Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 20-08-2015 01:13
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L’impact de la décentralisation sur le fonctionnement des FARDC – Jean-Jacques Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

L’impact de la décentralisation sur le fonctionnement des FARDC

Jean-Jacques Wondo Omanyundu

En République démocratique du Congo, l’actualité semble dominée par la mise en œuvre du processus de la décentralisation qui consacre les nouvelles provinces du pays.

Dans une remarquable analyse publiée sur DESC, le juriste-criminologue Jean-Bosco Kongolo faisait rappeler ces aspects fondamentaux de la loi sur la décentralisation repris dans l’ exposé des motifs : « Dans le but d’une part, de consolider l’unité nationale mise en mal par des guerres successives et, d’autre part, de créer des centres d’impulsion et de développement à la base, le constituant a structuré administrativement l’État congolais en 25 provinces plus la ville de Kinshasa dotées de la personnalité juridique et exerçant des compétences de proximité énumérées dans la présente constitution ». L’analyste va plus loin en tirant une sonnette d’alarme consternante : « Dans l’attente des dividendes politiques, souvent personnelles, de ce découpage, beaucoup d’acteurs politiques font une lecture paresseuse et restrictive de la Constitution en s’imaginant que les Cours et Tribunaux, en tant qu’institution comme le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement (art.68) ne sont pas du tout concernés par la décentralisation et surtout par le découpage ». Enfin, il a développé une série d’arguments démontrant les conséquences négatives du processus actuel de décentralisation sur le fonctionnement du système judiciaire congolais[1].

Ainsi, dans le même ordre d’idée, la présente analyse tente de relever l’impact que la loi sur la décentralisation risque de provoquer au niveau de l’organisation et du fonctionnement de l’armée congolaise, les FARDC. Le découpage territorial en 26 provinces risque d’introduire des distorsions organisationnelles et fonctionnelles dans l’armée. De ce fait, il risque également de compromettre son efficacité du fait notamment de la surcharge administrative qu’il risque d’induire et du chevauchement des compétences entre les différents échelons politiques, administratifs, territoriaux et militaires/ policiers/ sécuritaires intervenant dans le domaine sécuritaire.

Découpage territorial et implantation des nouvelles zones de défense et régions militaires

Carte des 3 Zones de Défense (ZEDef) des FARDC (Remplacer Rgn Mil par ZDef) - Source : Plan de réforme 2009 (Mwando - Etumba)
Carte des 3 Zones de Défense (ZDef) des FARDC (Remplacer Rgn Mil par ZDef) Source : Plan de réforme 2009 (Mwando – Etumba)

En septembre et novembre 2014 puis en juin 2015, le président Kabila a promulgué une série d’ordonnances d’exécution de la loi organique nº 11/012 portant organisation et fonctionnement des FARDC, promulguée le 11 août 2011. Les plus importantes nominations concernaient celles de septembre 2014 (Grandes unités) et de novembre 2014 (La garde républicaine). Les nominations de juin 2015 concernaient les échelons inférieurs (secteurs opérationnels) par rapport à celles de 2014. Il y a eu juste des ajustements et quelques permutations entre le général Emmanuel Lombe du Nord-Kivu vers les deux Kasai (21ème région militaire) avec le général katangais Fall Sikabwe qui a été promu à la 34ème région militaire au Nord-Kivu (en janvier 2015) et le remplacement du Général Akili Mohindo (Mundos) à la tête de l’opération Sokola 1 dans le secteur de Beni par le Général katangais Mbangu Mangala Mashita.

La grande innovation de cette loi, calquée d’un vieux projet du BES[2] auquel nous avons contribué, était la mise en place des 3 Zones de Défense englobant 10 nouvelles régions militaires, alors que dans le projet initial du BES, il était question de subdiviser la RDC en trois grandes régions militaires comme cela fut le cas sous l’Armée nationale congolaise (ANC)[3], voire sous la Force publique[4]. Chaque zone de défense comprend un commandement unique.

Ainsi, l’article 97 de la loi susmentionnée divise la RDC en trois zones de défense, constituées de la manière suivante :

  • la 1ère zone de défense englobe la ville de Kinshasa et les provinces de Bandundu, du Bas-Congo et de l’Equateur dans leurs limites actuelles ;
  • la 2ème zone de défense comprend les provinces du Kasaï-Occidental, du Kasaï-Oriental et du Katanga dans leurs limites actuelles ;
  • la 3ème zone de défense comprend la Province Orientale, le Maniema, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu dans leurs limites actuelles.

Il convient de relever, d’entrée de jeu, qu’avec la mise en place des nouvelles provinces, l’article 97 de la loi sur les FARDC mérite d’être revu et adapté en se référant aux limites territoriales de nouvelles entités provinciales pour plus de clarté. C’est juste une question de logique et de bon sens. L’a-t-on remarqué au niveau du parlement congolais et des autorités militaires ?

Une inflation des échelons militaires qui risquent d’être contreproductives sur le terrain

La subdivision de la RDC en 26 nouvelles provinces, la création des trois zones de défense délimitées sur la base des 11 anciennes provinces supprimées et regroupant neuf nouvelles régions militaires (remplaçant les 11 anciennes régions militaires correspondant aux 11 anciennes provinces administratives) ainsi que la création des sept nouveaux secteurs[5] vont à coup sûr engendrer des dédoublements et des chevauchements de compétences au niveau de l’opérabilité des unités combattantes sur le terrain et surtout de leur commandement.

C’est exactement ce qui a été constaté lorsque nous avons analysé les défaillances et l’échec de l’opération Sokola 1 contre les prétendus « ADF-Nalu ». Nous l’avons relevé dans notre ouvrage : Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ? », à la page 59, où nous avons démontré que trois généraux se sont retrouvés à la tête du commandement de cette opération, juste pour gérer l’argent de cette opération[6].

Il sied de rappeler que lors de l’analyse que DESC a effectuée à propos de la restructuration des FARDC opérées en septembre 2014, on relevait le risque de distorsion que la loi organique opérait sur le fonctionnement des FARDC.

Ainsi, commentait en ce sens l’ex-lieutenant-colonel de la DSP[7] sous les FAZ[8], Antoine Kasongo : « La nouvelle restructuration des FARDC nous amène à faire des commentaires suivants: Dans sa conception actuelle, la création des zones de défense en maintenant les régions militaires ajoute un échelon de plus sur le plan tactique. Quel est l’échelon de la zone de défense? Corps d’armée, division? Et de la région militaire? [9]».

Il poursuit en constatant : « Avec ces deux échelons chevauchés, il y a une pléthore du personnel. Le commandant de la zone de défense sera assisté par deux adjoints, l’un chargé des opérations qui aura à son tour deux adjoints T2 ( Renseignements) et T3 (organisation, entraînement et opérations), l’autre chargé de l’administration et logistique qui aura deux adjoints T1 (administration) T4 (logistique), il faudra Ajouter à cela le chef d’état-major. La même organisation est reprise pour la région militaire. Vive les chaînes de commandement et de logistique[10] ».

Réagissant au commentaire du lieutenant-colonel Kasongo, l’ancien officier de la Garde civile El Mahoya Kiwonghi embraye dans le même sens : « M. A. Kasongo Munkonkole, (…) on ne peut jamais fermer les yeux quand les risques de voir la défense de la RDC être minée par les mêmes pratiques, soient toujours d´actualité! Vous avez raison de souligner ce « dysfonctionnement » entre les zones de défense et les régions militaires qui peut davantage nuire à la gestion future de la défense du Congo[11] ».

Des secteurs opérationnels créés par une ordonnance présidentielle sans base légale

Les récentes restructurations au sein de l’armée sont une suite logique consécutive à la promulgation en juillet 2013 des ordonnances présidentielles de mise en application de la loi organique nº 11/012 portant organisation et fonctionnement des FARDC, promulguée le 11 août 2011.

Cependant, en dehors de cette législation, le président Kabila a « décidé de créer sept secteurs opérationnels d’action » répartis dans des zones où sévissent des groupes armées locaux ou étrangers: Nord-Equateur, Nord-Katanga, Nord-Kivu, Grand-Kivu, Sud-Kivu, Ituri, Uélé. Mais le problème est que ces secteurs n’ont aucune référence légale car les ordonnances présidentielles d’application de la législation doivent se rapporter à une loi.

Rappelons qu’en 2011, Kabila, allié à l’époque du CNDP – mué de la rébellion en parti politique – a décidé d’abandonner le processus de mixage au profit de l’« intégration » des combattants du CNDP par des modules de formation accélérés d’une vingtaine de régiments[12] et plus de cinq secteurs composés dans leur majorité par les anciens éléments du CNDP, à majorité Tutsi, et a entraîné leur déploiement quasi exclusif sur un espace géographique allant d’Uvira, au Sud-Kivu, jusqu’à Eringeti, au Nord-Kivu[13]. Ni l’échelon « régiment », encore moins celui de « Secteur » n’existent dans la législation et structure territoriale officielle relatives à l’organisation des FARDC et leur déploiement sur le terrain.

En réalité, Kabila s’est subtilement amusé à opérer un dédoublement structurel et fonctionnel du commandement des FARDC, par la mise en place de nouvelles structures militaires dénommées secteurs et régiments. Alors que les anciennes structures – basées sur une organisation en brigades au sein de régions militaires recoupant les provinces du pays – restent en place, on y superpose, au Nord et au Sud-Kivu, 21 régiments organisés au sein de cinq secteurs, dont la majorité est dirigée par d’ex-chefs du CNDP[14], la rébellion qui a causé tant de crimes à l’est de la RDC mais devenue l’alliée politique stratégique de Kabila dans le Masisi, le seul fief électoral où il a fait le plein des voix.

Plus grave encore, les dénominations de ces nouveaux secteurs opérationnels d’action ne cadrent même pas avec la nomenclature des nouvelles provinces administratives territoriales nées de la loi sur la décentralisation. Cette situation risque de prêter à confusion et de rendre difficile la coordination des actions sur le terrain.

C’est le cas du secteur Grand Kivu qui peut être compris comme une entité militaire territoriale regroupant les provinces du Sud-Kivu, du Nord-Kivu et du Maniema. En même temps, l’ordonnance présidentielle crée deux autres secteurs opérationnels distincts du Grand Kivu. Il s’agit des secteurs Nord-Kivu et Sud-Kivu, qui renverraient plutôt aux limites territoriales des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, alors qu’en réalité, ce n’est pas le cas.

Il en est de même du secteur Nord-Katanga qui ne renvoie pas clairement à une entité territoriale administrative clairement délimitée et ne correspond pas du tout à aucune des nouvelles provincettes de l’ex-Katanga découpé : Haut-Katanga, Tanganyika, Lualaba et Haut-Lomami.

Le même constat vaut pour l’ex-Equateur morcelé, où le secteur Nord-Equateur ne permet pas d’identifier avec précision laquelle des nouvelles entités provinciales entre le Nord- Ubangi, le Sud-Ubangi, le Tshuapa, le Mongala ou l’Equateur est concernée. Vive la confusion ! Le président Joseph Kabila semble détenir seul les secrets ainsi que les mobiles de ce saucissonnage militaro-administratif qui échappe complètement à la compréhension de la majorité des Conglais.

La preuve que les ordonnances créant les secteurs opérationnels ne s’appuient sur aucune base légale est clairement illustrée dans l’exposé des motifs de la loi organique sur les FARDC :

« S’agissant des Grandes Unités, il importe de signaler la création d’autres Grandes Unités ci-après :
  • les zones de Défense ;
  • le Corps médical des Forces Armées ;
  • le Corps Logistique ;
  • le Service d’Education Civique, Patriotique et d’Actions Sociales ;
  • le Service de Communication et d’Information ;
  • le Commandement Général des Ecoles Militaires.
Telle est la substance du présent projet de Loi organique. »

Ainsi, il apparait noir sur blanc que la loi a juste créé les zones de défense ainsi que les unités susmentionnées aux côtés des brigades dont l’existence est prévue par les articles 101, 102 et suivants de la loi[15]. La création des régiments et des secteurs reste fondamentalement illégale. On est là devant un cas de flagrante violation de la loi et de l’esprit de la notion d’Etat de droit dont fait régulièrement preuve le régime de Kabila.

Les régions militaires et la décentralisation

Selon l’Article 105 de la loi organique sur les FARDC :

« Les Régions militaires sont articulées de la manière suivante :
  • 11ème Région militaire : Province de Bandundu, dans ses limites actuelles ;
  • 12ème Région militaire : Province du Bas-Congo, dans ses limites actuelles ;
  • 13ème Région militaire : Province de l’Equateur, dans ses limites actuelles ;
  • 14ème Région militaire : Ville de Kinshasa ;
  • 21ème Région militaire : Provinces des deux Kasaï, dans ses limites actuelles ;
  • 22ème Région militaire : Province du Katanga, dans ses limites actuelles ;
  • 31ème Région militaire : Districts du Bas-Uele et de la Tshopo, dans leurs limites actuelles ;
  • 32ème Région militaire : Districts du Haut-Uele et de l’Ituri, dans leurs limites actuelles
  • 33ème Région militaire : Provinces du Maniema et du Sud-Kivu, dans leurs limites actuelles ;
  • 34ème Région militaire : Province du Nord-Kivu, dans ses limites actuelles. 

L’organisation et le fonctionnement de la Région militaire sont déterminés par ordonnance du Président de la République, sur proposition du Ministre ayant dans ses attributions la Défense Nationale, délibérée en Conseil des Ministres, le Conseil Supérieur de la Défense entendu ».

On constate d’abord qu’il n’est nullement question d’une ordonnance présidentielle se rapportant aux régiments et aux secteurs. Mais notre propos ici est de relever de nouveau l’ambivalence qu’apporte cette nouvelle nomenclature des régions militaires au regard de la loi sur la décentralisation militaire.

Ainsi, comment différencier le Secteur Uélé qui, en toute logique devrait couvrir les nouvelles provinces du Bas-Uélé et du Haut-Uélé, des 31ème Région militaire correspondant aux anciens districts administratifs du Bas-Uélé et de la Tshopo et du 32ème Région militaire couvrant les anciens districts du Haut-Uélé et de l’Ituri ? Ce, d’autant que le Bas-Uélé (faisant partie de la 31ème Région militaire) et le Haut-Uélé appartenant à la 32ème Région militaire se retrouvent dans des régions militaires différentes mais font partie d’un même secteur d’opération, le secteur Uélé. Quelle bouillabaisse?

Comd ZDef et RM_FARDC

Pour lire l’intégralité de la Loi organique nº 11/012 portant organisation et fonctionnement des FARDC, promulguée le 11 août 2011 :

http://afridesk.org/wp-content/uploads/2013/08/Loi-Organique-sur-les-FARDC.pdf.

Les mobiles latents de la décentralisation au regard de l’accord du 23 mars 2009 et de l’accord-cadre d’Addis-Abeba

L'entrée triomphale du M23 au stade de Goma, Novembre 2013
L’entrée triomphale du M23 au stade de Goma, Novembre 2013

Nous n’avons cessé de dire qu’une des raisons qui pousse Kabila à précipiter la découpage du territoire consiste, entre autres, à répondre à ses engagements personnels vis-à-vis de l’Accord du 23 mars 2009 signé entre le gouvernement congolais et le CNDP. La mauvaise application de cet accord a été à la base de la création du M23 dont les rebelles sont en passe d’être tous amnistiés par Kinshasa, malgré les atrocités commises contre les populations congolaises.

L’accord du 23 mars prévoit notamment en son article 8 les dispositions suivantes :

– 8.1. Les parties conviennent que le rapprochement de l’administration des administrés est une exigence de bonne gouvernance.
– 8.2. Se fondant sur la nécessité d’une meilleure prise en compte possible des réalités sociologiques du pays, le CNDP a proposé un modèle de découpage du territoire national.

Curieusement, ces aspects reviennent dans l’accord-cadre signé en février 2013 à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne. L’un des six points de l’accord-cadre exige également à l’Etat congolais d’ « effectuer des progrès en ce qui concerne la décentralisation ». Si le président Kabila se montre prompt à appliquer le troisième engagement – Progresser sur la voie de la décentralisation – dans la précipitation, il manifeste par contre une réticence à appliquer les engagements prioritaires de l’accord-cadre. Pourtant, ces engagements constituent des préalables indispensables à une bonne décentralisation, à savoir :

  • Poursuivre et approfondir la réforme du secteur de la sécurité, en particulier s’agissant de l’ARMÉE et de la police;
  • Promouvoir la réconciliation, la tolérance et la démocratisation.

Il n’est pas exclu qu’en définitive, l’objectif final de cette procédure de décentralisation, décriée de toutes parts, finisse par créer des conditions idéales à la création d’un « Tutsiland » à l’est du Congo, comme territoire d’outre Rwanda/Ouganda en RDC.

Violation du principe opératique Unité de terrain / Unité de commandement / Autonomie tactique

Cette notion capitale dans l’organisation militaire, veut que sur un espace géographique militaire bien déterminé, qu’il y ait un commandement désigné devant disposer d’une assez large marge de manœuvre (autonomie tactique) dans les actions à mener sur le terrain. Cela veut dire qu’un seul chef dispose de tous les pouvoirs dans les domaines et l’espace géographique militaire de l’organisation pour laquelle il est responsable. Or dans le cas sous analyse, on se retrouve à un chevauchement de chefs sur un même terrain ou sur plusieurs terrains différents du fait du découpage administratif découplé du dédoublement des structures parallèles de l’armée sur un même espace géographique. Cela avec la conséquence d’induire à un système de commandements parallèles comme cela a été démontré dans notre récent ouvrage sur Les Forces armées de la RD Congo: Une armée irréformable ? lorsque nous avons diagnostiqué les causes de la chute de Goma en 2012 et de l’échec actuel des opérations Sokola 1 à Beni, dans le Nord-Kivu.

L’unité de commandement dans un terrain opérationnel géographiquement et clairement identifié (bien nommé et délimité) permet un meilleur rendement tactique et opérationnel. Elle évite l’écueil ou l’effet pervers de dédoublement organique et structurel à travers la multiplication des unités exécutant des ordres/missions qui échappent au contrôle du commandant des opérations de la zone désignée. C’est là un comportement souvent décrié par DESC et qui est devenu la marque déposée des FARDC qui se comportent plus comme une armée des milices juxtaposées les unes à côté des autres que comme une armée à vocation nationale. Une armée des milices est un groupe de plusieurs factions armées indépendantes qui n’obéissent qu’à leurs chefs respectifs directs et non pas aux autorités hiérarchiques prévues par les structures de l’armée. Plusieurs régiments FARDC issus des ex-CNDP ainsi que la Garde républicaine agissent encore dans cette logique antinomique de la constitution d’une armée républicaine, où doit régner l’esprit de corps. Ces unités ne rendent des comptes qu’à leurs chefs militaires et politiques et non pas aux commandants des zones d’opération où ils accomplissent leurs missions et dont elles sont censées obéir tactiquement.

Conclusion

Sans mener une analyse exhaustive sur tous les effets nocifs d’accouplement ou de partouse de la loi organique sur les FARDC, des ordonnances présidentielles de son application avec la mise en place de nouvelles entités provinciales décentralisées, nous venons de démontrer par ces quelques illustrations les dangers qui pourraient (ou certainement vont) guetter les FARDC au niveau de l’optimisation de leur fonctionnement sur le terrain.

Avec la nouvelle mise en place des Grandes Unités des FARDC, il y a un nouvel échelon supérieur aux contours flous qui s’est ajouté : la Zone de Défense. Cette dernière est venu se superposer aux 9 Régions militaires là où la logique du principe militaire d’efficacité opérative (Unité de terrain – Unité de commandement) prône la réduction du nombre des échelons au strict nécessaire. A cela, il faut ajouter les nouveaux secteurs et régiments illégaux. A propos des régiments, ils remplacent déjà les anciennes brigades prévues par aussi bien par la loi que par les différents plans de réforme. Au point qu’aujourd’hui, au sein des FARDC, se superposent et se dédoublent, structurellement et fonctionnellement, plusieurs couches de lasagnes distinctes : Zones de défense, Régions militaires, régiments, secteurs etc.

Nous sommes d’avis avec le professeur Joseph Yav Katshung qui reconnait que la « décentralisation – découpage » laisse couler encre et salive peut-être pas encore le sang. Aussi, tout n’est pas que rose car en matière de décentralisation, des arguments de tout genre sont usités. Ainsi, du point de vue négatif, on peut argumenter que le processus de décentralisation est susceptible d’accroître les inégalités entre les provinces les plus pauvres et les plus riches d’un pays. Cela peut être le cas si la politique de péréquation fiscale n’est pas assez efficace pour empêcher les provinces les mieux dotées en ressources de bénéficier d’encore de revenus ; de déstabiliser l’unité nationale et déclencher des conflits politiques ou ethniques…, etc. Mais du point de vue positif, les raisons politiques avancées pour justifier ce « découpage territorial » mieux cette « décentralisation – découpage », évoquent la nécessité et le souci de faire bénéficier à chaque habitant des conditions de vie améliorées en rapprochant davantage les administrés de l’Administration…  Il va de soi que ce découpage territorial est une cause noble et l’objectif indiscutable. Mais, cela est-il perçu comme tel dans tous les coins de la RDC ? C’est la grande question qu’il sied adresser[16].

Sur le plan politique, le découpage permettra, aussi, sans doute à certains acteurs politiques de la capitale de positionner leurs auxiliaires (ou « supplétifs ») à la base. Mais il y a la crainte que la décentralisation n’atteigne pas les vrais objectifs recherchés à la base, à savoir l’impulsion d’une dynamique locale de développement endogène, l’efficacité et l’efficience d’une administration de proximité et la participation active des populations à la gestion de leurs entités…, nous dit un politologue congolais. Il est aussi à redouter que le potentiel de conflits de ce processus précipité risque de bloquer le fonctionnement de nouvelles provinces. La plupart de ces nouvelles provinces ne sont même pas financièrement viables dans l’état actuel des choses. Et si le pouvoir central n’a pas pu assurer complètement la décentralisation financière avec 11 provinces, le doute est élevé qu’il ne le fasse pas avec les 26 nouvelles provinces. La déliquescence de l’Etat, celle particulière du système judiciaire et l’état d’abandon de l’armée / police ainsi que l’échec de la réforme des services de l’Etat semblent encore porteuses de germes de conflits majeurs.

Jean-Bosco Kongolo, pour sa part, met en évidence un processus hâtif d’une décentralisation non réfléchie et non budgétisée en  brandissant les risques d’exponentiation de l’insécurité et des conflits communautaires dans un Etat fragile, où la situation sécuritaire reste précaire. « Dans un pays en proie à l’insécurité non encore maîtrisée sur une bonne partie de son territoire national et où la cohésion nationale est encore très fragile, la décentralisation administrative telle que prévue signifie tout simplement la décentralisation des conflits entre communautés tribales et ethniques au sein des nouvelles provinces[17] ». Partant, il appelle les Congolais à dire non à la précipitation dans laquelle le régime congolais mène le processus de décentralisation : «  Cela étant, tous les Congolais (peu importe leur sensibilité politique) sont invités à user des droits que leur accorde l’article 64 de la Constitution pour dénoncer et mettre en échec cette dérive totalitaire d’une poignée d’individus[18] ». « La décentralisation, en tant qu’objectif national à atteindre pour rapprocher l’administration de l’administré, est une chaîne composée de plusieurs maillons, chacun aussi important que les autres. Objectivement et au vu de quelques éléments exposés dans ces lignes, n’importe quel Congolais conscient peut se rendre à l’évidence qu’en cette matière, la décentralisation a déjà échoué avant d’avoir démarré. Ça serait une erreur criminelle de l’envisager uniquement en termes d’élection des gouverneurs des provinces, des députés provinciaux et des autres animateurs des entités territoriales décentralisées(ETD). (…) A moins d’avoir un agenda caché derrière une telle décentralisation, nous interpellons la classe politique et conseillons patriotiquement aux passionnés du découpage territorial d’avoir l’humilité de reconnaître que ce projet doit être approfondi et minutieusement étudié dans toutes ses facettes. S’il est jugé opportun, il devra ensuite être budgétisé et planifié en tenant compte des avis des experts de tous les domaines[19]».

Comme nous l’écrivions à propos de la restructuration de l’armée, la seule personne à maitriser les tenants et aboutissants des mises en place dans les FARDC, c’est bien le président Kabila. Mais on constate par ailleurs que le même Kabila et une bande d’illuminés de son entourage veulent imposer aux Congolais, envers et contre tous, un processus de décentralisation bâclé, aux conséquences explosives sur les plans politique et sécuritaire, qui ne manquera pas de porter un coup dur à stabilisation de la RDC. Il y a anguille sous roche non !

Références Bibliographiques

[1] http://afridesk.org/la-justice-congolaise-dans-la-perspective-de-la-decentralisation-jean-bosco-kongolo/.

[2] Bureau d’études stratégiques, un groupe de réflexion regroupant des anciens officiers congolais formées dans des académies militaires occidentales.

[3] A la tête de l’ANC, Mobutu a maintint l’organisation de deux types de troupes distincts : celles qui sont « campées » et celles qui sont « mobiles » :

  • L’Armée campée avait principalement pour rôle d’assurer la sécurité du pays contre les agressions extérieures. Ces troupes étaient réparties en principes en trois « groupements », ou régions militaires, comprenant chacun une demi-douzaine de camps militaires. Un quatrième groupement fut après la sécession katangaise et couvrit le territoire du sud-Katanga et fut confié au général Louis de Gonzague Bobozo, apparenté à Mobutu.
  • L’Armée mobile, celle des gendarmes, était répartie en « compagnies » au plan des districts et en « pelotons » au plan des territoires. Elle était soumise à l’autorité civile et s’occupait des missions de maintien et de rétablissement de l’ordre public. Ce rôle, elle le partageait avec la police qui était une instance territoriale recrutée et opérant à ce simple niveau. Lire Jj Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force Publique aux FARDC, Ed Avril 2013, p.71. Aussi Isidore Ndaywel è Nziem, Histoire du Zaïre : De l’héritage ancien à l’âge contemporain, Editions Duculot, Louvain-la-Neuve, 1997, p.601.

[4] L’organigramme de la Force publique (du Congo-Belge) répartissait l’armée en 1er Groupement : (correspondant aux provinces administratives du Kasaï et du Katanga (QG à Lubumbashi) ; 2ème Groupement : les provinces administratives de l ‘Equateur et de Léopoldville (qui comprenait également le Bas-Congo et le Bandundu avec QG à Kinshasa) et 3ème Groupement (constitué des provinces administratives du Kivu et Orientale avec QG à Kisangani).

[5] Ces 7 secteurs opérationnels d’action sont répartis dans des zones où sévissent des groupes armées locaux ou étrangers: Nord-Equateur, Nord-Katanga, Nord-Kivu, Grand-Kivu, Sud-Kivu, Ituri, Uélé.

[6] L’opération Sokola 1 a été planifiée par le Colonel Mamadou Ndala. Après son assassinat, c’est le Général Lucien Bahuma Ambamba qui a repris le commandement de cette opération et l’a menée avec efficacité et succès en réduisant considérablement la capacité de nuisance de l’ADF… Le commandement de Sukola 1 était très simple : C’est le Général Bahuma qui était à la fois le seul commandant de Sukola1 et en même temps commandant de l’ancienne 8ème Région Militaire (Nord-Kivu). Cela répondait à un principe opératique cardinal : « Unité de terrain – unité de commandement »[6].

A la mort du Général Bahuma, on a suspendu l’opération Sukola 1. Elle a été relancée avec 3 absents de taille : Mamadou Ndala, Bahuma et Olenga qui n’est plus à la tête de l’armée de terre. De plus, plusieurs militaires engagés dans l’opération Sokola 1 n’étaient pas payés.

Le Général de Brigade Akili Mohindo (Mundos) de la Garde républicaine a succédé au Général Lucien Bahuma comme commandant de l’opération Sokola 2. Mais sur le terrain, il y a en réalité trois chefs qui se disputent le commandement de Sukola 2 :

  1. Le commandant de la 3ème zone de défense, le Général-major Léon Mushale,
  2. le commandant de la nouvelle 34ème Région militaire (anciennement 8ème RM): le Général de brigade Emmanuel Lombe et
  3. le commandant de l’opération Sukola 1, le Général de Brigade Akili Mohindo (Mundos).

Ces trois chefs se sont disputés le commandement de Sukola, juste pour gérer l’argent des opérations envoyé par Kinshasa. Les opérations militaires sont devenues pour la plupart des généraux une occasion de faire du business.

D’après des informations recueillies auprès des sources militaires, cet émiettement du commandement a généré de sérieux problèmes de commandement, d’entente, de coordination entre le chef de la troisième zone de défense, le général Léon Mushale et ses deux subordonnés opérationnels : le général Charles Akili Mohindo dit Mundos qui est le commandant de l’opération Sokola à Beni ainsi el le général Emmanuel Lombe, le nouveau commandant de la 34ème région militaire au Nord-Kivu. Chacun essaie de travailler à sa manière et sans coordination avec l’autre. Cela a engendré la désorganisation au niveau du commandement des opérations.

[7] Division spéciale présidentielle, la garde présidentielle sous Mobutu.

[8] Forces armées zaïroises : armée loyaliste congolaise entre 1997 et 1997.

[9] JJ Wondo O, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, Dec 2014, p.186.

[10] JJ Wondo O, Ibid., p.187.

[11] JJ Wondo O, Ibid., p.187.

[12] L’échelon « régiment » n’existe pas dans la législation et structure territoriale officielle relatives à l’organisation des FARDC.

[13] Rapport du Centre pour la Gouvernance, « Regain des violences dans les Provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et le District de l’Ituri en RDC », juillet 2012.

[14] Georges Berghezan, « Forces armées de RDC : Le chaos institutionnalisé? », GRIP, n°1, 9 Janvier 2014. Aussi Regain des violences dans les Provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et le District de l’Ituri en République Démocratique du Congo, op. cit. & Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Avril 2013, op. cit., pp.282-284.

[15] Paragraphe 2 : De la région militaire

Article 101 :
La Région militaire est une circonscription militaire comprenant des unités de la Force terrestre.
Article 102 :
La Région militaire comprend :
– un Etat-Major ;
– une unité de soutien administratif et logistique ;
– des brigades ;
– une unité médicale ;
– une unité logistique.
La Région militaire est placée sous le Commandement d’un Officier Général appelé Commandant de Région Militaire, assisté de deux Commandants Adjoints, Officiers Généraux ou supérieurs.

[16] Joseph Yav Katshung , LA « DECENTRALISATION – DECOUPAGE » EN RDC : UNE TOUR DE BABEL ? http://www.congovision.com/nouvelles2/Decentralisation-Decoupage-en-RDC2.pdf.

[17] RDC : Que cache l’installation précipitée des nouvelles provinces? – Jean-Bosco Kongolo – See more at: http://afridesk.org/13702/#sthash.d3CkOqR6.dpuf.

[18] Ibidem.

[19] http://afridesk.org/la-justice-congolaise-dans-la-perspective-de-la-decentralisation-jean-bosco-kongolo/.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC

Analyste politique et expert des questions militaires, sécuritaires et stratégiques

Criminologue – Politologue et diplômé de l’Ecole royale militaire.

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2 Comments on “L’impact de la décentralisation sur le fonctionnement des FARDC – Jean-Jacques Wondo”

  • Loic

    says:

    Il manque un document essentiel qui a été publié en janvier 2015 et qui fixe les relations de subordinations et de coordination entre les différents éléments des FARDC. Ce document a également fait l’objet de discussions lors du séminaire stratégique organisé à Kinshasa du 17 au 19 juin durant lequel un débat géré par le Général Mbala portait sur la mise en oeuvre de ces nouvelles directives. La majorité des officiers généraux des FARDC ont participé à ce séminaire organisé par le CGEM.

  • GHOST

    says:

    ¤ ALTERNANCE

    Mr Wondo devrait faire un travail plus avancé car en cas d´alternance l´an prochain…les nouveaux dirigeants congolais vont avoir besoin de toute forme d´expertise afin de lancer un programme militaire crédible*

    ¤ Si la RDC a repris presque la vielle partition des zones militaires héritée de la Force Publique, les menaces sécuritaires dont les FARDC font face actuellement et dans le futur ne sont pas celle de l´EIC/Congo-Belge*
    En effet, la question des infrastructures est la priorité afin de rendre crédible ces zones de Défense* Chaque zone de Défense doit posseder au minimum deux grandes bases militaires pouvant loger au minimum 3 brigades.
    La RDC ne possede pas ces infrastructures et il n´existe pas un programme militaire visant á faire construire ces bases militaires actuellement*

    ¤ La mauvaise approche héritée des FAZ où les regions militaires correspondent aux provinces admnistratives n´est pas efficace quand il faut faire face aux menaces d´invasion et d´occupation du territoire national par des pays voisins predateurs*
    C´est la grande contribution de mr Wondo sur cette question* Nous esperons qu´il va approfondir son travail afin d´aider á mieux clarifier cette question pour les futurs dirigeants de la RDC

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