Marché des esclaves noirs en Libye : qui faut-il blâmer?
Par Jean-Bosco Kongolo
Le tollé général soulevé récemment par les images de la chaîne CNN révélant la vente aux enchères des Africains noirs en Libye ont fait croire à la majorité des téléspectateurs que l’esclavage est de retour et qu’il ne se pratiquerait « exclusivement » que dans ce pays arabe contre les seuls Noirs ressortissants de l’Afrique subsaharienne, candidats à l’immigration vers l’Europe. Comme réveillés brusquement de leur sommeil, nombreux sont ceux (artistes musiciens, activistes des droits de l’homme, sportifs ou hommes politiques), qui ont dénoncé, souvent avec une grande émotion, le racisme et la chosification de la race noire.
Ne circonscrivant ce phénomène qu’à la Libye, la plupart des intervenants qui se sont exprimés notamment sur les réseaux sociaux et dans les médias n’ont pas manqué de pointer du doigt les puissances occidentales d’avoir déstabilisé ce pays occasionnant ainsi l’émergence des groupes hors-la-loi qui opèrent impunément depuis l’assassinat du Président Kadhafi. Et pourtant, la traite des êtres humains, phénomène plus vieux et globalisant, ne se limite pas qu’à l’Afrique mais procède de ce que les criminologues appellent « crime organisé ».
Parmi les formes les plus déshumanisantes de la traite des êtres humains, il convient de citer entre autres la mondialisation de la prostitution des femmes et des enfants, qui a pris des ampleurs très inquiétantes et qui fait chaque année de dizaines de milliers de victimes dans un monde paradoxalement qualifié de moderne. Loin des émotions exprimées parfois avec hypocrisie par bon nombre de personnalités, la présente analyse a pour objectif d’éclairer l’opinion publique en général et africaine et congolaise en particulier, sur l’ampleur de ce phénomène très documenté dans des publications scientifiques des criminologues, sociologues et anthropologues. Les nombreux lecteurs de DESC en apprendront notamment sur les causes et les responsabilités tant individuelles que collectives (étatiques) ainsi que sur des mesures éventuelles à prendre pour en limiter les dégâts.
1. Compréhension des quelques concepts
A. L’esclave et l’esclavage
Un esclave est un individu privé de sa liberté ou d’une partie de celle-ci par les règles en vigueur dans le pays et l’époque considérés. Il est un instrument économique sous la dépendance d’un maître, pouvant être vendu ou acheté. L’esclavage se différencie du servage par son statut de « propriété », et en conséquence par la privation de ses libertés fondamentales. Rome pratiquant l’esclavage, comme d’autres peuples antiques, le latin disposait d’un terme pour désigner l’esclave : servus, qui a conduit aux termes « servile » et « servilité », relatifs à l’esclave et à sa condition. Ce mot a aussi donné naissance aux termes « serf » du Moyen Âge et aux modernes « service » et « serviteur ».
La convention relative à l’esclavage (1926) de la Société des Nations dispose en son article premier que « L’esclavage est l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux »[1]
L’ONU a maintenu cette définition, reprise dans plusieurs conventions relatives aux droits de l’homme et ratifiées, juste de manière protocolaire, par la quasi-totalité des États membres. L’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dispose que : « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites. »
Naturellement, dans leurs constitutions respectives, les États membres de l’UA, ont pris soin de formuler la protection et le respect de la dignité humaine. Au Congo-Kinshasa, c’est l’article 16 qui stipule que : « La personne humaine est sacrée. L’État a l’obligation de la respecter et de la protéger. Toute personne a droit à la vie, à l’intégrité physique ainsi qu’au libre développement de sa personnalité dans le respect de la loi, de l’ordre public, du droit d’autrui et des bonnes mœurs. Nul ne peut être tenu en esclavage ni dans une condition analogue. Nul ne peut être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Nul ne peut être astreint à un travail forcé ou obligatoire. »
B. La prostitution
s
Pour lui, « La prostitution est essentiellement un acte marchand, qui donne accès, en échange d’une somme variable d’argent, au corps et au sexe de personnes. »[3]
C. La traite ou le trafic des êtres humains
Dans la littérature moderne sur les crimes organisés, les expressions « traite ou trafic des êtres humains », jugées plus englobantes, sont en train de supplanter le terme prostitution qui fait plus allusion à la femme (généralement adulte) alors que de nos jours, mêmes des enfants (filles et garçons) ne sont pas épargnés. En effet, cette expression se justifie dans la mesure où les victimes de ce trafic sont exploitées à des fins multiples : prostitution, travail forcé voire même les prélèvements d’organes. Sur le site de la Gendarmerie Royale du Canada, vol. 76, no 3, les faits ci-après sont signalés :
Le trafic d’organes est un crime organisé qui implique de nombreux délinquants, notamment les recruteurs qui trouvent la personne vulnérable, le transporteur, le personnel de l’hôpital ou de la clinique, les professionnels de la santé qui effectuent la chirurgie, l’intermédiaire, les acheteurs et les banques qui entreposent les organes.
Selon UN GIFT (United Nations Global Initiative to Fight Human Trafficking), il est rare qu’on puisse lever le voile sur l’ensemble du réseau.
Une résolution de l’Assemblée mondiale de la santé, adoptée en 2004, encourage les États membres à prendre des mesures pour protéger les groupes vulnérables contre le « tourisme de transplantation » et la vente de tissus et d’organes.
Le tourisme de transplantation est le moyen le plus utilisé pour faire le commerce transnational d’organes. Les receveurs se rendent à l’étranger pour subir une transplantation d’organe (Bulletin de l’OMS). Certains sites Web offrent des forfaits tout-compris, Par exemple le prix d’une greffe de rein à l’étranger varie de 70 000 $ à 160 000 $US.
Aucune loi canadienne n’interdit aux Canadiens de s’adonner au tourisme de transplantation, c. à-d. se rendre à l’étranger, acheter des organes, se les faire greffer et revenir au Canada.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une transplantation sur dix est effectuée au moyen d’un organe humain issu du trafic, soit environ 10 000 par année.
Bien que les reins soient les organes les plus couramment vendus, il y a aussi un trafic illégal de cœurs, de foies, de poumons, de pancréas, de cornée et de tissus humains.[4]
Dans cette analyse, l’accent sera mis sur la prostitution et le travail forcé dont sont généralement victimes les Africains, tous sexes et âges confondus. De tous les aspects de la traite des êtres humains, c’est la prostitution qui s’est le plus mondialisé et le plus documenté interconnectant des grands réseaux du crime organisé et influant même sur les budgets des États qui l’ont décriminalisé et/ou légalisée (Pays-Bas, Allemagne) tandis que d’autres l’encadrent (Nouvelle Zélande, Australie). En Suisse, la ville de Zurich a même « lancé des « garages à sexe » ou sexboxes pour permettre aux prostituées de travailler en toute sécurité. Les automobilistes peuvent se rendre dans des zones en périphérie de la ville où les travailleuses du sexe y sont regroupées. En plus d’avoir des toilettes et des douches, les travailleuses ont un bouton d’alarme et ont accès à des travailleurs sociaux. »[5]
2. L’ampleur de la traite des êtres humains
Ce qui choque les moralistes, c’est que c’est l’être humain qui est au cœur de la marchandisation. Aucun pays dit riche n’est épargné et n’a aucune leçon d’éthique à donner aux pays pauvres. La criminologue Maria Mourani, dont la notoriété n’est plus à démontrer au sujet du phénomène des gangs de rue, principalement à Montréal, affirme qu’« Au Canada, dans certains cas, il est facilité par la politique d’immigration canadienne, qui, par exemple, laisse toute latitude aux services d’immigration de délivrer des visas de travail à des danseuses exotiques[6] provenant, entre autres, de pays de l’Europe de l’Est. » Elle relève en outre que « Le trafic des femmes et des jeunes filles, voire des enfants, est soumis aux règles du marché, de la même manière que celui des stupéfiants ou des automobiles de luxe. L’offre est soumise à la demande, et naguère, ce n’était pas les bandes de rue qui s’occupaient de répondre à la demande, mais bien les organisations criminelles. »[7]
Ainsi que l’exige le nouvel ordre économique mondial, c’est dans les pays riches ou dits « développés » que l’on trouve le plus grand nombre de trafiquants et consommateurs d’êtres humains, sous différentes formes tandis que les pays moins nantis, essentiellement ceux d’Asie du Sud et d’Europe de l’Est demeurent les plus grands fournisseurs. Rien que pour la prostitution, « Environ 4 millions de femmes et d’enfants sont victimes chaque année de la traite mondiale aux fins de la prostitution.» Citée par Richard Poulin, « Sabine Dusch (202 :109) estime que la prostitution engendre un chiffre d’affaire mondial de 60 milliards d’euros, soit 72 milliards de dollars américains. »[8] Qu’en est-il de l’Afrique et des Africains? Pour mieux aborder ce point, il est important de faire un survol des facteurs qui favorisent la traite afin d’en dégager les spécificités pour l’Afrique ainsi que les responsabilités individuelles et collectives.
3. Facteurs à la base de la traite d’être humains
En prenant comme postulat que l’esclavage et la prostitution font partie de la traite d’êtres humains, plusieurs facteurs sont énumérés comme favorisant ce commerce de la honte : la pauvreté, la distribution inégale des richesses nationales, les conflits armés, le tourisme sexuel, la dictature en tant que mode de gestion du pouvoir, les sites de rencontres (favorisés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, etc.)
A. La pauvreté
Malgré l’expérience humiliante de plusieurs siècles de traite négrière, les dirigeants africains semblent n’avoir tiré aucune leçon des facteurs à la base de la chosification de l’homme, parmi lesquels se pointe en premier lieu la pauvreté. En dépit de ses nombreuses ressources naturelles qui font le bonheur de l’Occident, l’Afrique demeure le continent le plus pauvre de la planète à cause, principalement, de l’égoïsme et du manque de vision de ses dirigeants ainsi que des mauvaises politiques sociales ou distributives. Les dividendes de l’exploitation primaire et sauvage des matières premières ne profitent qu’à une minorité d’individus au pouvoir ainsi qu’à leurs courtisans.
Comme conséquence, la grande majorité de la population croupit dans la misère, vivant dans des conditions infrahumaines sur le sol de leurs ancêtres, avec moins d’un dollar par jour. Considérés souvent à tort comme le paradis où la vie est facile, les pays d’outre-mer font rêver la plupart des africains, prêts à troquer leur dignité d’homme pour y arriver plutôt que de mourir à petit feu chez eux, sans possibilité de trouver un emploi, de se marier, de se soigner et d’instruire leurs enfants. A titre illustratif, le Nigéria (deuxième puissance économique du continent) est cité comme premier fournisseur africain de femmes et d’enfants prostitués à destination d’Espagne, d’Italie, des États-Unis, d’Afrique du Sud et d’Irlande (Richard Poulin, 2004-p.79).
Ce qui se passe depuis quelques années dans la Méditerranée, devenue le plus grand cimetière maritime au monde, est révélateur aussi bien de la misère que tentent de fuir ces pauvres africains que des illusions qu’ils se font du bonheur qu’offriraient l’Europe et l’Occident en général. Souvent sans destination connue à l’avance et sans objectif précis[9], ces migrants sont à la merci de leurs passeurs qui leur vident les poches et qui les commercialisent ensuite et à tour de rôle avant d’entasser les plus chanceux dans des embarcations les plus risquées. Dieu seul sait combien meurent chaque jour dans l’anonymat, à cause de tortures et autres sévices dans ces lieux de concentration dont les images circulent à compte-gouttes dans les réseaux sociaux.
Au sujet des désillusions rencontrées par bon nombre d’immigrants, les anthropologues Marc Perreault et Gilles Bibeau renseignent qu’ « On émigre pour le mieux et non pour le pire. Aussi, entre les attentes du début et la réalité, le désenchantement est parfois très grand et difficile à vivre. Si le processus d’immigration est lié au contexte de l’émigration, son sens véritable se révèle seulement au moment de l’adaptation à la société d’adoption. Les conditions de l’arrivée, les modalités de l’installation et le contexte sociopolitique de l’accueil sont déterminants pour l’avenir. »[10] Arrivés à destination, certains découvrent que pour vivre, ils n’ont pas d’autre choix que de se laisser déshumaniser. N’ayant pas le courage de le dire à leurs familles restées en Afrique, des femmes se prostituent contre leur gré sans possibilité de dénoncer leurs proxénètes, sous peine de se voir expulsées pour séjour illégal. D’autres sont contraintes de s’accoupler avec les chiens de leurs maîtres, satisfaits par le spectacle de la zoophilie. Quant aux jeunes hommes, faute de moyens de survie, les vielles dames en mal de plaisir les épuisent physiquement à longueur des journées pour satisfaire leur libido.
B. La mauvaise gouvernance politique et les conflits armés
A l’exception de quelques pays où la démocratie et l’alternance au pouvoir sont de plus en plus intégrées dans les mœurs politiques, la plupart des Chefs d’État africains ont pris en otage leurs peuples et leurs pays, qu’ils gèrent de manière autocratique comme s’il s’agissait de leurs concessions ancestrales. Ceux qui tentent de s’y opposer ou de leur résister sont violemment réprimés au cours des manifestations même pacifiques.[11] A cause de l’enfer que les despotes leur font vivre, plusieurs africains, sciemment ou par ignorance, prennent le chemin de l’exil pour « vivre en paix et en liberté », même au prix de leur dignité humaine.
Dans leur politique d’immigration, outre les besoins de main-d’œuvre bon marché, les pays dits développés ont tendance à accorder priorité aux ressortissants des pays où surgissent et subsistent des conflits armés et ainsi que ceux où l’intolérance politique favorise l’exil. Pour parvenir à obtenir le statut de réfugié(politique ou économique), ces citoyens des pays en conflits sont pour la plupart victimes d’actes et de traitements inhumains et dégradants de la part de plusieurs intervenants (passeurs, pasteurs des églises, musiciens[12]…) dans le processus, en commençant par leurs pays d’origine et en passant par les pays de transit.
C. Les mariages virtuels
Pour échapper à la misère sans issue, beaucoup de jeunes femmes africaines usent naïvement des nouvelles technologies de l’information et de la communication(NTIC) pour se connecter aux sites de rencontres internationales à la recherche d’une âme sœur capable de les prendre matériellement en charge. Pour ces femmes, en effet, c’est une bénédiction ou une providence que d’avoir un conjoint blanc, supposé être riche. Plus par nécessité économique et sociale que par amour, la plupart de ces femmes africaines sont moins exigeantes en ce qui concerne notamment l’âge et les valeurs culturelles, morales et spirituelles de leurs futurs conjoints, tout mari blanc étant supposé être matériellement à l’aise et digne de confiance.
C’est lorsqu’elles arrivent à destination que certaines font face à la réalité et découvrent fort tardivement leur véritable statut d’objet sexuel ou de bonne au foyer. Au Liban, une des destinations de femmes africaines pour le travail domestique, des témoignages abondent sur la maltraitance : « Amira est âgée de 25 ans. Elle vient de la République démocratique du Congo. »Une fois, madame a trouvé de la poussière sur les meubles. Elle m’a dit que la maison était sale comme ma peau ». Pendant quatre ans, Amira a été obligée de rester enfermée dans l’appartement de ses patrons – qu’elle quittait seulement pour faire sortir les ordures. Elle est venue au Liban, en tant que domestique, sur la base d’un contrat de six ans, à cause du conflit qui sévit dans son pays. Réveillée tous les jours à 5h30, elle est soumise à 18 heures de travail éreintant et sans repos. « Même les chiens sont autorisés à sortir, mais nous, nous sommes bloqués à la maison », déclare-t-elle du balcon. « Nous sommes comme des esclaves ici. »
Elisa, une jeune Éthiopienne raconte : « Quand j’ai commencé à travailler dans cette famille, j’ai été tout le temps sexuellement abusée par le père de ma patronne. Les enfants me tapaient tous les jours et je le disais à madame, mais elle ne faisait rien. Parfois le père venait dormir avec moi et menaçait de me taper si je refusais. Ainsi j’ai dû quitter la maison ». »[13]
3. A qui incombe la responsabilité de cette barbarie humaine?
Au vu de la cruauté des images qui circulent encore sur les réseaux sociaux ainsi que des réactions des uns et des autres, on peut dégager quatre catégories de responsabilité : la responsabilité de l’espèce humaine, la responsabilité de la communauté internationale, la responsabilité des États africains et la responsabilité individuelle.
A. La responsabilité de l’espèce humaine
Ce qui se passe dans les rapports entre les humains donne raison aux latinistes qui nous ont légué l’adage « Homo homini lupus », qui veut dire « L’homme est un loup pour l’homme ». Les croyants chrétiens sont interpellés pour qu’ils expliquent très clairement à toute l’espèce humaine ce qui signifie « l’homme a été créé à l’image de Dieu. »(Genèse 1. 26-27). Si, en effet, tout le monde avait un même entendement de cet enseignement biblique et si les chrétiens eux-mêmes le pratiquaient, aucun homme ne serait traité par son semblable comme une marchandise. Y a-t-il encore dans le regard à autrui, un être semblable à soi ou simplement une chose qu’on peut s’approprier et dont on peut allégrement disposer à sa guise?
B. La responsabilité de la communauté internationale
C’est depuis la nuit des temps que l’esclavage existe, le plus documenté et le plus déshumanisant étant celui infligé pendant des siècles à la race noire pour des raisons d’exploitation économique et sous-prétexte de lui apporter la civilisation. Pendant des siècles, des théories pseudo-scientifiques et philosophiques ont même été développées pour démontrer que l’être noir n’était pas un homme à part entière.
Pour justifier la traite des Noirs et la colonisation, « Des penseurs occidentaux ont développé des arguments d’inspiration philosophique et religieuse pour banaliser l’esclavage des Nègres. Montesquieu a soutenu que les européens étaient fondés à asservir les Nègres parce qu’il leur était impossible de supposer qu’ils étaient des hommes ; parce que Dieu, qui est un être très sage, n’eut pas pu mettre une bonne âme dans un corps tout noir. Les thèses de l’esclavage décomplexé ont forgé d’affreuses caricatures et dénégations du Nègre, qui sont aujourd’hui le soubassement lointain du sentiment raciste contre les Noirs et les migrants africains dans les pays occidentaux. »[14]
Malgré les conventions internationales abolitionnistes (SDN et ONU), l’homme noir continue d’être regardé et traité comme un sous-homme aussi bien dans les pays réputés démocratiques (cas des États-Unis) qu’en Afrique et par des Africains. Ce qui se passe actuellement en Libye, un pays désorganisé depuis l’assassinat de Kadhafi par les Occidentaux, ne doit pas non plus servir à occulter l’esclavage toujours pratiqué en Mauritanie au vu et au su de la communauté internationale et de l’Union africaine. Dans ce pays membre de l’ONU et de l’UA, « un être humain peut appartenir à un autre être humain. On peut le vendre, le donner, l’échanger, le louer, le prêter ; il a une valeur marchande ; il a une côte tarifaire. Comme un meuble, comme une voiture, comme un chameau, comme une chèvre. Bien sûr ce n’est pas légal et c’est même sévèrement (en principe) réprimé par les lois de ce pays, mais c’est dans la réalité des faits. Mais ce n’est pas une spécialité mauritanienne : l’esclavage est pratique courante chez nos « amis » du Qatar, d’Arabie saoudite » et ailleurs, en terres d’islam ou ailleurs… »[15]
Outre la Mauritanie et la Libye, d’autres pays africains sont cités, qui pratiquent encore de nos jours l’esclavage : l’Égypte, le Soudan et l’Afrique du Sud. « Les Sud-Africains ont énormément souffert pendant la traite transatlantique des esclaves. Malheureusement, jusqu’à nos jours rien n’a été fait pour mettre fin à l’esclavage dans ce pays. L’année dernière, l’Indice mondial de l’esclavage estimait que près de 250 000 esclaves modernes existent aujourd’hui en Afrique du Sud. Environ 103 461 de ces esclaves sont exploités sexuellement à des fins commerciales. Il est également rapporté que la majorité des entreprises de production de vin en Afrique du Sud pratiquent toujours l’esclavage.
Les formes courantes d’esclavage en Afrique du Sud sont le travail forcé, la traite des êtres humains, la servitude pour dettes, l’exploitation des enfants et le mariage forcé. »[16] Plus choquant, au même moment que le monde entier crie haro sur la Libye, que certains pays rappellent leurs ambassadeurs, que d’autres organisent des charters pour rapatrier leurs ressortissants, en Afrique noire, l’esclavage et la traite des Noirs se pratiquent encore de nos jours entre les Noirs. « Plus de 500 victimes de traite des être humains, dont près de la moitié sont des mineurs, ont été secourus et 40 trafiquants présumés arrêtés lors d’une vaste opération de police dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, a annoncé Interpol jeudi. L’opération Épervier, menée simultanément au Tchad, au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Sénégal entre le 6 et le 10 novembre(2017), a permis l’arrestation de 40 trafiquants présumés qui seront poursuivis pour « traite d’êtres humains », « travail forcé » et « exploitation d’enfants ». « Ils sont accusés d’avoir forcé les victimes à s’adonner à des activités allant de la mendicité à la prostitution ». »[17]
Ce qui a changé sur la scène internationale, c’est qu’au-delà du racisme et des raisons économiques, le commerce du plaisir sexuel s’y est mêlé et s’est mondialisé ne faisant plus de distinction de race ni d’âge. Avec le trafic des organes, ce commerce fait partie de ce qu’on appelle globalement la traite des êtres humains, dont les Africains sont de plus en plus exposés à cause de l’irresponsabilité de leurs dirigeants.
C. La responsabilité des États
Pour avoir été humiliés durant des siècles d’esclavage, suivi de presqu’un siècle de colonisation, les Africains devraient être à l’avant plan de la lutte contre toute forme de déshumanisation, d’où qu’elle vienne. Cela aurait pu être rendu possible grâce au système d’éducation faisant la promotion des valeurs culturelles notamment le caractère sacré de l’être humain, la solidarité et l’entraide.
Depuis l’école primaire, l’histoire de la traite, rédigée par les Africains, devrait être abondamment enseignée mettant l’accent sur l’égalité génétique de toutes les races et décomplexant les Noirs vis-à-vis des Blancs, des Arabes et des Chinois. Malheureusement, nombreux sont les Noirs, même instruits (mais non cultivés), qui ignorent encore que l’Afrique est non seulement le berceau de l’humanité mais aussi et surtout celui de la civilisation, ainsi que l’attestent les scientifiques les plus honnêtes qui s’intéressent à l’égyptologie. Comme conséquences, on en est encore à se référer à l’Occident et, actuellement, à l’Asie pour toute solution aux problèmes qui concernent l’Afrique et qui peuvent se résoudre avec la sagesse et la solidarité africaines.
Plutôt que d’examiner et de s’attaquer aux véritables causes de ces phénomènes, qui consistent à bien gouverner leurs États et à adopter des politiques économiques et sociales privilégiant l’égalité de tous les citoyens, des dirigeants africains s’en remettent à leurs homologues européens pour les aider à rapatrier leurs ressortissants bloqués en Libye.
D’autres, sans réfléchir sur les motivations profondes du Rwandais Paul Kagame, saluent sa proposition de recevoir et d’installer chez lui 30.000 migrants bloqués en Libye, comme si le Rwanda, minuscule pays aux visées expansionnistes sur son voisin le Congo, avait fini de résoudre les problèmes de son espace vital, de la pauvreté et du chômage de ses propres citoyens dont nombreux sont exilés à travers le monde pour fuir sa politique de répression de ses opposants. Un article du quotidien israélien HAARETZ sous la plume de Lior Birger, qui a mené une longue enquête sur les manœuvres que cache la « générosité » de Paul Kagame affirme que l’Israël paie 5000$ par tête d’immigré expulsé au Rwanda et à l’Ouganda qui les accueillent : « A peine arrivés à l’aéroport rwandais de Kigali, les déportés se voient confisquer la seule documentation qu’ils ont sur eux, le laissez-passer qui leur a été remis par les Israéliens à l’embarquement. On les enferme dans une chambre d’hôtel. Puis ils sont informés qu’ils doivent quitter le pays rapidement. Les Rwandais les livrent ensuite à des passeurs, qui les transfèrent –contre paiement de centaines, voire de milliers de dollars- en Ouganda, puis au Sud-Soudan, au Soudan et de là en Libye, d’où ils essaieront de gagner l’Europe. »[18]
Sous prétexte de la stabilité, mais en réalité pour continuer d’exploiter tranquillement et à moindre frais les fabuleuses ressources naturelles de l’Afrique, les pays riches feignent de dénoncer du bout des lèvres la mauvaise gouvernance et les violations massives des droits de l’homme en Afrique, de s’apitoyer sur le sort de ces migrants tout en soutenant les dictateurs africains qu’ils ont aidés à s’installer et/ou à se maintenir au pouvoir. Tel est le cas d’Eyadema, d’Ali Bongo, de Sassou Nguesso, de Paul Biya, D’Idriss Deby, de Joseph Kabila, de Museveni, de Paul Kagame et de tant d’autres, qui ne sont encore là que grâce à leurs soutiens extérieurs.
D. La responsabilité individuelle
Ils sont autant à blâmer, tous ces Africains, « victimes consentantes », qui n’osent pas dénoncer ce qui se passe chez eux mais qui émigrent aveuglement et sans idéal, à la recherche d’un bonheur hypothétique et illusoire. Convaincus qu’il suffit d’arriver en Europe, aux États-Unis ou au Canada pour être heureux, ils sont nombreux à s’imaginer que c’est par mauvaise foi et jalousie que leurs frères et sœurs qui y résident les empêchent d’être aussi heureux lorsque ces derniers leur indiquent la voie à suivre pour obtenir par voie légale un statut de réfugié, de travailleur qualifié ou d’étudiant. Bradant leurs biens, meubles et immeubles, ils préfèrent traiter avec des gourous, des musiciens et autres passeurs clandestins qui leur dépouillent de tout pour finalement les vendre comme des marchandises dans des pays où, paradoxalement, maltraiter un animal domestique est actuellement passible d’une peine de prison ou d’une amende salée.
Conclusion
Chapeau bas à la chaîne américaine CNN qui, grâce aux images qui ont fait le tour de la planète, a eu le mérite de dénoncer ce que vivent, en Libye, les Africains subsahariens candidats à l’immigration en Europe. Au-delà des réactions, pour la plupart hypocrites, ces images ont surtout dévoilé l’hypocrisie des décideurs tant africains qu’internationaux qui ont feint de découvrir une pratique aussi vieille que répandue à travers le monde, qui s’insère dans le nouvel ordre économique mondial.
Notre analyse avait pour objectif d’informer correctement les lecteurs de DESC, spécialement les Africains, pour qu’ils prennent conscience de la déchéance des valeurs humaines dans ce monde ultra-libéralisé où tout se vend et tout s’achète. En Belgique et aux Pays-Bas, les prostituées sont même exposées nues dans des vitrines, au choix et selon les goûts des clients. Plutôt que de réagir émotionnellement, les Africains feraient mieux de se protéger, en commençant par nos familles jusqu’aux structures étatiques pour éviter une humiliation de trop qui risque cette fois de faire disparaître la race noire. Les intellectuels, à travers la société civile, ont par conséquent le devoir d’éclairer l’opinion publique sur les faits sociaux et les grands enjeux internationaux afin d’éviter de se rendre complices des dictateurs qui ont fait de leurs pays de véritables enfers pour leurs concitoyens.
Jean-Bosco Kongolo
Juriste&Criminologue
Références
[1] Wikipedia, In https://fr.wikipedia.org/wiki/Esclavage.
[2] Wikipedia, In https://fr.wikipedia.org/wiki/Prostitution.
[3] Richard Poulin, LA MONDIALISATION DES INDUSTRIES DU SEXE, Prostitution, pornographie, traite des femmes et des enfants, Collection Amarres, Canada, 2004, p.49.
[4] Gendarmerie royale du Canada, In http://www.rcmp-grc.gc.ca/fr/gazette/commerce-illicite-dorganes.
[5] La Presse.ca, 21 décembre 2013, In http://www.lapresse.ca/international/201312/21/01-4723114-la-prostitution-ailleurs-dans-le-monde.php.
[6] Selon l’importance démographique, la plupart des municipalités canadiennes et québécoises, comptent un ou plusieurs bars de danseuses nues que fréquentent quotidiennement des personnalités de la classe moyenne (avocats médecins, hauts fonctionnaires) pour contempler, moyennant l’argent, des jeunes filles rigoureusement recrutées pour leur beauté, qu’elles exposent pour rincer l’œil des hommes. Dans de grandes villes comme Montréal, il existe aussi des bars de danseurs nus, exclusivement fréquentés par les femmes, dans le même but.
[7] Maria Mourani, La face cachée des gangs de rue, Les Éditions de l’homme, Montréal, 2006, pp. 123-124.
[8] Richard Poulin, op.cit., pp. 66 et 68.
[9] Pourvu qu’on se retrouve en Europe.
[10] Marc Perreault et Gilles Bibeau, La Gang : une chimère à apprivoiser, Éditions du Boréal, Montréal, 2003, p. 226.
[11] Le Congo-Kinshasa en est la meilleure illustration
[12] Cas de Papa Wemba, condamné et de Koffi Olomide dont le dossier serait toujours en cours en France.
[13] Inter Presse Service(IPS), In http://www.ipsinternational.org/fr/_note.asp?idnews=3802.
[14] Les théories racistes, consulté sur Internet, In http://www.seneplus.com/article/th%C3%A9ories-racistes.
[15] Mediapart, 22 octobre 2016, In https://blogs.mediapart.fr/victorayoli/blog/221016/esclavage-toujours-present-en-mauritanie-mais-pas-seulement-la.
[16] Metrodakar.net, 27 novembre 2017, In https://www.metrodakar.net/afrique/5-pays-africains-lesclavage-toujours-pratique/.
[17] Mali7.net, 24 novembre 2017, In https://mali7.net/2017/11/24/afrique-de-louest-500-victimes-de-traite-secourues-interpol/.
[18] In https://www.facebook.com/musavuliboniface/posts/549315538737385.