Un séminaire sur l’Ethique et la déontologie militaire, à l’initiative du président Tshisekedi, s’est tenu du 12 au 14 mai 2022 à Kinshasa à l’intention des officiers généraux et supérieurs et commandants des grandes unités des FARDC, réunis au Groupement des Écoles Militaires.
Dans son allocution introductive, le chef de l’Etat congolais a indiqué que ce séminaire se veut un haut cadre stratégique pour une réflexion approfondie sur l’éthique et la discipline militaire. Le président Tshisekedi n’a pas manqué
Ce séminaire, organisé par le ministre de la Défense nationale, le général en retraite Dr Kabanda, s’inscrit dans sa politique d’insuffler une série de réflexions stratégiques devant soutenir le fonctionnement de l’armée et la place du militaire dans la reconstruction de l’Etat. Dans son mot introductif, le ministre de la Défense a fustigé les comportements pervers et les antivaleurs qui caractérisent les forces de défense de la RDC de notre pays. Il s’agit notamment du népotisme, du clientélisme, du tribalisme et de l’indiscipline qui ont élu domicile au sein de l’armée congolaise. Le ministre de la défense dit vouloir faire preuve de détermination pour combattre ces fléaux qui ternissent l’image de l’armée et de la RDC.
De son côté, le président Tshisekedi a profité de cette tribune pour fustiger publiquement le comportement pervers de certains cadres de l’armée qui s’adonnent à des pratiques contraires à l’éthique et à la déontologie militaire. « Il est temps de mettre fin à toutes les pratiques qui ont favorisé les assassinats et meurtres de nos concitoyens », a-t-il déclaré. Il a également déclaré poursuivre la réforme de l’armée en mettant les moyens pour une montée en puissance des FARDC. Le Président a exigé des participants de s’imprégner et d’intérioriser tous les préceptes qui fondent la discipline au sein des services de défense et de sécurité. « Il est temps de mettre fin à toutes les pratiques qui ont favorisé les assassinats et meurtres de nos concitoyens », a-t-il insisté.
Intervenant sur la question de l’éthique et de discipline dans l’armée, le chef d’état-major général des FARDC, le général d’armée Célestin Mbala Munsense, a affiché la même détermination d’assainir les mœurs au sein de l’armée nationale.
Un séminaire basé notamment sur les publications de Jean-Jacques Wondo
Dans sa présentation, l’Inspecteur général adjoint des FARDC, le général Kasereka, s’est référé à nos publications, recommandant fortement aux participants de se référer à nos deux ouvrages consacrés aux armées en RDC.
Dans mes livres, Les armées au Congo Kinshasa et Les forces armées de la RD Congo, une armée irréformable (Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Livres-Jean-Jacques-WONDO-OMANYUNDU/s?rh=n%3A301061%2Cp_27%3AJean-Jacques+WONDO+OMANYUNDU), nous y évoquons les notions de discipline, d’éthique et de déontologie militaires comme fondements doctrinaux d’une armée moderne. En effet, dans mes publications, je considère que la création d’une armée républicaine, réellement nationale et professionnelle, a pour base le bon ordre et la discipline comme fondements doctrinaux, l’unité de commandement comme gage de son efficacité et l’éthique comme profession de foi. Tel est le chantier prioritaire à entreprendre en matière de réforme des FARDC. Ces notions constituent le cadre conceptuel de base, extrêmement fondamental dans la conceptualisation des forces armées, qui doivent être assimilées et intégrées par tous, en commençant par les autorités politiques en charge de la sécurité, les militaires hauts gradés, subalternes et surtout les soldats, ainsi que les experts et professionnels impliqués dans le processus de réforme du secteur de la sécurité en RDC[1].
L’ordre, l’obéissance et la discipline comme les composantes essentielles d’une organisation militaire efficace
Dans mon livre sur les armées au Congo-Kinshasa, je martèle que l’ordre, l’obéissance et la discipline sont les composantes essentielles d’une organisation militaire efficace, sans lesquels il ne peut y avoir de force armée efficace et responsable ; en réalité, l’ensemble de l’organisation militaire devra tout simplement s’effondrer. C’est la situation que l’on constate actuellement au sein de l’armée congolaise où il ne se passe pas une semaine sans que l’on publie sur les réseaux sociaux les images d’actes d’indiscipline et de perversion des militaires congolais.
En effet, le bon ordre et la discipline sont à une force armée efficace et responsable ce que la colle est au contre-plaqué. Ils sont les moyens par lesquels la cohésion d’une force efficace et responsable est assurée. Pour le soldat, cela signifie obéir à tous les ordres manifestement légaux de sa hiérarchie organique ; pour le haut commandement militaire, cela signifie se soumettre aux dirigeants civils légitimes[2] dans le strict respect de la Constitution. Le couple de base discipline-obéissance associé avec rigueur à une structure hiérarchique solide d’un type organique pyramidale où aucun groupe armé et encore moins aucune unité spéciale, fut-elle chargée de la garde présidentielle comme l’actuelle Garde Républicaine, n’échappe aux ordres opérationnels du chef d’état-major général, doit constituer l’ossature des FARDC[3].
Cet impératif structurel résulte des nécessités fondamentales d’efficacité et de coordination, d’unité de commandement, en même temps que de cohésion et de cohérence. Cela avec la plus-value de faciliter la transmission des ordres « top-down », c.à.d. du niveau supérieur vers les rangs inférieurs sans interférence des organes ou des unités parallèles pour une simplification et efficacité dans le processus de prise de décision, de caractère unilatéral ne devant souffrir d’aucune désobéissance possible.
L’éthique militaire comme profession de foi du militaire
Dans mes publications, j’insiste sur le fait que l’éthique du soldat repose sur l’ensemble de droits et de devoirs qui guident son action et son comportement. « Aux fondamentaux du métier militaire s’ajoute un socle éthique composé de références, de traditions et de valeurs auxquelles vous aurez à vous référer constamment dans l’exercice de vos responsabilités. L’équilibre entre ce savoir-faire et ce savoir-être vous garantira, en toutes circonstances, le discernement dans le jugement et l’efficacité dans l’action »[4].
La formation morale du combattant exige donc du soldat une élévation morale. Par ailleurs et à titre d’exemple, le code du soldat élaboré par l’armée de terre française rappelle également un certain nombre de principes élémentaires et fondamentaux du métier militaire. Sur ce « code » édité sur un petit carton à conserver dans une poche de treillis, il est notamment écrit: « Maître de sa force, il respecte l’adversaire et veille à épargner les populations ». De plus, un « livre bleu sur l’exercice du commandement » a été rédigé en complément où deux notions y figurent tout particulièrement : celle du « respect de l’autre » qu’il s’agisse de celui qu’on commande ou de l’adversaire du moment et celle de « confiance » des chefs en leurs subordonnés et des subordonnés en leurs chefs. ‘Dans une armée, il ne peut y avoir de responsable que le chef, c’est à dire celui qui donne des ordres’ a écrit Guibert.[5]
Dans son ouvrage De la Guerre, destiné non aux philosophes mais bien aux stratèges de terrain et aux praticiens, Clausewitz voulait que son usage serve à la formation intellectuelle et morale du corps des armées, en la personne des officiers instruits par lui. Il devait également constituer un manuel de méditation continue sur le « bon militaire », son ethos (ses règles de vie, ses mœurs). Le commandement est un art qui exige en premier de l’intelligence créatrice (Fuller).
Le stratège n’est plus celui qui combat à la tête de ses hommes, comme le faisait Alexandre, c’est celui qui définit et dirige son armée avec une vue d’ensemble[6]. Le courage du chef n’est pas d’abord physique, il est surtout intellectuel et moral. Il doit être capable de raisonner et de décider au lieu de se contenter d’exécuter[7]. Beaucoup de combattants héroïques ont été des chefs timorés parce qu’ils étaient incapables d’imaginer (Oudinot).
On assimile souvent le métier d’officier à celui de gentleman ou de chevalier, prêtant serment de servir avec probité, loyalisme[8] et dignité sa PATRIE, et non un individu. En fait, si l’originalité de la fonction militaire réside en l’usage de la force, sa spécificité éthique se fonde dans la maîtrise de cette force, et dans le fait de mettre cette dernière au service du droit, de l’honneur et de la survie de la Patrie. En ce sens, l’éthique militaire est indissociable de la notion de service public. L’Armée doit devenir une école de citoyenneté et du patriotisme, où les enjeux de vivre ensemble et de l’intérêt national doivent être développés.
La guerre écrivait Clausewitz étant la continuation de la politique par d’autres moyens, le militaire est celui qui, subordonné au pouvoir politique civil devient son instrument. D’où l’extrême importance de soustraire cet instrument à l’arbitraire, de lui donner des bases qui fonderont sur le terrain son bon sens et son éthique[9].
L’art du commandement par l’apprentissage
L’art du commandement s’acquiert au travers de la formation. C’est le but de l’enseignement militaire supérieur de donner aux officiers une telle formation. Selon Machiavel, pour devenir un bon leader militaire, le Prince devra avoir une formation physique et spirituelle[10].
L’autorité ne s’apprend pas mais le commandement, quant à lui, peut l’être, en passant par une formation et une éducation de la personnalité et des principes sur ce qu’en aucun cas il ne faut faire. Le leadership est une qualité indispensable à l’officier. Celui-ci doit assurer constamment le commandement et maintenir l’ordre et la discipline…
Comme on peut le constater, l’art du commandement ou le leadership militaire ne peut jamais s’improviser, surtout dans un domaine aussi stratégique que celui de la défense d’un Etat. Le principe du chef est omniprésent dans la culture militaire. Le chef doit être pour ses subalternes un exemple. Il doit savoir commander et trouver le chemin du cœur de ses subordonnées. L’élévation de ses sentiments, l’affection qu’il sait inspirer, sa bonne formation militaire, sa bravoure incontestable, son calme dans les circonstances quotidiennes de la vie, comme dans les périodes de crise, sont des éléments de confiance que le chef inspire à sa troupe[11].
Conclusion
Etre soldat n’est décidément pas un métier ordinaire. Défenseur de la société aux ordres du système politique dans une démocratie, le soldat est caractérisé par deux dimensions essentielles. Porteur d’armes, il a le pouvoir de donner la mort au combat, sur ordre. Mis en péril par les armes de l’ennemi, il accepte de donner sa vie pour son pays[12]. La spécificité du soldat est de se préparer militairement et moralement à la guerre[13]. En d’autres termes, il lui faut de plus en plus « s’instruire pour combattre » et car la guerre reste avant tout une dialectique (ou confrontation) des « intelligences ». N’est-ce pas Sun Tzu préconise-t-il de vaincre son adversaire par la ruse, c’est-à-dire sans le combattre ? Mais il faut également former le soldat à l’éthique et à la déontologie militaires qui sous-tendent son action militaire en temps de paix comme en temps de guerre.
Le code de discipline militaire congolais date de 1955, le séminaire organisé par le ministre de la Défense constitue une base pour penser à le dépoussiérer et le réviser. En tant qu’agent de l’Etat, le militaire/policier est appelé à observer scrupuleusement les dispositions du décret-loi n°017/2002 du 3 octobre 2002 portant code de conduite de l’agent public de l’Etat. Selon l’article 6 dudit décret : « Le sens d’éthique professionnelle de l’agent public de l’Etat doit se témoigner notamment par le dévouement, la ponctualité, la rigueur, la responsabilité, l’honnêteté, l’intégrité, l’équité, la dignité, l’impartialité, la loyauté, le civisme, la courtoisie et le devoir de réserve dans ses relations aussi bien avec ses supérieurs, ses collègues et ses collaborateurs qu’avec le public ».
Voilà des bases autour desquelles il faudrait décliner les principes de base de l’éthique et la déontologie militaire, fondements d’une armée disciplinée et efficace.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions militaires
Références
[1] Jean-Jacques Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de Force publique aux FARDC, p.337. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Arm%C3%A9es-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.
[2] AMISI Bin MUBANGU, République démocratique du Congo, 1960-2010, De l’ANC aux FARDC, 2010, p.59.
[3] Jean-Jacques Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de Force publique aux FARDC, p.338. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Arm%C3%A9es-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.
[4] ALLIOT-MARIE, Michèle , ex-ministre de la Défense française, Allocution lors de la cérémonie du Triomphe, Ecoles de Coëtquidan, le 24 juillet 2004.
[5] « Le comte Jacques de GUIBERT (1743-1790), officier exemplaire, qui a tiré les leçons de la défaite de Rossbach et prôné une réforme audacieuse de l’Armée française fondée sur une véritable révolution politique. Auteur prolifique des ouvrages sur l’art de la guerre ; traditionnellement, les stratégistes présentent Napoléon comme l’héritier direct de Guibert et de ses théories.
[6] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Ce qu’il faut savoir sur la guerre – 7ème Partie : Le Leadership militaire et l’art du commandement, AFRIDESK, 5 juillet 2016. https://afridesk.org/quil-faut-savoir-guerre-7e-partie-leadership-militaire-lart-commandement/.
[7] Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, Economica, Paris, 2008.
[8] Attachement à une cause noble ou fidélité à un régime établi et considéré légitime et constitutionnel d’un pays.
[9] ESCALIER, Thibault, Exposé sur Ethique, armée professionnelle : enjeux, débats et perspectives 2006, pp.2-3
[10] Machiavel, Art de la guerre, Traduction par Toussaint Guiraudet, Flammarion, Paris, 1991, p.10.
[11] François Cochet, Etre soldat, De la Révolution à nos jours, Armand Colin, Paris, 2013, p.61.
[12] François Cochet, Etre soldat, De la Révolution à nos jours, Armand Colin, Paris, 2013, p.9.
[13] Pour cela, il lui faut se former aux armes et aux techniques de combat qui évoluent depuis le 17ème siècle en fonction de la conception et de la nature de la guerre. Le rapport aux armes et à leurs technicités a considérablement évolué depuis deux siècles, obligeant le soldat à préciser ses savoirs, à s’entraîner de manière de plus en plus complexe.
2 Comments on “L’éthique et la déontologie militaire au menu d’un séminaire des FARDC”
GHOST
says:SEMINAIRE A L´OMBRE D´UNE ECHEC MILITAIRE PENDANT L´ETAT DE SIEGE
C´est une surprise pour tous les citoyens congolais d´apprendre que le ministre de la défense en compagnie du « commandant suprême » organisent un séminaire sur l´éthique et la déontologie pour les officiers de l´armée quand le bilan des opérations militaires exige des sanctions envers tous les généraux responsables incapables.
Comparaison n´est pas raison, en Russie depuis 3 mois, le président Poutin et son ministre de la défense ont tout simplement changés les responsables des opérations militaires en Ukraine. On apprend qu´il ya une purge qui sanctione des généraux dont certains sont révoqués de l´armée.
Lors de la défaite contre le M23 á Goma, l´ex président Kabila a pris le courage de changer son chef d´état major de la Force Terrestre et tous les généraux responsables. Tous les congolais ont pu voir les résultats de cette option qui avait posée les bases d´une victoire rapide face au M23.
ETHIQUE ET « INDIGENCE » DES MILITAIRES CONGOLAIS
Ironiquement, le ministre de la défense ex général parlait explicitement du « réglement militaire » hérité de la Force Publique. Comment pouvons-nous exiger une « éthique et une déontologie » de la part des officiers qui vivent dans l´indigence dont le droit le plus élémentaire á avoir un logement pour leurs familles quand ils sont en opération n´est même pas garantie? Pouvons-nous parler de la « déontologie » avec des militaires dont les conditions de travail sont indignes quand ils ne possedent même pas une uniforme, des armes avec assez des munitions, des rations alimentaires, une logistique digne de ce nom?
Avant de faire des « séminaires » academiques, il nous faut comprendre une chose assez simple: Le Congo comme État ne possede aucune politique en matière de défense. Ces militaires « indigents » méritent respect et adimiration. Le respect que nous devons avoir envers ces hommes doit commencer par leur offrir des conditions de travail respectable.
GHOST
says:LA « POULE ET LES OEUFS »
Pendant un séminaire avec des officiers des FARDC, on cite comme réference les ouvrages de JJ Wondo.. mais paradoxe étrange, l´auteur de ces ouvrages n´a jamais été invité á participer au séminaire ni á faire une conférence á l´école militaire supérieure á Kin.
Ce pays qui a du mal á mettre au point un programme de défense nationale évite soigneusement ceux des congolais qui non seulement maîtrisent le savoir academique militaire, mais surtout font autorité en Occident.
On aime les oeufs de JJ Wondo, mais lui même n´est figure pas dans les conférences ou les séminaires… et pourtant, il peut mieux expliquer sa pensée sur place á Kin.