Cet article a été initialement publié dans docplayer.fr
Note liminaire (par Jean-Jacques Wondo)
La réforme des services de sécurité est une condition nécessaire pour la démocratisation et le développement des pays en quête de stabilité[1]. Le contrôle civil adéquat de l’armée reste essentiel à la formation d’une armée réellement républicaine au service – et soumis à – du pouvoir politique civil dont il reste l’instrument et qui lui assigne la mission en fonction des objectifs stratégiques de l’Etat.
Un premier enjeu présenté comme étant crucial est la nécessité de limiter le pouvoir politique de l’armée ou l’immixtion de l’armée dans la sphère politique. Un second enjeu est la nécessité d’avoir des forces armées disciplinées, étant entendu qu’une bande d’individus armés et indisciplinés peut être désastreuse pour la société. Il est d’une importance cruciale de veiller à ce que l’appareil de justice militaire soit compatible avec les normes des droits de l’Homme. La plupart des lois militaires européennes sont conformes à la Convention européenne des droits de l’homme. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples offre un point de référence analogue pour assurer la conformité des systèmes de justice militaire africains au droit national et international[2].
Il faut relever cependant qu’il existe deux thèses opposées plaidant en faveur ou contre la suppression des juridictions militaires dans le débat plus large de la spécificité ou non de l’armée : celle de la divergence de l’armée avec la société et celle de la convergence. La première aboutissant au maintien des juridictions militaires – explicitée ci-dessous et la seconde à leur suppression. Cette deuxième thèse est dans ses grandes lignes représentée par le Dr Jean Pierre Moreigne pour qui il faut abolir de façon radicale ce qui différenciait le soldat consacré à la guerre et le citoyen, tout naturellement tourné vers la paix. Dans la mesure où le statut du militaire n’est plus pertinent, pourquoi encore maintenir les juridictions militaires ? Pour les tenants de cette thèse, une justice spécialisée rendue par des militaires est-elle vraiment nécessaire ? D’autant qu’il est cependant communément admis par tous les juristes et spécialistes du droit que la justice doit fonctionner selon les mêmes principes. La justice militaire ne doit pas faire exception à cette règle. Ainsi comment peut-on qualifier de justice, une justice pénale rendue en grande partie par des militaires en activité qui ne peuvent être indépendants de leur hiérarchie ?[3]
L’Allemagne a, comme la France, supprimé la justice militaire en temps de paix. En France, par exemple, les militaires français relèvent dorénavant pénalement du juge de droit commun. Cela est maintenant conforme au principe d’égalité des citoyens devant la loi énoncé par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789[4]. Il en est de même pour la Belgique qui a supprimée, depuis le 1er janvier 2004, le Tribunal militaire composé d’un Conseil de guerre et d’une Cour militaire ol, notamment parce qu’il ne convient plus de faire juger les militaires par des juridictions autres que celles compétentes à l’égard des civils, du moins en temps de paix. En effet, quelle que soit la qualité de la personne, en temps de guerre, les juridictions de droit commun restent compétentes pour connaître toutes les infractions réprimées par la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire. La juridiction militaire est compétente, uniquement en temps de guerre, pour les infractions commises par les militaires qu’elles aient ou non un rapport avec leur statut de soldat. La juridiction militaire est composée d’un Conseil de guerre et d’une Cour militaire. Le Conseil de guerre juge les infractions aux lois pénales militaires commises par des militaires d’un grade égal ou inférieur à celui de capitaine. La Cour militaire juge les officiers d’un grade supérieur à celui de capitaine ainsi que les membres militaires des conseils de guerre pour les infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions. La Cour militaire traite également les appels des jugements rendus par le Conseil de guerre. (http://www.droit.learningtogether.net/le_tribunal_militaire.htm).
Actuellement en RDC, c’est la première thèse qui semble être d’application et qui fait l’objet de cet article trouvé sur Internet. A cet effet, les autorités politiques congolaises doivent s’efforcer à renforcer les capacités de la justice militaire et police militaire. Elles doivent voter les lois efficaces et mener des actions concrètes destinées à promouvoir le respect des Droits de l’Homme et le genre ; et à lutter contre l’impunité dans les rangs des forces armées et de sécurité. Le colonel en retraite Amisi Mubangu, pour le cas de la RDC, plaide pour une réforme fondamentale de la justice militaire, tant dans sa conception que dans son organisation et son fonctionnement. « Elle doit être démantelée en faveur d’une justice militaire véritablement distincte, efficace et responsable »[5]. Une telle justice militaire moderne garantira le bon ordre et la discipline au sein de l’armée tout en fournissant les garanties judiciaires et les droits fondamentaux accordés aux soldats au cours des poursuites judiciaires et des procès proprement dits tenus devant les tribunaux militaires dans les sociétés démocratiques[6].
Pour le cas de la RDC, par exemple, une justice militaire distincte de la RDC s’impose à cause de la déliquescence du système judicaire civil non fiable. A propos de la justice civile, le juriste-criminologue Jean-Bosco Kongolo parle de la lâcheté et de la compromission des magistrats congolais qui se sont eux-mêmes placés dans une telle situation d’autoperversion[7]. Dans sa brillante radioscopie prospective de la justice congolaise, M. Kongolo stigmatise la perte de ressources morales et éthiques suffisantes dans le chef des magistrats congolais pour renverser les rapports de force afin de servir de contrepoids aux dérives d’autres institutions. « Ils ont laissé s’installer progressivement et irréversiblement l’impunité à telle enseigne que les gros poissons (criminels de sang, criminels institutionnels et économiques) se sentent à l’abri des filets de la justice, uniquement tendus pour les poissons de taille moyenne (opposants, journalistes et activistes des droits de l’homme) ». Parlant de l’inféodation de la justice au pouvoir politique, sous Joseph Kabila, il avance : « La justice est devenue un organe entre les mains de la famille politique du Chef de l’État, qui en use et en abuse pour imposer, en collaboration avec l’armée, la police et les services de renseignement, un seul son de cloche comme dans un régime de parti unique ; au lieu d’être ce rempart contre les dérives totalitaires, les décisions judiciaires rendues contre les opposants sont rédigées ailleurs et simplement remises aux juges qui n’ont d’autre choix que de les prononcer ; etc[8].
Dans une autre analyse critique de la justice congolaise, Jean-Bosco Kongolo démontre comment les magistrats ont annihilé leur propre combat et craché sur les sacrifices, parfois humains, de tout un peuple pour l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit. « En dépit des textes législatifs leur accordant plus clairement leur indépendance et la gestion par eux-mêmes du Conseil supérieur de la magistrature qui était jadis présidé par le Président de la République, ils ont cassé l’élan qui allait rendre à la justice congolaise ses lettres de noblesse ». (…) Allant ainsi à contrecourant de l’Etat de droit, ils se sont fait enfermer dans le piège de l’instrumentalisation politicienne de sorte qu’ils ne méritent plus de la confiance du peuple au nom duquel la justice est rendue (Art.149 al.1er de la Constitution)[9].
Un autre élément qui, selon Mubangu, plaide en faveur d’une justice militaire indépendante est le fait que « les soldats ne sont pas des civils. Leur conduite individuelle est soumise à un plus large éventail de sanctions pénales et disciplinaires ». La différence entre la communauté militaire et la communauté civile d’une part et entre le droit applicable aux civils et le droit militaire d’autre part exige l’adoption d’un code de justice militaire totalement séparé et distinct du code pénal général. Un code pénal militaire réglemente certains aspects de la conduite des militaires, qui, dans la vie civile, ne sont pas pénalement réglementés. Si un code pénal général incrimine un segment relativement petit du potentiel humain, un code pénal militaire interdit une gamme beaucoup plus large de la conduite du personnel militaire. Le champ d’application très large d’un code pénal militaire réprime clairement non seulement le comportement criminel, mais il favorise également une organisation militaire ordonnée et dévouée[10].
En effet, la réforme de la justice militaire congolaise instituée par les lois de 2002 n’a répondu que très partiellement à ces défis. Le ministre de la Justice a donc initié une autre réforme, actuellement en cours, en partie dans le but d’intégrer dans la procédure judiciaire militaire les principes fondamentaux énoncés dans la Constitution de 2006, adoptée après l’entrée en vigueur des réformes de 2002. La réforme de la justice militaire doit néanmoins tacler l’ensemble des défis institutionnels et politiques qui se posent à la justice militaire afin que celle-ci puisse servir d’outil efficace de lutte contre l’impunité tout en respectant les droits de l’homme[11] et en contribuant à l’avènement d’un Etat de droit en RDC.

Références
[1] Herbert, Wulf, Réforme du secteur de la sécurité dans les pays en développement et les pays en transition », p.10, http: // www.berghof − handbook.net/documents/publications/frenchwulfdialogue2.pdf.
[2] Emile Ouédraogo, Pour la professionnalisation des forces de sécurité en Afrique, Centre d’Etudes stratégiques (CESA), N°6, Washington, DC, juillet 2014, p.51.
[3] Pierre Bricard (magistrat civil français retraité), La justice militaire française à la lumière des récentes réformes.
[5] Pierre Bricard, ibid.
[4] Amisi Bin Mubangu, République démocratique du Congo, 1960-2010, De l’ANC aux FARDC, 2010, p.69.
[6] Amisi Bin Mubangu, ibid.., p.70.
[7] Jean-Bosco Kongolo, Magistrats congolais, que reste-t-il de la noblesse de votre (notre) carrière?. DESC, 11 août 2017. https://afridesk.org/fr/?p=21731&lang=fr.
[8] Jean-Bosco Kongolo, ibid.
[9] Jean-Bosco Kongolo, RDC – Apport négatif de la justice congolaise à l’état de droit. DESC, 2 mars 2015. https://afridesk.org/fr/?p=13154&lang=fr.
[10] Amisi Bin Mubangu, op. cit., p.72.
[11] Marcel Wetsh’okonda Koso, République démocratique du Congo : La justice militaire et le respect des droits de l’homme – L’urgence du parachèvement de la réforme. Une étude d’AfriMAP et de l’Open Society Initiative for Southern Africa, Johannesbourg, 2009.