Le 9 décembre 2019, le Conseil européen a décidé du maintien des sanctions qui visent depuis décembre 2016 et mai 2017 plusieurs personnalités congolaises accusées de graves violations des droits de l’homme et d’entrave au processus électoral. Ces sanctions visent plusieurs proches de Joseph Kabila, l’ancien président congolais. Ces « mesures restrictives individuelles » – le gel des avoirs et l’interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire de l’UE – concernent douze d’entre elles. Le Conseil avait levé ses sanctions à l’encontre de Lambert Mende, l’ancien-porte-parole du gouvernement, et de Roger Kibelisa, l’ex-responsable de la sécurité intérieure au sein de l’ANR.
Plusieurs personnes sanctionnées avaient contesté la procédure de sanction et la légalité de ces mesures restrictives. Quinze d’entre elles, sauf le chef de milice Bakata-Katanga Gédéon Kyungu Mutanda, ont recouru aux services de Maître Thierry Bontinck pour qu’elles soient entendues par le Conseil de l’UE « lorsqu’il y a renouvellement des sanctions »[1]. Une procédure de recours a été introduite le 13 février 2020 auprès du tribunal de l’Union européenne. Mais le tribunal de l’UE a rejeté, dans une décision du 12 février 2020, les recours déposés, en mars 2018, par les collaborateurs de l’ancien président[2].
La présente tribune appelle le Conseil européen à prolonger ces mesures restrictives individuelles en vue de soutenir le processus électoral pris en otage par le parlement congolais acquis à Joseph Kabila contre la volonté populaire et d’accompagner les réformes démocratiques en RDC.
Une alternance de cohabitation insolite et fragile
Depuis janvier 2019, la RDC expérimente une alternance politique inédite de son histoire contemporaine. Le président Félix Tshisekedi succède à Joseph Kabila après des élections dont les résultats ont été contestés par plusieurs observateurs indépendants dont l’église catholique congolaise[3]. L’originalité de cette alternance au pouvoir, qui ne l’est pas vraiment au sens propre du terme telle qu’on l’entend en politique, est que le président Félix Tshisekedi est contraint de partager le pouvoir avec le camp de son prédécesseur, Joseph Kabila, qui garde la mainmise sur presque l’ensemble des institutions de la République[4]. C’est une situation originale que d’aucuns qualifient de cohabitation insolite[5]. Cette situation engendre la réalité que Joseph Kabila continue d’avoir une influence sur les domaines régaliens dont l’armée, la police et les services de sécurité. La sociologie politique militaire africaine renseigne que le contrôle de l’armée par le président reste capital pour l’exercice effectif de son « impérium » dans la direction des activités de l’Etat[6].
Le mandat du président Tshisekedi a débuté avec des signaux jugés plutôt positifs en termes d’amélioration de la situation des droits humains. Cependant, depuis plus d’un an, les partenaires au pouvoir, le Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme dirigée par Kabila, et le Cap pour le Changement (CACH), la plateforme dirigée par Tshisekedi, entretiennent des rapports assez tendus marqués par plusieurs accrochages politiques et actes de violence réciproques qui rendent la situation politique et sécuritaire de la RDC très volatile. Ces actes provoquent une crise politique et institutionnelle grave sur laquelle se greffe une situation sécuritaire alarmante sur l’ensemble du territoire congolais, occasionnant de graves violations des droits humains. Cela présente le risque de plonger la RDC dans un chaos profond qui anéantira tous les efforts de stabilisation entrepris par la communauté internationale – dont l’Union européenne qui s’est particulièrement investie dans la réforme des services de sécurité – depuis deux décennies.
Comme on peut le constater sur le terrain, l’équilibre institutionnel du nouveau régime en RDC penche encore fortement en faveur de Joseph Kabila, dont les réseaux de contrôle politique, économique et militaire semblent être restés largement intacts[7]. Malgré les tentatives de Tshisekedi de reprise en main de l’armée, les nominations intervenues dans les fonctions de commandement de la Garde républicaine, l’unité de protection et sécurité présidentielle, en avril 2020[8] et de l’armée en juillet 2020 consacrent plutôt le statu quo favorable à Kabila dans un subtil jeu de chaises musicales[9]. Même si certaines personnes sanctionnées n’exercent plus des fonctions visibles, le système parallèle et informel mis en place par Kabila montre qu’elles restent encore très actives aujourd’hui, notamment dans les violations des droits humains[10].
Dégradation inquiétante de la situation des droits humains
Selon un communiqué de Human Rights Watch : A Lubumbashi, « la découverte macabre de cadavres jetés dans la rivière quelques jours après une manifestation politique constitue un avertissement glaçant au sujet de la liberté d’expression en RD Congo (…) Dans un contexte de vives tensions politiques, aucune piste ne doit être négligée et les autorités devraient poursuivre la recherche de la justice, où que l’enquête les mène. »[11]
Le 8 juillet, des membres du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de l’ancien président Joseph Kabila et des partisans de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de Tshisekedi – qui font tous deux partie de la coalition au pouvoir – se sont affrontés dans les rues de Lubumbashi. Le 9 juillet, des manifestations massives se sont déroulées dans plusieurs villes, en protestation contre la validation hâtive par l’Assemblée nationale d’un nouveau président à la tête de la commission électorale nationale indépendante. Plusieurs sources ont confirmé qu’au moins 16 personnes avaient été arrêtées et placées en détention dans une concession de la 22e région militaire à la suite des manifestations à Lubumbashi. Le 12 juillet, le cadavre de Dodo Ntumba, 49 ans, a été retrouvé flottant sur la rivière Lubumbashi. Le 13, les corps de Mardoché Matanda et Héritier Mpiana, tous deux âgés de 18 ans, ont été repêchés de la rivière. Le 3 août, les membres de la famille de Danny Kalambayi, 29 ans, ont reconnu son corps à la morgue, près d’un mois après l’avoir vu pour la dernière fois. Des témoins ont affirmé à Human Rights Watch que les quatre cadavres présentaient des traces de coupures et de mutilations, qui pourraient être le résultat d’actes de torture. Ils étaient tous membres du parti de Félix Tshisekedi[12].
L’incursion de miliciens armés sécessionnistes katangais du MIRA (Mouvement des Indépendantistes Révolutionnaires Africains), le 26 septembre 2020 dans la ville minière Lubumbashi, deuxième ville de la RDC, causant plusieurs morts[13], est un indice de la dégradation de la situation sécuritaire très inquiétante au Katanga, poumon économique du Congo.
Le rapport du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH), publié le 5 août 2020, indique qu’entre janvier et juin 2020, le BCNUDH a documenté 4.113 violations et atteintes aux droits de l’homme sur l’ensemble du territoire de la RDC, soit une augmentation de 17% par rapport au semestre précédent (juillet-décembre 2019) et de 35% par rapport à la même période l’année dernière (janvier-juin 2019). Le Bureau conjoint signale une détérioration de la situation des droits de l’homme dans les provinces en conflit, en particulier l’Ituri, le Sud-Kivu, le Tanganyika et le Nord-Kivu, à cause de l’activisme des groupes armés. Sur le terrain, les Nations unies ont documenté près de 43% des violations imputables aux agents de l’Etat, responsables des exécutions extrajudiciaires d’au moins 225 personnes, dont 33 femmes et 18 enfants, sur l’ensemble du territoire national. Cette tendance à la hausse s’explique notamment par un grand nombre d’arrestations arbitraires et de détentions illégales ainsi que de violations du droit à la liberté d’expression. Y compris dans le cadre de la mise en œuvre des mesures liées à l’état d’urgence sanitaire, par des policiers et des militaires des FARDC[14]. On assiste actuellement un peu partout en RDC à une augmentation des actes d’arrestations arbitraires envers les politiciens, les acteurs de la presse, des défenseurs des droits de l’homme, des activistes des mouvements citoyens, etc.
Si nous invitons le Conseil de l’Union européenne à maintenir les sanctions pour le même groupe, c’est entre autres parce que, depuis que ces mesures restrictives ont été prises par l’Union Européenne, aucune action judiciaire ou disciplinaire crédible, à charge et à décharge des personnes incriminées, n’a été intentée à leur encontre. Au contraire, certaines de ces personnes ont été promues à des fonctions politiques ou militaires de premier plan. D’autres, par contre, continuent de tirer les ficelles malgré leur retrait apparent de certaines fonctions politiques, militaires et sécuritaires en vue. En effet, ces personnes sont d’ailleurs plus actives et incontrôlables dans l’ombre car ayant les mains libres pour réactiver leurs réseaux sécuritaires informels.

1. Le général d’armée Gabriel Amisi Kuumba « Tango Four » : Inspecteur général des FARDC
Malgré plusieurs griefs qui lui sont reprochées, notamment dans l’instrumentalisation de l’insécurité à l’est, en Ituri et à Beni, le général Amisi Tango Four, officier très loyal à Joseph Kabila, a été promu en juillet 2020 au grade de général d’armée, grade le plus élevé des FARDC et nommé en même temps au poste d’Inspecteur général des FARDC. Une fonction administrative dont le stratagème serait d’influencer la future décision du Conseil européen alors qu’en tant qu’ancien numéro deux de l’armée, il a mis en place un réseau composé de forces de réactions rapides, il s’agit notamment des 41ème, 42ème et 43ème bataillons de l’Unité de réaction rapide (URR), ne répondant qu’à son commandement. De ce fait, le général Gabriel Amisi Kumba reste la cheville ouvrière du dispositif sécuritaire et répressif parallèle de l’ancien président Joseph Kabila en cas de confrontation politique défavorable à ce dernier. Selon une source des renseignements militaires congolais, le général Amisi a mis en place une structure parallèle des renseignements militaires et des unités spéciales qui échappent au contrôle du chef d’état-major général. Cette structure mène parfois des opérations militaires à l’insu des structures opérationnelles officielles déployées à l’est de la RDC.
2. Le général d’armée John Numbi Banze
Actuellement sans fonction militaire officielle, le général d’armée John Numbi s’est replié dans son ranch à Lubumbashi où il reste très actif dans la manipulation des groupes armés proches des Bakata-Katanga. En effet, les maï-maï Bakata-Katanga sont regroupés au sein des deux structures appelées CORAK et MIRA. Selon nos différentes sources militaires au Nord-Katanga, ces deux organisations sont pilotées en sous-mains par le général John Numbi, qui en est en quelque sorte l’autorité morale.
Selon une source des renseignements militaires congolais, John Numbi a mis en place une structure parallèle des renseignements militaires et des unités spéciales qui échappent au contrôle du chef d’état-major général et qui dépend directement de Kabila. Cette structure mène parfois des opérations militaires à l’insu des structures opérationnelles officielles déployées à l’est de la RDC.
En effet, John Numbi, déchargé de ses fonctions officielles comme entre 2010 et 2018, s’est actuellement réinstallé librement au Katanga, désobéissant à sa hiérarchie militaire qui l’a rappelé à Kinshasa. C’est au Katanga qu’il avait installé le dispositif sécuritaire en 2015 pour neutraliser le réseau d’influence de l’opposant Moïse Katumbi. C’est là qu’il continue également de coordonner et de suivre tranquillement les opérations clandestines de ses forces militaires parallèles (les éléments des anciens bataillons Simba et Cobras)[15]. Numbi est plus dangereux sans fonction qu’avec une fonction officielle aux compétences limitées où il peut être suivi et contrôlé[16].
3. Ilunga Kampete : Commandant de la base de Kitona au Kongo-Central
Le lieutenant-général Gaston-Hughes Ilunga Kampete est un katangais qui manifeste une loyauté à Joseph Kabila au point qu’il a entretenu des relations peu cordiales avec le président Félix Tshisekedi alors qu’il commandait la Garde républicaine chargée de la sécurité présidentielle. Il a été nommé en juillet 2020 au poste de commandant de la base de Kitona, la plus grande base militaire de l’ouest du pays proche de la capitale et capable d’y agir en cas de troubles. Kampete continue de bénéficier d’impunité alors que les éléments sous son contrôle ont violemment réprimé les manifestations populaires contre le régime de Kabila organisées en janvier 2015 et en septembre 2016 à Kinshasa. Au cours des événements du 19 septembre 2016 à Kinshasa, nous avons pu nous entretenir par téléphone avec un haut gradé de la police congolaise qui a requis l’anonymat. Il nous a avoué que « ceux qui massacrent gratuitement la population dans les rues de Kinshasa ne sont pas de policiers. Ce sont des tueurs de la GR qui proviennent majoritairement du 15ème régiment commando de la GR, à majorité katangaise. Quel gâchis pour la République ! »[17]
4. Kalev Mutondo : ancien Directeur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR)
L’ancien directeur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR), le puissant service de sûreté de l’Etat sous Kabila, a été considéré pendant longtemps comme l’homme de confiance de Joseph Kabila et le deuxième homme fort du pays avant l’accession de Félix Tshisekedi au pouvoir. C’est autour de lui que toutes les stratégies de répression des contestataires de Kabila ont été planifiées, exécutées et supervisées. Il est actuellement sans fonction, mais reste très actif dans l’ombre grâce à un puissant réseau d’agents de renseignements qu’il a tissé dans les services de sécurité civile et militaire de la RDC. Kalev Mutondo a été interpellé le 12 février 2020 par les agents de la DGM à l’aéroport international de Ndjili alors qu’il revenait d’une mission secrète de l’Ouganda où il a pris contact avec les rebelles de l’aile du M23 réfugiée en Ouganda et qui a tenté en début 2019 de se réorganiser pour mener quelques incursions en RDC. Il y aurait aussi contacté les émissaires du général dissident rwandais Faustin Kayumba Nyamwasa qui mène une rébellion, RNC[18] contre le régime rwandais de Paul Kagame, au départ des plaines de la Ruzizi au Sud-Kivu[19]. Kalev Mutondo reste impuni sur le plan judiciaire congolais et demeure un élément déstabilisateur du fragile processus de normalisation politique en RDC.
5. Le général de brigade Eric Ruhorimbere : Commandant du secteur opérationnel du Nord-Equateur
Le général Eric Ruhorimbere a pris une part active dans les rébellions qui ont secoué l’est de la RDC depuis 1998. Il a joué un rôle de premier plan en tant que chef des opérations dans les massacres commis au Kasaï pour avoir ordonné à ses troupes de faire un usage excessif de la force et d’ordonné des exécutions sommaires commises par ses militaires dans le Grand Kasaï[20]. Ruhorimbere n’est à ce jour nullement inquiété par la justice militaire congolaise. Ruhorimbere est actuellement commandant du secteur opérationnel Nord-Ubangi (ex-Equateur). Une zone jugée comme étant le fief de l’opposant Jean-Pierre Bemba. Depuis son arrivée dans la zone, on note une recrudescence des actes de répression des populations locales et de violations des droits humains par les éléments de l’armée, notamment à Gemena.
6. Le Commissaire Ferdinand Ilunga Luyoyo de la Police Nationale congolaise (PNC)
Le commissaire Ferdinand Ilunga Luyoyo est un proche du général John Numbi, tous les deux originaires du territoire de Malemba–Nkulu de la province du Haut-Lomami. Ilunga Luyoyo est un ancien commandant de l’ex-redoutable bataillon Cobra de la PNC. Il a aussi commandé le 5ème bataillon de la Légion nationale d’intervention de la police congolaise (LENI), l’ex-Police de réaction rapide, devenue l’unité spéciale anti-émeute, avant de devenir le 14 juillet 2015 le commissaire supérieur principal de la LENI entre 2015 et 2017. Son unité était très impliquée dans la répression disproportionnée des manifestations populaires de janvier 2015 et de septembre 2016 à Kinshasa. Ses troupes étaient directement impliquées dans l’usage illégal, injustifié, excessif et disproportionné de la force, utilisant généralement des moyens létaux comme des armes lourdes (lance-roquettes, grenades, etc.)[21]. C’est le cas notamment lors de la répression des manifestations publiques de janvier 2017 à janvier 2018, causant notamment la mort du jeune activiste Rossy Mukendi Tshimanga et de Thérèse Deshade Kapangala, une jeune aspirante à la vie religieuse criblée de balles pendant qu’elle tentait de sauver la vie d’une petite fille victime des gaz lacrymogènes lancés par la police.
Dans l’espoir de lever les sanctions internationales prises en son encontre et en vue de montrer qu’il ne dirige plus les unités opérationnelles répressives, Kabila a nommé Ilunga Luyoyo comme Commandant de l’Unité de protection des Institutions et de Hautes personnalités. Mais en décembre 2019, Ilunga Luyoyo a été suspendu de ses fonctions pour avoir agressé et blessé un avocat à Lubumbashi. Toutefois, aucune action judiciaire interne n’a été intentée contre lui dans le cadre des actes de graves violations des droits humains et de répressions disproportionnées commis par les troupes placées sous sa responsabilité hiérarchique et opérationnelle directe. En outre, Luyoyo continue d’exercer une fonction hautement politisée de président de la Fédération congolaise de boxe.
7. Inspecteur divisionnaire Célestin Kanyama Cishiku, dit « Esprit de mort » : Directeur général des écoles de formation de la PNC
Célestin Kanyama est un ancien commissaire de police provincial de Kinshasa. Responsable d’une grande partie des répressions des manifestations pacifiques à Kinshasa entre janvier 2015 et juillet 2017, est actuellement directeur à la de la Direction générale des écoles et formation. Human Rights Watch avait pointé sa responsabilité directe dans l’Opération Likofi menée contre le banditisme urbain dans la capitale qui s’est déroulée de novembre 2013 à février 2014. Lors de cette opération, Kanyama avait personnellement mené des actions et donné des ordres sur la conduite de l’opération, ce qui a entraîné de nombreux abus graves. Les policiers participants ont exécuté sommairement au moins 51 jeunes hommes et adolescents et ont fait disparaitre 33 autres[22].
Il n’est pas exclu qu’en tant que commandant des écoles de police, Kanyama continue à y concevoir des modules de formation axés sur la répression brutale et violente des manifestations, suivant des techniques de guérilla anti-urbaine qu’il a utilisées sur le terrain dans le but de terroriser la population. En septembre 2018, six corps sans vie des jeunes, portant des traces de balles, ont été retrouvés dans le fleuve Congo[23]. Plusieurs sources concordantes accusent les unités spéciales de la police d’être responsables de ces meurtres. Nous recommandons le maintien mesures restrictives de l’UE contre le général Kanyama aussi longtemps qu’il ne sera pas traduit devant les juridictions judiciaires de la RDC.
8. Evariste Boshab Mabudj-ma-Bilenge
Ancien Vice-Premier ministre congolais et Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité du 7 décembre 2014 au 14 novembre 2016, Evariste Boshab reste impliqué dans l’escalade armée qui a secoué le Kasaï entre 2016 et 2017. Ces incidents ont notamment occasionné l’assassinat des deux experts des Nations unies en mars 2017, dont le procès bâclé tend à dédouaner les hauts responsables politiques et sécuritaires indexés dans plusieurs enquêtes indépendantes.
Un rapport publié le 17 juillet 2018 par le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) de l’Université de New invite le gouvernement congolais à « enquêter sur l’implication des autorités provinciales et nationales dans le soutien des milices » dans le conflit qui a fait plus de 3 000 morts entre septembre 2016 et juillet 2017 au Kasaï », dans le centre de la RDC. Alors que l’insurrection « était extrêmement brutale, la réponse militaire étroite et disproportionnée du gouvernement a aggravé la crise », note ce rapport. Selon le GEC, « le conflit au Kasaï a vu de nombreux politiciens – dont Evariste Boshab, Hubert Mbingho, Maker Mwangu et Alex Kande – manœuvrer pour des positions d’intermédiation entre conflits “locaux” et pouvoir politique “national ». M. Boshab était ministre de l’intérieur lors du déclenchement du conflit. Selon une enquête minutieuse menée conjointement par RFI et Reuters sur la base d’éléments issus du dossier d’instruction de la justice militaire congolaise, fruit d’une coopération avec l’ONU. A ce jour, ces pièces n’ont jamais été mentionnées ni au cours du procès ouvert en RDC, ni dans le rapport d’un comité d’enquête mis sur pied par les Nations unies[24].
Plusieurs sources indiquent qu’il continue d’entretenir des milices locales, notamment parmi les anciens jeunes réfugiés congolais en Angola rapatriés en RDC. Ces miliciens pourraient être réactivées à tout moment en cas de détérioration de la situation politique nationale et sécuritaire ai Kasaï en défaveur de son camp politique. D’où l’importance de prolonger les sanctions actuelles contre Boshab.

9. Emmanuel Ramazani Shadary : Secrétaire permanent du PPRD, le parti de Joseph Kabila
Candidat malheureux à la présidentielle de 2018, Emmanuel Ramazani Shadary a été ministre de l’Intérieur lors des massacres du Kasaï. Sa responsabilité est également pointée dans l’assassinat des deux experts de l’ONU, Zaida Catalan et Michael Sharp, le 12 mars 2017. L’homme est réputé pour proférer des menaces de violence envers la population et les contestataires de son camp politique. Lors de l’installation du comité de la Ligue des femmes du PPRD, en janvier 2020, Shadary avait déclaré que son parti est prêt à paralyser le pays si malheur arrivait »au patron de la Gécamines, Albert Yuma, placé sous contrôle judiciaire dans l’affaire dit 200 millions d’euros. En effet, dans une courte vidéo d’une minute, devant la présidente de l’assemblée nationale et quelques militants de PPRD Emmanuel Shadari déclare ceci en lingala : « Ils font tout pour donner la faute à Albert Yuma enfin de le rendre coupable mais si aujourd’hui quelque chose de mal arrivé au PCA, je vais donner un mot d’ordre et nous allons paralyser ce pays »[25]. Ceci est révélateur de l’état d’esprit belliqueux de Ramazani Shadary qui fait fi des sanctions internationales prises en son encontre.
10. Alex Kande Mupompa
Alex Kande Mupompa est l’ancien gouverneur du Kasaï-Central lors des massacres du Kasaï. Dans son livre « Les massacres à huis clos dans le grand Kasaï », Germain Joseph Muanza Kambulu cite Alex Kande comme étant un des responsables de l’assassinat du chef coutumier Jean-Pierre Mpandi des Kamuina Nsapu[26]. Elu député provinciale en 2018, Alex Kande a renoncé à son siège à l’assemblée provinciale du Kasaï Central en octobre 2019. Porteur de la nationalité belge, il voudrait mettre en avant ce statut pour échapper au renouvellement des sanctions décidées en son encontre alors qu’aucune action judiciaire n’a été intentée à son encontre dans l’affaire des massacres du Kasaï.
11. Jean-Claude Kazembe Musonda
Ancien gouverneur du Haut-Katanga entre 2015 et 2017, Jean-Claude Kazembe a été sanctionné pour sa responsabilité dans les dérives sécuritaires et les violations des droits humains dans le Haut-Katanga. Membre du FCC de Kabila, Kazembe tient actuellement un discours insidieux aux relents communautaristes dans le Katanga contre les partisans de Tshisekedi, majoritairement d’origine Luba du Kasaï.
Conclusion
La situation politique et sécuritaire générale du pays reste très incertaine, tant aucune action judiciaire n’est menée à l’encontre de ces personnes. Malgré quelques signaux positifs émis actuellement par la justice congolaise, notamment dans la lutte contre la corruption, le pouvoir judiciaire congolais reste encore fortement dépendant du pouvoir politique et plusieurs responsables politiques et sécuritaires sous la présidence de Joseph Kabila impliqués dans les graves violations des droits humains. Le camp politique de Joseph Kabila bloque les initiatives des réformes électorales visant à consolider le processus démocratique en développant des stratégies de conservation et de contrôle du pouvoir. C’est ce que constate l’expert électoral Alain-Joseph Lomandja. « Il suffit de constater pour l’instant la difficulté de telles réformes de fond dans un cadre institutionnel verrouillé par l’ancien pouvoir. En effet, toutes les réformes nécessaires (CENI, loi électorale, etc.) dépendent du Parlement, actuellement majoritairement acquis au camp de l’ancien Président, responsable de la prise en otage du dernier processus électoral. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle actuelle est également sous le contrôle des partisans de l’ancien Pouvoir. Et, si on s’en tient aux dispositions de l’article 10 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante, la future CENI sera également contrôlée par les partisans de Joseph Kabila qui détiennent une majorité de fait à l’Assemblée Nationale. Ainsi donc, sans un sursaut républicain, aucune réforme d’envergure ne pourra passer »[27]. Et de constater que le FCC est en train de rééditer la même stratégie qu’en 2018[28].
Enfin, il sied de rappeler que le cycle électoral complet n’étant pas encore achevé (il reste encore les municipales et les communales), la logique voudrait que les sanctions UE soient maintenues durant le cycle entier, sachant que le risque de trucage, de sabotage ou de report sine die de ces élections reste élevé. A ce jour, aucun acte concret posé par le nouveau régime ne démontre sa détermination à vouloir organiser des élections justes, transparentes et en toute légalité, sans corruption ni violations des droits de l’homme, avec une CENI apolitique et remaniée de sorte à éviter de graves irrégularités et de nouvelles crises de légitimité des autorités dans le futur[29].
Sur le plan judiciaire interne congolais, à l’exception du procès – toujours en cours – du meurtre des deux experts de l’ONU au Kasaï, l’État congolais n’a entrepris aucune investigation sur tous ces massacres et la justice congolaise n’a ouvert aucune enquête sur ces graves allégations de violation des droits humains. Les victimes ne voient donc aucune procédure judiciaire interne contre leurs bourreaux qui sont actifs au sein des institutions publiques (Assemblée nationale, Sénat, entreprises publiques, etc.). Qui plus est, le trésor public congolais débourse mensuellement des honoraires d’avocats qui défendent des particuliers dans leur volonté d’obtenir la levée des sanctions[30].
Ainsi, lever les sanctions qui pèsent sur les personnes citées plus haut serait un signal négatif pour l’UE perçu par les congolais comme une prime l’impunité en RDC. Nous ne relevons aucun élément nouveau à leur décharge qui plaiderait actuellement en leur faveur. Par conséquent, DESC encourage l’Union européenne à maintenir la pression sur la RDC, en prolongeant le régime actuel des sanctions à l’égard des personnes ci-haut mentionnées pour leur rôle néfaste dans les violations graves des droits humains et pour entrave au bon déroulement d’un processus électoral devant assurer de futures élections apaisées, libres et crédibles en vue de permettre la normalisation effective de la situation politique en RDC. Ces personnes restent nuisibles et maintenir ces sanctions vise aussi à ce qu’ils changent leurs comportements dangereux, s’amendent pour devenir des acteurs de consolidation de la paix, de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits humains.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste politique et Expert des questions de défense et de sécurité
Exclusivité DESC
Références
[1] https://www.jeuneafrique.com/535542/politique/rdc-15-proches-de-kabila-sanctionnes-demandent-a-etre-entendus-devant-le-conseil-de-lue/.
[2] https://www.jeuneafrique.com/896111/societe/rdc-le-tribunal-de-lue-rejette-les-recours-des-proches-de-kabila-sous-sanctions/.
[3] Lomandja, A-J. 2020 (13 janvier). « Présidentielle du 30 décembre 2018 en RDC : des résultats non conformes au vote du peuple ? » En ligne sur : http://afridesk.org/presidentielle-du-30-decembre-2018-en-rdc-des-resultats-non-conformes-au-vote-du-peuple-aj-lomandja/.
[4] Félix Tshisekedi a été proclamé président de la République tandis que les autres scrutins ont consacré une nette victoire du FCC de l’ex-président Kabila. Selon la CENI, le FCC a obtenu 330 des 500 sièges à l’assemblée nationale, 836 députés provinciaux et plus de 80 des 108 sièges au Sénat. Le FCC contrôle le gouvernement national (composé de 66 membres dont 42 sont du FCC et 23 du CACH) et les gouvernements provinciaux.
[5] Bandeja Yamba, 2019 (8 novembre). « RDC : Comment traiter des criminels du passé dans un contexte de coalition, voire de cohabitation gouvernementale ? » En ligne sur http://afridesk.org/rdc-comment-traiter-des-criminels-du-passe-dans-un-contexte-de-coalition-voire-de-cohabitation-gouvernementale-bandeja-yamba/.
[6] Wondo, J-J. 2019. L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine : des indépendances à nos jours, Amazon, 458p. Disponible en vente sur Amazon : https://www.amazon.fr/Lessentiel-sociologie-politique-militaire-africaine/dp/1080881778.
[7] Nyenyezi, A., Vlassenroot, K. & Hoebeke, H. 2020. « The limits of President Tshisekedi’s Security Strategy in the Democratic Republic of Congo ». En ligne sur : https://blogs.lse.ac.uk/crp/2020/04/28/the-limits-of-president-tshisekedis-security-strategy-in-the-democratic-republic-of-congo/.
[8] Wondo, J-J. (27 avril) 2020. « Restructuration du commandement de la Garde républicaine : qui gagne, qui perd entre Tshisekedi et Kabila ? » En ligne sur : https://afridesk.org/restructuration-du-commandement-de-la-garde-republicaine-qui-gagne-qui-perd-entre-tshisekedi-et-kabila-jj-wondo-2/.
[9] Romain G. & Bujakera, S. 2020 (19 juillet). Jeune Afrique. « RDC : sous pression des États-Unis, Félix Tshisekedi procède à un prudent remaniement dans l’armée ». En ligne sur : https://www.jeuneafrique.com/1016772/politique/rdc-sous-pression-des-usa-felix-tshisekedi-procede-a-un-prudent-remaniement-dans-larmee/.
[10] Entretien le 30 septembre 2020 avec un officier supérieur des FARDC basé au Katanga.
[11] Thomas Fessy, RD Congo : L’enquête sur les corps repêchés dans la rivière Lubumbashi doit être crédible
Quatre corps ont été retrouvés après les manifestations politiques du 9 juillet, Kinshasa, le 12 août 2020.
[12] Ibid.
[13] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_rdc-des-miliciens-ont-tue-deux-policiers-et-un-soldat-a-lubumbashi-la-situation-est-maintenant-sous-controle?id=10593862.
[14] https://www.radiookapi.net/2020/08/15/actualite/justice/rdc-plus-de-4-000-cas-de-violations-des-droits-de-lhomme-au-1er.
[15] Le Bataillon Simba, un bataillon constitué à l’époque uniquement d’anciens soldats des Forces Aériennes – Numbi était le chef d’état-major de l’armée de l’air avant de devenir le chef de la Police nationale congolaise – réunis au sein de la PIR pour former une Unité Anti-terroriste. Le Bataillon Cobra (11ème Bataillon de la PIR : Police d’intervention rapide) était constitué d’éléments de l’Unité Anti-terroriste officielle. Si officiellement ces unités sont censées être dissoutes, les sources militaires disent qu’elles restent une sorte de réserve stratégique de Numbi au profit de Kabila et garde encore intactes leur capacité de nuisance en cas de conflit ouvert contre Kabila ou Numbi. Les éléments de ces deux bataillons avaient commis des massacres des adeptes de Bundu Dia Kongo (au Bas-Congo) entre février et mars 2008 et ne seraient pas vraiment réellement désarmées.
[16] JJ Wondo, Remaniement du commandement des FARDC par Félix Tshisekedi : attentes et désillusions. Desc, 31 juillet 2020. http://afridesk.org/remaniement-du-commandement-des-fardc-par-felix-tshisekedi-attentes-et-desillusions-jj-wondo/.
[17] JJ Wondo, Septembre rouge en RDC : Joseph Kabila dévoile son ADN politique sanguinaire. DESC, 22 septembre 2016 ; En ligne sur : http://afridesk.org/septembre-rouge-en-rdc-joseph-kabila-devoile-son-adn-politique-sanguinaire-jj-wondo/.
[18] Rwanda National Congress.
[19] JJ Wondo, RDC : L’ex-AG de l’ANR Kalev Mutondo a-t-il franchi la ligne rouge ? DESC, 17 février 2020. En ligne sur : http://afridesk.org/rdc-lex-ag-de-lanr-kalev-mutondo-a-t-il-franchi-la-ligne-rouge-jean-jacques-wondo/.
[20] https://afridesk.org/fr/les-massacres-au-kasai-central-desc-interpelle-les-collaborateurs-securitaires-de-kabila/.
[21] https://monusco.unmissions.org/sites/default/files/bcnudh_-_rapport_sur_le_recours_a_la_force_et_annexes_-_mars_2018_0.pdf
[22] https://www.hrw.org/fr/news/2014/11/17/rd-congo-une-operation-policiere-conduit-la-mort-de-51-jeunes-hommes-et-garcons.
[23] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_enquetes-au-congo-apres-la-mort-mysterieuse-de-plusieurs-jeunes?id=10024210.
[24] http://www.rfi.fr/afrique/20171220-meurtre-experts-onu-rdc-role-agents-etat-zaida-catalan-michael-sharp.
[25] https://www.7sur7.cd/2020/01/22/rdc-affaire-200-millions-eu-shadary-menace-de-paralyser-le-pays-si-malheur-arrivait.
[26] Germain Joseph Muanza Kambulu, Les massacres à huis clos dans le grand Kasaï (RDC), L’Harmattan, Paris, 2019, p.124.
[27] AJ Lomandja, Quand les réformes électorales se muent en stratégies de conservation du pouvoir en RDC – AJ Lomandja. DESC, 28 novembre 2020. http://afridesk.org/quand-les-reformes-electorales-se-muent-en-strategies-de-conservation-du-pouvoir-en-rdc-aj-lomandja/.
[28] https://www.dw.com/fr/alain-joseph-lomandja-le-fcc-est-en-train-de-r%C3%A9%C3%A9diter-la-m%C3%AAme-strat%C3%A9gie/av-53916795.
[29] http://afridesk.org/plaidoyer-pour-le-maintien-des-sanctions-ue-visant-des-presumes-auteurs-de-violations-des-droits-de-lhomme-en-rdc-desc/.
[30] Ibid.