Le nouveau livre de Boniface Musavuli – Les élections au Congo : Carnages, martyrs et impunité
Une recension de Jean-Jacques Wondo Omanyundu
L’analyste politique et juriste Boniface Musavuli vient de publier un nouveau livre, paru chez Amazon, consacré aux dernières élections en République Démocratique du Congo.
Dans cet ouvrage, minutieusement bien documenté et écrit dans un style romanesque captivant et haletant, l’auteur nous décrit les soubresauts politiques, juridiques, judiciaires, sécuritaires et internationaux qui ont émaillé un processus électoral bâclé et saboté qui a abouti aux élections présidentielle et législatives de 2018, les pires élections que la RDC aient connues depuis 2006. L’auteur dit avoir été largement inspiré des publications de DESC et des échanges personnels avec ses membres.
Ce livre pathétique est dédié dès ses premières pages aux martyrs du Congo : Rossy Mukendi, Thérèse Kapangala, Père Vincent Machozi… L’avant-propos du livre commence par des récits apocalyptiques des actes barbares et inhumains ainsi que des violences meurtrières commis par la police congolaise contre les manifestants pro-démocratie réclamant la tenue des élections libres, crédibles et transparentes, en profanant des lieux de culte de l’église catholique. Une première dans l’histoire contemporaine du Congo qu’un gouvernement commettait un assassinat à l’intérieur d’une église.
Pour l’auteur, Musavuli, écrire cet ouvrage répond à l’obligation de comprendre le contraste entre la dureté des luttes menées et le troisième fiasco électoral d’affilée, après 2006 et 2011, tout en ayant l’humilité de ne pas avoir la prétention d’avoir cerné tous les enjeux sous-jacents qui ont motivé la tentative de glissement de Joseph Kabila et ses conséquences politiques. Cependant, l’auteur tente d’apporter un brillant éclairage sur les événements, les rôles des acteurs impliqués dans la débâcle et la fraude électorale, ainsi que dans l’option des violences meurtrières contre les civils, sans défense, dont le tort aura été de réclamer l’organisation des élections dans le respect des normes démocratiques. Tel est le fil conducteur de ce livre de 235 pages, subdivisé en six chapitres compris entre un avant-propos et une conclusion qui interpellent notre conscience collective patriotique à un devoir de mémoire et à un agir d’ensemble au moment où le Congo vit une situation, issue d’un processus électoral sanglant, décrite de mythe de l’alternance pacifique et de la prégnance du statu quo, qui n’est ni alternance ni pacifique.
De manière chronologique, l’auteur arpente les grands faits politiques, populaires, juridiques, judiciaires, sécuritaires, électoraux et diplomatiques qui ont émaillé le dernier processus électoral en RDC. Il s’agit notamment des velléités de modification de la loi électorale et de la Constitution pour une présidence à vie à la solde de Joseph Kabila, de la lutte pour les élections et le sacrifice du peuple, des massacres et crimes d’Etat commis à Beni et au Kasaï dans la foulée du processus électoral, avec notamment l’affaire Kamuina Nsapu au Kasaï et l’annulation non convaincante des élections à Beni et Butembo, des sanctions internationales, américaines et européennes en réponse à l’impunité garantie aux proches de Kabila suspectés d’entrave au bon déroulement du processus électoral et de commission de graves crimes des droits humains. Tout cela a abouti aux pires élections jamais organisées en RDC depuis 2006 alors que Kabila promettait le contraire. En effet, dans une interview accordée au journal Belge Le Soir le 1er décembre 2018, l’ancien président congolais Joseph Kabila s’était exprimé sur le processus électoral dans son pays et sur son avenir après la présidentielle du 23 décembre. Joseph Kabila se disait confiant pour le bon déroulement des élections. « Ce seront les meilleures élections que ce pays aura connues depuis 1959[1] ».
Pour Musavuli, les conséquences fatales d’une élection frauduleuse sont que le dirigeant qui en est issu consacre l’essentiel de ses efforts à essayer de surmonter la crise de légitimité dans laquelle le nouveau pouvoir se retrouve empêtré. Il doit parallèlement protéger les intérêts des artisans de la fraude qui l’a vu consacrer au détriment des aspirations légitimes des masses populaires. Ce dirigeant, privé de légitimité et redevable aux forces occultes, voit son action se limiter aux gesticulations erratiques, aux effets d’annonce et aux réalisations cosmétiques à l’instar du fameux programme des 100 jours du président Tshisekedi. Privé de contrôle effectif sur les leviers du pouvoir, le dirigeant ne produit aucun impact significatif sur la vie sociale, en termes de progrès. (Page 57).
Malgré cette situation du fait accompli, l’auteur reste profondément sceptique quant à la volonté de Kabila et de la coalition au pouvoir d’amorcer des réformes électorales attendues par la population. « Le cadre institutionnel actuel a été verrouillé par Kabila qui savait que toute réforme en matière électorale passe par le parlement, qui lui est majoritairement acquis. La Cour constitutionnelle est également sous son contrôle. Assuré d’un confortable contrôle sur les institutions, le FCC, a plutôt entrepris de préparer les esprits au retour au pouvoir de Joseph Kabila, celui-là même qui a orchestré les trois élections calamiteuses et des résultats frauduleux successifs que le pays a connus. Dans un environnement pareil, une réforme électorale n’est possible, pour Kabila et ses alliés, que si elle a pour enjeu la conservation du pouvoir ». (Page 226).
Selon Musavuli, l’histoire des élections au Congo est qu’à chaque fois, la nouvelle élection est plus calamiteuse que la précédente. Les élections de 2011 ont été pires que celles de 2006. Celles de 2018 ont étalé la honte de la nation à l’échelle planétaire. Du coup, il s’avère qu’il n’y a aucun intérêt à appeler un peuple à voter si d’avance son choix exprimé dans les urnes sera bafoué comme les fois précédentes. Le peuple doit plutôt être préparé avant tout à se battre jusqu’au bout pour faire respecter son vote exprimé dans les urnes. Cette préparation des masses populaires peut commencer par un travail de prise de conscience collective consistant à s’assurer en permanence que les précédentes élections de 2018, soient expiées longtemps avant la mise en route des cycles à venir ». Et l’auteur de renvoyer le lecteur aux analyses du senior expert électoral Alain-Joseph Lomandja qui propose des mesures (structurelles et d’ordre éthique), lesquelles, si elles sont appliquées, permettront d’éviter aux Congolais de revivre les expériences dramatiques des dernières élections[2]. (Page 223).
Pour ce faire, Boniface Musavuli invite les Congolais à initier des actions plus énergiques que le simple geste consistant à glisser un bulletin de vote dans une urne, en s’inspirant des expériences de sursaut de dignité opérées dans d’autres pays. Il cite l’exemple de la Côte d’Ivoire en 2000 où les mouvements menés par les manifestants ont conduit à un soulèvement populaire contre le hold-up électoral orchestré par la junte du général Robert Guéï, malgré les tirs des militaires, poussant le général à fuir et la Cour suprême à proclamer Laurent Gbagbo président. Les Ivoiriens avaient ainsi arraché, en descendant par milliers dans les rues, la vérité des urnes qu’ils avaient exprimée dans les bureaux de vote. (Page 223).
L’auteur conclut son livre sur un ton cornélien de dilemme antithétique avec le titre : « Les élections frauduleuses entre défi et fatalité » tout en appelant, dans un optimisme encourageant, « les Congolais à se libérer de l’emprise psychologique et des trahisons téléguidées par des puissances étrangères ».
Voilà en quelques lignes l’économie de cet excellent livre d’éclairage et d’indignation de l’analyste Boniface Musavuli. Cet ouvrage rédigé dans un style agréable à lire pouvant être lu d’une traite est en vente au prix de 22 euros sur Amazon : https://www.amazon.fr/ÉLECTIONS-AU-CONGO-Carnages-impunité/dp/B087SCJ5HG.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Références
[1] https://www.voaafrique.com/a/pour-les-élections-tout-va-très-bien-se-passer-promet-kabila/4682544.html.
[2] Lire notamment : AJ Lomandja : Présidentielle du 30 décembre 2018 en RDC : des résultats non conformes au vote du peuple ? AJ Lomandja, Desc, 13 janvier 2020. http://afridesk.org/presidentielle-du-30-decembre-2018-en-rdc-des-resultats-non-conformes-au-vote-du-peuple-aj-lomandja/. Alain-Joseph LOMANDJA est le Rédacteur en Chef de la plateforme DESC-WONDO. Il est Analyste et Sénior Expert électoral. Il était également un ancien consultant et formateur du Centre Carter, et responsable électoral de la Commission Épiscopale Justice & Paix (CEJP) de la CENCO.