Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 26-03-2020 09:40
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L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine – Recension du Prof Philémon Mukendi

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Livre : L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine de Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Recension de Philémon Mukendi, professeur à l’Université pédagogique de Kinshasa

Comme l’indique Mamoudou Gazibo dans son Introduction à la politique africaine, l’Afrique est le continent qui compte le plus grand nombre de pays confrontés aux conflits armés. A ce phénomène s’ajoute le rôle joué depuis les indépendances par les forces armées dans la prise et l’exercice du pouvoir. Bon nombre de pays ont été ou sont dirigés par des militaires : Sierra Leone, Libéria, Togo, Burkina Faso, RDC, République du Congo, Nigéria, Niger, Soudan, Sud-Soudan, Algérie, Tunisie, Egypte, Lybie, République Centrafricaine, Mali, Angola, Rwanda, Burundi, Ouganda, Gambie, Mozambique…

Cette évolution n’est pas sans susciter des questions : comment expliquer l’intrusion des forces armées et des militaires dans la vie politique ? Cette intrusion garantit-elle la stabilité et le développement des pays ? Quelles relations l’armée entretient-elle avec la politique et la population ?

Ces questions ne font pas l’objet, en Afrique tout au moins, de la sociologie qui , pourtant, étudie la guerre depuis la fondation de la polémologie par Gaston Bouthoul.

C’est cette lacune qu’a voulu combler Jean-Jacques Wondo Omanyundu, expert reconnu des questions militaires et sécuritaires en RDC et en Afrique, auteur de deux ouvrages sur l’armée congolaise et animateur d’un site dont les analyses font autorité.

Sous le titre ‘’ l’essentiel de la sociologie politique militaire africaine :des indépendances à nos jours. Cas des différents régimes prétoriens au Congo-Kinshasa’, Jean-Jacques Wondo Omanyundu livre en 450 pages une réflexion vaste et profonde, puisant à une abondante documentation.

L’ouvrage comporte trois parties de volume inégal. La première (six chapitres, 224 pages) pose les jalons de la sociologie militaire africaine en la reliant à ses pionniers occidentaux ( Samuel Huntington et Morris Janowitz) et à l’ordre westphalien, tout en la situant par ailleurs dans son contexte local marqué par des spécificités qui ne peuvent être minimisées dans l’étude des réalités socio-politiques et militaires africaines.

Parmi ces spécificités figure la construction de l’Etat réalisée en dehors de la conquête de territoires et de la guerre entre Etats fondatrice de la modernité politique européenne.

La déliquescence de l’Etat et sa perte du monopole de la violence légitime, sans oublier l’introversion des armées devenues une ressource politique du pouvoir, provoquent du reste une nouvelle dynamique conflictuelle et une configuration géopolitique régionale inédite qui prône, comme dans la région des Grands Lacs, la fin des territoires étatiques et l’émergence d’un territoire régional, sur fond de la milicianisation des armées.

Cette première partie propose aussi une autopsie des armées assortie de données sur les effectifs, les budget et dépenses militaires, en mettant en exergue les enjeux sécuritaires et politiques par pays. Elle se penche également sur l’intrusion de l’armée dans la politique, en relevant ses facteurs explicatifs et ses formes de déploiement.

Ces analyses convergent vers une approche globale de la sécurité associant sa composante militaire aux composantes politique, économique, sociétale et environnementale, avec comme conséquence une interdépendance entre la sécurité individuelle, la sécurité de l’Etat et la sécurité internationale. La sécurité des Etats étant la condition de celle des individus et du système international, il existe entre l’insécurité et le sous-développement une corrélation telle que le développement n’est pas envisageable dans un environnement sécuritaire instable.

La seconde partie (un chapitre, 109 pages), consacrée aux armées prétoriennes en République Démocratique du Congo, retrace l’histoire des forces armées dans ce pays depuis leur naissance dans le contexte d’une indépendance non préparée et bâclée. L’auteur analyse les rebellions qui ont secoué le pays et les réformes de l’armée qu’elles ont provoquées, il met en lumière l’autoritarisme et le tribalisme qui, au fil des années, ont transformé l’armée nationale laborieusement construite en une force prétorienne devenue une actrice politique comme ailleurs en Afrique. Si, avec Mobutu se sont imposés ‘’le règne des officiers militants’’ et la ‘’politisation dansante des militaires’’, les régimes qui lui ont succédé ont fait de la Garde Présidentielle une force sur-équipée et redoutable, une armée dans l’armée, capable de mater les forces armées nationales.

La troisième partie (1 chapitre, 117 pages) souligne, sous le titre ‘’l’armée face à la transition démocratique et aux réformes’’, la nécessité de la réforme des services de sécurité en Afrique, avant d’exposer les multiples enjeux de cette réforme dans la constitution de l’Etat et la consolidation de la démocratie.

Elle analyse les obstacles à cette réforme qui sont d’ordre socio-culturel (cultures locales et normes coutumières incompatibles avec la culture nationale), politique (asymétrie entre les objectifs de la communauté internationale et ceux des acteurs politiques nationaux obnubilés par la seule logique de conservation du pouvoir), imposition d’un modèle inadapté, perception par les militaires du pouvoir comme étant leur propriété.

Pour l’auteur, une réforme efficiente de l’armée requiert la consolidation du cadre politique et institutionnel démocratique dont la justice militaire, ainsi que la dissolution des gardes présidentielles.

Sept étapes sont préconisées, pour atteindre la professionnalisation de l’armée et tournent autour des missions de l’armée, du cadre juridique, législatif et réglementaire, de la formation, du contrôle civil et de la lutte contre l’impunité.

En dehors de quelques questions mineures de forme – le titre est trop long, les chapitres sont de volume inégal- l’ouvrage de Jean-Jacques Wondo Omanyundu est un document important et une contribution exceptionnelle à la compréhension de l’Afrique contemporaine. Il est à coup sûr un livre pionnier de sociologie militaire africaine que l’auteur définit comme l’étude des interactions de l’institution militaire avec son environnement extérieur. Jean-Jacques Wondo précise ainsi les domaines de recherche de cette jeune discipline :

  • Une sociologie des acteurs, des institutions auxquelles ils appartiennent, des normes et des valeurs dont ils sont porteurs ainsi que des spécificités et des tâches qu’ils ont à accomplir
  • Une analyse de la part de l’activité guerrière dans la définition de ces différentes caractéristiques concurremment à d’autres facteurs, politiques ou sociaux
  • Une étude de la composition sociologique des armées, leurs structurations et leur modalité d’inscription au sein du tissu social des pays concernés
  • Une sociologie des forces armées non conventionnelles qui sont à l’origine des rébellions et des insurrections en Afrique et Asie.

L’ouvrage explique la persistance de l’idéologie coloniale dans le chef des militaires à l’égard des civils et jette un éclairage tant sur les errements du continent que sur le pernicieux complexe de supériorité du militaire à l’égard de ses concitoyens qu’il est censé protégé. Et surtout il trace des perspectives pour la réforme des services de sécurité, la construction de l’Etat et la consolidation de la démocratie. La question de l’armée qui a investi le pouvoir en Afrique renvoie ainsi à celle de la citoyenneté. L’Etat de droit et la démocratie ne sont possibles qu’avec une armée citoyenne, celle où le militaire voit dans le civil, non pas un sauvage et un ennemi mais un concitoyen qu’il doit protéger et défendre, avec lequel il doit œuvrer à leur bien-être commun.

L’ouvrage comporte par ailleurs un glossaire très enrichissant pour le lecteur.

Professeur Philémon Mukendi
Philemon Mukendi, né en RDC, est Docteur en philosophie et licencié en sociologie de l’Université catholique de Louvain. Il a été vice-ministre de la Jeunesse et Sports( 2000- 2001), vice-ministre à l’Intégration de l’armée( 2003- 2004), ministre de la Culture ( 2005-2007). Il est actuellement Professeur de philosophie et de sociologie à l’Université pédagogique nationale (UPN) et à l’Université catholique du Congo (UCC). Il est auteur de plusieurs articles et deux ouvrages : RD Congo, réinventer l’espoir ( 2007), Racisme et citoyenneté (à paraître).
Le Professeur Mukendi a décidé d’utiliser cet ouvrage comme livre de référence de son cours sur la sociologie des conflits à l’UPN.

Le livre est disponible sur Amazon en versions papier et électronique : https://www.amazon.fr/Lessentiel-sociologie-politique-militaire-africaine/dp/1080881778.

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One Comment “L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine – Recension du Prof Philémon Mukendi”

  • MUKENDI MPOYI FLORIBERT

    says:

    Profond ouvrage qui nécessite une minutieuse étude.

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