Après le discours sur la politique africaine de la France, le président français a entamé une tournée africaine qui l’a principalement conduit dans des pays d’Afrique centrale. Il s’agit notamment du Gabon, de l’Angola, de la République du Congo et de la RD Congo. Ces quatre pays sont membres de la CEEAC[1]. Le président Macron a entrepris, depuis son accession au pouvoir, de définir un nouveau partenariat avec l’Afrique. L’Afrique est traditionnellement un enjeu essentiel de la diplomatie française, tout particulièrement au regard du rang que la France occupe au sein de l’Organisation des Nations Unies. Face à la perte d’influence que connaît la France dans son ancien « pré carré » – les pays francophones d’Afrique de l’Ouest[2] –, Emmanuel Macron souhaite entrevoir un nouveau partenariat avec les Etats de la sous-région de l’Afrique centrale, où la France est concurrencée par les États-Unis et, de plus en plus, par la Chine et la Russie. Il considère que l’Afrique est appelée à jouer dans l’avenir un rôle crucial dans la croissance mondiale et à constituer un terrain d’investissements gigantesques. Dans cette perspective, il entend consolider des relations dans cette zone du continent africain, guidé par l’intérêt national français. Quelle lecture faire de cette tournée africaine d’Emmanuel Macron ?
Une nouvelle génération africaine décomplexée des relations Nord-Sud
On constate que le recentrage vers cette partie du continent est consécutif au désaveu dont fait preuve la France en Afrique de l’Ouest, son ancienne zone de confort géopolitique, depuis l’instauration des régimes militaires au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. Ce rejet de la France n’est pas uniquement l’œuvre des régimes précités, mais bien d’un ressentiment de ras-le-bol exprimé par l’opinion publique africaine dont sa jeunesse qui au Mali, au Sénégal, en Guinée, au Burkina Faso et au Tchad, lors des mouvements de protestation, s’en est pris aux symboles de la présence française en Afrique. Une aversion qui s’exprime 60 ans après les indépendances chez une génération qui n’a jamais connu l’époque coloniale et qui s’en sent décomplexée.
Au fil du temps, avec une nouvelle génération de la jeunesse africaine qui n’a pas connu la colonisation, cela a fini par susciter des frustrations et l’animosité. Ce d’autant plus que ces relations déséquilibrées entre la France et l’Afrique n’ont jamais permis à l’Afrique d’amorcer une dynamique positive de son émergence, contrairement aux Etats anglophones. Une politique africaine de la France – du dominant envers le dominé – perçue par la nouvelle opinion publique africaine comme étant incapable de résoudre de manière pérenne les problèmes vitaux du continent qui restent évidemment entiers. Bien au contraire, ces crises multidimensionnelles deviennent des facteurs qui empêchent la résilience politique et économique de l’Afrique afin de lui permettre de se prendre en charge.
Une politique africaine illisible
Une France qui, malgré les discours volontaristes prononcés depuis La Baule[3] le 10 juin 1990 après la fin du communisme, peine à se défaire de la Françafrique avec ses satrapes africains illégitimes. Cette France qui a soutenu ou soutient militairement Blaise Compaoré, Idriss Déby Itno, Denis Sassou Nguesso, Paul Kagame[4], Joseph Kabila[5], les Bongo, père et fils ; etc. en signe de pied de nez lancé aux populations martyrisées par ces autocrates, refuse de se regarder en face. Sur quelles bases nouvelles pourrait-elle amorcer concrètement sa nouvelle dynamique politique en Afrique centrale ?
En effet, malgré une histoire commune riche, la France peine à redéfinir sa politique africaine postcoloniale, contrairement aux Britanniques, Espagnols et Portugais qui ont opté pour les relations basées sur les aspects économiques. La France a, quant à elle, continué à s’ingérer, souvent de manière insidieuse, dans les politiques intérieures des plusieurs pays de son ex-empire colonial dans le cadre de la Françafrique. Si sur papier l’empire colonial français n’existe plus, mais en réalité toutes les politiques françaises post coloniales sont restées dans le schéma d’un paternalisme unilatéral condescendant, considérant l’Afrique subsaharienne francophone comme une zone d’influence à contrôler à tout prix : politiquement, militairement et économiquement, sans demander les avis des Africains. L’adoubement des présidents autocrates, la permanence des bases militaires françaises, le contrôle du franc CFA et la dépendance africaine à l’aide au développement en sont des illustrations les plus éloquentes.
A titre d’illustration, sur le plan militaire, depuis les indépendances des Etats africains, la France est intervenue militairement à près de 30 occasions sur le continent africain. La France a déployé jusqu’à récemment environ 11.000 militaires en Afrique sub-saharienne. Outre les interventions militaires, la France a maintenu un dispositif militaire pré-positionné de plus de 6000 militaires déployés sur six pays (Djibouti, Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon, Burkina Faso, Mali, Tchad)[6].
Le syndrome de Fachoda : l’arbre qui cache la forêt
Cessons de rêver, la tournée sous-régionale de Macron ne vise pas à satisfaire les intérêts ni à répondre aux attentes des populations des pays visités. Chassée progressivement de l’Afrique de l’ouest par la Russie, comme lors de guerre de Fachoda en 1898 sur le Nil blanc (Soudan du Sud) qui s’acheva par la victoire de la Grande-Bretagne sur la France, la France est en quête d’un nouveau pôle stratégique pour poursuivre sa politique impérialiste. En effet, du point de vue géo-économique et stratégique, avec la fin de la guerre froide – la fin de l’Histoire selon Francis Fukuyama – et du fait de la mondialisation, on assiste depuis les années 1990 à l’avènement de la « New scramble for Africa » où les puissances mondiales et les pays émergeants (BRICS et la Turquie) se ruent sur l’Afrique utile et rentable. L’enjeu minier est indissociable de l’enjeu géopolitique militaire en Afrique[7].
Par conséquent, c’est inévitablement au niveau zéro pointé et zéro degré de l’Afrique, où traverse l’Équateur, c’est-à-dire le ventre mou du continent, que Macron se rabat tout naturellement et parfois en toute décontraction pour tenter de contrebalancer ou de contenir l’expansionnisme russe qui se trouve déjà en Centrafrique et même en Ouganda et l’invasion économique chinoise, voire turque en Afrique.
Un nouveau partenariat utopique dans un cadres des relations déséquilibrés entre la France, l’Afrique et RDC
Un partenariat équitable et équilibré entre la France et la RDC est-il possible ? Le partenariat suppose que les protagonistes se trouvent sur un même pied d’égalité sur les plans structurel et psychologique. Or le cadre conceptuel de ce partenariat est à la base biaisé entre l’Etat puissant et néocolonial qu’est la France, d’un côté, et le non-Etat en proie de balkanisation qu’est la RDC, de l’autre côté, dont Macron n’a pas hésité de tacler l’ingouvernabilité en des termes condescendants mais vrais : « Depuis 1994, vous n’avez jamais été capable de restaurer la souveraineté ni militaire ni sécuritaire ni administrative de votre pays. C’est aussi une réalité. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur. »
En effet, le rapport de forces entre les deux pays est tellement défavorable à la RDC que la France ne se permettrait pas de traiter d’égal à égal sur les plans économique, militaire et diplomatique avec un pays dont il fustige l’inexistence de l’Etat et l’illégitimité de ses dirigeants. D’un côté, il y a la France qui domine et tire profit de sa relation avec l’Afrique/RDC pour faire prospérer ses intérêts économiques ; de l’autre les dirigeants africains qui espèrent bénéficier du soutien français pour leur maintien au pouvoir. Entre les deux, il y a des populations africaines exclues de ces deals.
Le partenariat exige dès lors la reconnaissance de l’autre comme acteur et sujet de la relation. Il vise le rapport d’égalité et d’équité, la complémentarité des actions et repose sur le partage de décisions (pouvoir copartagé). Il s’accompagne d’actions réciproques de coopération et de collaboration, ainsi que d’opérations favorisant l’exercice du consensus dans nombre d’applications pratiques. Cela ne semble pas être le cas dans les rapports entre la France et l’Afrique.
La réalité sur le terrain nous amène à affirmer que le partenariat voulu par la France est un leurre. Je peux même avancer que, concrètement, le partenariat France – Afrique n’existe quasiment jamais et n’existera pas à moyen terme tant il est caché derrière un halo de bonnes intentions jamais appliquées. Plus précisément, si l’idée de partenariat est souvent prononcée dans les récents discours des autorités occidentales, le principe de partenariat est quasiment toujours absent des réalités relationnelles et psycho-émotionnelles que l’on peut observer entre les Etats forts et les failed states africains. Comment définir un partenariat équitable entre la main qui donne et celle qui est prédisposée à recevoir les miettes ? En effet, dans ces rapports déséquilibrés, c’est l’Afrique – ou plutôt ses dirigeants – qui tend toujours la main et qui a éternellement besoin d’aide. Or, celui qui dépend de l’aide n’a pas droit au respect, son opinion et ses intérêts ne comptent absolument pas.
Aide-toi et le ciel t’aidera !
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions géostratégiques et de sécurité
Références
[1] La Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) a été créée en 1983 et regroupe dix pays (Angola, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, République Démocratique du Congo, Sao Tomé et Principe, Tchad). Elle est l’une des cinq zones développement sur lesquels l’Union Africaine entend bâtir la coopération et l’intégration continentales. La CEEAC a pour mission de favoriser le dialogue politique dans la région, de créer le marché commun régional, d’établir des politiques sectorielles communes, de promouvoir et de renforcer une coopération harmonieuse et un développement équilibré et auto-entretenu dans les domaines de l’industrie, des transports et des communications, de l’énergie, de l’agriculture, des ressources naturelles, du commerce, des douanes, des questions monétaires et financières, des ressources humaines, du tourisme, de l’enseignement, de la culture, de la science et de la technologie et du mouvement des personnes en vue de réaliser l’autonomie collective, d’élever le niveau de vie des populations.
[2] https://www.jean-jaures.org/publication/le-rapprochement-france-rwanda-droits-de-lhomme-et-interets-nationaux/.
[3] Le discours de La Baule a été prononcé par le Président François Mitterand , le 20 juin 1990, dans le cadre de la 16e Conférence des chefs d’État d’Afrique et de France qui s’est déroulée dans la commune française de La Baule-Escoublac (Loire-Atlantique). Ce discours marquera une date importante dans les relations entre la France et l’Afrique, 37 pays africains y étaient invités en 1990. Selon Roland Dumas, l’Homme de réseau, franc-maçon et l’homme de la confiance totale du Président Mitterand qui incarna la Françafrique mitterandienne en effectuant notamment, hors fonctions officielles, des missions secrètes au profit de François Mitterand en Afrique et au Proche Orient,[ le discours de La Baule se résume ainsi : « Le vent de liberté qui a soufflé à l’Est devra inévitablement souffler un jour en direction du Sud (…) Il n’y a pas de développement sans démocratie et il n’y a pas de démocratie sans développement ».
[4] https://www.jean-jaures.org/publication/le-rapprochement-france-rwanda-droits-de-lhomme-et-interets-nationaux/.
[5] JJ Wondo, Jusqu’où Macron veut aller dans son soutien militaire au régime de Kabila ? – Desk Africain d’Analyses Stratégiques, 2 décembre 2017. In https://afridesk.org/jusquou-macron-veut-aller-soutien-militaire-regime-de-kabila-jj-wondo/;
[6] Séphora Wondo, La France, le super gendarme d’Afrique francophone ? – Desk Africain d’Analyses Stratégiques, 2 octobre 2020. In https://afridesk.org/la-france-le-super-gendarme-dafrique-francophone-sephora-wondo/.
[7] Gérard Chaliand, L’Enjeu Africain. Géostratégies des puissances, Bruxelles, éditions Complexe, 1981.