« Tenons bon !»
Lettre Ouverte de Kamoto Centre à Mr Etienne Tshisekedi
Cher Monsieur Etienne Tshisekedi,
Président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) et président du Mouvement dit Rassemblement.
Lorsque Mr Mobutu en 1992 décida la fermeture de l’université de Kinshasa, dont je fus alors étudiant, avec un groupe d’amis de l’époque dont Mr Olivier Kamitatu et Richard Kititi, nous avons créé une organisation appelée Constellation pour participer aux cotés des grands mouvements politiques de l’époque comme l’UDPS et l’UFERI dans l’effort de démocratisation effective du pays. Nous ne nous étions pas trompés et vous non plus de la volonté manifeste du Marechal Mobutu de tout manigancer pour ne pas quitter le pouvoir. Actuellement encore, il n’est un secret pour personne que Mr Joseph Kabila est sur les mêmes lancées de « tikala libela » dans son nouvel euphémisme de « Wumela ». L’objectif de notre démarche était alors l’obtention d’une Conférence Nationale Souveraine comme voie de sortie de l’impasse et la stagnation de la dictature de la deuxième République. Constellation fut un membre très actif de l’USORAL et a participé aux travaux du Centre Nganda sur l’écriture du projet de constitution de la transition tel que proposé alors par l’opposition à Mr Mobutu. Nous avons aussi milité au sein que ce qu’on a appelé la société civile de Numbi qui se réunissait souvent dans la salle du Zoo, force alors très active pour le Changement politique. Ce groupe en collaboration avec d’autres partis politiques a mobilisé toute sorte d’énergie en dedans et en dehors de la salle du Palais du Peuple pour aboutir au fameux Acte fondamental proclamant la souveraineté de la conférence nationale le 5 Mai 1992. Le préambule de l’acte résume en ces mots la situation sociopolitique et économique du pays à cette époque et dit ceci : « Nous, peuple Zaïrois, réunis en Conférence Nationale ; constatant la crise profonde, multiforme et persistante à laquelle le pays est confronté depuis de nombreuses années, considérant la paupérisation de la population, le ravalement et l’inversion des valeurs morales et spirituelles, la chute de la monnaie nationale, le règne des maux tels que l’arbitraire, la corruption, le népotisme, le tribalisme, la dislocation de l’appareil sanitaire, l’effondrement du systeme éducatif, la confiscation de libertés individuelles et collectives, le détournement systématiques des biens publics et la spoliation des biens privés, l’incivisme et l’anarchie ; convaincu de l’incapacité totale des institutions en place d’apporter des solutions ; mû par la volonté inébranlable d’analyser sans complaisance les cause de cet échec en vue de trouver , dans un esprit de dialogue et de réconciliation, les solutions efficaces destinées à relever ce défi et à jeter les fondements d’un État de droit devant garantir un développement intégral et harmonieux de la nation ». Et l’article unique de cet acte historique est que : « La Conférence nationale est souveraine. Ses Décisions sont impératives, exécutoires et opposables à tous. »
Avant d’arriver à cet acte, la volonté de vous soutenir personnellement, Mr le président, nous a amené à vouloir d’abord nous associer à la création du mouvement Génération Tshisekedi mais finalement à participer aux premières réunions de création des FONUS, les Forces Novatrices de L’UNION Sacrée aux côtés de monsieur Tala Ngai, Olenga Nkoy et autres. L’idée de départ des FONUS a été de servir de boost à votre leadership personnel. Je me réjouis encore aujourd’hui que Mr Olenga NKoy est resté fidèle à cet idéal de départ.
Les évidences sont qu’en dires et en faits, je suis de ceux qui ont cru dès l’aube du combat politique pour la démocratie en RDC en vos capacités d’amener le changement politique dans ce pays et ai contribué par des sacrifices bien que moindres à votre idéal de combat politique. Dieu seul sait combien des coups de feu nos oreilles ont entendu, combien des fois nos yeux ont subi les affres des gaz lacrymogènes.
En 1993, j’ai décidé de suspendre mon combat politique après avoir constaté ce que j’ai alors saisi comme une trahison de l’idéal de combat de l’Union Sacrée de démanteler le régime dictatorial de Mobutu, lorsque la direction du mouvement avait commencé à participer aux tractations secrètes avec Abdoulaye Wade pour la tenue des réunions qui ont abouti aux accords du Palais de Marbre 2. Notre thèse et notre argumentation contre cette démarche, plus tard prouvées être correctes, ont été que ces tractations constituaient un exercice du président Mobutu Sese Seko de s’offrir les moyens de reprendre la direction de l’agenda politique, de presque ressusciter son régime, le fortifier et le pérenniser en fragilisant l’opposition par la division, la récupération et le clientélisme. La suite est connue de nous tous.
L’acte constitutif de la CNS dont allusion est faite ci-haut et surtout votre élection comme premier ministre, dans la nuit du 14 au 15 août 1991, au Palais du peuple constituent des moments significatifs de la marche très tortueuse du pays vers la démocratie voulue par la majorité de citoyens. Je me souviens encore de l’exaltation et de la liesse populaire dans tout le pays à l’annonce de vos 70.8% des suffrages exprimés face à Mr Thomas Kanza et Clément Kanku. Malgré le fait que cette conférence ait connu une fin en queue de poisson, l’histoire définit son moment crucial dans la lutte pour la démocratie et la bonne gouvernance en RDC et en retient certains acquis dans cette marche digne et élogieuse. En effet, le nom du actuel pays et la forme constitutionnelle de l’état avec un régime semi-parlementaires sont des émanations des idées de la CNS.
Le Congo, la terre de nos ancêtres, est aujourd’hui à la croisée des chemins. La dictature de Mobutu a fait place à une autre plus sournoise mais pas moins despotique. Les origines de celle-ci contribuent à plus d’humiliation pour le pays. L’arrogance de ses acteurs, son modus operandi et le timing historique rendent la pilule encore plus amère à avaler. Alors que beaucoup des pays africains se sont embarqués drastiquement vers les voies de gouvernance d’excellence, une démocratie participative et l’organisation des élections transparentes et justes ; en RDC, le gouvernement et ses apparatchiks jubilent qu’il n’y ait pas organisation d’élections et célèbrent le fait qu’ils continuent à administrer le pays par défi. Alors que dans beaucoup des pays africains la paix, la sécurité et l’intégrité territoriale constituent des acquis assurés, le régime de Kinshasa semble bien être le garant d’une guerre interminable dans les territoires de l’Est. Et dans l’entre-temps, le pays continue à occuper les positions de queues dans presque tous les palmarès des performances socio-économiques réputés et internationalement validés. Quand les origines de cette situation dramatique sont bien connues, leurs conséquences sont encore plus évidentes.
Seulement voilà, Mr le président, les faits et les circonstances depuis votre fameuse lettre ouverte du 1er novembre 1980 qui a abouti à la création de l’UDPS et les humiliations que vous avez personnellement subies depuis ce temps jusqu’à l’usurpation du pouvoir de 2011 vous ont placé dans la position unique d’être le Leader au sens du vrai conducteur du peuple congolais. Lorsque votre bravoure rare, exceptionnelle et inégalée vous place encore dans cette position unique et privilégiée que d’aucun qualifierait de Primus inter pares, plusieurs rendez-vous manqués avec l’histoire de votre part nourrissent encore un doute dans le chef de beaucoup dont moi-même. Ce doute est une interrogation sur votre capacité de capitaliser sur la popularité énorme dont vous disposez et la confiance spéciale dont vous bénéficiez de la part de la plus grande majorité du peuple congolais dans sa quête d’un régime responsable, compétent et digne. Pour votre rappel, cette lettre de 1980 a commencé par une citation de Mirabeau qui dit ceci : Celui qui a la conscience d’avoir mérité de son pays et surtout de lui être encore utile, celui qui ne rassasie pas une vaine célébrité et qui dédaigne les succès d’un jour pour une véritable gloire , celui qui veut dire la vérité, qui veut faire le bien public indépendamment des mobiles mouvants de l’opinion populaire, cet homme porte en lui la récompense de ses services, le charmes de ses peines et le prix de ses dangers ; il ne doit attendre sa moisson, la destinée de son nom que du temps, ce juge incorruptible qui fait justice à tous ».
Ma lettre, Mr le président, est une exhortation pour vous ; que le sort a placé comme leader à la tête de ce peuple meurtri d’exalter vos derniers instincts du maréchal combattant vers un assaut final contre le socle de l’obscurantisme politique et de la dictature. Je me souviens d’une de vos harangues lors d’un discours dans l’ex stade du 20 Mai alors que je me trouvais dans les tribunes loin en face de vous et à côté des milliers d’autres supporteurs de l’USORAL invitant le peuple à vaincre la peur ou d’autres slogans comme, « la patrie ou la mort, l’UDPS vaincra ! ». Le peuple ne se prend jamais en charge soi-même, il est conduit dans la charge par le leader comme dans un entrainement à la française : « allons enfants de la patrie, -fonçons- car le jour de gloire est arrivé ! »
Lorsqu’un pays se trouve dans la situation de blocage comme le Congo encore aujourd’hui, souvent c’est le leadership d’un seul homme, sa détermination et son action décisive qui cristallise les énergies pour briser les carcans de la dictature et de l’oppression. C ’est comme jadis le cas des héros comme Nelson Mandela et le peuple noir Sud-Africains évoquant les rêves du « Freedom is coming tomorrow » et l’associant aux actions de son leader.
Le 20/09/2016 est le « tomorrow » du peuple de la RDC, une date décisive pour le début de la fin des régimes dictatoriaux dans ce pays. Le régime actuel de Mr Joseph Kabila est assis sur un trépied en apparence encore solide fait primo des traitres locaux, des « collabos » véreux et égoïstes qui ont opté de continuer de rester en intelligence avec les ennemis de la nation, secundo l’armée et les organes de sécurité encore aux services d’un seul homme et tertio les pays voisins qui tirent directement profit de la situation chaotique à l’est du pays ou qui voudraient à tout prix éviter un effet domino de démocratie dans leurs territoires. Le vrai soubassement du régime de Kabila est la force des armes. Celle-ci n’est pourtant pas aussi redoutable que celle dont faisait face Nelson Mandela et la population noire en Afrique du Sud. J’ai personnellement vue la sophistication dans l’organisation et les équipements de la SADF (South African Défense Force, SAAF d’alors) lors du déploiement des militaires après le massacre du Shell House au siège de l’ANC à Johannesburg le 28 mars 1994 et plus tard à plusieurs démonstrations des équipements comme les hélicoptères d’attaque Rooivalk à Waterkloof Pretoria. Et puis, face aux sophistications des agents des services secrets sud-africain de cette époque comme dévoilés lors de la fameuse Truth and Reconciliation Commission de 1996 présidée par Desmond Tutu, les agents de Kalev Mutond ressemblent bien aux enfants de chœur et à des simples épouvantails.
Cette lettre est donc une exhortation pour qu’enfin, Mr Etienne Tshisekedi, vous deveniez le vrai garant de l’accomplissement de vœux exprimés dans votre fameuse lettre au président du Mouvement Populaire de la Révolution, président de la république. Il est temps qu’enfin vous vous inspiriez de Mr Nelson Mandela en agissant comme l’ultime combattant de la liberté et de l’émancipation du peuple. Il y a beaucoup de défis à relever dans ce pays dont celui fondamental de la paix pour tous, de la santé, des droits et libertés des citoyens et surtout celui l’éducation qu’il faudrait urgemment reformer. Face aux déboires de son peuple, Nelson Mandela, ce grand homme politique de l’Afrique noire, a encore réaffirmé les idéaux et la détermination de son combat au procès de Rivonia entre octobre 1963 et juin 1964. Saisissant la dimension historique du moment, bravant la peur d’être condamné à mort, pour la cause de son pays et de son peuple Mr Rolihlahla Mandela prononça devant le juge Quartus de Wet qui présidait le procès, le procureur en Chef le docteur Percy Yutar et toute la haute cour du Transvaal un discours historique. Il dit : « Au cours de ma vie, je me suis consacré à cette lutte des peuples africains. J’ai combattu contre la domination blanche et j’ai combattu contre la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dans laquelle tout le monde vivrait ensemble en harmonie et avec des chances égales. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et que j’espère accomplir. Mais si nécessaire, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir ».
Le 19/9/2016 comme conclut par vous-même lors du meeting du 31 juillet 2016 est cette date de vérité pour la RDC, « début du préavis de trois mois » de Mr Joseph Kabila. C’est le jour où le peuple congolais sous votre auguste leadership devra enfin franchir le Rubicon pour l’émergence d’un peuple grand, libre et prospère, l’avènement de l’ultime « debout congolais », la vraie naissance de la république DEMOCRATIQUE du Congo. Votre lettre dite des 13 parlementaires invoquait déjà les aspirations du modèle de société du Manifeste de la Nsele que vous avez aidé à rédiger en 1967, « promettant la restauration de l’autorité de l’état et son prestige, le respect des libertés démocratiques , la participation active directe ou indirecte du chacun à la discussion publique des problèmes de la vie commune, la confrontation permanente des intérêts , des besoins des nécessités économiques ou politiques, libérer les zaïrois et les zaïroises de toutes servitudes et assurer leur progrès en édifiant une république vraiment sociale et vraiment démocratique».
Après presque 50 ans de traversée du désert, plus que les 40 années des enfants d’Israël libérés du joug égyptien, c’est l’heure de la rédemption pour le peuple congolais destiné à être vertueux pour la prospérité de toute l’Afrique et le bien du monde entier dans la continuité et la plus-value du grand rendez-vous du donner et du recevoir.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le président, l’expression de ma considération distinguée.
Dr Florent PUMU
Directeur de l’organisation Kamoto Centre
www.kamotocentre.com