l’érection d’un Etat unitaire et à la mise sur pied d’une économie et d’une politique de développement qui tiennent compte des aspirations profondes et des besoins urgents et majeurs de la population congolaise.

La conséquence en est que, 53 ans après son assassinat, P.E. Lumumba continue à être mal compris et mal interprété ; et pour cause. Lors de la présentation d’un ouvrage collectif publié dans le cadre de la commémoration du 7e anniversaire de l’assassinat du Président L.-D. Kabila, un des auteurs avait regretté qu’il y ait, jusqu’à ce jour, peu d’écrits sur Patrice Emery Lumumba.

Le drame de ce visionnaire, de ce politique hors pair et dont la position vis-à-vis de la Belgique et de l’Occident était, de son vivant, marquée par un caractère non virulent avait résidé dans le fait que ces derniers l’avaient toujours considéré comme un agitateur dangereux et d’obédience communiste. Le qualificatif « communiste », Lumumba l’avait rejeté, à moult reprises, lors de ses contacts avec la presse. En vain. La réalité, c’est que Lumumba était un « nationaliste libéral » qui, pour paraphraser ici Ludo de Witte, n’était pas seulement un Premier Ministre démocratiquement élu, mais le chef de file d’un courant, d’un mouvement nationaliste embryonnaire qui, au cas de sa victoire sur l’Occident, aurait changé positivement le cours, la marche de l’histoire en Afrique et dans le Tiers Monde.

Les « africanistes » européens et nord-américains, se référant aux clichés occidentaux propagés à l’époque sur le premier Chef du gouvernement congolais, décrivent Lumumba comme un homme qui, sans une vision claire et sans un plan d’action bien défini, avait déclaré la guerre contre l’Occident et, en retour, était devenu rapidement victime du chaos de la crise congolaise qu’il avait en grande partie provoquée, enclenchée.

Une façon de chercher à effacer le temps. Peine perdue, allais-je ajouter…

Ce qu’il faut, tout d’une haleine, critiquer et rejeter, c’est cette lecture de la vie politique de Lumumba, une lecture qui ne tient pas compte de l’intervention des Nations Unies, minimise les interférences occidentales dans les affaires congolaises et caractérise Lumumba comme un homme se trouvant en déphasage avec les réalités de son époque et, avant tout, « opiniâtre ».

L’apparition de Lumumba dans l’histoire congolaise et africaine était si prompte et si courte – J.P. Sartre le décrit comme un  « météore au firmament de la politique africaine » -, l’apparition de Lumumba dans l’histoire congolaise et africaine, disais-je, était si prompte et si courte que les observateurs demeurent indécis par rapport à sa tragédie. Serait-ce parce que sa tragédie symbolise, à la fois, un rêve incroyable et une réalité difficile ?

« Totalisant moins de 4 années de vie politique », comme l’écrit Jean Omasomba Tshonda[1], « sa carrière politique peut paraître brève, mais les évènements qui la jalonnent sont nombreux et complexes« .

Qui était, en réalité, Patrice Emery Lumumba, et quel était le contenu de ses idées politiques ?

Deux événements datant de 1958 – je fais allusion ici à l’Exposition Universelle de Bruxelles et au Congrès panafricain d’Accra (Ghana) -, présentent une césure dans l’évolution politique de Lumumba. L’on peut, en conséquence, parler de la « période avant 1958 » et de la « période après 1958 » pour caractériser la vie politique de Lumumba.

Ainsi vais-je me limiter, dans les lignes qui suivent, à la « période après 1958 ». Je m’empresse, néanmoins, de souligner que les activités politiques de Lumumba dans la « période avant 1958 » avaient eu lieu dans le cadre de ce que le paternalisme colonial avait défini, à savoir l’idée de l’égalité des droits entre les Congolais et les Européens. Ce, au sein de la « communauté belgo congolaise ». Cela était aussi l’opinion défendue par les « évolués », c’est-à-dire ceux qui, pendant la colonisation, avaient reçu une formation scolaire moyenne et faisaient partie de l’élite autochtone dans le « Manifeste de la Conscience Africaine » publié en 1956..

A titre d’illustration, je me permets de citer ce passage de son discours d’adieu à la fin d’une mission d’études en Belgique en 1956, mission que le pouvoir colonial avait initiée, à partir de 1953, en faveur des « évolués ». Patrice-Emery Lumumba qui avait fait partie de la 2e cuvée avait, par rapport à la problématique des relations intercommunautaires, un rêve qui avait pour contenu « l’intensification d’une vraie collaboration, d’une bonne entente et d’une meilleure compréhension entre les communautés noire et blanche »[2]. De là à dire que « l’amélioration des relations interraciales » constitue une idée-maîtresse qui va l’inspirer dans ses choix politiques au cours de son « éphémère carrière », il n’y a qu’un petit pas que les données factuelles suggèrent de franchir par petites étapes successives.

L’exposition universelle de Bruxelles, en 1958, avait offert à Lumumba et aux autres membres de la délégation congolaise, en provenance de différentes régions du pays, d’un côté, de prendre contact, pour la première fois, avec les milieux politiques de la Belgique et, de l’autre, de se connaître personnellement et d’échanger sur la situation dans la colonie. D’autant plus que, suite à d’énormes distances les séparant au Congo et à la politique de l’Administration coloniale interdisant ce genre de contacts qui, par surcroît, étaient rendus à dessein difficiles, pour ne pas dire étaient quasi impossibles, dans la colonie.

Pour Lumumba, la « période après 1958 » se caractérise par son rejet de l’idée de « l’égalité des droits et de l’assimilation dans le cadre d’une communauté belgo congolaise » et son appel en faveur d’une véritable décolonisation au profit du peuple congolais : « le Congo est notre pays. C’est notre devoir de rendre cette patrie plus grande et plus belle »[3]. A la suite de Jean Omasombo, je m’empresse d’ajouter que « ces propos véhiculent le rejet de la question coloniale en vigueur et les illusions que crée le statut d’immatriculation »[4]. Je voudrais dire, il s’agit d’une période dans laquelle il diversifie ses relations avec l’extérieur et rompt graduellement avec le système colonial.

Pour ce faire, il avait développé un nationalisme, appelé aussi le Lumumbisme, dont les points suivants servaient de référent conceptuel opératoire :

  • un nationalisme cohérent et révolutionnaire ;
  • une pratique politique se basant sur un mouvement de masse ;
  • une perspective internationaliste.

Son ami et collaborateur de nationalité belge, Jean van Lierde, que je cite ici de mémoire note dans cet ordre des choses : si l’Exposition Universelle de Bruxelles de 1958 avait joué un rôle de catalyseur dans le sens d’unifier les courants politiques congolais qui étaient entachés du tribalisme et du provincialisme, force est de préciser que seul Lumumba, à l’époque, avait élaboré une doctrine qui contenait des concepts supra ethniques. Concepts supra ethniques qu’il avait intégrés dans une politique de neutralité positive et dans un panafricanisme qui impliquaient la globalité de la libération de l’ensemble des peuples colonisés.

Cependant, sa vision de l’avenir du pays cadrait avec la vue de la Belgique, à savoir l’option pour l’unitarisme, les tendances unitaires de la République du Congo. Un unitarisme qu’il n’avait eu de cesse de proclamer et qui était le résultat naturel de son combat contre le tribalisme et contre la sécession téléguidée à partir de Bruxelles.

Le séjour bruxellois avait aussi permis à Lumumba comme aussi aux membres de la délégation congolaise de rencontrer des Africains originaires d’autres pays colonisés et de prendre contact avec des journalistes d’origine et de tendances diverses. Ainsi, P. E. Lumumba avait fait la connaissance du journaliste belge cité ci-dessus, Jean van Lierde. Celui-ci avait contribué, d’après ses dires, à sensibiliser les Congolais, entre autres Lumumba, à la participation au Congrès Panafricain d’Accra où il leur avait été donné l’occasion de vivre la conscience (de soi) des Etats indépendants africains.

La Négritude à laquelle Lumumba s’était référé n’était qu’un élément fondamental de la perception et d’enracinement qui lui avait possibilisé de sensibiliser le peuple congolais, colonisé et dominé, pour la lutte mondiale contre l’oppression et l’exploitation. C’est dire que le Lumumbisme prend ses racines dans la Négritude prônée par Aimé Césaire.

Afin de ne pas sortir du cadre du présent papier, je renonce à une annotation complète des œuvres de Aimé Césaire. Force est, néanmoins, de souligner que A. Césaire, contrairement aux chantres de vieilles « cultures nègres », répugne à magnifier celles-ci. Il ne vise pas à la réduplication des sociétés anciennes et laisse cet exercice aux « amateurs de l’exotisme ». Pour A. Césaire comme aussi, plus tard, pour F. Fanon, la réhabilitation des cultures détruites par la colonisation a pour fonction de réhabiliter le colonisé et de reconstituer son identité culturelle.

Le discours surprise, devenu célèbre, prononcé par Lumumba, le 30 juin 1960, devant le monarque belge et les diplomates venus du monde entier s’inscrit dans la logique de l’apologie illimitée de la « Négritude » version Aimé Césaire et caractérise la force des idées politiques de Lumumba. Il (le discours surprise) est impressionnant parce que son contenu donne la parole au mouvement de masses.

Au Roi Baudouin qui, le 30.06.1960, avait entonné, de nouveau,  le même refrain d’une œuvre conçue par le génie du roi Léopold II – « comme nous avons été bons avec vous ! Comme nous avons réalisé au Congo de belles choses », P.-E. Lumumba avait lancé une cinglante réplique : « comme nous avons souffert, comme nous avons été humiliés »[5].

Pour Patrice-Emery Lumumba, l’accession à l’indépendance n’était pas une victoire octroyée, un cadeau offert par les colonialistes, mais le résultat d’une lutte pacifique et d’un combat non-violent. Il s’était fait le devoir de transformer le sens et la signification de cette lutte et de ce combat au profit de son peuple et des peuples d’autres Etats du Tiers Monde en une politique anticoloniale positive.

En dépit de son éphémère vie politique, Lumumba avait laissé, dans une lettre adressée à son épouse, son testament politique. Testament politique dans lequel il avait réaffirmé son combat contre le néocolonialisme et déposé son irréfragable, son irréductible détermination quant à ce qui a trait à la victoire finale de la révolution anticoloniale. Heinz G. et Donnay[6], H. parlent, dans cet ordre des choses, d’un « véritable présage du triomphe de la cause sacrée à laquelle ses compagnons et lui consacraient toute leur vie ».

Une relecture de la presse belge et internationale de l’année 1960 montre l’influence de Lumumba sur le plateau de la balance des puissances mondiales de son époque. Alors qu’il était cloué au pilori par ses détracteurs, Patrice-Emery Lumumba avait, en réalité, incarné l’espoir d’un grand nombre des populations du Tiers Monde. Si l’on relit ses allocutions ou l’on analyse les événements autour de son assassinat, l’on découvre partout un homme politique d’envergure pour lequel la parole donnée ou prononcée était sacrée. Ce qui l’avait parfois poussé à croire que la parole suffisait pour gouverner. C’était l’envers de sa force car la parole semblait toujours attester que la foule communiquait avec la force magnétique de son regard alors que sa solitude, par contre, était immense.

L’assimilation du souvenir politique de Patrice-Emery Lumumba aux acquis de sa personne trouve son explication dans l’inexistence, l’absence d’un mouvement politique capable de continuer son combat politique et de mettre en action les véritables valeurs de ses convictions et de ses objectifs politiques. En d’autres termes, ce qui a, jusqu’à ce jour, manqué, c’est un mouvement populaire qui fasse siens, adopte les buts politiques de Lumumba et place la libération du pays du néocolonialisme et du néolibéralisme à l’ordre du jour.

A la suite de Ludo de Witte, l’on peut dire que la courte carrière politique de Lumumba et, finalement, son élimination politique et physique avaient conduit à une forte démoralisation au sein des tenants du nationalisme panafricain et avaient eu une conséquence dévastatrice sur le développement du continent africain. Le ralentissement de la décolonisation des territoires sous domination portugaise, la neutralisation momentanée du mouvement antiapartheid en Afrique du Sud, la prorogation accordée au régime de Ian Smith en Rhodésie et le renversement de Ben Bella en Algérie peuvent être cités ici comme illustration de ce défaut de développement…

Comme dit ci-haut, Lumumba est entré dans l’histoire comme « un météore », mais il a apposé sur l’histoire de son pays sa propre marque, marque au travers de laquelle son peuple et le Tiers Monde reconnaissent le début d’une nouvelle ère. Pour cette raison, Patrice-Eméry Lumumba n’est pas seulement une figure légendaire, mais aussi un espoir pour la jeunesse africaine qui est prête et disposée à lutter pour la justice et la paix.

On ne peut pas effacer le temps : hier, aujourd’hui, demain et à tout jamais…

Voici, en peu de mots, mon portrait de l’Homme dont l’histoire se souviendra encore longtemps bien que ses idées et sa démarche politiques continuent, 53 ans après son assassinat, à être le sujet d’un débat controversé en Europe, dans le Tiers Monde et dans son pays d’origine.

Iseewanga Indongo-Imbanda


[1] Jean Omasombo Tshonda, L’affaire Lumumba ou la palabre sur l’indépendance du Congo in Marc Quaghebeur (dir.), Figures et paradoxes de l’Histoire au Burundi, au Congo et au Rwanda, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 234.

[2]   Zana Aziza Etambala, Lumumba en Belgique du 25 avril au 23 mai 1956 in Marc Quaghebeur (dir.), Figures et paradoxes de l’Histoire au Burundi, au Congo et au Rwanda, Paris, L’Harmattan, 2002, pp. 215 – 216.

[3]  Jean Omasombo Tshonda, op. cit., p. 240.

[4 Ibidem, p. 240.

[5]  Jean Omasombo Tshonda, op. cit., p.231.

[6] Heinz,G. et Donnay, H,: Lumumba Patrice, les cinquante derniers jours de sa vie. Bruxelles, CRISP, 1966, réed. 1984 

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One Comment “Patrice Emery Lumumba, 54 ans après… – Iseewanga Indongo”

  • TIMOTHÉE TSHAOMBO SHUTSHA

    says:

    Bel article à partager largement. Quand les regards de nos martyres croisent les nôtres…il me semble que la déception et trahison qui se lisent… Nous avons une lourde responsabilité de porter la mémoire de nos héros…

    Chapeau à toi mon frère. Merci infiniment.

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