L’article 1er de la Constitution de la RDC stipule que : « La République Démocratique du Congo est, dans ses frontières du 30 juin 1960, un Etat de droit, indépendant, souverain, uni et indivisible, social, démocratique et laïc ». La Constitution congolaise consacre trois pouvoirs institutionnels fondamentaux : L’Exécutif (en ce compris la Présidence), le Législatif et la Justice qui forment le socle de la démocratie[1].
Autant la séparation des pouvoirs est le thermomètre de la démocratie dans un Etat, autant le degré de confiance du peuple envers la justice de son pays témoigne de l’effectivité de l’État de droit, qui ne doit pas être uniquement récité dans des slogans creux. Certes, la justice humaine n’est nulle part parfaite, mais sous d’autres cieux des humains s’efforcent, grâce à la volonté politique, de soigner l’image de leur justice en a préservant de plus en plus de l’influence des autres institutions et, surtout, en rendant tous les citoyens égaux devant la loi. C’est ainsi qu’est enchâssé dans notre Constitution l’alinéa 3 de l’article 149 qui dispose : « La justice est rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple. »
Courte phrase, perdue dans la forêt d’expressions juridiques les unes plus significatives que les autres, cette disposition à laquelle on fait très peu attention, devrait pourtant avoir une grande signification, principalement pour ceux qui ont reçu mission de dire le droit. En effet, il s’agit d’une disposition de nature déontologique qui rappelle aux magistrats qu’en toutes circonstances, individuellement et collectivement, les décisions qu’ils prennent doivent mériter la confiance du peuple. C’est grâce à cette confiance que n’importe quel citoyen peut se sentir sécurisé en cas de violation de ses droits, de même que la nation peut compter sur sa justice lorsque ses intérêts vitaux sont menacés.
Pour renforcer cette disposition, le constituant a tenu à impliquer le Président de la République en lui confiant le rôle de garant de l’exécution de toutes les décisions judiciaires rendues par les cours et tribunaux, civils et militaires.
Article 149, al.4 : « Les arrêts et les jugements ainsi que les ordonnances des cours et tribunaux sont exécutés au nom du Président de la République. »
Ici, c’est la personne du Président de la République qui se trouve engagée en tant que magistrat suprême, pour qu’il veille à ce que les décisions judicaires soient d’abord bien rendues avant d’être exécutées en son nom. Dans la pratique cependant, le peuple est de plus en plus d’avis qu’en haut lieu, la survie politique du régime a primauté sur les intérêts supérieurs de la nation et des droits des particuliers. D’où le bris de confiance entre le peuple et le système judiciaire que la présente analyse tente de démontrer à travers quelques faits avérés.
L’impunité, source de méfiance entre le peuple et le système judiciaire
Même si l’on parlait déjà des intouchables à l’époque du MPR, la jurisprudence est abondante pour témoigner de nombreux procès ayant impliqué des dignitaires du régime et autres cadres du parti malgré des immunités et privilèges de juridiction prévus dans l’ancien code de procédure pénale. Jadis, des commissaires d’État (aujourd’hui ministres) ainsi que des PDG d’entreprises publiques avaient été révoqués, mis à la disposition de la justice et condamnés ou acquittés, dans certains cas. De nos jours encore, avocats et magistrats sont fiers de se ressourcer dans des bulletins des arrêts de la Cour suprême de justice de l’époque, véritables mines d’or du droit pratique et de la jurisprudence.
Les procès de ce genre ont quasiment disparu sous la Troisième République, du fait pour la plupart des acteurs politiques d’avoir chacun son parti politique créé non pas pour conquérir le pouvoir mais plutôt pour se positionner soit pour se tailler une place autour de la mangeoire, soit pour se mettre en ordre utile, dans la réserve de la République, en attente de nouveaux enjeux. Comme conséquence, les cartels politiques naissent, se ramifient telle l’hydre.[2] En réalité ces cartels, qui ne grossissent souvent et curieusement qu’autour du parti au pouvoir (Alliance pour la majorité présidentielle, Majorité présidentielle, Front commun du Congo, Union sacrée de la nation) sont devenus de véritables refuges de nombreux malfaiteurs, capables de garantir l’impunité à leurs membres dans une sorte de solidarité basée sur le soutien au Chef de l’État.
Faute d’élections organisées dans la transparence et garantissant des résultats peu contestables, ce sont ces regroupements politiques qui procurent la légitimité au pouvoir. Les loups ne se mangeant pas entre eux, tout acte tendant à ouvrir la voie à une action en justice contre un membre du cartel doit être rapidement étouffé dans l’œuf, étant considéré comme destiné à fragiliser le Chef de l’État face à l’opposition. C’est pourquoi sous Joseph Kabila, aucune mission de contrôle parlementaire n’avait abouti à la mise en accusation d’un ministre ou d’un mandataire public. Seuls des opposants ont fait les frais de la répression sans pitié pour avoir osé user de leur liberté d’expression pour critiquer le régime ou simplement pour annoncer une candidature à l’élection présidentielle. Et chaque fois la justice s’est manifestée juste comme une branche judiciaire du régime. Qu’en est-il sous le régime de Félix Tshisekedi?
Le visage de la justice sous le régime de Félix Tshisekedi
La longue lutte menée par l’UDPS pour accéder au pouvoir, les répressions de tous genres subies par ses cadres et militants, les violations massives des droits des citoyens, l’instrumentalisation de la justice et l’embourgeoisement sans commune mesure des détenteurs du pouvoir sous les régimes précédents suffisaient pour traduire en actes le slogan de l’État de droit. Ceux qui se donnent la peine de nous lire se souviendront qu’en octobre 2016, nous avions attribué l’échec des objectifs retenus à l’Accord global de Sun City à la non prise en compte de l’institution Pouvoir judiciaire. Sous le titre « La justice, premier chantier à réaliser après les régimes de Joseph Kabila », publié en 2016, nous écrivions : « C’est pourquoi, après un long temps de réflexion, nous avons estimé que d’ores et déjà, c’est le chantier de la Justice qui devrait figurer au premier plan des projets de société des partis et des personnalités politiques qui ont à cœur la survie et le développement de la nation congolaise et le bien-être du peuple congolais. »[3]
Tout fraîchement arrivé au pouvoir, Félix Tshisekedi avait déçu les espoirs de l’opinion publique en déclarant : « Je ne ferai pas ce travail d’aller fouiner dans le passé. »[4] Interprétée de plusieurs manières selon les tendances politiques du moment, cette petite phrase indirectement adressée aux magistrats voulait leur dire « de la fermer » pour privilégier l’alternance au pouvoir et sécuriser les alliés du FCC, soupçonnés d’avoir commis des crimes de toutes sortes durant leur long règne. « Cette déclaration rassure ses alliés de la coalition de Joseph Kabila, mais elle passe mal au sein de la société civile qui ne cesse de réclamer justice pour les crimes de sang et les crimes économiques de l’ère Kabila. »[5] Pour les observateurs avertis, c’était une poignée de sable jetée dans la soupe et qui a suffi pour tenir à jamais la saveur du plat dénommé « État de droit » que s’apprêtait à savourer le peuple longtemps opprimé.
Ainsi apaisés et sécurisés par le magistrat suprême, tous ceux qui avaient des raisons de s’inquiéter pour leur liberté et leur patrimoine (bancaire, immobilier et autre) avaient compris que leur salut ne résidait désormais que dans le soutien, même de façade, à ce nouveau régime, le temps d’observer la suite des évènements. Inutile donc de s’étonner outre mesure du basculement hors élections de la majorité parlementaire et de l’émergence de nouveaux propagandistes, hier encore fidèles mobutistes et/ou kabilistes.
Dans cette même mouvance de vouloir plaire au nouveau pouvoir, les magistrats ont été incapables d’être solidaires pour imposer collectivement l’application des instruments juridiques favorables à l’indépendance de la magistrature et à l’amélioration de leurs conditions sociales et de travail. Individuellement et chacun selon ses atouts et critères généralement disponibles hors du cadre tracé par la loi portant statut des magistrats (compétence, ancienneté, moralité), certains ont obtenu des nominations et des promotions scandaleuses, peu convaincantes, qui démotivent les autres membres du corps, qui exacerbent par conséquent les fléaux maintes fois dénoncés et qui brisent davantage la confiance entre la justice et le peuple.
La gestion chaotique des dossiers sensibles de ces vingt-cinq dernières années (régimes Kabila et Tshisekedi) devrait inquiéter quant à la volonté réelle d’instaurer un État de droit et quant à la relève au sein de la magistrature. En voici quelques exemples :
- La justice congolaise n’a jamais été en mesure de mettre la main sur Gédéon Kyungu Mutanda qui a endeuillé le Nord-Katanga durant des années pour qu’il réponde de ses actes.
- Des centaines de concitoyens, adeptes de Bundu dia Kongo, ont été massacrés sans que jusqu’à ce jour la justice n’en détermine les auteurs pour les sanctionner.
- Le dossier des fausses communes de Maluku n’a jamais connu un début d’enquête pour connaître le nombre de victimes ainsi que les circonstances de leur élimination physique.
- Dans le Grand Kasaï, le phénomène Kamuina Nsapu n’a jamais livré ses secrets quant aux commanditaires des actes ayant débouché sur les massacres, par milliers, de la population ainsi que l’assassinat des envoyés spéciaux de l’ONU.
- L’affaire Dieudonné Lobo[6], ancien Coordonnateur Administratif des services Personnels du Chef de l’État, n’a jamais livré ses conclusions judiciaires.
- Considéré pendant son procès par le Chef de l’État lui-même comme quelqu’un qui doit jouer encore un rôle dans le pays, Vital Kamerhe n’avait jamais réellement purgé ne fût-ce qu’une année de la peine à laquelle il avait été condamné. « C’est qui est arrivé est arrivé, nous le déplorons tous mais je continue à croire que Vital Kamerhe est non seulement quelqu’un de sérieux, de correct et en plus quelqu’un dont la République a besoin grâce à son intelligence, grâce à son expérience et je suis convaincu qu’il jouera à nouveau un rôle dans ce pays. »[7] Mis en liberté provisoire par la Cour de Cassation qui s’était pourtant déjà dessaisie du dossier en le renvoyant à la Cour d’appel, il a été acquitté dans des conditions qui heurtent le bon sens et, surtout sans aucune lumière sur la destination des fonds colossaux alloués au programme dit de cent jours.
- Avant de finir dans un cul-de-sac, le dossier du parc agro-industriel de Bukangalonzo a fait l’objet, durant plusieurs mois, d’un jeu de ping-pong entre le Parquet général près la Cour constitutionnel et celui près la Cour de cassation qui n’ont fait que tâtonner sur la procédure de mise en accusation et sur la juridiction compétente pour connaître des faits de détournement des millions de dollars sortis du trésor public. Qu’est-ce que les étudiants en droit apprendront de ces magistrats ne maîtrisant rien et quelle jurisprudence auront-ils laissée dans les annales du droit positif congolais ?
- Plus personne aujourd’hui ne parle des anciens ministres Eteni Longondo et Willy Bakonga, l’un arrêté pour détournement des fonds destinés à combattre la covid-19 et l’autre condamné pour blanchiment des capitaux. Ils se la coulent douce en toute quiétude et participent aux activités politiques de leurs partis et de l’Union sacrée sans que la justice n’ait pu éclairer l’opinion sur la gestion judiciaire des faits mis à leur charge.
- Pour des centaines de millions de dollars volatilisés à la Gécamines sous la gestion d’Albert Yuma, le dossier ouvert à sa charge a été étouffé par une décision de classement sans suite et l’on en parle plus.
- Jusqu’à ce jour la justice n’a jamais fait la lumière sur le conflit communautaire très sanglant ayant surgi dans le territoire de Yumbi dans la province de Mai-Ndombe peu avant les élections de décembre 2018 entre les Batende et les Banunu. Les instigateurs et les tireurs des ficelles sont protégés. D’autres sont promus à des postes politiques élevés à Kinshasa.
- Jusqu’à ce jour la justice n’a jamais fait la lumière sur le conflit communautaire très sanglant ayant surgi dans le territoire de Yumbi dans la province de Mai-Ndombe peu avant les élections de décembre 2018 entre les Batende et les Banunu. Les instigateurs et les tireurs des ficelles sont protégés. D’autres sont promus à des postes politiques élevés à Kinshasa.
Dans un pays où l’État de droit n’est pas simplement récité comme n’importe quel slogan, les révélations faites sur les voitures de marque Palissade remises en cadeaux aux députés nationaux ainsi que des primes non justifiées qui leur sont accordées devraient constituer une bonne piste pour l’ouverture d’une information judiciaire pour faits s’apparentant au détournement des fonds publics et à la corruption Mais hélas! L’actualité vient de s’enrichir avec le dossier de Vidiye Tshimanga, ancien conseiller spécial du Chef de l’État chargé des stratégies, dont l’ordonnance de mise en liberté provisoire rendue à peine six après sa mise en détention laisse la place à toutes sortes de commentaires sur autant sur les collaborateurs de Félix Tshisekedi que sur la justice à plusieurs vitesses sous son règne.
Conclusion
Qu’il se réunisse en assemblée plénière ou pas, le Conseil supérieur de la magistrature a toujours servi de prétexte au pouvoir exécutif pour placer à la tête des organes judiciaires des animateurs jugés loyaux et favorables au régime en place. De Kabila à Tshisekedi, tous les régimes instrumentalisent le Pouvoir judiciaire pour se maintenir au pouvoir en fermant les yeux sur les égarements.
La justice peine à devenir le gardien du système constitutionnel congolais. Elle d’érige malheureusement en un haut temple de promotion des antivaleurs et de la mal gouvernance. Le principe d’indépendance de la justice a perdu toute sa substance en RDC. Il est inacceptable que dans un système prônant séparation des pouvoirs, le pouvoir judicaire soit entièrement inféodé à l’Exécutif[8]. La justice congolaise reste une caisse de résonance de l’envi de la Présidence de la République et du pouvoir exécutif. Dans plusieurs dossiers liés à la corruption des mandataires publics, le trafic d’influence devient la norme de gestion judiciaire. On ne
compte pas le nombre de cas où des proches collaborateurs du Président Tshisekedi ou ses membres de famille interfèrent dans la conduite de la justice. Ils donnent des injonctions aux magistrats quant aux décisions à prendre dans certains dossiers.
Cependant, contrairement aux changements annoncés dans le domaine judiciaire, les nouvelles des palais de justice font état du retour en force des antivaleurs décriées sous les régimes précédents. L’ingérence de la Présidence et du pouvoir Exécutif se manifeste, par ailleurs, dans le limogeage, la nomination et la promotion des magistrats. Le népotisme et la politisation obscènes qui perdurent à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire est indigne d’un Etat de droit. Pour cela, est d’office exclu de la nomination au poste de responsabilité tout magistrat soupçonné d’avoir un esprit d’indépendance, même s’il réunit les critères de compétence, d’ancienneté et d’intégrité (nous savons de quoi nous parlons). La conséquence, c’est la qualité des décisions judiciaires qu’on déplore, qui laisse à désirer et qu’on a tendance à mettre globalement sur les seules épaules des magistrats, oubliant celui qui les nomme et au nom duquel ces décisions sont exécutées conformément à la Constitution.
- Les cas énumérés dans cette analyse ne sont que l’arbre qui cache la forêt. De même que le peuple a toutes les raisons de se méfier de la justice, entre les magistrats eux-mêmes la méfiance est totale. Le plus grand perdant c’est ce peuple, qui ne sait plus à qui s’adresser en cas de violation de ses droits.Le Président de la République, magistrat suprême, est-il disposé à assumer sa part de responsabilité ? Ça doit changer, mais avec qui ?[9]
ean-Bosco Kongolo Mulangaluend,
Juriste et Criminologue
Ancien magistrat qui a délibérément démissionné de ses fonctions au début des années 2000 pour ne pas cautionner les antivaleurs qui rongeaient le système judiciaire de la RDC.
Texte relu par Jean-Jacques Wondo.
Références
[1] Jean-Jacques Wondo, La IIIème République Congolaise : Une Démocratie tripatouillée dans un Etat défaillant. Afridesk, 2 juillet 2013. https://afridesk.org/la-iiieme-republique-congolaise-une-democratie-tripatouillee-dans-un-etat-defaillant-jean-jacques-wondo/.
[2] Mal qui se renouvelle constamment et semble augmenter en proportion des efforts faits pour le détruire, In https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/hydre/40760.
[3] Kongolo.JB, 23 octobre 2016, In https://afridesk.org/la-justice-premier-chantier-a-realiser-apres-le-regime-de-joseph-kabila-jean-bosco-kongolo/.
[4] In https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190923-rdc-felix-tshisekedi-compte-pas-fouiner-le-passe.
[5] Ibid.
[6] JJ Wondo, Lobogate » ou le scandale qui étale les tensions et les insuffisances du cabinet du président Tshisekedi ? Afridesk, 9 décembre 2019. https://afridesk.org/lobogate-ou-le-scandale-qui-etale-les-tensions-et-les-insuffisances-du-cabinet-du-president-tshisekedi-jj-wondo/.
[7] Actualité.cd, 01/07/2021, In https://actualite.cd/2021/07/01/felix-tshisekedi-kamerhe-est-quelquun-de-serieux-et-de-correct-je-suis-convaincu-quil.
[8] Jean-Jacques Wondo, La IIIème République Congolaise: Une Démocratie tripatouillée dans un Etat défaillant. Afridesk, 2 juillet 2013. https://afridesk.org/la-iiieme-republique-congolaise-une-democratie-tripatouillee-dans-un-etat-defaillant-jean-jacques-wondo/.
[9] Lire aussi « Pouvoir judiciaire en RDC, avec quels hommes et quelles femmes? In https://afridesk.org/pouvoir-judiciaire-de-la-rdc-jb-kongolo/.