Nouvelles formes de la traite des êtres humains
L’an I de l’arrivée des enfants congolais en Italie
Germain Nzinga Makitu
Le mercredi 28 mai 2014 à 9h45, un Airbus A 319 de l’armée de l’air italienne atterrit à l’aéroport de Roma-Ciampino avec à son bord 31 enfants congolais adoptés par 24 familles italiennes. La ministre italienne des Réformes et des Relations avec le Parlement, Maria Elena Boschi, descend avec deux enfants dans ses bras et, au micro des journalistes, remercie la primature et le ministère des affaires étrangères italiens en même temps que l’implication personnelle du président Joseph Kabila qui a su débloquer ce dossier. Des cris de joie et des salves de victoire poussés par des familles adoptives qui ont traversé un long désert pour faire arriver ces enfants à leurs foyers. La presse audio-visuelle et les médias européens y vont de leurs commentaires élogieux. Matteo Renzi, le chef du gouvernement italien, n’est pas en reste. Il souhaite aux 31 enfants la bienvenue à leur pays. L’affaire prend la dimension d’une victoire politique et l’épaisseur d’une fête nationale pour le peuple transalpin.
Quant à ce qui me concerne, je suis resté très perplexe. Je trouve que quelque chose de roussi était derrière tout ce scénario des enfants congolais quittant leur terre natale pour l’Europe et je m’en vais vous dire pourquoi.
1. Les risques très prononcés de réseaux de trafic d’enfants…
En 2009, l’auteur de ces lignes reçoit un coup de téléphone fort tard dans la nuit de la part de l’Autorité provinciale de son terroir. Cette dernière en effet venait de mettre la main sur les marins malfrats qui avaient réussi à voler de tout-petits nourrissons à Kinshasa et étaient en voie de les acheminer en Europe via des bateaux accostés au port de Matadi. Gérant depuis une décennie une structure des enfants sans famille, j’ai été contacté pour héberger ces enfants volés avant que le gouvernement provincial ne trouve une solution durable. Cet événement m’a fait comprendre la vérité sur l’existence du trafic des enfants encore de mise de nos jours via des réseaux très sophistiqués.
En septembre dernier, l’agence Reuters a révélé une pratique apparue aux États-Unis et appelée « Re-homing ».[1]
En quoi consiste-t-elle ? Elle consiste en ceci : des parents adoptifs ne souhaitant plus élever des enfants qu’ils ont adoptés par les canaux habituels les replacent dans des familles d’accueil via des simples groupes ou forums en ligne et moyennant de grosses sommes d’argent, sans aucun contrôle des services sociaux, comme ils le feraient bien allègrement pour des animaux domestiques. Ce déballage médiatique a mis la puce à l’oreille des services de renseignement congolais qui, en enquêtant, ont découvert alors que beaucoup d’enfants congolais adoptés en bonne et due forme notamment par des familles nord-américaines n’étaient plus hébergés par des familles adoptives reconnues par l’autorité congolaise et que les représentations congolaises en place auraient perdu leur trace. Autre stupéfaction en la matière: les mêmes autorités congolaises découvrent, dans le fouillis de dossiers déposés à la Direction Générale Migration, DGM en sigle, que l’une des familles adoptantes était un couple homosexuel.
Le 23 septembre 2013, fort de toutes ces informations alarmantes, venant des États-Unis et du Canada, le gouvernement congolais prend son courage entre les mains pour suspendre toute procédure d’adoption des enfants congolais et instaure un moratoire d’un an sur l’adoption en provenance des orphelinats opérant sur son territoire.
L’opinion tant nationale qu’internationale prend conscience du phénomène selon lequel derrière l’humanitaire peut bien se cacher un monstre, que derrière des parents attendris peuvent se profiler des réseaux diaboliques qui traitent des enfants congolais comme des simples marchandises bonnes à la consommation des pédophiles, des commerçants véreux qui les vendraient comme l’on vendrait du pain à la pâtisserie.
Encore plus récemment à Bangui en Centrafrique, un scandale a éclaboussé les casques bleus. Des soldats français sont accusés d’abus sexuels sur des mineurs, selon un rapport dévoilé le mercredi 29 avril 2915 par un quotidien britannique « The Guardian ». Mais l’on se souviendra que depuis 2004, plusieurs soldats faisant partie des forces de maintien de la paix ont été mis en cause ou accusé pour des faits similaires en Haïti avec la Minustha en 2011 ; au Mali avec le Minusma en septembre 2013, en en Cote d’Ivoire ave l’Onuci en ; enfin au Burundi en décembre 2004 avec l’ONUB et enfin en République Démocratique du Congo avec la Monusco où en juillet 2010, sont recensés dix cas d’abus sexuels, de viols et de pédophilie[2]. Leurs auteurs, quatre soldats marocains reconnus par leurs victimes sont incarcérés. Ce châtiment exemplaire ne va pas arrêter le mal. Entre décembre 2004 et aout 2006, toujours en Rd Congo, des soldats de cette mission ont été mis en cause dans 140 cas portant sur des abus sexuels.
Si aux yeux et à la barbe des officiels congolais, de tels abus sont signalés sur nos enfants, combien plus dangereux ne peut devenir leur avenir une fois hors de nos frontières. Il faudra revisiter cette problématique de protection des mineurs congolais pour que sur le sol de leurs ancêtres, ils se sentent en droit d’être protégés et de bénéficier des conditions optimales d’assurer leur avenir et celui de la nation tout entière. Ceci dit, il importe de retenir que l’arrivée de ces enfants congolais en Europe est loin d’être un sésame. Pour l’appréhender, il suffit d’observer de plus près le sort des africains naturalisés italiens qui ont atteint la majorité, bénéficiant d’un passeport italien mais paient au prix fort leur tort d’avoir la peau noire.
Pas plus tard que le 24 décembre 2014, la police italienne a mis la main sur un réseau des néo-fascistes qui ourdissaient un complot très avancé contre l’honorable Cécile Kyenge, citoyenne italienne d’origine congolaise, ex-ministre à l’intégration dans le gouvernement Enrico Letta et actuellement parlementaire au parlement Européen. Outre les nombreuses attaques racistes subies tout au long de son mandat ministériel de la part des mouvements ou des partis politiques ayant pignon sur rue en Italie, un complot d’attentat a été ourdi par des groupes contre sa sécurité physique et était parvenu quasi à sa phase d’exécution aux fins de son élimination physique au nom de la défense de la pureté de la race italienne.
Un autre italien d’origine africaine, ghanéenne plus précisément, s’appelle Mario Balotelli, la star du football italien prestant ses services présentement dans le club anglais de Liverpool. Le point commun avec Cécile Kyenge, c’est la série des injures tournant autour de la symbolique du « singe » ou de l’ « orang-outan » dont tous deux sont arrosés au fil des jours par leurs propres compatriotes pour le seul motif de la couleur de leur peau.
L’arrivée de ces petits congolais dans un pareil environnement sociopolitique nous fait comprendre la vérité selon laquelle, quand bien même ils auront à manger et à aller à l’école, ces petits congolais s’apercevront très vite que leur passeport italien ne leur suffira guère pour être considérés autant comme des êtres humains que des citoyens italiens à part entière et qu’ils seront bien loin de bénéficier des mêmes chances de réussite que leurs compagnons d’école.
2. Un enfant migrant sur deux qui arrive en Europe disparait dans 48 heures…
Il sied de rappeler aux fidèles lecteurs que ce mal de re-homing semble un phénomène fort diffus même sur le continent du respect de Droits de l’Homme qu’est le continent européen. Tenez ! Selon la Fédération européenne pour les enfants disparus et sexuellement exploités, la moitié des enfants qui posent pied sur le sol européen disparaissent dans la nature, dans les 48 heures qui suivent[3] et sont abandonnés à leur triste sort. Elle fournit des statistiques qui font froid au dos. En effet, rien qu’en 2013, sur 24000 mineurs entrés sur le sol européen, environ 12000 autres n’ont introduit aucune demande. Ces derniers n’ont donc pas laissé de trace dans les documents administratifs. Ce qui les rend vulnérables et font d’eux la proie facile de psychopathes véreux.
En revenant sur la situation de la République Démocratique du Congo, dont l’administration est pour le moins chaotique, le fait que beaucoup d’enfants qui naissent ne sont pas enregistrés dans les registres de l’Etat civil et qu’en grandissant, ils manquent comme leurs ainés, d’être identifiés par une carte ou un document officiel donne aux marchands d’enfants toute la facilité de faire faire des faux documents sans possibilité pour les agents de l’Etat de vérifier l’authenticité d’un tel document d’autant plus que les attestations de naissance sont délivrées moyennant la somme dérisoire de cinq dollars.
Ce constat de déficience administrative conjugué à la législation de Dublin, actuellement en vigueur en Europe vient encore davantage compliquer l’équation du bien-être et de la protection des enfants. Ce règlement de Dublin prévoit que les personnes qui arrivent dans un pays de l’Union européenne et qui ont auparavant été accueillis dans un autre pays, seront renvoyés dans ce premier pays d’accueil. Les enfants dont la destination est d’arriver dans un pays du Nord européen font tout (ou plutôt leurs passeurs font tout) pour ne pas se faire enregistrer dans les centres d’accueil pour éviter de faire marche en arrière. Autant des dispositions réglementaires à amender pour privilégier avant tout l’intérêt supérieur et primordial de l’enfant.
3. Une nouvelle traite des êtres humains est en marche. Les enfants congolais victimes de leurs dirigeants rançonneurs…
Je vous ai donné l’esquisse de la triste histoire de deux nourrissons hébergés dans l’orphelinat Sauvons les Enfants Abandonnés dont votre serviteur assure la charge. Mais j’ai omis de vous dire que lorsque nous avons fait des annonces dans les journaux pour retrouver les véritables géniteurs de ces enfants, quelle ne fut notre surprise de constater de nombreuses personnes défiler à l’orphelinat pour se présenter comme leurs parents. Des faux parents bien évidemment, nourris par motivations obscures mais contredits par des résultats d’examens d’ADN… En nous référant à la triste chronique de faits qui se déroulent au Nigeria où la police de cet autre pays africain a mis la main sur des maisons closes ayant pour triste réputation de séquestrer des jeunes filles pour en faire des machines à produire des bébés destinés à la vente, il y a lieu de croire qu’il y a péril dans la demeure…
Revenant sur les enfants congolais adoptés par des familles italiennes, l’État congolais qui a été digne d’éloge pour avoir signé un moratoire visant à défendre ses enfants sera encore le premier à faire scandale. En effet, un quotidien italien « Libero » donnera le 15 janvier 2014 une information selon laquelle les autorités congolaises auraient exigé la somme de 250.000 $ à l’État italien pour couvrir des frais administratifs afin de débloquer les dossiers et permettre aux parents bloqués depuis des mois de rentrer avec les enfants adoptés. On se souviendra que déjà fin décembre 2013, Enrico Letta, le premier ministre italien d’alors, avait dépêché une délégation ministérielle, conduite par Son Excellence Madame Cécile Kyenge, porteuse d’une escarcelle de 50.000 dollars pour couvrir des frais supplémentaires. Ce montant versé aux autorités de tutelle était jugé inférieur à la rançon demandée par un État congolais au secours duquel volent les autres gouvernements pour l’aider à faire ce que lui était censé faire, à savoir prévoir un budget subséquent pour l’éducation et la croissance normale de ses enfants formant l’avenir de la nation. Les enfants congolais deviennent objets de marchandage et victimes de leurs propres dirigeants rançonneurs. Comme jadis, les chefs coutumiers se mettaient en complicité avec les négriers portugais ou arabes pour livrer leurs propres sujets à l’esclavage, l’histoire est en train de se répéter au Congo.
Hélas ! L’enfant congolais devient une monnaie de change et de la part des prédateurs étrangers, et de la part de certains tenanciers des orphelinats qui les vendent pour gonfler leurs poches et, pis encore, de la part des autorités congolaises qui en font l’objet de rançon.
Autant pour les nombreux flux migratoires qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie et déversent sur le sol européen des milliers d’africains qui se retrouveront à la merci des patrons voyous qui y voient un réservoir de main-d’œuvre quasi gratuite, taillable et corvéable à souhait, sans qu’un seul gouvernement africain lève le petit doigt de protestation, autant les adoptions massives de ces enfants congolais et africains constituent une autre forme de vente d’êtres humains lâchés par leurs familles biologiques et leurs dirigeants pour prendre quelquefois des chemins d’oppression doublement plus douloureux. On est en train de réinventer ça et là l’esclavage moderne. Concernant les adultes africains, des rabatteurs appâtent et regroupent les candidats à l’émigration. Des trafiquants les rackettent jusqu’à cinq mille euros pour faciliter leur passage vers l’Europe puis les entassent dans des barcasses pourries prêtes à couler en leur disant, pour les rassurer que les bateaux européens les recueilleraient s’ils ont des problèmes de navigation. Ces pauvres immigrés sont instrumentalisés à telle enseigne que les maffias qui contrôlent ces trafics offrent à ceux des clandestins qui ne peuvent payer leur passages l’épouvantable marché de choisir entre « être utilisés comme main-d’œuvre gratuite ou comme donneurs bénévoles d’organes ».[4]
Quant aux tout-petits enfants déplacés de leur pays sous le signe juridique de l’adoption, des commissionnaires véreux écument des orphelinats et se constituent en entregents avec des familles demanderesse en Occident. De grosses sommes d’argent circulent[5] qui pour corrompre les tenanciers d’orphelinat, qui pour acheter la conscience des administratifs de l’Etat pour faciliter l’obtention d’une signature etc. Sans négliger l’intention droite et la générosité sincère de beaucoup de familles qui cherchent par conviction à venir au secours des enfants déshérités pour leur donner une chance dans leur avenir, nous ne devons omettre la vérité décrite plus haut et selon laquelle nombreux de ces enfants adoptés en bonne et due forme finissent dans des réseaux pédophiles ou dans des cliniques de prélèvement des organes humains pour sauver la vie des riches. Au final, c’est le retour de la traite des êtres humains où l’homme est pris comme une simple marchandise. C’est le triomphe de l’idéologie ultralibérale. Nous sommes en face d’une nouvelle forme de culture où prévaut la délinquance des riches comme nous l’ont si bien décrit Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot[6]. Nous sommes en passe de mettre en place entre classes et entre peuples, une véritable fracture sociale aux conséquences incalculables soit pour les pays du Sud soit ceux du Nord.
4. A quoi sert une classe politique jugée incapable de prendre sa propre jeunesse en charge?
Dans les statistiques ayant trait aux adoptions internationales de l’État italien, il sied de souligner que la Fédération de la Russie occupe la première place dans l’importance du nombre des mineurs en provenance de ce pays. Vient ensuite le nombre des enfants d’origine africaine (20,2% du total, + 5% par rapport à 2012). Dans cette population africaine des enfants, 190 petits congolais sont entrés dans la péninsule pour une adoption depuis 2013. Nous avons eu à constater que dans le sens contraire, aucun enfant italien n’est adopté par une famille congolaise, aisée de la commune de Gombe ou de Binza Ma Campagne. Encore moins des enfants congolais adoptés par les familles nanties de leur pays
Pourquoi ce manque de réciprocité? Pourquoi le Nord seul adopte dans un sens unilatéral sans que le Congo qui regorge des millionnaires n’en soit capable? Parce que la gouvernance manque une politique sociale adéquate en faveur des couches défavorables. Il manque des services sociaux qui protégeraient avec le plus grand soin les enfants maltraités, abandonnés à leur sort.
Ce qui aggrave à long terme la situation, c’est bien la planification gouvernementale de cette négligence notoire des jeunes générations. Le manque de salaires de parents ou leur irrégularité ; la non-assurance vie des citoyens congolais; le manque d’épargne de classes moyennes sont tous là des facteurs décisifs qui entrainent à la longue l’abandon des enfants à leur triste sort dès lors qu’un des parents venait à disparaitre. La situation de l’État failli ou du Non-Etat que traverse la république démocratique du Congo a des conséquences collatérales incalculables sur l’avenir de ce peuple. A côté des enfants tués à l’Est du pays où règne une guerre sans fin, les enfants en zone pacifiée sont autant chosifiés et abandonnés dans la rue avant de devenir des kuluna ou avant d’être récupérés par des familles adoptives de bonne volonté ou non, venues d’autres cieux.
Les dirigeants censés indiquer un cap de bonne espérance à tout un peuple se vautrent du matin au soir dans les préoccupations de conserver le pouvoir dans le piteux contexte où, devant leurs yeux, les autres gouvernements sont obligés de s’occuper de l’avenir de leurs enfants, de donner des bourses à leurs jeunes sans subsistance, de chercher des bancs pour équiper les nombreuses écoles où des leçons sont suivies assis par terre ou encore d’équiper des bibliothèques dans les écoles de l’État parce que ce dernier n’a jamais voulu le faire.
D’où les lancinantes questions suivantes. A quoi sert le gouvernement formant actuellement l’exécutif congolais ? A quoi nous servent ses interminables dialogues politiques devant l’absence d’une politique cohérente qui prendrait en compte le sort des classes sociales fragiles? Pourquoi l’Autorité morale de l’actuel parti au pouvoir cherche-t-il encore à rempiler pour un nième mandat présidentiel là où il a échoué à conduire le peuple congolais vers de nouveaux horizons ? Que font encore ces gouvernants occupant des ministères qui devraient se mettre au service du peuple et de son avenir meilleur? En quoi sont-ils encore utiles au peuple qui leur a donné mandat? Où va l’argent produit par les services publics et les nombreuses taxes d’Etat ponctionnées sur les écoliers congolais? Exiger des rançons sur des enfants qu’ils sont censés nourrir et protéger se veut un autre crime contre l’humanité. Les pousser à vivre le chemin de croix réservé à Mario Balotelli, loin de sa terre natale et des siens, est encore un autre coup de poignard aussi bien pour ces nourrissons arrachés de leur terre natale que pour le peuple tout entier qui se voit vider jour après jour de son potentiel démographique soit via les nombreuses adoptions soit via les mouvements migratoires forcés dus à la misère innommable qui sévit le quotidien de la vie au Congo.
Triste anniversaire qu’est ce jeudi 28 mai qui cache la déliquescence d’un Etat qui ne réussit plus à prendre en charge les couches fragiles de sa société mais s’emploie, en revanche, à dilapider l’argent de la caisse publique via des gabegies financières et des excès qui dénotent l’irresponsabilité d’une classe dirigeante vénale.
5. Y a-t-il des voies de sortie à ce nouveau fléau ?
Dans une étude que j’avais réalisée sur la situation des enfants du Congo[7], j’attirais l’attention des lecteurs sur un aspect jusque-là ignoré du public et les invitais à considérer le problème d’accusation de sorcellerie des enfants dans un angle plus global d’une communication politique de la part des officines de la Main invisible de l’idéologie néolibérale. Celle-ci procède d’une manière méthodique, notamment : instrumentaliser la superstition de l’âme africaine et des pasteurs des églises de réveil qui, moyennant des avantages matériels, servent de relais pour répandre ce nouveau discours qui expliquerait tous les malheurs sociaux par la sorcellerie des enfants ; charger des victimaires des petits enfants innocents et les rendre coupables des châtiments cruels tels que le supplice du collier[8] ou le fer à repasser chauffé sur leur corps humain encore frêle ou pire, mettre des piments dans les parties génitales de fillettes; retrouver leur harmonie familiale en abandonnant ces petits enfants dans les rues, ces véritables jungles où sévit une violence impitoyable et où ils prennent le statut des enfants de la rue puis des kuluna etc. Toute cette idéologie conçue et planifiée d’en haut se solde par la fracture de la cellule-mère de la société africaine qu’est la famille. Les idéologues néolibéraux réussissent le pari qui n’a pas été gagné dans des grands forums internationaux[9], à savoir faire éclater le tissu familial en y semant méfiance et suspicion entre parents et leurs rejetons jusqu’à l’implosion totale de la cellule-mère sociale puis de la nation tout entière.
En cherchant des voies et moyens pour résoudre la traite des êtres humains, en l’occurrence de nombreux enfants qui quittent nos familles sous les beaux motifs d’adoption par des familles occidentales, il importe d’avoir un regard holistique qui vous permet d’avoir une vision générale et pénétrante. Il importe de saisir cette problématique des enfants qui sont envoyés en adoption sous d’autres cieux comme la conséquence logique de l’incurie de l’Etat. Il importe en même temps de considérer cette incurie comme résultat d’une trajectoire néolibérale qui impose à l’Afrique des dirigeants qui jouent le jeu des puissants en lieu et place de servir les intérêts des peuples qui les ont élus. Empêcher les flux migratoires ou encore stopper les anormales augmentations d’adoption des enfants africains, contraints de quitter le continent noir c’est en quelque sorte remettre debout les politiques économiques déréglées des états africains et les rendre enfin capables de prendre en charge les populations soumises à leur administration. La meilleure solution viendrait du courage des dirigeants du monde à toucher le problème à ses racines profondes.
Faisons attention cependant ! Les enfants victimes de trafic et d’exploitation ne sont pas seulement à voir dans l’itinéraire qui les amène de l’Afrique vers l’Occident. Vous vous souviendrez qu’en novembre 2012, près de 400 enfants victimes de trafic – dont certains âgés de six ans seulement – et soumis au travail forcé dans les mines d’or et des champs de coton exploités illégalement ont été secourus lors d’une opération de police coordonnée par l’INTERPOL, au Burkina Faso. Ils ont été découverts travaillant dans des conditions extrêmes, dans des trous miniers étroits, dépourvus d’air. Ils ne recevaient rien ni salaire, ni éducation et les petites filles subissaient souvent des abus sexuels[10].
Deux ans plus tard, le même scénario se reproduira en Côte-d’Ivoire où le même Interpol dans une opération dite opération Nawa (6 au 17 février) a pu sauver 76 victimes dans l’enfer des plantations de cacao de Soubré.[11] C’est pour dire que le problème de trafic et d’exploitation des enfants est à combattre à l’échelle continentale en mobilisant un collectif de personnes animées de la ferme volonté d’en découdre si et seulement si ce collectif devient de facto une mobilisation à travers les cinq continents.
Les trois formes principales de traite d’êtres humains étant la traite aux fins de travail forcé, la traite aux fins d’exploitation sexuelle et le trafic d’organes, à laquelle il faut ajouter le trafic des migrants, la mobilisation de l’opinion nationale et internationale doit viser ces points précis dans le travail d’explication et de sensibilisation. Il faut organiser théâtres et émissions télévisées à des heures de grande audience pour faire comprendre aux masses populaires la dangerosité des appâts de migration et les nombreux pièges des adoptions des enfants. A ceux qui sont tentés de se constituer en passeurs, il faut expliquer que la traite des êtres humains est un crime au regard du droit international et de nombreux systèmes juridiques nationaux et régionaux. Là où l’Etat démontre ses limites, la société civile est bien obligée de s’organiser avec l’appui des partenariats locaux pour protéger les enfants qui sont l’avenir des nos nations. Qu’on se le dise !
GERMAIN NZINGA MAKITU
[1] “The rehoming is the monstrous act. When our law allow a parent to turn over their child to a stranger with less paperwork and legal work than it takes to dispose for a car that doesn’t have a title, then something is broken and needs to be fixed (…). If child is going to be leaving a home, the government needs to be involved. No parent should be able to dump their children willy-nilly. ” J.-M. SIMMONS, “Rehoming is the Monstrous Act” du 27 mai 2015 dans http://www.huffingtonpost.com
[2] R. N’DEKPLOMAN, Cinq scandales qui ont éclaboussé les casques bleus de l’ONU du 29 avril 2015 dans http://www.lemonde.fr
[3] Ces précisions nous sont rapportées dans un article publié dans le site de la Radio-Télé française belge. « Un enfant sur deux qui arrivent en Europe disparait dans les 48h » dans http://www.rtbf.be
[4] L’immigration clandestine : un acte de guerre de basse intensité du 21 avril 2015 dans www.agoravox.fr
[5] On évalue à 600 millions d’euro par an. Consulter à ce propos Caroline BROUE, Migrants : les réseaux invisibles. Emission Grande Table (2ème partie) dans http://www.franceculture.fr
[6] M. PINCON & M. PINCON-CHARLOT, La violence des riches. Chronique d’une immense casse sociale, Paris, La Découverte, 2014, pp. 46-88
[7] G. NZINGA MAKITU, « Ces enfants accusés de sorcellerie. La guerre à basse intensité contre les enfants » du 8 octobre 2014 dans http://www.nzingagermain.com
[8] C’est une technique de lynchage qui consiste à mettre un pneu autour du cou (éventuellement du corps) du supplicié attaché, puis à y mettre le feu avec de l’essence. Ce, suite à une sentence appliquée sommairement par la foule ou par un groupe de personnes n’ayant pas autorité en la matière. Pour approfondir le sujet, lire Germain NZINGA MAKITU, Le supplice du collier. Etude d’une violence collective dans Sorcellerie africaine et obstacle au développement national (Actes du cinquième week-end moral des intellectuels de Matadi du 7 au 9 mai 1999), éd. de l’Evêché, pp. 24-28.
[9] Ce thème démographique a été abondamment documenté par Michel SCHOOYANS, Pour comprendre les évolutions démographiques, Pris, Association pour la Recherche et l’Information Démographique (APRD), 2001. Lire aussi Id., La face cachée de l’ONU, Paris, Sarment-Fayard, 2000 et Id, Le chemin de croix du jubilé des familles, Sarment-Fayard, 2001.
[10] « Près de 400 enfants victimes de trafic secourus à travers le Burkina Faso dans le cadre d’une opération dirigée par Interpol » du 22 novembre 2012 dans http://www.interpol.int
[11] “Des enfants victimes de trafic et d’exploitation secourus grâce à une opération menée en Cote d’Ivoire avec le soutien d’Interpol” du 4 avril 2014 dans http://www.interpol.int
4 Comments on “Nouvelles formes de la traite des êtres humains – Germain Nzinga”
ALEX
says:Très bonne analyse. seulement je me demande si vous étiez au courent de toutes ces pressions politique faites aux autorités congolaises par les Etats unis, La Belgique et la France. des pressions officielles au plus haut niveau. je me demande si vous , vous pouviez tenir et faire face à ces pressions. souvent faire des critiques se facile mais vous même par honnêteté intellectuel, que feriez vous?
Germain nzinga
says:Bonjour Alex. En effet, nous étions au courant du comportement pour le moins paternaliste de ces pays que vous avez cités. Nous avons suivi avec grand étonnement leurs pressions exercées sur notre gouvernement. Cette affaire avait pris ici en Italie l’allure d’un problème de dimension nationale . Et c’est cela qui a attiré notre attention… A mon humble avis, ces pressions expriment une autre vérité cachée dont j’ai essayé de révéler les nombreuses facettes dans cette présente étude. Que les gouvernements occidentaux pressent nos dirigeants à leur livrer nos enfants au moment où ils empêchent nos gouvernements respectifs d’avoir les mains libres pour mieux gouverner nous fait comprendre la complexité du problème de la souveraineté acquise le 30 juin 1960. Devons-nous nous soumettre à leurs dictat quand bien même ceux-ci vont à l’encontre de la protection de nos populations ou par un baroud d’honneur, devrons-nous finalement imposer la défense des intérêts de notre peuple contre quiconque, quoi qu’il advienne? A un mois du 55 e anniversaire de l’indépendance de notre pays, il y a de quoi nous remettre en question…
TSHIBANGU
says:Merci pour cette analyse Mr Germain Nzinga . Il ne s’ agit pas ici des critiques stériles contrairement à ce que dit Alex . Le peuple africain dans des réflexes de survie est prêt à quitter père et mère pour trouver bonheur ailleurs à tout prix ! Les dirigeants africains en général et congolais en particulier sont les premiers responsables de cette hécatombe des enfants d’ Afrique ! Il n’ est pas acceptable qu’ avec les richesses minières , pétrolières et agricoles , les africains continuent de mourir de faim et des maladies bénignes ! Ce qui se passe en Europe dans les milieux africains aujourd hui est tragique ; le chômage , les problèmes de logement et la précarité qui s’ installent partout ont amené la prostitution et l’ homosexualité ! Ces pratiques vont par ricochet se répandre en Afrique à l’ occasion des vacances et des voyages de retour au pays ! Je formule le vœux de voir émerger de ce désespoir une nouvelle élite consciente de ces phénomènes et capable de trouver des antidotes afin de sauver ce qui peut encore l’ être ! Mr NZINGA ainsi que DESC WONDO , continuer de nous fournir de la matière grise qui fait tant défaut dans nos communautés !
Germain nzinga
says:Vous dites juste monsieur Tshibangu. Votre vœu formulé doit devenir en réalité le moteur des nouvelles politiques de Bonne Gouvernance en Afrique et dans notre pays. Nos devons y croire. Nous devons y travailler jour et nuit. L’avenir de notre peuple en est largement tributaire!