Une analyse qui décrypte la stratégie et la tactique militaire utilisées par les forces de l’OTAN en Libye sur base de grandes théories développées par des stratégistes comme Douhet. Elle explique également la nouvelle doctrine géopolitique internationale actuelle de Obama de « Smart power » qui sous-tend le « réalisme progressive »
Lybie : La résurrection de la théorie de la stratégie aérienne et la nouvelle approche géostratégique américaine
Loin des polémiques d’ordre moral, éthique et politique sur les événements qui se sont déroulés en Lybie en 2011, cette contribution se veut une analyse purement technique destinée aux spécialistes des questions tactiques militaires. Ce n’est que sous ce seul prisme technique, d’analyse stratégique, que j’appelle le lecteur à interpréter le présent document.
La réflexion sur la suprématie de la stratégie de l’air par rapport aux stratégies terrestre et maritime a été un sujet qui a alimenté les débats stratégistes au XXème siècle, notamment à partir de la période allant d’entre les deux grandes guerres. De toutes les théories militaires, l’aviation militaire est très jeune puisqu’elle a juste cent ans. C’est en 1911 que surviennent les premières utilisations militaires de l’avion, huit ans seulement après le survol historique de Wright, à l’occasion de la guerre italo-turque pour le contrôle de la Libye : des escadrilles italiennes opèrent en Libye. Et oui cette même Libye qui devient aujourd’hui, tout juste un siècle après, la scène de la dernière grande opération militaire consacrant le retour en force de la théorie de la stratégie militaire aérienne. Les escadrilles italiennes avaient effectué en Libye en 1911 des missions de reconnaissance, mais aussi d’attaque au moyen de grenades de 2kg.
Apparu au début du XXème siècle, l’aviation a connu des fortunes diverses et entraîné l’apparition d’une nouvelle dimension de stratégie qui a pu paraître, en maintes occasions, déterminante. Une telle mutation a très logiquement suscité une intense réflexion tactique et stratégique mais, paradoxalement, la pensée aérienne n’a pas réussi à se structurer autour d’un paradigme, comme a pu le faire sa sœur aînée, la pensée navale, autour du concept de puissance maritime (seapower). La puissance aérienne (airpower) est restée un concept intermittent, qui apparaît périodiquement, mais n’a guère été théorisé de façon constante et satisfaisante. La Grande Guerre (1914-18) constitue un banc d’essai qui met en évidence les potentialités de la nouvelle arme aérienne. Celle-ci dépasse très vite le stade héroïque des pionniers pour se doter d’une organisation structurée. En 1915, apparut la doctrine du « bombardement stratégique » [skpoy_banda_zipa]qui permit la structuration des forces armées en mettant en place des unités constitués en divisions aériennes.[skpoy_suka_zipa]
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Dès la fin de la première guerre mondiale, un certain nombre d’esprits visionnaires ou simplement lucides annoncent l’avènement d’une stratégie dominée par la puissance aérienne. L’un des grands concepteurs de cette théorie fut le général italien Giulio Douhet. Artilleur de formation et auteur prolifique avant la Grande Guerre. Dès les années 1920, il s’est employé à formuler une stratégie aérienne qu’il conçoit comme appelée à supplanter toutes les autres dimensions. Une théorie basée sur la méthode rationnelle-scientifique dans sa forme la plus dogmatique et même la plus simpliste, voire la plus abjecte. Douhet, général sous le « Duce » (Mussolini), se faisait le chantre de la destruction universelle et du massacre aveugle des civils. Sa théorie à la fois subtile et cynique recommandait d’attaquer les gares de triage et les jonctions ferroviaires, les dépôts pour entraver l’approvisionnement et la mobilisation de l’armée adverse, les bases navales et arsenaux pour paralyser la marine adverse, enfin les villes pour propager la terreur et annihiler « la résistance physique et morale de l’ennemi et de la population adverse. Même si cet objectif ne peut être atteint intégralement, il reste nécessaire d’affaiblir, autant que possible, la résistance de l’ennemi, parce que cela facilite, plus que tout autre moyen, les opérations de l’armée de terre et de la marine », disait-il. Ainsi, les caractéristiques de l’action aérienne se résument sur la supériorité de l’offensive sur la défensive, bombardement stratégique combinant les effets matériels et moraux et une armée de l’air indépendante. Une thèse qui obtient très vite une notoriété mondiale et confortant par ce fait même les partisans ou stratégistes de l’approche offensive, opposés aux partisans de la stratégie défensive : deux conceptions tactiques et stratégiques classiques de l’art de la guerre.
Au fil des années, deux écoles de théorie de l’air ont émergé. La première, fidèle à Douhet, défend la thèse d’une stratégie générale dominée par l’arme aérienne, sinon inféodée à elle. Systématiques et dogmatiques, les concepteurs de la pensée aérienne proclament la possibilité de détruire le potentiel de l’ennemi sans qu’il y ait besoin de livrer bataille au sol ou sur mer, par les seuls effets du bombardement aérien. Ce qui n’est pas du goût de l’armée de terre et de la marine et provoqua polémique. A l’opposé, on trouve des adeptes de l’arme aérienne qui prônent une approche moins dogmatique et radicale avec, non pas un bombardement stratégique déconnecté des autres armes, mais bien la participation à la bataille terrestre et navale, avec ce qu’on appelle alors l’aviation de coopération. L’une des figures-clés de cette thèse fut l’italien Amadeo Mecozzi, très critique à l’égard de Douhet. Selon Mecozzi l’aviation, sans être toujours l’armée décisive au sens douhoutien, est toujours prééminente…même si, seule, elle serait ‘inconcevable ou inefficace’ ». Ainsi seront fixées dès l’entre deux-guerres, les deux grandes doctrines de la théorie aérienne, qui feront vaciller tantôt d’un côté ou de l’autre, la stratégie aérienne en quête d’équilibre : le bombardement stratégique (intégrale) et la participation (coopération) directe à la bataille, connue aujourd’hui sous l’aspect de l’appui au sol. Dans le premier cas, on considère que l’aviation a rendu obsolètes les concepts d’emploi des armes traditionnelles et qu’elle peut décider, éventuellement à elle seule, de la victoire. Dans le second, l’aviation est appelée à collaborer avec les autres armées.
L’élaboration d’une doctrine aux Etats-Unis
C’est aux Etats-Unis que la doctrine aérienne connaîtra sa consolidation, notamment avec l’expansion et la maîtrise des techniques de l’aviation. Une doctrine qui donnera naissance à une véritable géopolitique de l’air, en mettant l’accent sur l’émergence, grâce à l’évolution de l’aéronautique, d’une nouvelle géographie globale, suite au rétrécissement des distances. Une approche géopolitique, fondée sur la notion de l’ « Air Power Stratégique » qui va servir de fondement à la vision impérialiste américaine dominante des années 1945 à 1954, qui a pris des ailes et de l’envol car encouragée et renforcée par le succès militaire des bombardements de Hiroshima et Nagasaki.
Théorie de la paralysie stratégique née des années 1980
Cette théorie introduit la notion de la guerre de la quatrième génération. Cette théorie complexe approfondissant la théorie de Clausewitz (la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens…) renverse la conception traditionnelle ou universelle qui voit dans la destruction des forces armées adverses la mission prioritaire, sinon exclusive, de la guerre. En effet, cette théorie systémique très originale voit l’ennemi comme un système composé de nombreux sous systèmes. Elle définit 5 cercles : direction, fonctions organiques essentielles (réseaux électriques, hydrauliques, installations pétrolières), infrastructure (systèmes de transport, de télécommunication…), population, forces déployées, ces dernières étant moins vulnérables aux attaques directes parce qu’elles ont été formées pour cela. La stratégie va déterminer les points vulnérables de chaque sous-système à attaquer afin de provoquer la paralysie stratégique de l’ennemi, jusqu’à ce que celui-ci reconnaisse sa défaite ou soit hors d’état de continuer à résister. Il s’agit d’une stratégie sélective reposant sur une planification très élaborée. C’est cette stratégie qui sera appliquée notamment en Irak lors de la première guerre du Golfe en 1990.
A cette théorie, viendra s’ajouter une autre beaucoup plus radicale prônant des frappes beaucoup plus violentes dès le début de la crise ou du conflit afin d’obtenir une solution immédiate ; c’est le concept ‘shock and awe’, théorisé en 1996 et qui sera opérationnalisé contre l’Irak en 2003. Face à la répétition d’une attaque semblable à l’invasion du Koweit en 1990, le ‘halt phase concept’ prévoit de briser l’offensive ennemie dès son déclenchement. C’est ce qui fut appliqué en Bosnie et en Irak.
C’est aussi une version similaire de cette théorie qui a été utilisée en partie par les alliés en Libye où contrairement à certaines informations entendues à propos de la stratégie aérienne de l’OTAN, il a plutôt été question d’appliquer la stratégie de coopération (entre l’air, le sol et parfois la mer), même si dans un premier temps, on a surtout privilégié la prééminence de la stratégie de l’air. Ce qui n’est pas du tout anodin au fait qu’on pourrait comprendre que la thèse de théorie de la paralysie stratégique a été privilégiée pour freiner l’avance de l’armée régulière libyenne sur les insurgés dont le mouvement était sur le point d’être étouffée à Benghazi, bastion des rebelles libyens en mars 2011, faute de réaction rapide et violente.
Il semble que les forces de l’OTAN s’étaient bien rendu compte, à la suite de la guerre d’Irak ou de la situation actuelle en Afghanistan, que c’était illusoire de prétendre que l’invasion de la Libye serait gagnée uniquement par des bombardements aériens. Leur stratégie a fonctionné sur deux axes principaux: en l’air et au sol et un troisième axe subsidiaire en mer (Statégie de Coopération) :
· En l’air, c’était le domaine de l’OTAN,
· au sol, celui des troupes insurgées.
· En mer c’était pour mettre en place un blocus maritime devant couper l’armée de Kadhafi de tout approvisionnement en armes et autres moyens logistiques stratégiques, mais aussi pour ravitailler Misrata, un des foyers de l’insurrection et ville stratégique d’où les actions au sol étaient coordonnées.
Rappelons que l’invasion militaire des forces de l’OTAN en Libye aux côtés des rebelles du CNT a bénéficié également du soutien des pays arabes (La Ligue Arabe, Qatar, Jordanie, Emirats…) et des pays africains comme (Sénégal, Gambie…) Des armes ont été livrés par la France, grâce à des parachutages avant que des avions (non-français, notamment belges) ne puissent s’y poser. Par ailleurs, des équipes de liaison d’une trentaine de militaires du Commandement des opérations spéciales de la DGSE française (COS) ont été dépêchées à Beghazi.
L’application de la théorie de la paralysie stratégique:
· maitrise de l’air avec des frappes ciblées principalement sur des sous-système : direction (Résidences du Raïs, bases militaires, immeubles abritant les institutions stratégiques et les symboles du pouvoir…), fonctions organiques essentielles (sites pétroliers…) et infrastructure (aéroports, routes menant vers Benghazi et Misrata…) pour freiner l’avancée des forces républicaines libyennes, combinant une stratégie de rupture ou d’anéantissement (rendre moins mobiles les forces de Kadhafi) afin de provoquer l’isolement et l’effondrement de l’adversaire et une stratégie d’usure d’autant que les alliés étaient conscients que la victoire terrestre du fait de la faiblesse au sol des rebelles du CNT était difficile à acquérir, les frappes aériennes devaient alors provoquer l’affaiblissement de l’opérabilité militaire et la paralysie des troupes de l’ex-raïs libyen;
· contrôle de la mer ;
· très faible présence au sol où l’affaire est confiée aux forces locales s’avère montré au finish efficace dans le cas libyen, même si elle a mis du temps à produire ses effets. Or le temps est un facteur clé dans les actions militaires : au bout de quelques jours ou quelques semaines, les opinions s’impatientent et le spectre de « l’enlisement » surgit.
Concrètement, la stratégie aérienne de coopération a impliqué, pour la France tête de pont de la coalition, les trois armées (Air, Marine, Terre). C’est une grande première de la coopération des forces interarmées françaises durant ces 50 dernières années. Cette guerre aurait couté pour la France entre 200 millions à 300 millions d’euros, mais c’est en termes des dizaines des milliards de pétrodollars que cela lui rapportera économiquement en contrepartie de l’effort de guerre engagé lorsqu’il s’agira de reconstruire la Lybie dévastée à dessein.
Attitude ambigüe des Etats-Unis ou application approximative de la nouvelle doctrine d’Obama
Si la France avec la Grande-Bretagne (et quelques autres pays comme la Belgique, les Hollandais, les Canadiens et les Danois, etc) ont mené l’essentiel de l’effort militaire, contrairement aux idées reçues, les Etats-Unis n’ont pas pris le leadership dans cette aventure, même s’ils ont fourni une aide précieuse et discrète. Barack Obama avait dès le départ fait savoir la position américaine, qui ne pourrait se permettre de s’impliquer activement sur un troisième front alors que ses forces peinent à stabiliser l’Irak et l’Afghanistan. De plus, l’administration américaine, depuis l’arrivée d’Obama à la Maison Blanche, a remodelé sa doctrine de politique étrangère. Fareed Zakaria, journaliste à la CNN, disait à ce propos que Barack Obama était le premier président d’une Amérique « post-impériale ». Une Amérique en crise qui doute d’elle-même et de son modèle d’après des années de « réalisme » géopolitique, bien incarnées par les Bush, père et fils.
En effet, l’intervention américaine en Libye, l’opération militaire américaine du 1er mai 2011 au Pakistan conclue par la mort d’Oussama Bin Laden, le retrait des troupes américaines d’Afghanistan annoncé par Obama le 22 juin 2011 (dans le but de transférer progressivement le pouvoir au gouvernement local) ainsi que la décision d’Obama de ce 21 octobre 2011 de retirer 44.000 militaires américains du bourbier irakien d’ici avant la fin de cette année, sont autant d’exemples de cette stratégie de « smart power », qui véhicule une nouvelle approche de la doctrine de la politique étrangère américaine, celle du réalisme progressiste (progressive realism) pour reprendre le concept de Robert Wright. Toutefois, le recours au hard power reste apparemment un outil jugé indispensable de la politique américaine et sa récente mise en œuvre au Pakistan confirme l’idée d’Obama selon laquelle la défense des intérêts des Etats-Unis peut passer, en cas de nécessité, par une action unilatérale. Ce qui renvoie au recours à la notion de « guerre juste » que nous développerons ultérieurement.
En même temps, la politique étrangère menée par l’Administration Obama semble être portée par une « diplomatie intelligente » (smart diplomacy) et pragmatique (terme régulièrement utilisé par le président américain et qui signifierait un savant dosage entre le réalisme et l’idéalisme), qui sait évaluer et s’adapter aux circonstances. Philosophiquement, Barack Obama n’est pas un forcené de l’ingérence aveugle. Il considère que le seuil d’intolérable à partir duquel une intervention internationale est appropriée doit être très élevé pour mener une guerre juste. Il faut qu’il y ait une indignation (ou émotion) internationale forte pour en arriver à violer le principe de souveraineté d’un pays, disait-il en 2009. En bon légaliste et juriste de formation de surcroît, Barack Obama a rappelé que le respect de la souveraineté des Etats est « un principe fondamental » des relations internationales. De plus, il défend l’idée d’une Amérique qui n’entend plus porter l’essentiel du fardeau, ne se trouver seul à la pointe de la bataille alors que le reste du monde ne suit pas. Donc, pas d’action américaine unilatérale selon Obama. Le principe cardinal de la politique étrangère d’Obama est d’exposer les Etats-Unis d’Amérique le moins en avant possible. Cela coute trop cher: en anti-américanisme et en dollars.
Toutefois, appliquée à la situation en Libye et vu de Washington, cette approche n’est pas apparue aussi claire. Barack Obama a pris tout son temps (comme souvent), pour analyser la situation, laisser se développer les rapports de force, préparer sa décision. Il n’avait jamais dit qu’il était contre une intervention, ni qu’il était pour. Il avait mis des conditions mais « toutes les options » étaient « sur la table ». Il ne pensait pas que la « no fly zone » était le remède unique et miraculeux. Obama a bien précisé qu’il avait pris bien soin d’éviter d’agir de manière unilatérale, privilégiant le partage du fardeau et le transfert du commandement de l’opération à ses alliés de l’Otan. Les Etats-Unis se tiendront désormais dans un «rôle de soutien», en se concentrant sur «l’appui logistique et le renseignement », a-t-il dit, insistant que le fait que cette approche permettrait de réduire à la fois «le risque et le coût pour les Etats-Unis». Ses conditions à l’implication des Etats-Unis en Libye se résumaient pour l’essentiel à ceci :
· Pas d’action sans respecter la légalité internationale et l’ONU. Plus jamais l’Irak.
· Pas d’action sans le soutien des Arabes (pour ne pas envenimer le « clash des civilisations »).
· Pas de fleur au fusil: il ne s’agit pas de « video-games », comme l’a dit le secrétaire général de la Maison Blanche.
· Pas de pilotes américains en danger
Obama semble un président légaliste, et y insiste d’autant plus qu’il est le successeur de George Bush, le cow-boy. Il a deux guerres sur le dos à mettre fin et une reprise économique compromise entre autre par la hausse du pétrole -hausse due à la chute de production en Libye, qui risque d’avoir un impact sur sa campagne électorale en 2012. Obama soutient le concept de «leadership collégial» d’un genre nouveau : «Contrairement à ce que certains prétendent, le leadership américain n’est pas simplement une question d’y aller seul et de porter nous-mêmes tout le fardeau. Le vrai leadership crée les conditions et les coalitions pour que d’autres s’engagent aussi […]», a expliqué le Président, réconciliant autant que possible cette nouvelle guerre, ses besoins nationalistes et son souci de multilatéralisme. A l’aune de la Libye, Barack Obama s’efforce de définir une nouvelle «doctrine» pour régir les interventions militaires américaines. Plus question de refaire les erreurs de l’Irak. En résumé, décrypte Simon Serfaty, ces opérations peuvent intervenir pour protéger les droits de l’homme, comme ils l’ont fait en Libye, mais «de façon multilatérale parce que ces intérêts ne sont pas d’une importance vitale pour les Etats-Unis». En cas de «menace directe» pour la sécurité des Etats-Unis, Obama se réserve toujours le droit d’intervenir de manière «rapide, décisive et unilatérale» (Pakistan avec Bin Laden), ce qui le rapproche d’ailleurs de son prédécesseur, rappelle Serfaty.
Epilogue : Quelles leçons en termes d’analyse géostratégique pour les décideurs africains ?
Similitude de l’avènement du CNT et de celui de l’AFDL au pouvoir :
Loin de vouloir prendre la défense de Kadhafi, qui du reste et selon moi, ressemble à la figure métaphorique d’un rosier (une rose pour son prétendu côté panarabiste et nationaliste panafricain et socio-économique, et une douloureuse épine pour son aspect dictatorial et violent à l’égard de toute forme d’opposition interne depuis 42 ans de règne sans partage : pendaison des étudiants dans les amphithéâtres de l’Université de Benghazi en 1980, massacre des opposants dans les prisons réclamant les meilleures conditions de détention, expulsion dans des conditions infrahumaines des milliers des noirs africains vivant en Libye en 1984 ou sa guerre de 13 ans d’occupation du Nord Tchad dans la Bande d’Aouzou et au Faya largeau, vidé de ses populations pour la plupart massacrées par l’armée libyenne), force est de constater que l’insidieuse intervention militaire de l’OTAN en Libye, sous prétexte de « protéger les populations civiles », tiré de la nouvelle doctrine géopolitique de « la responsabilité de protéger » que j’expliquerai dans une prochaine analyse, présente d’énormes similitudes à l’agression rwando-ougandaise subie par la RDC quinze années plutôt sous le label de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila.
Ces deux agressions unilatérales contre des Etats africains souverains, associées à l’intervention unilatérale des forces françaises de la Licorne en Côte d’Ivoire marquent un tournant inquiétant dans les relations entre l’Afrique et l’Occident et impriment le retour en force du néo-impérialisme dans le Continent Africain. Ce, au moment où une majorité d’Etats africains commémorent le cinquantenaire de leur indépendance. D’autant que ces trois pays présentent la caractéristique commune de disposer des ressources naturelles et énergétiques convoitées par le monde entier. Alors qu’au Népal, en Birmanie, en Corée du Nord, au Yemen ou en Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan) où les despotes plus ou moins éclairés ne tolèrent aucune opposition et manipulent les élections, cette même communauté occidentale ferme ses yeux aux multiples atteintes aux règles élémentaires des droits humains. Une politique de deux poids deux mesures qui cache l’anguille sous roche. Il n’est pas étonnant de constater en Libye à l’instar de la RDC, le nombre des contrats d’exploitation du pétrole signés alors que le CNT n’était pas encore officiellement investi. Cela devrait interpeller plus d’un politicien congolais en cette période électorale.
Autant l’AFDL était confrontée à un problème de légitimité qui a ouvert la porte à l’éclatement de facto du pays dont le pays continue à avoir du mal à recoller comme il faut les morceaux, tout porte à croire qu’il sera difficile pour les conglomérats de groupuscules composant le CNT, parfois aux objectifs antinomiques, d’asseoir une légitimité consensuelle sur l’ensemble d’une Libye, géopolitiquement divisée entre l’Est et l’Ouest. On peut dès lors conclure, au-delà d’une opposition politique interne certaine à Kadhafi que les évènements de Libye, tout comme ceux ayant eu cours en RDC à partir de 1996, en 1998, en 2001 avec l’assassinat de LD Kabila, en 2006 et 2008 avec la neutralisation politique de JP Bemba et en 2011 en Côte d’Ivoire, sont des opérations planifiées de longue date par des puissances occidentales en plus d’être des insurrections armées dès le début. Ils n’ont rien de spontané et n’ont rien à avoir avec un soulèvement populaire, comme en Tunisie et en Egypte. Si la RDC pouvait cette fois-ci servir d’exemple au peuple Libyen.
Parlant de la RDC, il me semble important d’analyser brièvement les points de convergence de la manière dont trois de ses .présidents ont accéder au pouvoir, grâce au soutien de l’Occident et comme toujours après une période d’effusion de sang :
1. Mobutu : Répéré par la CIA et lorsqu’en 1954 il accède au grade de sergent, son bulletin militaire souligne son aptitude au Commandement : « Discipline : discipliné ; Ordre-propreté : ordonné- propre; Intelligence : très ouverte; Caractère : sociable ; Mention : excellent, convient pour le Quartier Général ». En dépit de son grade, MOBUTU subit pourtant quelques préparations dès avant l’indépendance. Il se rend plusieurs fois à Bruxelles puis à Cologne en Allemagne où était stationné le Contingent belge de l’OTAN. Il y assiste même à des manœuvres militaires et subit quelques formations. Lorsqu’en 1960, il est Chef d’état-major, la continuité de la mainmise de la puissance coloniale était garantie. En même temps, le manque d’officiers l’empêche de conserver effectivement le Commandement. L’ONU décide alors, pour des raisons géostratégiques, d’assister la nouvelle Armée congolaise mais sous la tutelle de l’OTAN et la suite nous la connaissons, tout comme sa fin, décidée d’avance par l’Occident. Souvenez-vous de la fameuse phrase du Ministre Belge Willy Claes qui déclara, tout au début de l’offensive de l’AFDL que « Mobutu était une créature du passé ». Ce qui vaut son pesant d’or en langage diplomatique.
2. Laurent Désiré Kabila : Placé à la tête d’une coalition hétéroclite, l’AFDL par le Rwanda et l’Ouganda, un rapport du service belge de renseignement militaire (SGR) classé « Cosmic » (haut degré de secret) décrit l’aide du ‘State Department’ américain à l’AFDL : Les Etats-Unis ont profité de la fin proche de Mobutu, ensuite, « la France allait essayer de récupérer le Zaïre et ses ressources, au détriment des belges et surtout d’éviter l’intervention des USA qui essaient d’avoir la mainmise sur l’Afrique francophone ». Selon, ce rapport, les Etats-Unis « ont alloué une aide financière secrète d’environ 100 millions de dollars…en mars 1996 », soit 6 mois avant le déclenchement de l’offensive de l’AFDL. Cela montre que les USA avaient planifié la chute de Mobutu, bien avant que n’apparaisse l’AFDL de Laurent désiré Kabila. D’ailleurs durant les combats, les éléments du général Mahele avaient tués deux conseillers militaires américains. L’aide militaire américaine consistait en valises de communication satellitaire, en armes (M-1, Kalachnikovs récupérés en Irak, artillerie légère ou mortiers en provenance des opérations précédentes : Grenade, Panama, Irak…). Tout ce matériel a été acheminé par la CIA par le biais de son antenne à Kigali. De plus, le rapport précise que durant la campagne, les satellites de la NSA (National Security Agency), la plus technologique des services américains spécialisés dans les écoutes et bien implantés dans toutes les représentations diplomatiques américaines dans le monde, ont constamment surveillé les déplacements des FAZ et des mercenaires (pour la plupart serbes engagés comme conseillers militaires par MM. Seti et Ngbanda). Enfin, ce rapport estime qu’un travail de sape parmi les militaires des FAZ a été fait par la CIA au Zaïre (promesse de récupération après la chute du Maréchal) et que « probablement une majorité d’officiers généraux et supérieurs, aient été achetés avant l’offensive, ce qui explique l’avance fulgurante des kadogos de Kabila ». A l’instar de Mobutu, la fin de Kabila était aussi planifiée, toujours par les mêmes faiseurs des rois, au moment où il s’est rappelé qu’il avait encore des tares nationalistes. Lorsqu’en fin 2000, je rencontrais celui que j’appelais affectueusement « Mzee Ismail » alors directeur à l’ANR-Extérieur en mission de service en Belgique, une source nous avait fourni l’information d’une action imminente contre son compagnon de lutte. Malheureusement, il n’aura pas l’occasion de remettre son rapport, qui aurait peut-être sauvé la vie au président, car mis en détention pour des motifs inconnus à son retour de mission à Kinshasa. Le ver était déjà dans le fruit et c’est durant son incarcération que Mzee Kabila sera froidement assassiné, après avoir dirigé le pays de la manière dont on connait.
3. Joseph Kabila : Les circonstances de son accession au pouvoir sont floues et son maintien au pouvoir en 2006 contre Bemba a bénéficié d’un plébiscite de cette même Communauté Internationale à la tête de laquelle le belge Louis Michel a joué un rôle déterminant. Sa présence à Lubumbashi à la mort de son père pourrait, selon un contact très fiable et bien introduit dans le gotha des services congolais et occidentaux de l’époque, n’est pas un fait anodin. Cela fait partie des manœuvres de diversion. Surtout que cela est arrivé après la défaite de Pweto et l’assassinat du Commandant Masasu, nationaliste farouchement opposé aux troupes rwandaises. Selon ce contact qui ne pouvait ni m’affirmer ni m’infirmer l’implication de Joseph Kabila dans l’assassinat de « Mzee », mais qui m’a certifié que Joseph Kabila était bien au courant de l’exécution de cette forfaiture planifiée dans certaines chancelleries occidentales et n’a rien fait pour l’empêcher. Pour préserver la sécurité d’autres contacts qui sont encore en activité en RDC, je préfère en rester là.
Tout ceci, pour inviter certaines élites congolaises, qui ont vite tendance à qualifier X ou Y, par le simple fait de s’être opposé à l’Occident durant un moment de leur vie, de héros, sans analyser le vrai parcours de ces pseudo-héros. On devrait d’abord, par exemple, chercher à comprendre les raisons qui ont poussé le « Che » à se désolidariser de Kabila et de Castro avant de se lancer hystériquement à attribuer des titres honorifiques à tout ce qui s’oppose à l‘Occident. Une question qui n’est malheureusement pas à l’ordre du jour dans la présente analyse technique.
Jean-Jacques Wondo
Analyste Politique Freelance, diplômé de l’Ecole Royale Militaire
Publié en octobre 2011 et revue en avril 2013