Lettre d’un citoyen congolais au president Kabila
Monsieur le président,
J’ai appris que vous prévoyez visiter la ville de Goma pour féliciter et encourager nos forces armées pour leur bravoure au combat contre les m23 de triste mémoire, mais aussi pour rendre hommage, je l’espère, à la population du Nord Kivu et de Goma qui n’a cessé de lutter et de vous maintenir éveillée – je veux dire de vous réveiller– lorsqu’il semblait évident que notre pays était en train de chavirer tel un navire sans capitaine.
Puisque enfin grâce à la bravoure des FARDC et au soutien de la brigade d’intervention de Nations Unies le M23 est vaincu, bienvenu chez nous.
Je fais couler l’encre de ma plume, non pas pour parler de ce mouvement qui, pendant 20 mois, nous a terriblement endeuillé, déshonoré et indigné en tant que nation , mais pour vous présenter, moi, citoyen Congolais et habitant ordinaire de Goma, un briefing en cinq points sur la situation actuelle de la ville que vous allez bientôt visiter.
1. Goma – ville, ou vestige touristique?
On raconte que Goma est la capitale touristique de la RD Congo. Peut-être parce que c’est une porte d’entrée sur le parc nationale de Virunga, et le beau paysage qu’offre la chaine de Mitumba ou parce qu’elle englobe le lac vert qui n’est pas mis en valeur ou encore le vestige d’une voirie urbaine qui date des années 90 ou même 70.
Parce que, si on y voit bien, la ville de Goma n’a rien de touristique hormis son caractère de ville martyre, capitale mondiale du viol, du meurtre, des enlèvements et de bien d’autres maux. Cette chère ville qui jadis, fut peut-être la capitale touristique de la RD Congo, trouve sa place parmi les villes les plus dangereuses au monde, perdant automatiquement son soi-disant caractère touristique.
2. Goma – ville lacustre, sans eau courante
La proximité de la ville au lac Kivu n’offre aucun avantage à sa pauvre population. Mais par ironie du sort, elle ne l’offre que multiples désavantages, qui sont entre autre de cas de noyade de nos frères et sœurs qui par manque d’eau sont obligés d’aller puiser au lac jusqu’à y laisser leur vie. Car pour eux et pour la plupart d’habitants de Goma, l’eau de robinet n’est qu’un conte de fée, si pas une fiction.
Pourtant on apprend que la ville de Goma a bénéficié d’un financement du fond social de la RDC pour rénover la tuyauterie dans certains quartiers et d’un soutien du CICR pour l’amélioration de la distribution en eau potable. C’est donc, à mon avis, plus un problème de gestion qu’un problème d’infrastructure. La tolérance zéro, si ce n’est pas un slogan creux et démagogue, devait se remarquer par ici. Pour boire de l’eau potable, la population de Goma est obligée de se tourner vers le Rwanda et l’Ouganda, en y laissant encore de son honneur et sa fierté(même pour avoir l’eau potable il faut se tourner vers les pays agresseurs !)
La noyade et le manque d’eau potable ne sont pas les seuls maux du lac Kivu, mais on y ajoute le non contrôle et la non exploitation du gaz méthane, qui, par sa propriété physique de fluide arrive souvent à s’échapper et cause des victimes aux alentours du lac. Ce même gaz, calamité pour la pauvre population lorsqu’il s’échappe, peut être aussi un atout dans la production de l’électricité pour cette même population qui ne compte plus le nombre des jours et de nuits qu’elle passe dans le noir ; être une formidable source d’énergie et de revenus pour l’Etat, bien plus propre que ce pétrole que l’on recherche dans les entrailles fragiles du parc de Virunga.
3. Goma – ville de plus d’un million d’habitants
Ma chère petite ville de Goma est essentiellement habitée des jeunes, comme c’est d’ailleurs le cas pour l’ensemble du pays. Ces jeunes ont besoin d’une bonne scolarité, des lieux de sport, de recréation et de culture pour leur épanouissement physique et psychique, chose qui malheureusement leur manque totalement. Les établissements d’enseignement supérieur et universitaire sans locaux ou avec des locaux fortement délabrés poussent comme des champignons sans aucun contrôle : l’éducation des jeunes étant négligée, comment peut-on espérer que l’avenir du pays soit meilleur ?
Goma ne compte aucune grande bibliothèque ouverte au public. Elle ne compte pas d’infrastructures publiques de sport accessibles aux jeunes et même aux adultes à part quelques terrains de football et de basketball se retrouvant dans certaines écoles. Elle n’a aucune plage publique (malgré qu’elle est à proximité du lac) car des gens riches, dont certains au détriment de l’Etat, sont autorisés à s’approprier à eux seuls les rivages du lac. Goma ne compte aucun jardin public, aucun parc d’attraction pour enfants, aucune salle de cinéma ! Rien et nulle part ou noyer le stress de ces longues périodes de guerre et de catastrophe qu’a connu Goma. Rien ! Même pas une voirie digne de ce nom.
4. Goma – ville-frontière
La proximité du Rwanda permet à beaucoup de citoyens de prendre conscience du degré d’irresponsabilité de nos dirigeants. Car en effet Gisenyi, la ville Rwandaise la plus proche de Goma, frappe par la qualité de ses routes bien entretenues, la propreté de ses avenues, ses plages, son centre culturel, etc.
Tout ce qu’on peut avoir si seulement l’Etat dont vous êtes le chef était un tout petit peu soucieux du bien-être de sa population.
Cette proximité nous rappelle aussi qu’on a le même lac Kivu, qui possède le même gaz méthane que le Rwanda exploite pendant que notre gouvernement se contente de signer des permis d’exploitation de pétrole (de l’argent plus facile ?) et se plaint que les caisses de l’Etat ne sont pas assez remplies.
5. Goma – siège des institutions provinciales et une des vitrines de la RDC
Goma abrite le gouvernorat de province, le parlement provinciale bien que n’existant que de facette, le siège de la 8ème région militaire, de la police, les cours et tribunaux, ainsi que les quartiers généraux de nombreuses ONG et de la MONUSCO.
Mais plus une nuit ne passe sans qu’au moins une personne ne soit tuée par des « personnes non autrement identifiées » comme si l’Etat avait renoncé au monopole de la violence physique ; pas une nuit sans que de paisibles citoyens ne soient harcelés par des patrouilles de la police ou de l’armée ; pas un jour sans que des citoyens revendiquant pacifiquement leur droits ne soient arrêtés, ou menacés par des personnes sensées leur assurer la sécurité.
Qu’en est-il donc de toutes vos promesses électorales tenues le 14 novembre 2011 sur l’asphaltage des routes Goma-Rutshuru-Butembo-Beni, et Goma-Masisi-Walikale ; de construire une université moderne à Goma, un stade moderne, l’eau, l’électricité, l’éducation ? Choses promises, choses oubliées ? Si la guerre n’a pas empêché les chantiers des fonctionnaires de l’Etat et des officiers de se poursuivre, ce ne sont pas ces chantiers publics qu’elle a pu handicaper, sérieusement…
Et lorsque ceux qui ont reçu le mandat de parler en notre nom prennent le courage de dénoncer certains agissements, ils sont tout de suite embastillés. Je parle de l’honorable Muhindo Nzangi. Est-ce ainsi qu’on construira la cohésion nationale ? Comment promouvoir la citoyenneté et la démocratie de cette manière ? Les flatteurs sont de mauvais conseillers. Ceux qui ont le courage de vous dire la vérité, aussi amère soit-elle, devraient être remerciés et non enchaînés.
Monsieur le président, en ce jour où vous êtes en visite dans la région Est du pays, une région qui n’a cesse d’être déchirée par la sanguine brutalité de l’être humain, vous avez une occasion, s’il en fallait une de plus, de palper du doigt les vertus de votre révolution de la modernité. Vous avez pu, tout au long de votre long voyage, réaliser à quel point le peuple congolais, malgré ses 53 ans d’indépendance et sous votre direction depuis plus de dix ans continue à régresser de manière exponentielle dans son développement.
Il est grand temps de changer le cap pour arrêter avec des promesses non tenues et d’amorcer enfin le développement, pour le grand bien du peuple congolais. Le peuple ne demande rien d’autre que la simple réalisation de vos propres promesses, et, d’ici à 2016 vous avez encore trois ans pour les réaliser ; ce n’est pas rien.
Les maux décrits dans ces cinq points sont malheureusement communs à presque toutes les villes de la RD Congo. Comme il est clairement dit dans notre hymne sacrée, nous sommes unis par le sort et par l’effort, nous devons bâtir un pays plus beau et plus fort que celui dans lequel nous vivons enfin de pouvoir laisser aux futures générations un pays uni et prospère. Vous avez une grande responsabilité quant à ce. Autant en quelques semaines les FARDC ont pu changer la donne, autant en trois ans vous pouvez changer votre propre histoire en tant que président, et l’histoire du Congo.
Puisque vous avez volontairement voulu devenir président de la république, je vous prie, Monsieur le président, de travailler enfin pour le bien être de la population de la RDC et du Nord Kivu en particulier.
Fred Bauma,
Citoyen congolais et militant dans le mouvement citoyen LUCHA