Le 8 mars, journée internationale des droits de la femme, – à ne pas confondre avec la fête des mères – a été instituée par l’ONU en 1977 principalement en vue de soutenir la lutte des femmes pour la réduction des inégalités, surtout sociales, par rapport aux hommes. Depuis lors, cette journée est célébrée de différentes manières à travers le monde entier selon les aires géographiques et la conception culturelle que l’on se fait dans un pays donné. Il n’est dès lors pas exagéré d’affirmer que le respect des droits de la femme constitue un indice d’appréciation du niveau de démocratie et de développement atteint par un pays. Autrement dit, c’est dans les pays les plus démocratiquement avancés que les droits de la femme sont les plus protégés.
Au Congo-Kinshasa, les femmes elles-mêmes, à qui est dédiée cette journée, la réduisent en une simple journée de fête à l’occasion de laquelle des maris et des concubins n’échappent pas à débourser de l’argent pour l’achat de nouveaux habits et de nouveaux bijoux. C’est ainsi que chaque année, des corporations féministes organisent des défilés à l’issue desquels des discours sont prononcés tandis que des mémos sont adressés au Chef de l’État contenant des messages de soutiens et une litanie de revendications, le tout se terminant des fois par des scandales de femmes mariées rentrant à leurs domiciles en état d’ébriété, après avoir trahi la foi conjugale. Il convient de souligner qu’en complicité avec les syndicats, cette journée a toujours été l’occasion offerte aux responsables financiers de bon nombre d’entreprises de détourner des fonds sous couvert de dépenses liées aux différentes manifestations de promotion des droits des femmes.
Si ces manifestations habituelles n’ont pas connu pareil engouement cette année (2021), c’est entre autres en raison de la pandémie de Covid-19 et de la paralysie des activités gouvernementales depuis octobre 2020 pour cause de liquidation de l’alliance FCC-CACH. Le seul fait remarquable que les médias ont pu mettre en évidence est la visite de la première dame auprès du Premier Ministre Sama Lukonde pour réclamer une grande représentativité des femmes dans le gouvernement qui était en gestation.
Plutôt que de répéter chaque année les mêmes gestes ou de toujours chercher à poser des actes ostentatoires qui font sélectivement la promotion de quelques femmes, nous estimons qu’il y a lieu de changer de paradigme en faisant d’abord le bilan de cette lutte pour savoir quels sont les résultats déjà obtenus et les moyens qui y ont été consacrés, de même que les divers obstacles qui se dressent sur ce chemin. Vu l’étendue du sujet et son impact sur le fonctionnement harmonieux de l’État, le concours de plusieurs experts, de plusieurs disciplines, est vivement souhaité pour en débattre. La présente analyse se limite à faire le point de quelques progrès réalisés et à explorer, dans les limites de nos observations, quelques obstacles propres à la société congolaise tout en proposant quelques pistes de solution.

Les progrès réalisés dans la lutte pour les droits de la femme
Il ne serait pas correct de dire que la femme congolaise est restée traditionnelle dans ses droits ou encore que le regard de l’homme congolais à l’égard de sa concitoyenne soit demeuré statique. Déjà sous l’époque coloniale, des écoles ont été ouvertes dans lesquelles des filles ont été formées notamment aux métiers d’enseignantes et d’infirmières. C’est plus tard dans ces écoles, pour la plupart des missionnaires, que la formation générale a été dispensée jusqu’à nos jours. Bon nombre de femmes sorties de ces écoles se sont bien et même mieux défendues que leurs condisciples masculins à l’université et dans des instituts d’enseignement supérieur (pédagogique et technique) essaimés à travers le pays sous la Deuxième République. Toutefois, c’est au niveau de l’acceptation et de l’utilisation des compétences féminines que se trouve tout le problème.
Avec la création du Mouvement Populaire de la révolution (MPR), la femme zaïroise accéda plus tôt à des fonctions ministérielles et à d’autres postes de responsabilité dans tous les organes du parti bien avant des femmes de certains pays occidentaux. A titre d’illustration, on peut citer Ekila Liyonda, ancienne ministre des Affaires étrangères, Véronique Lessedjina, née Véronique Kiaba, ancienne ministre de l’Environnement et Vice-présidente du bureau du Comité Central du MPR ou Catherine Nzuzi wa Mbombo, ancienne Gouverneur de province (Bas-Zaïre puis Kinshasa) et membre du bureau politique du MPR Parti-État, Soki Fwani Eyenga, ancienne députée et ministre des affaires sociales, etc.
Cependant, contrairement à des pays où ces droits ont été arrachés au bout d’une longue lutte sociale, au Congo-Kinshasa les droits des femmes ont été souvent octroyés dans le but de mieux servir l’homme. En effet, tout Congolais adulte durant la période du MPR et qui était en mesure d’observer les phénomènes sociopolitiques avait pu remarquer que certaines femmes n’avaient été élevées ou promues au rang de dignitaires que pour les rapprocher, parfois sans considération de leur statut de femmes mariées, de ceux qui allaient s’en servir charnellement. Ainsi, des femmes sans instruction suffisante n’avaient pu être nommées à la tête des entités politico-administratives que grâce à leur capacité de trémousser leurs hanches de manière spectaculaire et suggestive au sein des groupes d’animation relevant de la MOPAP (Mobilisation et propagande du parti).
A quelques exceptions près, d’autres, bien que diplômées d’université, ne devaient leur ascension fulgurante en politique ou au sein des entreprises étatiques que grâce à leur statut de maîtresses des grands dignitaires du régime. Cette pratique est usuellement qualifiée de « promotion canapé ». En effet, les responsables politiques ou chefs d’entreprise masculins « donnent un boulot aux femmes en échange de relations sexuelles. Une fois le job octroyé, le même chantage s’exerce pour la sécurité d’emploi ou pour obtenir de l’avancement »[1].
A cause de la crise économique, ôtant à beaucoup de parents leur autorité devant leurs enfants (en particulier leurs filles), ce phénomène a connu un impact désastreux sur les mœurs en général et sur le comportement des filles étudiantes en particulier. Le soir venu, les abords des résidences des filles étudiantes des universités ou des instituts supérieurs étaient envahis par des voitures venues les prendre pour une soirée ou un week end. Si certaines menaient discrètement ce mode de vie, d’autres par contre étaient même fières de s’afficher comme maîtresses d’un politicien, d’un PDG ou d’un cadre d’une entreprise publique ou privée. A défaut de trouver facilement un compagnon pour le mariage, certaines de ces filles n’ont pu user que de leur charme pour être recrutées sans concours à des postes de responsabilité dans différents services de l’État et des entreprises privées. Parmi elles, quelques-unes ont pu s’affirmer aux côtés de leurs collègues masculins, mais la plupart se sont contentées d’un train de vie profitable à leurs familles : voitures, maisons et autres biens de valeur.
Ce phénomène, appelé « Deuxième bureau » a beaucoup contribué à la dépravation des mœurs et à la destruction de la famille considérée comme cellule de base de la société, incitant des jeunes filles, instruites ou illettrées, à se lancer à la conquête des hommes mariés friqué. Au fil des années et à cause de la dégradation de la situation politique, économique et sociale, ce phénomène s’est intensifié allant des grandes villes pour atteindre des agglomérations rurales malgré la création au sein du MPR de la branche « Condition féminine », devenue plutard Ministère de la condition féminine.
Les guerres d’agression contre le pays ont achevé d’amplifier ce phénomène en déversant dans l’armée et dans la police beaucoup de filles de joie, recrutées sous le régime de l’AFDL au grade d’officier et affectées comme secrétaires particulières auprès des « Commandants ». Ces guerres ont également fait des violences sexuelles envers les femmes et les mineures comme arme de guerre pour terroriser, humilier et anéantir les populations locales.
Pendant ce temps, dans l’enseignement supérieur et universitaire, s’est parallèlement développé un autre phénomène dit des points sexuellement transmissibles, permettant à certaines étudiantes de fournir intellectuellement moins d’efforts que leurs condisciples mâles mais pour des résultats plus performants. Les conséquences sur le plan politique et social, c’est le nombre quelque peu illusoire et une représentation faussée de femmes au sein des institutions publiques et des conseils d’administration des entreprises.
Sous le régime de Joseph Kabila, même des femmes sans diplômes du secondaire se sont miraculeusement retrouvées au sein des conseils d’administrations, là où la haute technocratie devrait pourtant être une exigence. Tout récemment, à l’instar de leurs collègues hommes, des femmes non élues ont pu accéder au Parlement et aux assemblées provinciales par des moyens non recommandables. D’autres ont fait leur entrée au sein du Gouvernement. Intellectuellement, moralement et professionnellement incompétentes et incapables d’y défendre les droits de la femme, elles ne se manifestent que pour soutenir de plusieurs manières leurs époux, leurs papas, leurs parrains/concubins ainsi que leurs familles.
Il n’y a pas longtemps, une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux montrant une dame « cadre » de la Société nationale d’assurance (SONAS) s’adressant avec conviction au public et affirmant que le détenteur d’une assurance automobile peut conduire son véhicule comme il veut sans beaucoup se soucier des accidents qu’il pourrait occasionner, car les dommages causés aux tiers sont couverts par l’assurance. Tout ceci vient précariser davantage la situation déjà compliquée de la femme africaine en général et de la femme congolaise, en particulier, confrontée au regard et au traitement discriminatoires, conséquence de la culture patriarcale et masochiste.
La culture : un des principaux obstacles aux droits de la femme congolaise
Malgré un semblant de progrès dans le domaine de défense des droits de la femme, la femme congolaise, instruite ou analphabète, n’est pas encore entièrement considérée comme sujet de droit au même titre que son compagnon. Dans beaucoup de sous-cultures ethniques ou tribales, son rôle consiste à élever les enfants au point d’en endosser tous les échecs. Dans ces sous-cultures, il n’est pas permis à une femme mariée de s’asseoir au salon ou de prendre place autour d’une table dans la salle à manger avec son mari, en même temps qu’il est coutumièrement autorisé à ses beaux-frères de porter la main sur elle en cas de manquement quelconque.
Quant aux décisions importantes à prendre, notamment sur la gestion du patrimoine familial, elle n’est pas du tout associée et son statut ne diffère guère de celui de sa fille mineure. Faute de vulgarisation suffisante, la femme congolaise ignore jusqu’à ses droits élémentaires prévus en sa faveur par la Loi n° 16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille. Laquelle loi supprime par exemple l’autorisation maritale préalable pour la femme mariée (pour travailler ou voyager seule) et en l’obligation faite aux époux de s’accorder pour tous les actes juridiques dans lesquels ils s’obligent, individuellement ou collectivement[2].
C’est ainsi par exemple que la dot a progressivement perdu sa nature symbolique de ciment entre les familles des futurs époux pour devenir carrément une valeur marchande de la fille à donner en mariage. Conséquence, l’on compte de moins en moins de mariages et de plus en plus de fiançailles prolongées, les garçons n’arrivant plus à satisfaire aux caprices de cupidité des parents mariant aux enchères leurs filles.
D’où l’impact négatif observé dans la qualité des rapports homme-femme au sein du couple. L’épouse n’ayant pas souvent un grand mot à dire peu importe le régime matrimonial pas du tout compris et qui ne sert que de formalité lors de la célébration du mariage. Mais en cas de divorce ou de décès de l’époux, très rares sont les veuves qui accèdent à la succession de leurs défunts maris, soit par ignorance de leurs droits, soit parce qu’elles sont menacées ou intimidées par la belle-famille, avec en tête et curieusement par des belles-sœurs.
Juge que nous étions, il nous était arrivé de voir, impuissant, certaines femmes abandonner des dossiers en cours de procédure pour la liquidation du patrimoine conjugal en cas de divorce ou du décès du mari. Parfois avec la complicité de leurs avocats et même des juges véreux et corrompus, des femmes divorcées ou veuves n’ont pu se contenter que des miettes proposées par leurs époux ou leurs belles-familles sous peine de tout rater.
A l’image de la mère congolaise, le sort de la jeune fille n’a pas du tout évolué non plus, principalement à cause de la spécificité de la situation sociopolitique et économique du pays. Au Congo/Kinshasa en effet, le chômage et la pauvreté ont engendré l’irresponsabilité des parents, parfois contraints de vivre de la prostitution de leurs filles sous de nouveaux phénomènes appelés Ujana, Bureau d’âge ou danseuses des musiciens, etc.
De nos jours encore, plus nombreuses sont des familles, surtout de coutume patrilinéaire, qui n’ont pas encore compris l’avantage d’investir dans l’éducation de leurs filles. C’est ainsi que certains parents, même au sein de la diaspora, continuent de maintenir leurs filles sous des liens traditionnels au point de leur imposer le choix d’un futur conjoint – généralement de la même tribu qu’eux – ou d’exiger une dot exorbitante à leur futur gendre. Avec un peu de volonté, des uns et des autres, il y a pourtant moyen de faire mieux pour faire avancer la cause de la femme congolaise.
Des pistes pour faire avancer la cause de la femme congolaise
« Les droits s’arrachent », dit-on. Cela reste valable pour toutes les catégories humaines et sociales victimes des inégalités raciales, sexistes et autres. Au regard de la condition de la femme congolaise, la réduction des inégalités mettra beaucoup trop de temps si c’est du bon vouloir de l’homme qu’il faut encore tout attendre. Présentement deux pistes disponibles peuvent être exploitées par la femme congolaise, appuyée par des hommes mentalement émancipés, pour y parvenir sans beaucoup de casses. Il s’agit de l’éducation et de l’application effective du code de la famille.
L’éducation
S’il est vrai qu’au Congo les femmes sont démographiquement plus nombreuses que les hommes, il est surtout désolant de constater que les taux de décrochage scolaire et d’analphabétisme sont plus élevés chez les jeunes filles que chez les garçons. Non seulement que dans beaucoup de familles les parents sont encore convaincus de l’inutilité d’investir dans la scolarisation des filles, il est surtout inculqué dans l’esprit de celles-ci que le ménage est leur principale vocation, même lorsque qu’elles ont été sur le banc de l’école.
Lors d’une célébration nuptiale à Kinshasa dans les années 90, un pasteur avait scandalisé l’assistance en s’adressant avec insistance à la mariée, licenciée en sciences économiques de l’UNIKIN, pour lui signifier que sa place dans le foyer se trouvait à la cuisine et non au salon avec son mari ingénieur. Que dire alors de la majorité de jeunes filles, sans structures familiales de référence pour les encourager d’aller apprendre ne fût-ce qu’à lire et à écrire, mais qui apprennent à se servir de leurs corps pour obtenir ce que les études n’arrivent pas à leur procurer?
Certaines confessions religieuses, dénommées « Églises de réveil », qui auraient pu encadrer ces femmes pour les aider à s’émanciper, sont devenus des centres d’abrutissement collectif, de manipulation spirituelle et de division familiale. Du coté normatif, même les instruments juridiques existants ne sont malheureusement pas exploités en vue de promouvoir les droits de la femme.
L’axe légal
Les rares manifestations organisées circonstanciellement à l’occasion de la commémoration de la journée internationale de lutte pour les droits de la femme n’ont qu’une portée limitée à une poignée de femmes dans la capitale nationale et dans les grandes villes du pays. Les millions d’autres femmes à travers le pays ignorent tout de la date et de l’objet de la journée du 8 mars de chaque année et ne trouvent par conséquent rien à revendiquer. Ainsi que l’on peut le constater, l’axe politique a montré ses limites dans la lutte pour la réduction des inégalités entre l’homme et la femme. Nous pensons qu’il est temps d’exploiter à fond le code de la famille, un instrument légal et juridique très précieux auquel on recourt très peu ou pas du tout.
Mis en vigueur depuis le 1er août 1988, modifié et complété par une loi de 2016, le code de la famille renferme pourtant plusieurs dispositions qui, si elles étaient suffisamment vulgarisées, permettraient de faire avancer la cause de la femme congolaise de toutes les conditions sociales, instruite et analphabète, de la ville comme de la campagne. A titre sélectif, il s’agit entre autres, aussi bien pour les pouvoirs publics que pour les associations de défense des droits de la femme, de veiller à la vulgarisation et à l’application des dispositions du code de la familles relatives à la liberté de mariage (art.334), aux sanctions prévues pour quiconque contraint quelqu’un à se marier contre son gré (art. 336), à la nullité du mariage en cas d’absence de consentement(art.402), à la concertation entre les époux pour la gestion financière et matérielle du ménage (art. 445), à l’absence d’accord préalable d’ester en justice contre l’autre conjoint (art. 451), aux effets patrimoniaux du mariage, plus spécialement en cas de liquidation.
Conclusion
La journée internationale dédiée aux droits de la femme pour 2021 a vécu, de même pour le mois de la femme. Comme chaque année, le rituel est resté le même, avec quelques discours prononcés lors de certaines manifestations des organisations de la société civile. Globalement le combat de la femme congolaise se caractérisé par des revendications d’ordre politique destinées à promouvoir les seules femmes instruites ou plus opportunistes que d’autres.
A travers cette analyse, nous avons démontré que le leadership féminin dans tous les secteurs de la vie nationale est demeuré insignifiant et fort dépendant de la situation sociopolitique du pays ainsi que des pesanteurs culturelles. Pour espérer réduire plus rapidement et plus efficacement ces inégalités qui impactent négativement le développement intégral du pays, nous avons proposé qu’il soit mis l’accent sur l’éducation et la vulgarisation en, toutes les langues nationales, des dispositions du Code de la famille relatives aux droits de la femme, de façon à ce qu’à partir de la famille, la femme congolaise soit regardée et traitée avec plus de dignité.
Jean-Bosco Kingolo Mulangaluend
Jean-Bosco Kongolo est licencié (master) en droit de l’Université de Kinshasa. Il est détenteur d’un diplôme de criminologie à l’université de Montréal et d’un diplôme des Relations industrielles et gestion des ressources humaines à l’université du Québec en Outaouais, au Canada. Il a exercé une riche carrière professionnelle dans la magistrature congolaise. Il a fini par démissionner volontairement de la magistrature pour éviter de se mêler aux antivaleurs et à la corruption qui gangrènent la justice. Il est l’Administrateur adjoint de DESC.
Texte relu par Jean-Jacques Wondo
Références
[1] Aisha Bahadur, Lutter pour les femmes en RDC, in http://www.industriall-union.org/fr/profil-lutter-pour-les-femmes-en-rdc.
[2] https://www.leganet.cd/Legislation/Code%20de%20la%20famille/Loi.15.07.2016.html.
