Les évènements et les phénomènes sociaux se succèdent tellement rapidement au Congo que si l’on ne se donne pas la peine d’en faire une lecture à la fois rétrospective et futuriste, on navigue à vue. Lors de l’accession de Félix Tshisekedi Tshilombo à la magistrature suprême, plusieurs compatriotes, même parmi des éminents professeurs d’université, avaient développé des théories pour qualifier cette alternance de passation pacifique et civilisée du pouvoir. Rares sont ceux qui s’étaient souvenus un seul instant que pour en arriver là, deux bonnes années (de 2016 à 2018) s’étaient inutilement écoulées, au cours desquelles de nombreuses vies humaines avaient été fauchées tandis que des cellules des établissements pénitentiaires avaient été remplies de paisibles citoyens dont le seul tort consistait à rappeler la fin normale du mandat présidentiel de Joseph Kabila et à réclamer la tenue des élections transparentes et crédibles à tous les niveaux.
Dans cette euphorie généralisée ne permettant pas de distinguer le diplômé d’université du commun des mortels, oser réfléchir à haute voix ou exprimer une opinion contraire au vent amené par la coalition FCC-CACH suffisait pour valoir à son auteur toutes sortes de qualifications et d’invectives, à défaut d’être carrément banni de certains cercles de relations sociales, souvent à base communautariste.
Quelques mois ont suffi pour que, peu à peu, certains esprits se réajustent et commencent à s’interroger sur la sincérité de l’allié FCC pendant que le Président de la République lui-même ne s’empêchait pas de vanter cette coalition et d’en faire la promotion à chacun de ses déplacements à l’extérieur du pays. La suite, on la connait : les deux camps se sont retrouvés à la fois et paradoxalement au pouvoir et dans l’opposition, s’accusant mutuellement de violer la constitution ou d’être à la tête du blocage de l’action gouvernementale. Comme il fallait s’y attendre, l’inévitable rupture est intervenue, candidement accueillie avec la même euphorie dans la mesure où, en lieu et place de la majorité FCC-CACH, le Chef de l’État annonçait la mise en place d’une union dite « sacrée » qui allait permettre de débarrasser la gouvernance nationale de tous les obstacles visibles et invisibles rencontrés durant les deux premières années du quinquennat en cours. Parmi les étapes, un informateur a été nommé, chargé d’identifier cette nouvelle majorité en vue de la mise en place d’un nouveau gouvernement.
Loin des polémiques politico-juridiques, qui désorientent plus qu’elles n’éclairent le peuple sur les enjeux, la présente analyse se veut une réflexion non partisane destinée à comprendre pourquoi cette ruée des Congolais vers la politique ainsi que les conséquences de la rupture de l’alliance FCC-CACH sur le reste du quinquennat en cours.

La politisation à outrance de la vie nationale
Depuis l’institutionnalisation du MPR, devenu l’unique institution du pays du pays en 1974, la politique politicienne a pris le dessus sur tous les secteurs de la vie nationale. Même dans les entreprises du secteur public, pour occuper un poste de responsabilité il faut être parrainé par un parti politique ou recommandé par un dignitaire du régime au pouvoir. Le multipartisme mal compris introduit en 1990 ainsi que les pillages de 1992 et 1993 ayant mis au chômage plusieurs cadres des entreprises tant privées que publiques, ceux-ci n’avaient d’autre alternative que de se convertir en acteurs politiques non pas pour servir la nation mais pour combler le vide professionnel.
A cause de la complaisance avec laquelle les partis politiques sont agréés, on en compte aujourd’hui près de 1000 (certains continuent d’être créés en fonction des enjeux du moment), dont la plupart ne sont implantés qu’à Kinshasa où les leaders, sans idéal précis ni idéologie clairement définie, n’ont pour activité principale que les déclarations dans les médias à l’intention de la communauté tant nationale qu’internationale. Pour ces « leaders » sans assise populaire à l’échelle nationale, l’ethnie ou tribu demeure l’unique base électorale, avec comme pour conséquence que les regroupements politiques leur permettent de s’exprimer et surtout de se positionner face aux enjeux qui se présentent. Habitués à être acteurs et bénéficiaires des crises politiques, ces leaders se retrouvent dans toutes les rencontres (concertations, négociations, consultations…) changeant de regroupements politiques au gré de leurs intérêts et toujours au détriment du peuple dont ils se réclament.
Pas étonnant que pendant 18 ans, Joseph Kabila ait réussi, sous diverses dénominations (AMP, MP, FCC) à exploiter l’inconstance et la légèreté des politiciens congolais pour obtenir l’allégeance des mobutistes, des lumumbistes, des tshisekedistes, des libéraux, des chrétiens-démocrates, des unitaristes, des fédéralistes, des sécessionnistes, d’anciens libérateurs de l’AFDL, d’anciens rebelles et d’anciens mai-mai ; tous guidés part le même espoir de se retrouver aux premières loges en cas de distributions du gâteau. Le contexte et le moment étaient-ils propices pour que Félix Tshisekedi expérimente la même recette en proposant la création de l’Union sacrée ?
De l’alliance FCC-CACH à la fusion hétéroclite dénommée « Union sacrée »
A défaut pour le PPRD et alliés d’absorber complètement l’UDPS comme ce fut le cas en 2006 avec le PALU, tout a été mis en œuvre pour fragiliser ce parti en débauchant progressivement en son sein et tout autour, parmi ses alliés de l’opposition. Pour cela, et en violation des règles constitutionnelles, les deux derniers Premiers Ministres du régime de Joseph Kabila, Samy Badibanga et Bruno Tshibala, tous issus de l’UDPS, ont permis à Joseph Kabila de réussir son glissement non sans avoir occasionné un véritable séisme au sein de l’opposition. Avec juste un Président de la République, privé d’une majorité au Parlement, l’UDPS a dû composer avec son bourreau pour une gouvernance d’avance vouée à l’échec malgré l’optimisme de ceux qui n’osaient affronter la réalité par fanatisme ou par toutes sortes de raisons dépourvues du bon sens.
Comme conséquence de ce jeu de cache-cache maintes fois dénoncé par des observateurs avertis, deux ans du quinquennat n’ont permis aux alliés d’hier qu’à distraire le peuple avec des querelles les plaçant curieusement et à tour de rôle dans la position de gouvernants et d’opposants. Mais le temps, que personne ne peut arrêter et auquel personne ne peut infiniment résister sans conséquences, a fini par exploser et cracher tout ce qu’on voulait cacher au souverain primaire : l’incompatibilité de vision entre les alliés et la rupture logique du mariage contre nature autrefois vanté comme l’exemple à revendre dans le reste de l’Afrique. Comme conséquence de cette rupture, on assiste aujourd’hui à une sorte de révolution, baptisée « Union sacrée » et censée faire basculer, sans nouvelles élections, la majorité parlementaire jusque-là détenue par la famille politique de Joseph Kabila. L’affluence des députés FCC et des autres regroupements politiques ne suffit pas pour autant à conférer à cette union le caractère sacré qu’on lui colle. Le poids de l’UDPS, parti présidentiel, au sein de cette nouvelle majorité est en réalité insignifiant pour permettre au Chef de l’État de collaborer sereinement avec un gouvernement hétéroclite composé des membres ayant des agendas divergents ?

Union sacrée : une révolution mal partie et inachevée
Si l’on avait un peuple politiquement mûr et soutenu par les principaux partis de l’opposition, le régime de Joseph Kabila ne serait pas allé au-delà des deux mandats constitutionnellement prévus et n’aurait pu organiser la parodie d’élections à l’issue desquelles plusieurs députés, pour la plupart nommés, ont constitué une majorité aussi arithmétique qu’antidémocratique. De ces députés et du gouvernement qui en était l’émanation, il était chimérique d’attendre qu’ils défendent les intérêts du peuple d’une part, et qu’il gère le pays en parfaite concertation avec le Président de la République d’autre part. Ce à quoi on assiste aujourd’hui se veut en réalité une révolution tendant à effacer, mieux à déboulonner le système Kabila, qui était fait d’hommes et de femmes sans la contribution desquelles ce système ne serait pas allé au-delà d’un mandat. Un grand pas a été certes franchi avec la destitution du bureau de l’Assemblée nationale, suivie de celle du Premier ministre avec tout son gouvernement. A défaut de faire table rase en balayant toute la classe politique pour être parfaite, cette révolution aurait pu tout au moins se débarrasser de ses principaux ténors que le peuple n’aimerait plus revoir à la tête ou au sein des institutions de la République. Chose difficile à réaliser dans la mesure où, pour la constitution de l’union sacrée, le Chef de l’État lui-même n’a apparemment besoin que du nombre et non de la qualité. C’est pourquoi, aucun critère n’ayant été fixé au préalable, la porte a été grandement ouverte pour le déversement dans l’union sacrée de ceux qui devraient en être exclus pour les mêmes raisons qui ont prévalu à la rupture de l’alliance FCC-CACH ainsi qu’à l’idée de créer l’union sacrée. DU coup, certains ténors du FCC, qui ne juraient que par Kabila, ont même le culot de se proposer propagandistes de Félix Tshisekedi pour 2023.
Plutôt que d’applaudir aveuglement l’identification rapide de cette majorité arithmétique en plein exercice, tout observateur averti devrait s’interroger sur les motivations qui animent la plupart des membres de cette parodie de révolution. En effet, dans ce pays où la politique est considérée comme une carrière juteuse, il aurait été impensable que des députés mal ou pas du tout élus laissent passer l’opportunité leur offerte de conserver leur mandat jusqu’en 2023 en lieu et place de la dissolution de l’assemblée nationale aux conséquences individuellement désastreuses pour leur avenir politique et leur survie sociale.
S’agissant de certains leaders dont les mots d’ordre donnés aux députés de leurs partis ont largement contribué à faire tomber le bureau de l’Assemblée nationale et le gouvernement, il est important de souligner qu’ils avaient chacun des comptes à régler avec Joseph Kabila et qu’en récompense ils espèrent le retour de l’ascenseur lorsque viendra le moment de redistribuer les cartes en fonction du poids réel ou apparent de chacun. C’est le cas de Moïse Katumbi, de Jean-Pierre Bemba, de Modeste Bahati et de tant d’autres personnalités dont l’adhésion, plus hypocrite que sincère, à l’union sacrée est applaudie sans la moindre critique alors qu’elle ne permet qu’à positionner les acteurs politiques au détriment du peuple.
L’État de droit étant antinomique avec l’esprit révolutionnaire, on assiste chaque jour à des interprétations contradictoires et sentimentales de la constitution et du règlement intérieur de l’Assemblée nationale notamment en ce qui concerne le mandat du député national par rapport à la notion universelle de la discipline du parti. Comme conséquences, dans un même parti des députés sont restés fidèles au FCC (désormais non reconnu comme regroupement politique) tandis que d’autres se sont identifiés membres de l’union sacrée (qui n’a aucune base légale). C’est dans cette même confusion que sur base du même règlement intérieur certains candidats pour le bureau de l’assemblée de nationale ont vu leurs candidatures rejetées au motif qu’ils n’ont pas été recommandés par leur partis politiques. L’ambiance triomphaliste, aux allures théâtrales, observées ces deniers jours aux Palais du peuple et dans la ville de Kinshasa n’est pas de nature à garantir l’instauration et la consolidation de l’État de droit et de pratiques démocratiques.
D’un côté, le Président de la République voudrait à tout prix avoir une majorité acquise à sa vision, mais sur le terrain, les biceps ont été déployés par des candidats uniques battant campagne dans et hors du Palais du peuple comme s’il agissait d’une nouvelle législature. Les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets, il n’est ni méchant ni exagéré de prédire que dans l’avenir pareille situation serve de précédent fâcheux. Déjà, l’on entend çà et là même certains « universitaires » justifier ce qui se passe en invoquant les pratiques décriées et combattues sous le régime précédent. Rien ne garantit en effet que ces mobutistes/kabilistes (véritables chevaux de Troie), rompus dans l’art du vagabondage politique, ne seront pas de fusibles à faire sauter d’ici 2023 pour que l’union sacrée vole en éclats et qu’on revive la même situation de pouvoir illégitime. Il suffira pour cela que la formation du gouvernement ne rencontre pas leur espérance ou encore que la justice traque et sanctionne tous ces criminels qui cherchent refuge dans l’union sacrée pour que celle-ci s’écroule comme un château de cartes.
Conclusion
Tous les observateurs objectifs s’accordent à constater la volonté du Président Tshisekedi d’en découdre avec le système de son prédécesseur. Des actes visibles ont été posés qui témoignent de cette volonté. Deux ans de querelles de ménage ont eu raison d’une alliance contre nature imposée au souverain primaire sans le consulter. De même la rupture est intervenue sans consulter le peuple, qui applaudit aveuglement tout ce qui lui est proposé, y compris le retour de ses bourreaux qui ne se sentent pas tenus de rendre compte. Depuis octobre 2020, le pays vit sans gouvernement et à cause d’une union dite sacrée d’où sortirait le gouvernement issu d’une majorité recomposée qui n’est assimilable ni à l’État de droit ni encore moins à une révolution.
Avec des membres FCC identifiés dans l’union dite sacrée et d’autres dans l’opposition, il s’agit là d’une nouvelle souche de FCC plus résistante et allergique aux réformes et à la pratique démocratiques. Le droit n’étant plus suffisant comme solution là où la politique a montré ses limites, des négociations risquent de durer plus longtemps encore pour chercher à équilibrer les rapports de forces, au détriment du peuple. Il faut une grande résilience de la part des vrais intellectuels et des vrais patriotes pour qu’ils s’interrogent sur le rôle qui doit être le leur dans un pays majoritairement peuplé d’analphabètes. On ne gouverne pas le pays avec des aigris, dans un esprit revanchard ou dans une ambiance triomphaliste. Nous serons tous comptables devant nos enfants et nos petits-enfants. Aux politiciens, 2023 s’approche, quel bilan donnerez-vous à vos électeurs ?
Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend
Juriste & Criminologue
One Comment “L’Union sacrée de la nation : une nouvelle souche du FCC – JB Kongolo”
Nsumbu
says:Cher Compatriote Kongolo,
Toutes mes félicitations ! J’ai rarement lu de la plume d’un Congolais une critique aussi fondée et documentée à l’endroit (de la gestion) d’un pouvoir en place alors que celui-ci et une bonne partie de la population célèbrent son triomphe sans coup férir. Il fallait oser démontrer de bonne foi
que malgré son exploit de l’éradication en cours d’un ancien système honni, une lecture attentive révèle que ses bases telles qu’on les voit risquent fort de conduire l’Union sacrée à une réalité qui s’apparente à une nouvelle souche de FCC plus résistante et allergique aux réformes et à la pratique démocratiques dont les conséquences ne sont peut-être pas celles que nous souhaitons. Nous serons tous comptables devant nos enfants et nos petits-enfants, surtout ceux qui parmi nous avons le potentiel d’être des intellectuels, une élite intellectuelle et politique devant servir d’éclaireurs et d’avant garde mais en attendant osons espérer que quelques ayants-droit au pouvoir et dans ses coulisses vous auront lu et chercheront à en tirer des leçons pour une meilleure gouvernance du pays.
Encore merci et félicitations pour votre analyse combien pertinente !