Une polémique insensée enflamme les réseaux sociaux congolais à propos dela présence de l’artiste musicien Fally Ipupa autour du président sénégalais Macky Sall et aux côtés du président rwandais Paul Kagame.
Certains n’ont pas hésité de le traiter de traître par le simple fait de se retrouver face à face avec le dictateur rwandais.
Qu’en est-il effectivement ?
Commençons par restituer cette scène dans son contexte de sa réalisation.
Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, honore la musique congolaise
Dans un tweet publié hier, le président sénégalais a écrit : « Je voudrais exprimer mes vifs remerciements aux Chefs d’Etat, aux autorités de la CAF et de la FIFA, aux légendes nationales et africaines du football ainsi qu’aux hommes de culture venus tous rehausser de leur prestigieuse présence cette belle fête dans la fraternité africaine. »
Effectivement, cette rencontre s’était déroulée dans le double cadre de l’inauguration du nouveau stade “Abdoulaye Wade” de Dakar et des actions à caractère diplomatique, sportif et culturel que mène le Macky Sall dans le cadre de ses actions en tant que président en exercice de l’Union africaine (UA).
Les hôtes de Macky Sall ont tous été invités séparément à Dakar pour cet événement à haute portée diplomatique. Cette rencontre n’est ni à l’initiative de Fally Ipupa, encore moins de Paul Kagame.
Voir un Congolais faire partie de cette brochette d’invités de marque est non seulement une fierté nationale congolaise, mais aussi une reconnaissance au plus haut niveau africain du travail artistique abattu par Fally Ipupa, après sa prestation historique à Yaoundé lors de l’ouverture de la CAN 2022.
La musique congolaise comme vecteur du soft power congolais ?
J’écrivais à peu près ceci après de le décès en 2016 de Papa Wemba, l’icône de la Rumba congolaise :
« De nos jours, dans un monde globalisé et interdépendant où les facteurs traditionnels de la puissance définis par Raymond Aron et Hans Morgenthau perdent de leur influence, la culture devient un facteur important de ce que Joseph Nye et Suzanne Nossel appellent soft power. C’est-à-dire une conception de la puissance fondée sur l’attraction d’un modèle culturel (la langue anglaise pour les Etats-Unis, langue utilisée dans le cadre du commerce international, le Reggae, le RnB ou le RAP comme récemment lors de la finale du Super Bowl aux Etats-Unis… à la base des mouvements citoyens africains contestataires des régimes autocratiques), sur l’influence des canaux d’information (CNN, Al-Jazeera…), sur la maîtrise du savoir et des connaissances avec le développement exponentiel des think tank (knowledge is power). C’est le cas notamment de l’attractivité des universités américaines dans la formation d’une grande partie des élites mondiales, particulièrement chinoises ces dernières années (Les universités américaines accueillent aujourd’hui 770.000 étudiants étrangers dont un quart sont chinois) »[1].
En effet, l’importance de la culture dans le domaine stratégique a amené l’introduction de la notion de culture stratégique dans le développement de la stratégie générale des Etats puissants. Celle-ci est la référence à la culture comme outil d’explication des phénomènes guerriers, stratégiques, de sécurité et d’(influence internationale. C’est l’idée qu’il existe des styles spécifiques, des styles (culturels) nationaux en matière stratégique. C’est ainsi qu’il est admis que les études stratégiques doivent tenir compte des Low Politics autant des High Politics et analyser les aspects sociaux, culturels, écologiques, ou idéologiques, qui contribuent à redéfinir les problèmes de sécurité et la politique sécuritaire et diplomatique des Etats[2].
L’influence culturelle de la Rumba congolaise, universalisée entre autres par le rayonnement international de Papa Wemba, voit aujourd’hui cette tendance se confirmer sous sa variante urbaine dont le « Tokoss » de « El Mara » est la plus noble expression sur le plan continental et international.
Ceux qui connaissent mes goûts musicaux savent très bien que je suis un « rumbophile » pur et dur, voire extrémiste et que je ne suis pas a priori friand du style musical véhiculé par Fally. Qu’à cela ne tienne ! La musique doit évoluer avec son temps et là où certains revendiquent le choc des cultures, il faut plutôt et désormais envisager la rencontre des cultures dans un monde devenu un village planétaire perméable aux mélanges culturels de tout genre.
En ce sens, Fally Ipupa et bien d’autres artistes musiciens de renom par ailleurs, peuvent être investis par les autorités publiques comme outils par excellence du soft power. A ce titre, rien ne peut les interdire de rencontrer les grands acteurs des relations internationales et des personnages comme Paul Kagame et faire entendre leurs voix.
Ainsi, pour un Congo en proie aux velléités latentes de balkanisation de son territoire, dont Paul Kagame est un des instigateurs ou acteurs de proxys, les artistes musiciens congolais, de par leur notoriété internationale incontestable, peuvent jouer un rôle stratégique indéniable comme courroie de transmission de la capacité d’un État à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur par d’autres moyens autres que l’emploi de la force ou de la diplomatie classique.
Personnellement, je me réjouis de voir Fally Ipupa aux côtés de ces hautes personnalités africaines. Rien que sa présence autour de cette table est un signal diplomatique fort. eT personne ne peut se dire quel a été le message verbal et non verbal que « Di Caprio » a émis à Paul Kagame en off !
Bref, trêve de polémique à deux balles et sans fondement rationnel. Cessons de voir la traitrise partout et de nous tirer toujours vers le bas. Surtout, sortons parfois de l’émotionnel pour regarder la réalité en face et agir intelligemment en conséquence.
Sur ce, je dis humblement et fièrement à Fally : « Respect ! »
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions stratégiques
Références
[1] https://afridesk.org/le-parcours-du-maitre-decole-wemba-tshieke-bukasa/.
[2] Charles-Philippe David, Les Etudes stratégiques, FEDN-Méridien, Paris-Montréal, 1989, p.504.