L’on peut se poser une multitude de questions notamment celle de savoir ce que la nouvelle constitution et le multipartisme ont apporté au pays en termes de démocratie. Comme en 2006, en 2011 et en 2018, le peuple congolais se prépare à élire ses représentants lors des élections qui se tiendront en décembre 2023. Contrairement au Président de la République, dont le nombre des mandats est limité à deux, la plupart des députés s’apprêtent à retourner à leurs bases pour solliciter un énième mandat tandis de nouveaux prétendants fourbissent leurs armes pour gagner leurs sièges au Palais du peuple et dans les assemblées provinciales.
Les stratégies pour y parvenir dépendent en grande partie de la perception que les « intellectuels » et les opérateurs politiques se font du rôle du député mais également, et surtout, de ce que les électeurs attendent globalement de leurs élus, ceux-ci étant l’émanation du peuple. La perception erronée des uns et des autres est susceptible de biaiser pour longtemps la démocratie et la cohésion nationale si rien n’est fait pour corriger cet état de choses.
C’est la réflexion à laquelle la présente analyse invite les intellectuels et tous ceux qui sont épris du sens de patriotisme.
Faute de traduction et de vulgarisation de nos textes de lois dans les langues nationales, ça serait trop demander à la population de lire et de comprendre notamment la Constitution, ne serait-ce que dans certaines de ses dispositions. Il ne serait pas non plus exagéré d’affirmer que la plupart des parlementaires terminent leurs mandats sans se donner la peine de lire ne fût-ce que la Constitution, qui est la loi fondamentale.
Article 100
Le pouvoir législatif est exercé par un Parlement composé de deux Chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat.
Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, le Parlement vote les lois.
Il contrôle le Gouvernement, les entreprises publiques ainsi que les établissements et les services publics.
C’est tellement limpide que ça ne demande pas le recours à un juriste pour comprendre ce libellé. A titre d’information, cette disposition s’adresse à tous les citoyens, électeurs surtout, qui sont prévenus que les lois qui s’appliquent à eux sont votées par leurs élus et que s’il y a mauvaise gouvernance, ils peuvent compter sur leurs élus pour contrôler et sanctionner le gouvernement ainsi que les mandataires publics. Plus explicitement la même disposition s’adresse aux potentiels candidats députés, qui doivent savoir ce qui les attend et ce que le peuple attend d’eux une fois élus.
Mais dans le contexte congolais les choses ne se passent pas toujours ainsi, à cause justement de la mauvaise perception du rôle du parlementaire. En effet, il suffit de suivre quelques images qui nous parviennent de l’hémicycle du Palais du peuple pour constater que ce sont les mêmes, une poignée, qui prennent la parole pour exposer les problèmes d’intérêt national, initier des propositions de lois, interpeller les membres de l’exécutif ou les mandataires publics. La plupart n’arrivent dans les salles des plénières que pour faire acter leur présence tandis que certains sursautent de leur sieste juste pour applaudir ce dont ils n’ont même pas entendu discuter. Parmi ceux qui participent tant soit peu aux débats, il y en a qui cherchent à se rendre inutilement vedettes en soulevant intempestivement de motions pour bloquer une interpellation utile ou pour soutenir, par solidarité partisane, un ministre ou un mandataire candidat à la déchéance. Plus grave, il y en qui, par paresse intellectuelle ou ignorance inadmissible, introduisent des propositions de loi dans des matières déjà légiférées ou celles qui relèvent du domaine réglementaire. C’est le cas d’un député qui avait volé la vedette en voulant fixer le montant de la dot par voie législative, ignorant que c’est par acte réglementaire que cela doit se faire. Voici ce que dit le code de la famille à ce propos :
Article 362 :
La coutume applicable au mariage détermine les débiteurs et les créanciers de la dot, sa consistance et son montant, pour autant qu’elle soit conforme à l’ordre public et à la loi, plus particulièrement aux dispositions qui suivent.
Cette coutume détermine également les témoins matrimoniaux de la dot.
Article 363 :
La dot ne peut dépasser la valeur maximale fixée par ordonnance du Président de la République, prise sur proposition des assemblées régionales.
En effet, la Commission nationale de réforme du droit, composée d’intellectuels de plusieurs disciplines (juristes, sociologues, psychologues, anthropologues, philosophes…) avait tenu compte de la diversité culturelle du pays dans l’élaboration du code de la famille afin d’associer les assemblées régionales (aujourd’hui assemblées provinciales) à la fixation de la dot par ordonnance présidentielle en tenant compte des coutumes locales. Il convient de relever que depuis la promulgation du code de la famille le 1er août 1987 et sa mise en vigueur le 1er août 1988, aucun Président de la République n’a déjà pris une ordonnance, conformément à cette loi, pour fixer la dot et freiner l’anarchie qui s’est installée un peu partout en cette matière.
L’exposé des motifs de cette loi est plus explicite, s’agissant des conditions du mariage : « A propos de ces conditions, il y a lieu de souligner, au titre des innovations importantes, que la dot a été considérée comme condition de mariage, consacrant ainsi une conception coutumière solidement répandue dans notre mentalité traditionnelle. Le législateur a cependant été conscient du danger que font courir à cette institution des parents cupides qui la transforment en opération commerciale. C’est pourquoi il est prévu que le montant de la dot ne pourra dépasser une valeur maximale fixée pour chaque région par ordonnance du Président du Mouvement Populaire de la Révolution, Président de la République, sur proposition des Assemblées Régionales. Cette dernière idée a pour but de permettre éventuellement de tenir compte des diversités régionales pour ne pas heurter inutilement certaines habitudes. »
Comme on peut le voir, certains de nos « honorables » ne lisent tout simplement pas et ne se donnent pas la peine de consulter les experts. Il en est de même de la proposition de loi dite « Loi Tshiani » (de père et de mère), qui a émotionnellement et inutilement tenu en haleine toute la nation pendant presque deux ans, soutenue par des gens hautement instruits mais qui n’ont fourni aucun effort pour comprendre, peu importe leur motivation, qu’il fallait préalablement commencer par modifier les dispositions constitutionnelles relatives à la nationalité tout en tenant compte des conventions internationales ratifiées par l’État congolais. Ce qui est davantage choquant, dans la mauvaise perception du rôle des élus, c’est ce qui se passe dans leurs rapports avec leurs électeurs.
Représenter tout un peuple ou même une portion de celui-ci et avoir le pouvoir de contrôler l’exécutif, jusqu’à le faire tomber ou faire tomber certains de ses membres, est tellement sérieux qu’on ne peut pas se permettre d’en confier le mandat à n’importe qui. Cela suppose que ceux qui sollicitent ce mandat soient l’émanation réelle de ce peuple et qu’ils aient en plus une connaissance solide des aspirations profondes de ce dernier et soient bien informés de toutes les réalisations gouvernementales. Pour cela, un élu du peuple doit non seulement disposer d’un bagage intellectuel suffisant lui permettant de comprendre et de suivre la gestion gouvernementale, il doit également entretenir des relations étroites avec son électorat.
La réalité est toute autre sur terrain. Pour la majorité d’électeurs, le député est celui qui doit jeter des ponts, entretenir les routes, payer les frais de scolarité des plus démunis de sa circonscription, équiper les hôpitaux, prendre en charge les frais de maternité, supporter les frais funéraires… N’ont-ils pas été exhortés dans cette perception par le Chef de l’État dans son adresse à la nation le 13 décembre 2019 devant les deux chambres réunies en congrès ? : « Il existe un fossé entre les attentes légitimes de notre peuple et les prérogatives constitutionnelles dévolues aux députés nationaux. Je suis conscient de vos difficultés en ce que la population dont vous êtes l’émanation attend de vous des routes, des écoles, des frais funéraires, des frais de mariage, des frais de subsistance, etc.
Il est nécessaire que nous puissions, sans entraver les prérogatives des uns et des autres, trouver des mécanismes pour créer une synergie Gouvernement – Parlement de sorte que vous puissiez être associés aux concrétisations de nos projets dans vos circonscriptions respectives.
Je pense à la pratique, à l’époque, où les parlementaires bénéficiaient d’une dotation raisonnable pour répondre, un tant soit peu, aux besoins de leurs bases respectives pendant les vacances parlementaires. »
Il n’est donc pas étonnant de constater que durant les campagnes électorales, les candidats députés, toutes tendances confondues, se voient dispensés d’exposer les grandes lignes de l’idéologie de leur parti, encore moins de l’hypothétique projet de société ou programme d’action à confronter à celui des adversaires. Mais chacun, grâce à la cagnotte généralement reçue du leader du parti ou du regroupement, se contente de distribuer des fournitures scolaires par-ci, de planter quelques poteaux d’éclairage public par-là, de faire un forage d’eau ou encore de prendre à son compte les frais de participation des finalistes aux examens d’État. Le président de l’Assemblée nationale en sait quelque chose : « A Kenge et à Feshi particulièrement, les lauréats se sont voulus reconnaissants. Dans l’euphorie, ils ont entonné des chants en l’honneur du président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso Nkodiapwanga, qui a payé tous les frais de participation aux examens d’État pour tous les finalistes de la province du Kwango. »[1] Cette pratique n’est pas isolée, bien au contraire elle fait des émules parmi d’autres élus, comme en témoigne cet autre exemple et pas de moindres : « La deuxième personnalité de la chambre haute du Parlement a payé, ce mercredi 26 avril, tous les frais de participation des finalistes de cette province éducationnelle dont le siège est Kabeya Kamuanga, à l’Inspection générale de l’Enseignement primaire, secondaire et technique (EPST).
D’abord, Eddy Mundela Kanku a versé toute la somme, avant de remettre la preuve de paiement à l’inspecteur général (IG) de l’EPST), Jacques Odia Musungayi.
Selon cet élu des élus, il est important de soulager les ménages qui ont plusieurs charges. »[2] Ces actes, d’apparence généreuse, posés par deux hauts responsables du parlement national ont certainement été applaudis et considérés comme des exemples à suivre dans la mesure où ils ont soulagé pour un temps le fardeau de nombreux parents et permis à de milliers de finalistes de participer aux examens d’État. D’où des questions suivantes méritent d’être posées :
– Est-ce que c’est cela le rôle d’un élu?
– Comment ces deux hauts responsables parlementaires peuvent-ils justifier et expliquer cette pauvreté extrême des parents, dans un pays aux ressources fabuleuses, au point de ne pas être en mesure de s’acquitter des frais de participation de leurs enfants aux examens d’État ?
– Ces actes ponctuels, résolvent-ils pour autant les questions cruciales de la pauvreté dans notre pays?
– Puisque ce n’est pas pour demain que la situation sociale du peuple congolais pourrait s’améliorer, ces élus qui se montrent si généreux continueront-ils à poser des actes de cette nature même au-delà de leur mandat ?
– En tant que hauts responsables parlementaires (Assemblée nationale et Sénat), pourquoi n’ont-ils pas pu contraindre le gouvernement à étendre carrément la gratuité de l’enseignement à la participation de tous les finalistes aux examens d’État?
Il y a quelques mois encore, un nouveau phénomène a été observé un peu partout dans les circonscriptions électorales, consistant pour les candidats députés, d’aller s’enrôler à « la base » en y organisant des caravanes piétonnes et motorisées tendant à démontrer leur popularité et leur générosité. Prélude à la campagne électorale, qui s’annonce impitoyable même entre des candidats appartenant à une même famille politique et/ou biologique, l’enrôlement a été pour des candidats plus populistes l’occasion de réparer quelques petits ponts, d’en construire quelques autres, d’équiper en bancs quelques écoles et églises, de moderniser des stands de quelques marchés, d’habiller des mamans de quelques associations et surtout de promettre d’ores et déjà de résoudre des problèmes relevant des exécutifs national et/ou provincial.
Conclusion
S’est-on déjà demandé pourquoi la loi électorale est modifiée à chaque processus électoral? Chacun pourrait y réfléchir en âme et conscience. Toutefois, aussi efficace et impartiale que puisse être une loi, elle est inutile si elle n’est pas appliquée avec rigueur par ceux qui en ont le devoir. Aussi nombreux que puissent s’entasser des partis politiques pour créer une famille politique et constituer une majorité parlementaire, ils ne reflètent pas la démocratie s’ils ne sont créés que pour le positionnement de leurs fondateurs. Aussi techniquement excellente que puisse être l’organisation des élections, le défi de la démocratie et du bien-être de la population ne sera pas relevé si le rôle d’un parlementaire n’est pas du tout compris tant par les électeurs que par leurs élus. Kissinger, ancien Secrétaire d’État, n’avait-il pas raison de dire que « Chaque peuple n’a que les dirigeants qu’il mérite. »
Les faits et actes relevés et dénoncés dans cette analyse ne sont malheureusement que la réalité qui étouffe l’expression démocratique et fausse la compétition entre acteurs politiques. Nous sommes d’avis que sans une véritable révolution politique susceptible de changer de paradigme, l’on continuera de tourner en rond. Le vrai changement passe entre autres par l’application rigoureuse de la loi portant organisation et fonctionnement des partis politiques pour n’en retenir que deux ou trois qui seraient en mesure de remplir réellement les conditions de création et d’existence. Il y a aussi et surtout l’éducation civique des électeurs, une préoccupation que ne sauraient et ne voudraient faire les leaders actuels pour continuer de tirer sciemment profit de l’ignorance de la population. La révolution souhaitée aurait enfin pour avantage de mettre également hors d’état de nuire les magistrats qui traitent avec complaisance les contentieux électoraux. Tout ce qui est dit ci-dessus à propos des élus nationaux vaut également pour les députés provinciaux.
Références
[1] CONGO PROFOND, 11 octobre 2021, In https://congoprofond.net/exetat-kwango-les-laureats-dedient-leurs-diplomes-a-mboso/.
[2] 7sur7.cd, 26/04/2023, In https://7sur7.cd/2023/04/26/exetat-2023-eddy-mundela-prend-en-charge-les-frais-de-participation-de-tous-les.