Les trois témoins congolais qui embarrassent la CPI
Le Monde.fr | Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)

C’est l’une de ces situations kafkaïennes dont la Cour pénale internationale (CPI) a le secret : un témoin, détenu dans la prison de la CPI depuis plus de trois ans, a débuté, samedi 26 avril, une grève de la faim. Ancien président du Front nationaliste et intégrationniste, une milice active dans l’est de la République du Congo (RDC) au début des années 2000, Floribert Njabu « se sent piégé », assure son avocat, maître Flip Schüller, pour expliquer la décision de son client : « Il pense qu’il est comme une boule de flipper entre la CPI, la RDC et les Pays-Bas. »
L’histoire est embrouillée, et nécessite un bref retour en arrière. En mars 2011, trois hommes emprisonnés en République démocratique du Congo (RDC), Floribert Njabu, Pierre Mbodina et Charif Banda, sont appelés à témoigner devant la CPI dans le procès de Germain Katanga, un milicien qui a depuis été reconnu coupable de complicité de crimes contre l’humanité.
Kinshasa accepte le départ des trois hommes pour La Haye, à la condition expresse qu’ils soient renvoyés en RDC après leur déposition. Mais les trois témoins piègent tout le monde : au cours de leur audition, ils accusent le régime du président Joseph Kabila d’être responsable des crimes commis en 2002 et 2003 dans l’est du pays, pour lesquels Germain Katanga est poursuivi. Puis, assurant qu’ils ne sont désormais plus en sécurité dans leur pays, ils demandent l’asile politique aux Pays-Bas.
DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
Trois ans après, leur demande est toujours en cours d’examen devant la justice néerlandaise. Le Conseil d’Etat doit rendre une décision le 6 juin, et leur avocat, Flip Schüller, assure déjà qu’il se rendra devant la Cour européenne des droits de l’homme en cas de refus.
En attendant, les trois hommes sont devenus bien encombrants. La CPI aurait voudrait bien les remettre aux autorités néerlandaises, mais celles-ci s’y opposent fermement, craignant de voir de futurs témoins appelés par la Cour tenter à leur tour leur chance aux Pays-Bas.
Dès lors, les trois hommes résident toujours aux Pays-Bas, dans la prison de la CPI. Cette dernière refuse d’étudier leur demande de mise en libération, tout comme elle ne se juge pas compétente sur la validité des charges dont ils doivent répondre en RDC.
« ILS N’AURONT JAMAIS DE PROCÈS ÉQUITABLE AU CONGO »
A Kinshasa, Floribert Njabu était incarcéré depuis 2005, mais il assure qu’il ne connait pas les faits qui lui sont reprochés, et qu’il n’a pas comparu devant un juge depuis plusieurs années. « Ils n’auront jamais de procès équitable au Congo, le droit au Congo est une farce », affirme Me Schüller.
Mais les juges se refusent à poser tout diagnostic sur la situation des droits de l’homme en RDC. « La CPI veut maintenir ses relations avec le Congo, ce qui est compréhensible, mais elle ne peut ignorer que M. Kabila est un dictateur qui n’adhère pas aux droits de l’homme », souligne Me Schüller. Le temps passant, leur détention dans la prison de la Cour devant laquelle ils étaient simplement venus témoigner devient de plus en plus embarrassante.
- Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)
CPI : Germain Katanga condamné, les victimes insatisfaites
Germain Katanga, ancien chef de milice, a été condamné vendredi 23 mai à 12 ans par la Cour pénale internationale (CPI). Il a été reconnu coupable de « complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité » pour avoir contribué à fournir des armes à la milice armée qui a massacré plusieurs centaines de personnes à Bogoro en raison de leur appartenance ethnique. Germain Katanga condamné, les victimes restent insatisfaites et réclament réparation pour elles, protection pour les témoins et poursuite en justice contre les commanditaires.
La condamnation à 12 ans de Germain Katanga laisse un coup d’inachevé et d’insatisfaction chez ses victimes. C’est pourquoi elles réclament protection et réparation pour toutes brimades et autres exactions subies. En outre, elles réclament également que les commanditaires soient également poursuivis. La Chambre de première instance II de la CPI a également ordonné que le temps passé en détention pour le compte de la CPI – c’est-à-dire la période du 18 septembre 2007 au 23 mai 2014 – soit déduit de la peine prononcée.
C’est depuis le 24 février 2003 que les victimes attendaient la condamnation des auteurs du massacre de Bogoro, dans l’lturi, en Province Orientale. Ce jour-là, plus de 200 personnes avaient été tuées, par balle ou à la machette, le village pillé, les femmes violées.
Soulagées mais déçues
Quoique soulagées par le verdict de la CPI, les victimes de Germain Katanga restent cependant déçues. En effet, les victimes ont attendu une peine plus lourde contre ce criminel. Les victimes se demandent comment elles vont obtenir la réparation, tout en estimant que, si elle est obtenue, elle ne sera que symbolique. Leur objectif est loin de s’attendre à obtenir de grandes sommes d’argent. Vont-elles récupérer leurs maisons incendiées ? Ou revoir les membres de famille assassinés. Aujourd’hui, des orphelins ne vont plus à l’école, des personnes sont handicapées, des gens sont traumatisés.
Protéger les victimes et les témoins
Les victimes attendent de la CPI l’obtention des indemnités pour les survivants, ainsi que la protection des témoins, étant donné que certains avaient reçu des menaces de mort. Elles demandent aussi que cette protection du gouvernement soit efficace, se rappelant de la manière dont elles ont été traquées, ont subi des pressions de la part des autorités locales. Et même de certains groupes armés proches de Germain Katanga.
Pour Me Fidèle Luvengika, l’avocat d’un collectif de victimes les commanditaires, c’est-à-dire les vrais coupables doivent être poursuivis. Pour cela, il appelle à la poursuite des enquêtes. Les victimes, restent convaincues que Germain Katanga était bien le commanditaire du massacre; en revanche, faute de preuve la CPI ne l’a condamné que pour sa contribution. Quoique le procès de Germain Katanga n’ait pas livré toute la vérité, bien des Congolais se réjouissent qu’avec cela est mis fin ou presque de l’impunité qui prévaut souvent à l’Est du Congo.
Kléber Kungu
Kinshasa, 27/05/2014 (L’Observateur, via mediacongo.net)