L’offensive militaire bâclée, menée par les FARDC à l’est de la RDC, tourne au désastre
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Les forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) mènent des offensives militaires d’envergure au Nord-Kivu depuis le 31 octobre 2019 pour combattre tous les groupes armés qui écument l’est du pays et déstabilisent la région des Grands Lacs », a déclaré à l’AFP le général Léon-Richard Kasonga, porte-parole de l’armée. « Les opérations ont été lancées à partir de Nyaleke (région de Beni) où l’artillerie a pilonné les positions rebelles dans les profondeurs… », avait expliqué le porte-parole de l’armée aux médias. Selon les sources officielles des FARDC, le début des opérations a été couronné de quelques succès. L’armée congolaise a repris certaines localités aux groupes armés locaux. C’est notamment le cas du campement Chochota, l’un des grands bastions des rebelles ADF (Allied Democratic Forces (ADF), dans le territoire de Beni (Nord-Kivu), situé à environ 12 kilomètres au nord de la cité d’Oicha, dans le « triangle de la mort » (les localités d’Eringeti, Kamango et Mbau), selon une annonce de l’armée du 17 novembre 2019.
Cependant, cinq jours après le lancement de ces opérations, la situation sécuritaire dans la zone opérationnelle a rapidement dégénéré. Les informations reçues par DESC de plusieurs sources militaires au Nord-Kivu font état d’un enlisement des opérations. Les tueries des civils par des « présumés rebelles ADF » dans la zone d’opération des FARDC reprennent avec acuité. On dénombre déjà plus 109 victimes civiles en moins d’un mois du lancement des opérations.
On parle d’une grande confusion dans le déroulement de ces opérations qui mettent en lumière la désorganisation du commandement et l’inefficacité des actions menées sur le terrain. On note aussi un flou sur l’origine de certaines forces qui combattent sur le terrain. Il s’agit notamment de la présence des unités spéciales de l’armée rwandaise dans ces opérations.
La présente analyse va tenter de décrypter la situation opérationnelle sur cette offensive annoncée d’envergure par les hautes autorités politiques et militaires congolaises.

L’annonce présidentielle d’une offensive d’envergure à l’est du Congo pour éradiquer tous groupes armés
Le 10 octobre 2019, après un séjour de trois jours à Bukavu, dans la province du Sud-Kivu, le président de la République démocratique du Congo, Felix-Antoine Tshisekedi a fait une déclaration devant la population de Beni, ville meurtrie par plusieurs années d’attaques du mouvement terroriste ADF, annonçant une nouvelle opération d’envergure contre les terroristes. « Nous nous apprêtons à lancer la dernière attaque contre les combattants ADF dans les jours à venir afin de les exterminer définitivement », a-t-il dit, avant d’ajouter : « Je vous promets que nos frères de l’armée sont en train de faire un bon travail et si Dieu le permet nous passeront les festivités de fin d’année dans la paix et sécurité à Beni. »[1]
Mais le président congolais omettra d’informer la foule que c’était avec les armées étrangères, celles-là qui ont semé des décennies de désolation à l’Est de la RDC qu’il promettait rétablir la paix dans la région.
Le même jour, l’avion-cargo Antonov 72 qui transportait la logistique présidentielle a crashé après avoir décollé de Goma. Ses débris seront retrouvés quelques jours plus tard dans le territoire de Kole, dans la province du Sankuru[2]. A ce jour, le mystère reste entier sur cet accident dont les autorités ne fournissent aucune information crédible sur l’analyse des boîtes noires.
Le plan des opérations conjointes avec les armées régionales, récusé par l’opinion publique
Quelques jours plus tard, c’est un document de cinq pages émanant d’un certain « Etat-major intégré » qui souleva un tollé sur les réseaux sociaux. Ce document signé par le chef d’état-major général des FARDC, le général d’armée Célestin Mbala, authentifié par plusieurs sources militaires et des experts militaires, mentionnait la conception d’une planification des opérations militaires conjointes impliquant la RDC, le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et la Tanzanie contre les nombreux groupes armés actifs dans l’est de la RDC. Ces armées pourraient, selon le document, fournir des forces spéciales en territoire de la RDC, des unités d’appui-feux aux troupes combattantes – avec une collaboration de la Mission des Nations unies en RDC (MONUSCO) et de l’AFRICOM (le commandement de l’armée américaine pour l’Afrique) sur certains aspects. L’objectif, selon le document, serait de mener une grande offensive conjointe contre les groupes armés présents dans les deux Kivu entre novembre – en trois phases, dont la première débuterait dès le 15 et mai 2020.[3]
Mais les vives réactions suscitées contre ce document vont amener certains pays, dont l’Ouganda, et la MONUSCO à se désolidariser de ce projet. « D’Uvira à Rutshuru, en passant par le Palais du peuple à Kinshasa, partout des voix se sont élevées pour protester contre la perspective d’une arrivée prochaine d’armées étrangères dans l’est de la RDC. » (…) Dans ce document, il est également prévu que les voisins de l’Est envoient des unités de forces spéciales. Et c’est bien ce qui hérisse la société civile, encore traumatisée par les crimes commis par ces armées lors des deux guerres du Congo et ces longues années d’occupation, écrira RFI[4].
En effet, au terme de deux jours de table ronde[5], les 24 et 25 octobre 2019, à Goma, censée acter la création d’un « état-major intégré » des armées de la région (Burundi, RDC, Rwanda, Ouganda, Tanzanie) en vue de permettre aux troupes de ces pays de prendre part aux opérations militaires contre les groupes armés dans l’Est de la RDC, l’Ouganda va se désister en refusant de signer la déclaration finale[6]. Un refus qui suscita la furie du gouvernement rwandais[7], mettant en lumière les tensions persistantes entre les deux pays au bord d’une escalade armée sur fond de déstabilisation de l’ensemble de la région des Grands-Lacs[8], malgré la signature en août 2019 d’un mémorandum d’entente à Luanda, censé mettre fin à la crise[9].
Les réticences de plusieurs militaires congolais, hostiles à la présence militaire étrangère en RDC, certains craignant leur élimination physique, selon une source des renseignements militaires congolais, a également joué dans la volte-face des autorités congolaises. Le Rwanda s’était insurgé contre le retrait ougandais. De sources proches du dossier, le refus de l’UPDF – ordonné par Yoweri Museveni – est motivé par le fait que cela autoriserait la Rwanda Defence Force (RDF) à opérer en dehors des périmètres qui lui sont attribués[10].
Le 25 octobre 2019, la MONUSCO, de façon prudente, prendra ses distances vis-à-vis de l’initiative congolaise, tout en se montrant disponible à soutenir uniquement les FARDC. La Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies en RDC, Leila Zerrougui, dira à cette effet : « Le mandat de la MONUSCO, c’est de soutenir les FARDC et non des forces étrangères qui viennent en RDC »[11]. Elle dira plus tard, le 16 novembre 2019 que la MONUSCO n’est pas directement associée aux opérations menées par les FARDC. « Nous travaillons avec les FARDC. Le gouvernement congolais a décidé de mener une décision offensive. C’est une décision souveraine. Ce n’est pas une opération conjointe que nous menons là-bas. Les opérations conjointes sont menées après une préparation et un plan conjoint mais la MONUSCO n’a pas été associée, on ne peut pas y aller à l’aveuglette ». Elle précisera en outre : « Nous travaillons aussi avec le gouvernement dans cette zone, nous, on apporte un appui à ce qui concerne la sécurisation des zones qui restent derrière pour ne pas permettre les infiltrations et des vengeances sur la population. Nous apportons de l’appui médical aux blessés. Nous avons un mandat de la protection des civils, d’appui aux FARDC et nous devons nous en rassurer »[12].
Ces désistements vont finalement pousser les autorités congolaises à mener pratiquement seules les opérations militaires, avec l’appui des unités spéciales rwandaises, dissimulées en tenues des FARDC, selon plusieurs sources militaires participant à ces opérations. Nous y reviendrons dans une prochaine analyse.
Des unités ex-CNDP redéployées dans les zones d’opérations
Selon des informations recueillies des sources militaires, peu avant le début des opérations, sous la supervision du général Gabriel Amisi Tango Four, le chef d’état-major adjoint des FARDC chargé des Opérations et Renseignements, les régiments rwandophones ex-CNDP, le 2103ème venu de Tshikapa ainsi que les 2101ème et 2102ème régiments venus de Mbuji-Mayi, ont été déployés au Nord-Kivu où ils opèrent sous les commandements des généraux Bob Ngoy Kilubi et Bonane soupçonnés de connivence avec le Rwanda. Or ces unités se sont négativement distinguées dans les massacres commis au Kasaï entre 2016 et 2018, en réprimant de manière disproportionnée des miliciens de Kamwina Nsapu. Ils ont également été déplacés au centre du pays lors de la guerre contre le M23 pour leurs soutiens à ce groupe rebelle créé par le Rwanda et soutenu par l’Ouganda.
Il sied de rappeler aussi qu’avant le lancement des opérations militaires, le président Félix Tshisekedi avait nommé le général de brigade Jacques CHALINGOZA NDURU, ancien chef rebelle de l’UPC de Bosco Ntaganda, au poste de Commandant des Opérations militaires Sokola 1 qui traquent les rebelles « ADF » depuis le début de 2014 à Béni. Dans un article de DESC qui brossait le portrait du général Nduru, nous émettions l’hypothèse du risque d’augmentation de l’escalade des massacres à Beni[13].
Selon un officier supérieur des renseignements militaires : « Le jour où on a changé le commandement du secteur opérationnel Sokola 1, je t’avais dit que c’est une façon de mettre à sa tête celui qui va continuer à obéir à la mission de trahir sa nation. Chalingiza Nduru est d’abord le fruit de l’UPDF, l’armée ougandaise à partir de la rébellion de Thomas Lubanga avant de se rapprocher du Rwanda via Bosco Ntaganda. En plus, c’est un nilotique, une chose est que JKK ne peut jamais se hasarder de placer n’importe quel officier dans cette zone. Pourtant, nous avons beaucoup d’officiers capables à qui on peut donner la tâche d’aider leurs compatriotes, malgré nous avons dépassé le taux des officiers traîtres qui ont accepté d’obéir à un individu à cause de l’argent et de promotion en grade au lieu d’appliquer le serment militaire de servir la Nation fidèlement avec loyauté. »
Avant le lancement des opérations, dès décembre 2018, le général Gabriel Amisi Tango Four avait sillonné l’Est du pays pour mettre en place le dispositif militaire actuel et décider des lieux de déploiement des troupes rwandaises. Quelques semaines avant le lancement de ces opérations, le général Gaston Ilunga Kampete, Commandant de la Garde républicaine (GR), avait également séjourné à l’Est du pays pour superviser le déploiement des troupes blindées en provenance de Kinshasa via Kisangani par la voie fluviale et d’autres unités blindés acheminées depuis Lubumbashi et Kimbembe via Kindu. Ces différentes unités blindées sont chargées d’appuyer les différents secteurs opérationnels planifiés pour l’offensive généralisée contre les groupes armées nationaux et étrangers. Il y a lieu de rappeler qu’avant sa nomination à la tête des FARDC, le général Gaston Ilunga Kampete avait été le commandant de la task-force intégrée de la Garde républicaine pendant plusieurs années. Ses unités, avec la Brigade d’intervention de la MONUSCO, avaient joué un rôle important dans la défaite du M23. Sa présence sur le secteur des opérations, compte tenu de sa maîtrise du terrain, consiste à apporter un coaching au nouveau commandant de la task-force, le général de brigade Mike Mikombe. Malheureusement, il faut aussi reconnaitre que les moyens utilisés par ces unités se montrent inappropriés et inefficaces face à un adversaire dissimulé entre les lignes offensives de l’armée et qui recourt aux méthodes de combat asymétriques.
La désorganisation du commandement et des mobiles pécuniaires derrière ces opérations
C’est le constat qui est relevé par plusieurs sources militaires congolaises. Elles notent la désorganisation des unités par le commandement militaire des FARDC qui aurait gonflé les effectifs des militaires afin de détourner l’argent des fictifs et les carburants. Les chefs militaires profitent de ces opérations pour se faire une santé financière. Selon une source de l’état-major général des FARDC, les opérations militaires actuelles auraient un coût évalué entre 6 et 10 Millions de dollars américains.
En effet, les effectifs déployés au Nord-Kivu seraient de 21.000 hommes, selon une source des renseignements militaires. C’est le chiffre communiqué au président Tshisekedi par l’état-major opérationnel. En réalité, il y a plusieurs milliers de fictifs dans ces chiffres. Je l’avais déjà mentionné dans un article de François Misser sur La Libre Belgique : « la stratégie des officiers supérieurs des FARDC consiste à maintenir un certain niveau de conflictualité leur permettant de mettre la main sur les primes des soldats qu’ils gèrent ainsi que sur des budgets opérationnels additionnels et de se livrer à du trafic de carburant »[14].
Cette cannibalisation des moyens militaires opérationnels rend les opérations inefficaces. C’est ce que nous explique un commandant de compagnie engagé sur le front : « concernant ces opérations, moi aussi j’y suis engagé entant que commandant de compagnie. Nous avons opéré à X[15]. Les moyens qui sont mis en jeu ne suffisent pas quant aux méthodes de combat asymétrique de l’ennemi. L’appui feu et l’appui logistique sont inefficaces, l’armement des troupes au sol est insuffisant et non conforme au TD[16] ».
A ma question de savoir si l’ennemi est clairement identifié par les unités de renseignement et le commandement des opérations, mon interlocuteur répond : « Négatif, car s’il était bien identifié nous l’aurions éradiqué en peu de temps. Jusque-là, on ne fait que se référer aux anciennes positions de l’ennemi que l’on connaissait du temps des opérations menées par le feu général Lucien Bahuma. Et certaines de ses positions ont été trouvées désertées lors des offensives. Le niveau de nos services de renseignement est faible : nous ne parvenons pas à connaitre les mouvements migratoires de l’ennemi, et la population en paie le prix. Sauf qu’il faut reconnaitre que l’ennemi a perdu plusieurs de ces positions avancées mais sa localisation exacte pose problème pour l’instant. »
Un autre commandant d’unité me dira que : « sur terrain nous sentons que les opérations ne sont pas menées pour éradiquer les ADF, mais plutôt pour semer la confusion pour afin de légitimer la fausse thèse de ‘terrorisme islamique. »
La Radio Okapi a indiqué la présence d’au-moins dix généraux FARDC déployés à Beni dans le cadre des opérations contre les ADF. Deux de la 3ème zone de défense, deux à la tête des opérations Sokola 1, deux autres à la tête de la 32ème brigade des unités de réaction rapide pendant qu’un dirige la 31ème brigade des unités commandos. Trois généraux, respectivement de la base logistique, du corps de génie militaire et de la force navale sont également dans la région[17]. Et un officier militaire d’ajouter : « Quand on désigne un général de brigade [Ndlr. Jacques Chalingoza Nduru] comme commandant des opérations et on le fait entourer par au moins neuf autres généraux de brigade et un général major plus gradé que lui, c’est l’imbroglio que l’on veut créer sur le terrain des opérations. C’est ce qui se passe actuellement sur les différents fronts ».
La MONUSCO a quant à elle fait le constat suivant : « L’armée congolaise a des faiblesses structurelles qui rendent improbable un succès sans nouvelles ressources », assure ainsi un ancien cadre de la force de la Monusco. « Elle manque de forces spéciales bien formées et de renseignements. Son déficit est encore plus criant en ce qui concerne l’aviation. Elle a perdu deux de ses trois hélicoptères d’attaques Mi24 dans les montagnes des Virunga en 2017 et n’a donc plus de capacité en la matière. Quant à l’appui aérien de la MONUSCO, il est insuffisant. »[18]
Un enlisement militaire annoncé, faute de tirer les leçons du passé
Si le début des opérations d’envergure a été couronné de succès relatif, force est de constater qu’une semaine après, la situation sur le plan sécuritaire semble se détériorer considérablement. Plusieurs observateurs et experts militaires étrangers notent une absence de préparation de l’armée. On note à ce jour plus de 90 civils tués dans la région.
Sur le plan opératique, le déploiement des unités s’effectue de manière étrange. La société civile (qui compte les morts) fait remarquer que les opérations se concentrent seulement autour de Beni ville et ne couvrent pas les secteurs où se commettent les attaques contre les civils. Les assaillants peuvent ainsi continuer de tuer la population pendant que l’armée et les autorités parlent d’une offensive destinée à éradiquer un ennemi qui en même temps opère librement dans le fameux triangle de la mort[19] situé entre Mbau, Kamango et Eringeti. Dans un document intitulé « la population de l’axe Mavivi-Kaima sacrifiée » et adressé au commandant des opérations Sokola 1, cette structure citoyenne affirme que la population est exposée même dans les endroits où se trouvent les positions des FARDC. Elle plaide pour la sécurisation de l’axe routier Mavivi-Kainama et recommande la traque de tous les groupes Maï-Maï encore actifs à Beni. La société civile demande aussi des enquêtes sur la qualité des interventions militaires pendant les attaques ADF[20].
Ce n’est pas la première fois que les autorités militaires congolaises lancent en pompes des opérations militaires à l’est de la RDC. Depuis l’opération militaire conjointe avec l’armée rwandaise, Umoja wetu, en janvier 2009 en passant par d’autres opérations militaires – Kimia 2 en mai 2009 et Amani Leo, janvier 2010 – les résultats de toutes ces opérations restent inefficaces et l’insécurité persiste dans cette partie du Congo. Les opérations en cours et les massacres des populations civiles par les rebellent entraînent des déplacements des populations. Ce qui aggrave la situation humanitaire dans une région encore confrontée à l’épidémie du virus Ebola.

Une MONUSCO indolente et inefficace, à la limite de la complicité
Le constat que l’on peut tirer de la présence continue de la MONUC puis la MONUSCO en RDC, depuis 20 ans, est que son action reste globalement en deçà des résultats attendus. La RDC, notamment dans sa partie orientale, est loin d’être stabilisée et continue à faire face à une insécurité constante causée à la fois par les hommes en armes des FARDC et PNC et environ 130 groupes armés. A la suite des tueries qui ont eu lieu dans la nuit du 24 au 25 novembre 2019, la population de Beni, en colère, est allée incendier des lieux de casernement de la MONUSCO dans le secteur opérationnel. Les habitants de Beni dénoncent « l’inaction » de l’armée congolaise et des Casques bleus face aux tueries à répétition attribuées aux ADF dans la région. L’ONU joue toute sa crédibilité dans la crise sécuritaire actuelle en RDC.
Conclusion et recommandations : changer de paradigme stratégique
L’insécurité dans l’est du pays ne peut trouver la solution avec une vision militaire minimaliste centrée uniquement sur la RDC, mais il faut aussi des volets politique, diplomatique et judiciaire. En effet, l’action militaire doit faire partie d’une stratégie globale qui intègre une série de mesures non militaires visant notamment à couper les sources d’approvisionnement, de soutien et de financement des groupes armés. Il faut également un travail de maillage des services de renseignements pour bien identifier la menace et les chefs de ces groupes. Il faudrait isoler la direction de ces groupes de leurs bases par des actions ciblées contre leurs chefs et en mettant en place des incitations visant à favoriser des défections et des redditions volontaires.
Sur le plan géopolitique régional, l’Accord-cadre d’Addis-Abeba reste à ce jour un cadre et une base d’amorce globale et multilatérale de solution à la crise régionale qui nécessite que des solutions soient prises dans un cadre systémique géopolitique régionale, notamment mais au Rwanda, en Ouganda et au Burundi principalement. En signant cet Accord, les pays de la région s’engageaient entre autres à :
- Ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des autres Etats voisins ;
- Ne pas tolérer, ni fournir une assistance ou un soutien quelconque à des groupes armés ;
- Respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des Etats voisins.
Par ailleurs, comment envisager le succès militaire lorsque la hiérarchie militaire congolaise reste aux mains des mêmes officiers généraux qui y trônent depuis plusieurs décennies sans être en mesure de rendre performantes les FARDC ? Avec l’alternance politique, le président de la République pourrait faire prévaloir certaines de ses prérogatives constitutionnelles en tant que commandant suprême des armées pour amorcer un début de professionnalisation de l’armée et de renouvellement de sa hiérarchie, comptable du délabrement actuel.
Ce ne sont pas avec des généraux comme John Numbi, Gabriel Amisi Tango Four et Delphin Kahimbi, du reste sous des sanctions internationales, que l’armée congolaise va retrouver son efficacité. Leurs présences quasi permanentes à la tête de l’armée dessert largement la performance des FARDC, selon plusieurs sources militaires. Leur maintien dans les hauts postes de commandements de l’armée et de la Défense nationale dessert l’efficacité de l’armée. Plusieurs unités qui évoluent à l’est de la RDC échappent également au contrôle des commandants des opérations. Plusieurs unités déployées à l’est doivent être mutées ailleurs.
Ces contreperformances de l’armée constituent une opportunité de changer de paradigme doctrinal, si le président Tshisekedi veut réellement se démarquer de la gouvernance sécuritaire défaillante de son prédécesseur. Des pistes réalistes et crédibles existent, mais tout est question de sa réelle volonté politique et de sa capacité d’assurer réellement ses fonctions de commandant suprême des forces armées. Il en sera d’ailleurs, politiquement, le premier bénéficiaire à moyen terme. Par contre, continuer de poursuivre la même stratégie que Joseph Kabila risque d’impacter négativement son avenir politique alors qu’il est déjà handicapé par la légitimité de son pouvoir acquise à la suite des élections entachées de graves irrégularités et en violation de la loi électorale.
Une bonne préparation des opérations et une sensibilisation des populations avant et pendant des opérations, les actions judiciaires et une tactique appropriée faisant recours aux techniques antiguérillas et non aux techniques de guerre conventionnelle, peuvent aider les FARDC à éradiquer progressivement l’insécurité dans la région.
Il faudrait aussi que la communauté internationale s’implique activement comme en 2013 après la chute de Goma. Au moment où le Conseil de sécurité des Nations unies s’apprête à renouveler le mandat de la MONUSCO, la nouvelle revue stratégique doit pouvoir renforcer le mandat de la MONUSCO en prévoyant la création des unités supplémentaires pour mettre en place une deuxième brigade d’intervention avec les pays de la SADC dont l’Angola qui n’a pas encore participé aux opérations à l’Est du pays. Cette nouvelle brigade devrait bénéficier d’un mandat particulier lui permettant de mener des opérations coercitives robustes et ciblées contre tous les groupes armés de l’est du Congo, unilatéralement et non conjointement avec les FARDC.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
Références
[1] https://www.politico.cd/actualite/la-une/2019/10/10/a-beni-felix-tshisekedi-annonce-une-operation-militaire-denvergure-pour-mettre-en-deroute-les-terroristes.html.
[2] https://afridesk.org/le-crash-de-lantonov-72-affrete-par-la-presidence-de-la-rdc-les-questionnements-de-desc/.
[3] https://afrique.lalibre.be/42597/rdc-les-operations-militaires-dans-lest-avec-les-armees-voisines-divisent/.
[4] http://www.rfi.fr/afrique/20191024-operations-conjointes-rdc-projet-fait-pas-unanimite.
[5] Cette table ronde réunissait le chef d’Etat-major de l’armée congolaise Célestin Mbala, le chef des forces terrestres ougandaises Peter Elwelu, le chef des renseignements militaires rwandais Vincent Nyakarundi et les observateurs de la Monusco (conduits par le général français Thierry Lion, commandant adjoint de la force) ainsi que le commandement de l’armée américaine en Afrique (Africom).
[6] https://blog.kivusecurity.org/fr/entree-des-troupes-etrangeres-en-rdc-pourquoi-la-reunion-de-goma-a-echoue/.
[7] https://www.softpower.ug/rwanda-furious-as-uganda-declines-to-sign-mou-on-joint-military-operations-in-dr-congo/.
[8] La Lettre de l’Océan Indien, N°1508, 1er Novembre 2019.
[9] http://www.rfi.fr/afrique/20191102-tensions-rwanda-ouganda-frontiere/.
[10] [10] La Lettre de l’Océan Indien, N°1508, 1er Novembre 2019.
[11] https://www.radiookapi.net/2019/10/25/actualite/securite/leila-zerrougui-le-mandat-de-la-monusco-cest-de-soutenir-les-fardc-et.
[12] https://www.politico.cd/encontinu/2019/11/16/derniere-offensive-des-fardc-contre-les-adf-la-monusco-na-pas-ete-associee-parce-quelle-ne-peut-pas-y-aller-a-laveuglette.html.
[13] https://afridesk.org/qui-est-lex-rebelle-upc-et-general-jacques-itshalingoza-nduru-le-nouveau-commandant-de-sokola-1-a-beni-jj-wondo/.
[14] https://afrique.lalibre.be/41799/rdc-qui-arme-les-rebelles/.
[15] Nous ne mentionnons pas le lieu exact pour préserver l’identité de la source.
[16] Tableau de dotation des unités en armement et munitions.
[17] https://www.radiookapi.net/2019/11/17/actualite/securite/nord-kivu-48-civils-tues-en-7-jours-dans-les-attaques-des-adf-beni.
[18] https://blog.kivusecurity.org/fr/entree-des-troupes-etrangeres-en-rdc-pourquoi-la-reunion-de-goma-a-echoue/.
[19] http://afridesk.org/crise-de-beni-comprendre-les-raisons-profondes-du-fiasco-militaire-et-des-promesses-mensongeres-b-musavuli/.
[20] https://www.radiookapi.net/2019/11/17/actualite/securite/nord-kivu-48-civils-tues-en-7-jours-dans-les-attaques-des-adf-beni.
2 Comments on “L’offensive militaire bâclée, menée par les FARDC à l’est de la RDC, tourne au désastre – JJ Wondo”
Modeste
says:Desc bonjour bonne analyse je suis pour la création d une armée issus de la diaspora congolaise comme pour la France en 1944 LES FARCD (force armée congolaise de la diaspora ) pour un changement radical d engagement militaires c est possible en une année.
GHOST
says:FRANCE 1944 ?
Après une defaite militaire face á Hitler, la France avait eu des alliés puissants dont les USA pour refaire son armée. Cette idée de recruter dans la diaspora n´est pas mauvaise en soi quand on sait combien le niveau de l´éducation des congolais nés dans la diaspora rend possible l´acquisition des technologies militaires modernes.. Ce que les congolais de la diaspora nés aux USA et au Canada peuvent facilement devenir pilotes militaires, experts en cyber defense car l´obstacle linguistique et culturelle est moindre.
Mais il existe un obstacle sociale et pire une structure dans la Défense du Congo qui ne peut jamais attirer les jeunes de la diaspora. Vous voulez le loger où? Quelle est cette base militaire capable d´offrir un minimun de confort á des congolais nés dans la diaspora? Quelles sont les conditions de travail dans cette armée congolaise pauvre, sous financée, sous équipée ?
AVANTAGE ?
Le seul avantage des informations qu´apporte mr Wondo ici est un « diagostique^ d´où les congolais savent avec precision comment réflechir et agir, Il suffit de lire plusieures fois l´analyse de la Monusco sur les forces spéciales, les capacités de renseignement, la capacité de projection des forces ou l´aspect « CAS » (Close Air Support) pour se faire une idée par où commencer ce travail et comment trouver des solutions pratiques d´urgence.