RD Congo : Quid de la logique du Changement par les armes?
Par Florent Pumu
Cette réflexion est une opinion personnelle de l’auteur qui n’engage nullement DESC.
Une foi sans espoir ?
Le 27 mai 2016, trois sénateurs américains appellent pour les sanctions « ciblées » contre le régime du président Joseph Kabila ; les médias sociaux et certains journalistes s’agitent dans une sorte de jubilation que bientôt le glas va sonner contre ce régime. Un simple rappel de faits ici : Les sanctions américaines contre les proches du pouvoir et les opposants au Burundi n’ont point altéré le cours de ce pays qui depuis s’est enfoncée dans une crise politique profonde. Il est vrai que les sanctions du monde occidental sont capables de changer les données politiques en RDC comme l’ont démontré certaines situations dont le cas de la Birmanie et la guerre civile en Sierra Leone avec les sanctions du gouvernement libérien de Charles Taylor mais l’expérience universelle a prouvé que les sanctions économiques ne génèrent souvent que des effets modestes, « même si elles peuvent être un moyen essentiel de faire preuve de détermination morale » a écrit Kenneth Rogoff dans les Echos de France qui défends cette même argumentation. Faire foi en ses sanctions a plus de chance d’être une foi sans espoir.
Il y a eu les marches de Janvier 2015 et des manifestations du 26 May 2016 ; les quartiers généraux de l’opposition ont exprimé une satisfaction de la « réussite » de ces journées. C’était un effort important dont nous saluons la bravoure et qui cristallise encore plus l’évidence que le peuple congolais est plus que jamais acquis à la cause de la fin du régime de Joseph Kabila même au prix des vies humaines. La diaspora congolaise et beaucoup d’autres acteurs sur le terrain jouent un rôle capital dans cet état d’affaires. Il y a cependant une question qui vite vient à l’esprit : quel est l’impact réel sur le pouvoir actuel ? Que ce que les organisateurs voulaient obtenir comme résultats ? En quoi cette marche a affaibli le pouvoir en place ? On se rends vite à cette triste évidence : pas vraiment grand-chose, sinon la démonstration à la face du monde du rejet par beaucoup du régime actuel. C’est une victoire tout de même mais elle n’est pas suffisante pour ébranler édifice Kabila. Multiplier les manifestations dans ce format et croire qu’elles font ébranler le régime est une autre illusion.
Après les discours musclés de Barack Obama sur la démocratisation en Afrique et les assurances que nous avons personnellement reçues auprès de certains officiels américains, l’espoir était que le pays de l’oncle Sam avec un « Noir-Africain » à sa tête avait opté de façon résolue et effective à « faciliter » la démocratisation des plus des nations africaines. Il y a vraiment eu beaucoup d’espoir suscité par ces élans. Mais très vite, l’évidence est apparue : Au Rwanda, Burundi, Congo-Brazzaville et l’Ouganda le clairon de la pérennisation des régimes « d’hommes forts » a depuis retenti, embrigadant tout le monde dernière « le guide de la révolution » pour la longue marche sous l’oppression et le l’arbitraire ; à moins de croire qu’il existe des « bonnes dictatures ». L’administration d’Obama aura démontré une politique intérieure très effective mais une politique extérieure pas très musclée qui a conduit beaucoup à le qualifier de « weak president » (un président faible). Croire qu’Obama va utiliser le « might » des USA comme Clinton et Mobutu avec Bill Richardson semble devenir un mirage. Avoir foi en cette interaction USA-Congo en faveur de la fin du régime de Joseph Kabila semble de plus en plus être une autre chimère, bien qu’une petite lueur persiste encore pour le cas de la RDC.
L’état de la nation Congolaise
La situation politique générale est telle que la RDC est fermement lancée vers le même sort que ces voisins de l’Afrique Centrale. Les hommes au pouvoir qui ont accédé au sommet de l’état par la force des armes considèrent leurs pays comme des trophées de guerre. Il y a une logique cryptique du sens « nous avons acquis le pouvoir au péril de nos vies, nous nous battrons pour le garder au péril de nos vies ». La militarisation du pays et des services de protection du régime trouve leur logique dans cet état des choses.
De l’effort du changement politique en RDC par les manifestations de rue, Ben Shepherd du très respecté Chatham House (Institut Royal Britannique des affaires internationales) avance dans son article très intéressant intitulé « Is the democratic republic of Congo heading for another Civil war ? » qu’il « est possible qu’au lieu d’arriver à une fin dramatique, la politique de la RDC va continuer à être bloquée dans un petit feu de crise de légitimité pour des années à venir ». Il soutient son argumentation par le fait « Il n’y a pas une classe (sociale) moyenne pour endurer les protestations. La majorité ne dispose pas du luxe de penser au-delà du prochain repas pour leurs familles. Le peu qui le peuvent sont embobinés dans un réseau de relations réciproques (avec ceux qui sont au pouvoir) qui affaibli tout effort de changement. En effet, les années 1990 peuvent offrir un parallélisme utile avec la présente situation incertaine, particulièrement l’implosion lente du Zaïre de Mobutu ». Il ajoute que « malgré l’hyperinflation, une armée qui a tout simplement cessé d’exister et une frustration profonde de la population, le régime de Mobutu a été permis de se prolonger sur sept années supplémentaires malgré l’instauration du multipartisme ». Mr Shepherd conclut qu’en fin de compte, « ce n’était pas une main congolaise qui a administré le coup de grâce (contre le régime de Mobutu). Plutôt, ce sont les pouvoirs régionaux, fatigués du fait que le territoire du Zaïre soit utilisé comme sanctuaire par leurs ennemis (…) qui ont appuyé sur la gâchette envahissant le pays en 1996 ». En un mot, l’auteur de l’article, Mr Shepherd est convaincu de l’incapacité du peuple congolais de « se prendre en charge », pour un acte décisif de changement de régime politique au pays. Il semble qu’en autorisant les marches « pacifiques » comme dernièrement à Kinshasa et d’autres villes du pays, les gouvernants du pays sont aussi maintenant convaincus de cette réalité : les chiens aboient et la caravane passe.
Burkina Faso, leurre ou lueur ?
Les situations vécues au Burkina Faso et les pays du « printemps arabe » ont suscité les espoirs d’une réfraction en Afrique centrale. Une question fondamentale se pose sur les chances de la démocratisation rapide de la RDC du soulèvement populaire « non-musclé », euphémisme souvent utilisé par notre ami Mr Isaac Madakumba. Je fais ici allusion à l’effectivité plutôt plus qu’à l’efficacité de la démarche. Compte tenu des facteurs historiques, politiques, socio-économiques, géopolitiques et culturelles, les congolais ont-ils la capacité de reproduire avec succès le cas de ces pays ? A propos de la libération des pays de régimes dictatoriaux, il y existe toute sorte de formules avec succès et échecs. Les exemples des diffèrent scénarios abondent, partant des révolutions anciennes ; Américaine, Russe, Française, ou récentes Birmane ou Burkinabé ; il n’y a pas de panacée ici.
Pour le cas précis de Burkina Faso, les informations intérieures nous révèlent que Blaise Compaoré lui-même se serait déjà « fatigué » du pouvoir. Les derniers sursauts de s’y accrocher viendraient plutôt du denier quartier de ses proches. Ceci est aussi contenu dans une enquête du journal Jeune Afrique. Un fait est qu’alors qu’il disposait de chars et les blindés et pouvait essayer de mâter la révolte comme le font les présidents Joseph Kabila et Pierre Nkurunziza ou a réussi à faire le président Sassou Nguesso, l’ex président burkinabé semble avoir opté pour une fin de carrière politique et l’asile ivoirien après avoir surement négocié son « amnistie ».
Ceci ne semble malheureusement pas être le cas de Mr joseph Kabila dont les actions sur la militarisation du régime, les déploiements troupes lourdement armées loin de territoires des opérations militaires de l’est du pays et durcissement des services de sécurité démasquent sa volonté de se maintenir au pouvoir au-delà des termes définis par la constitution ; et cela par tous les moyens dont le « dialogue » ou la force. Le « dialogue ou la force », c’est à vous de choisir est le message de son régime à l’opposition politique. Le rôle de l’ANR, la justice du pays et la police face à tout antagoniste vis-à-vis du pouvoir est celui du loup de Jean de la Fontaine : « Qui te rend si hardi de troubler notre breuvage ? »
Le cas Burkina Faso et le printemps arable constituent des leurres plutôt que des lueurs. S’en inspirer semble s’avérer une piste vers nulle part sinon à des soubresauts des manifestations de rue sans impact réel sur le soubassement du régime. Nous épousons ici l’argumentation de Ben Shepherd cité ci-haut et dont notre ami Herman Nzeza de l’ancien Free-Fair DRC a fait aussi échos.
L’échec des logiques
A la conclusion des toutes récentes manifestations de rues notamment à Goma dont allusion est faite ci-haut, une question est venue à l’esprit de beaucoup : quel en est l’impact réel sur le pouvoir actuel ? Qu’est-ce que les organisateurs voulaient obtenir comme résultats ? En quoi cette marche a affaibli l’édifice Kabila ? On se rend vite à cette triste évidence : pas grand-chose, sinon de démontrer à la face du monde le rejet du peuple congolais du régime actuel. C’est une victoire tout de même mais très minime pour ébranler cet édifice. La manifestation populaire du Burkina Faso qui a contribué au départ de Blaise Compaoré a été une marche visant directement les institutions du pays : le parlement.
Est-ce que la population Kinoise est capable d’occuper le Palais du peuple et d’en chasser les parlementaires et les sénateurs ? J’en doute fort. Pour qu’un soulèvement populaire aboutisse à un changement du régime, il doit être capable de paralyser le fonctionnement des institutions ou de paralyser les activités économiques vitales du pays comme le boycott des supermarchés des Blancs en Afrique du Sud. Pour ce faire, la population devra disposer des moyens de survie pendant les périodes de blocages des activités de « libération » du pays. Il est clair comme souligné ci-dessus, qu’avec le niveau de paupérisation de la population congolaise dont la plus grande majorité vit « au jour le jour », cette stratégie semble être « non partant » comme on dit dans le tiercé de PMU. Ce qui est dit ici n’est pas un absolu, juste un doute justifié.
Il y a l’échec d’une autre logique : celle de diriger après avoir gagné des élections. Comme l’a vécu Mr Etienne Tshisekedi, gagner l’élection à la Conférence Nationale Souveraine ou en 2011 n’est point une garantie d’avoir l’« imperium ». Le régime dictatorial seul maitre de la force militaire et policière encore acquise à sa cause aura toujours le dernier mot.
L’ultime d’une force, la force ultime ?
Contrairement au Rwanda, Ouganda ou le Congo-Brazzaville, le Congo-Kinshasa est encore à la croisée des chemins. Il y a une réflexion qui est souvent en sourdine sur la démocratie en Afrique noire : celle-ci se trouverait encore au bout du canon. L’évidence est que, comme les expériences passées l’ont amplement déjà démontré, Il faut un renversement de l’équilibre des forces militaires pour l’instauration de toute démocratie mais surtout garantir l’autonomie et la souveraineté d’un pays. Les cas de l’Angola, du Rwanda, de l’Uganda, de l’Afrique du Sud avec l’Umkhoto we Sizwe, révèle une vérité historique : A moins qu’un peuple prenne les armes pour défendre la cause non pas d’un régime mais de sa société et de sa nation, les pays dans la grande majorité de cas demeurent les laquais des forces extérieures qui en déterminent les destinées. La servitude continue sous des formes sournoises mais l’impact du défaut de souveraineté survit.
Tous cas de figures considérés, est-ce la logique du changement de régime par « la force » demeure-t-elle finalement la voie par excellence vers le salut de la RD Congo ? Est-elle la voie ultime pour assurer la démocratie, l’autonomie et la souveraineté nationale ? Sinon, quand est-ce que le sol du Congo depuis la conférence de Berlin de 1885 cessera-t-il d’être au centre des enjeux des intérêts des puissances étrangères au détriment des populations qui y sont établies depuis la nuit de temps ?
Le droit à l’autodétermination est un principe de droit international selon lequel chaque peuple dispose d’un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère. Le pouvoir actuel en RDC originellement et encore aujourd’hui, n’est point une émanation du choix libre du peuple congolais. Le combat pour l’acquisition de ce droit par les autres peuples à nécessiter des grands sacrifices. La souveraineté, l’autonomie, l’autodétermination, la démocratie et la bonne gouvernance ont un prix dont les congolais devraient payer pour acquérir. Continuer à jouer à la politique de l’autruche pour la vaste majorité de l’élite congolaise aura de plus en plus des conséquences néfastes sur la survie de cette nation.
4 Comments on “Opinion : RDC : Quid de la logique du Changement par les armes? – Florent Pumu”
Ernest Wamba Dia Wamba
says:Merci, Florent Pumu, pour ce texte qui interpelle les Congolais et qui examine les possibles de sortie de notre situation actuelle, tenant compte de ce qui s’est passe ailleurs et la difficulté de trouver des éléments probants dans la situation qui pointent vers un possible de sortie crédible. Je crois, que la production de ce texte est déjà une avancée; il faut qu’un nombre critique des gens prennent conscience du texte le discutent et posent les questions flairées mais non solutionnées ayant trait à la politique nouvelle qu’il faut et le dispositif nouveau de son organisation.
Ernest Wamba Dia Wamba
Dr Florent Pumu
says:Merci Mr Ernest , je me souviens de ce que Mr Museveni a dit de vous, sur pourquoi les rwandais cherchaient a vous eliminer.
Dr florent Pumui
GHOST
says:¤ SHEPHERD ?
L´affirmation de mr Shepherd avec..tout le respect pour son expertise…sur « les pouvoirs régionaux capables de lancer une operation militaire…ou tout simplement des invasions du Zaire…pour renveser Mobutu
Rien que les ressources financieres et les ressources militaires de ces trois pays sont si limitées qu´aucun d´ entre eux ne pouvait se permettre de se retrouver dans une guerre contre le Zaire.
Ce que les consequences diplomatiques sur le plan international n´autorise pas un pays comme l´Angola ou l´Ouganda de se lancer dans une aventure militaire dans un pays aussi vaste que l´ex Zaire sans craindre les sanctions économiques et diplomatiques*
Depuis son independance, le Congo est toujours sous la protection de l´ONU qui n´a jamais hésitée á envoyer des missions militaires afin de garantir l´existence de cet État instable..faire croire que des pays africains pouvaient renverser Mobutu est une hypocrisie de la part d´un occidental qui sait avec precision que le renversement militaire de Mobutu est le fait des USA*
Ensuite, le cas de l´Angola qui doit á l´Afrique du Sud la fin de sa guerre..car les mercenaires Sud Africains avec la benediction des USA et de l´ANC avaient mis fin á l´existence de la branche militaire de l´UNITA, tandis que l´Ouganda où Museveni avait beneficié de l’Aide militaire de Mobutu, tout comme Kagame ex officier de l´armée ougandaise a beneficié du back up militaire de Museveni ne sont pas des réferences dans ce domaine*
L´Afrique du Sud, première puissance technologique militaire en Afrique n´a jamais mis fin á l´apartheid par une « victoire » militaire de la branche armée de l´ANC..au contraire, une longue negociation politique est á la base de la démocratisation de ce pays..
Les congolais lucides savent que la « solution militaire » est toujours une option des USA au Congo* Il sera impossible de recourir á une solution militaire sans la benediction des USA et de l´UE au Congo
F PUMU
says:Vraiment bien dit Mr Ghost