Boniface Musavuli
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 24-06-2024 09:35
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Les faux coups d’Etat au Congo : Cas de l’affaire Kalume, 1978 – B. Musavuli

Auteur : Boniface Musavuli

Alors que la RDC s’illustre à nouveau par des affaires de faux coups d’État, utilisées dans le but de semer la terreur et ruiner des vies pour l’exemple, l’occasion se prête de rappeler un des épisodes les plus sombres de l’histoire du pays en rapport avec ces pratiques indignes : l’affaire Kalume. De quoi s’agit-il ? Le 18 mars 1978, treize jeunes officiers ont été exécutés à Kinshasa dans le cadre de l’affaire dite « Kalume ». Une sombre histoire de faux coup d’État orchestrée par le pouvoir de l’époque pour semer la terreur, légitimer des purges dans les rangs de l’armée et consolider le pouvoir sur fond d’affinités tribales.

 

L’affaire

Mi-février 1978, une vague d’arrestations des officiers fut menée dans les garnisons de Kinshasa et de l’intérieur du pays. La majorité des prévenus avaient la particularité commune d’être formés à l’École Royale Militaire belge. Et comme c’était souvent le motif à l’époque, ils étaient accusés d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État en connivence avec la Belgique ». Parmi les prévenus se trouvait le major Kalume Kahamba, présenté comme le cerveau du complot, mais aussi d’autres officiers, pour la plupart des « ERM-istes »[1] : le colonel Biamwenze, le colonel Mwepu, le lieutenant-colonel Mwehu, le lieutenant-colonel Tshunza, le lieutenant-colonel Kalonda, le major Panubule et le capitaine Fundi. Le major Kalume était à l’époque le secrétaire particulier du général Likulia, auditeur général dans cette même affaire. Le major Kalume fut condamné à mort et exécuté avec tous ses compagnons d’armes[2].

Auparavant, un groupe d’opposants en exil avait pris contact avec des officiers résidant au Zaïre, par l’intermédiaire d’hommes politiques qui, sous couvert d’affaires, faisaient la liaison entre les deux. Les exilés étaient regroupés au sein d’un parti politique d’opposition au régime de Mobutu : le MARC[3], à la tête duquel se trouvaient Monsieur Monguya (président), Pierre Kanyonga (secrétaire général) et Kalono. Le major Charles Kalume Kahamba, breveté de l’ERM et licencié en criminologie, était à l’époque inspecteur des services pénitentiaires des F.A.Z. Il était en plus le seul officier-élève africain à recevoir « L’Épée du Roi » pour ses brillantes études à l’ERM. Lors d’une mission de service en Europe en 1976, il aurait rencontré les membres du mouvement de l’opposition MARC dont Daniel Monguya. En 1978, une nouvelle mission le mena en Argentine, en compagnie du général Likulia Bolongo, auditeur militaire général des F.A.Z. Lors d’une escale à Paris, le major Kalume Kahamba se serait entretenu avec les membres du MARC. Il sera arrêté quelques jours après son retour à Kinshasa.

 

Une parodie de justice

Le 17 février, alors qu’il assistait à une messe de commémoration du 40ème jour de la mort d’un camarade, le capitaine Mpiana, le major Kalume est arrêté en même temps que plusieurs de ses collègues jeunes officiers. La plupart des personnes appréhendées par la suite l’ont été à partir des témoignages qui lui ont été extorqués sous la contrainte et les manipulations. Durant le procès, le major Kalume n’était pas normal, il avait l’air drogué et fatigué. Au total, il y avait 91 personnes poursuivies. Il avait commencé par donner les noms des personnes rencontrées dans la journée, puis celles figurant sur la liste de collecte pour le deuil du feu Mpiana. Dans cette liste, utilisée comme principal pièce d’accusation, les officiers originaires des régions de l’Équateur et du Haut-Zaïre ne furent pas inquiétés, bien qu’ils aient participé à la collecte.

Les inculpés furent déférés devant une commission d’enquête composée des généraux Babia, Singa, Likulia, du colonel Bolozi ainsi que du tout-puissant conseiller spécial de Mobutu, Seti Yale, qui menait ses interrogatoires au pavillon 10 de la cité de l’OUA. Les perquisitions furent faites aux domiciles des « terroristes » (tels qu’ils étaient qualifiés). Une liste du gouvernement et un plan d’attaque du Mont-Ngaliema (résidence officielle de la présidence de la République) auraient été découverts dans le matériel du major Panubule, chez lui et à son domicile. Il leur fut reproché d’avoir voulu, par le terrorisme urbain, créer un climat de terreur dans la ville de Kinshasa, en vue de pousser le général Mobutu à la démission. Selon l’accusation, le groupe d’officiers était dirigé par le major Kalume qui aurait reçu de l’argent de la part de Monguya pour le recrutement d’autres éléments militaires et l’exécution du plan de déstabilisation à Kinshasa.

 Les suspects sont traduits devant le conseil de guerre de la ville de Kinshasa pour les préventions suivantes :

– Le complot militaire,

– La constitution d’association des malfaiteurs ayant pour but d’attenter aux personnes et à leurs biens,

– La violation des consignes militaires,

– La complicité de complot militaire,

– Le détournement et dissipation des munitions ou d’autres matériels militaires,

– L’extorsion sous menace,

– L’organisation des réunions ou des manifestations illégales,

– L’adhésion à des cercles prohibés et incitation à la révolte des FAZ.

Le procès se déroula du 8 au 16 mars 1978. Les questions qui furent posées aux inculpés étaient presque les mêmes, aussi bien à la commission d’enquête qu’en audience : — Connaissez-vous Kalume ou Mpiana ? — Quelles relations particulières avez-vous avec l’un ou l’autre ? — Avez-vous participé au deuil de feu Mpiana ? — Avez-vous cotisé ? Si oui, combien avez-vous donné ? — Connaissez-vous le Nganda (la terrasse) Brigitte ?

Le 17 mars 1978, le verdict est rendu. 78 des 91 inculpés sont condamnés, dont 13 à la peine de mort. Peines requises avec acharnement par l’auditeur général des FAZ, le général Likulia, colonel à l’époque des faits. Mais, alors que les condamnés nourrissaient encore l’espoir d’obtenir la grâce présidentielle, le chef de l’État rejeta leurs recours. Les 13 personnes condamnées à mort furent exécutées à l’aube du 18 mars 1978. Tous les autres, civils et militaires, furent acheminés à la prison d’Angenga à l’Équateur.

Dans son discours radiotélévisé du 18 mars annonçant les exécutions des « terroristes », Mobutu déclara de manière machiavélique : « Désormais, je le déclare solennellement, je serai sans pitié contre toute tentative de ce genre…je n’accepterai plus que, sous prétexte de sauvegarder les droits de l’homme, on multiplie les interventions pour amener l’État zaïrois à ne pas faire subir aux criminels de cette espèce le châtiment qu’ils méritent…(…). Les peines capitales qui viennent d’être exécutées doivent demeurer un exemple pour tout ce monde. C’est à ce seul prix que la paix et la protection des personnes et des biens pourraient être sauvegardées. Ce tribut sera désormais payé en toutes circonstances ».

 

Irrégularités et abus

Bien que le jugement ne l’ait pas prononcé, une ordonnance-loi, publiée dans la foulée du verdict, consacra la confiscation de tous les biens des condamnés et des membres de leurs familles. Depuis les maisons jusqu’aux casseroles, en passant par les comptes en banque, tout est pris et distribué comme butin aux généraux et officiers supérieurs[4].

Le procès, en lui-même, était émaillé d’immenses vices de procédure et de faux, en plus des contradictions relevées par les avocats de la défense :

  • Matanda, député, a été jugé sans que son immunité n’ait été levée, alors qu’il était justiciable devant la Cour Suprême de Justice.
  • L’élément matériel des infractions imputées aux condamnés n’était pas clairement établi par les magistrats. Par exemple : il n’a jamais été établi en quoi consistait la violation de la consigne militaire.
  • Beaucoup d’officiers ont vu leur sort scellé au seul motif qu’ils étaient des collègues d’études ou de service de Kalume ou tout simplement parce qu’il les avait rencontrés ce jour fatidique du 17 février 1978.

Au cours de la procédure, Kalume fut considéré comme le point focal alors que, manifestement, il n’était pas en possession de toutes ses facultés. Les personnes ayant suivi le procès ont été frappées par sa propension à amplifier les faits et par le caractère prolixe de ses déclarations. Certains se sont demandé s’il n’était pas sous l’effet des produits stupéfiants. Le général Singa, dans sa déclaration devant la Commission ad hoc de la Conférence nationale souveraine (CNS) dira : « Durant le procès, le major Kalume n’était pas normal, il était comme un drogué. Au début, il était normal, mais comme il comparaissait tous les jours, il était fatigué ». Vers 22h, écrit-il, le colonel Bolozi s’adressa au major Kalume en lui disant que le président de la République était déjà au courant de tout le problème, qu’il était au téléphone et voulait lui parler. Après ce coup de téléphone, Kalume fut ramené devant les généraux. Il déclara que le président lui a demandé de tout raconter, car il lui garantissait la vie sauve.

Cet espoir d’avoir la vie sauve, fut émis par plusieurs autres accusés sans lendemain. L’intention de faire l’exemple était déjà arrêtée. Il y avait quelque chose de déchirant au vu des rapports hiérarchiques professionnels qui liaient certains accusés aux juges. Par exemple :

  • Le colonel Mwepu, adjoint au chef d’état-major de la Gendarmerie, le général Singa, membre de la Commission d’enquête.
  • Le major Panubule, adjoint du commandant B2, le colonel Bolozi, membre de la Commission d’enquête.
  • Le major Kalume, qui travaille en étroite collaboration avec l’auditeur général, le général Likulia, membre de la Commission d’enquête et ministère public.
  • Monsieur Kudiakubanza, ancien auditeur général, collègue de promotion du président Mobutu à l’armée.

Dans ses conclusions, la Conférence nationale souveraine a abouti aux responsabilités suivantes :

  1. La Commission d’enquête, pour avoir mené les enquêtes et les interrogations avec discrimination et préjugés.
  2. Le Conseil de guerre de la ville de Kinshasa, pour l’instauration du procès dans les mêmes conditions que la commission d’enquête et pour avoir condamné à des peines dépassant les faits incriminés. Car à aucun moment, il n’y a eu un début d’exécution du terrorisme dans la ville de Kinshasa, aucun commando n’a été recruté.
  3. Les F.A.Z. pour l’expulsion de leur sein, des officiers pour des raisons tribalistes.
  4. Monsieur Mobutu, chef d’État, pour avoir ordonné l’arrestation, la condamnation et les assassinats sur parodie de justice, de plus de 80 personnes : jeunes officiers, hommes politiques et hommes d’affaires.

 

Purges dans les rangs de l’armée

Dix jours après l’exécution de Kalume et ses compagnons d’infortune, une ordonnance-loi signée du chef de l’État décidait de la confiscation des biens meubles et immeubles des condamnés, vivants ou morts. Mobutu profita de cette affaire pour renvoyer 752 officiers et sous-officiers de l’armée dont un général, sept colonels, 20 lieutenants-colonels, 23 majors, 60 capitaines, 85 lieutenants, 76 sous-lieutenants, 125 adjudants-chefs, 131 adjudants de première classe et 224 adjudants. On les appellera des « enveloppés », car on leur remettait une enveloppe contenant une simple lettre de renvoi de l’armée au mépris des règlements militaires et des droits de l’homme. Il s’agissait des officiers et sous-officiers originaires du Bandundu, du Shaba et des deux Kasaï, mais qui n’étaient pas mêlés au procès. Elles contenaient la mise en retraite anticipée de tous ces éléments des FAZ. Ces officiers n’avaient droit à aucune explication ni à une quelconque indemnisation matérielle ou financière. Ils furent immédiatement chassés des camps militaires ou des maisons qu’ils occupaient. Certains d’entre eux se retrouvèrent brutalement dans la rue, du jour au lendemain. Cette purge fut complétée par une lettre émanant du Premier Secrétaire permanent du Comité Central du M.P.R., adressée aux grandes sociétés et entreprises étatiques et paraétatiques leur interdisant d’embaucher ces officiers et sous-officiers radiées de l’armée.

 

Boniface Musavuli

Analyste politique et auteur

Références :

Ouvrage de référence : Jean-Jacques Wondo, Les Armées au Congo-Kinshasa : Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Amazon.fr

[1] C’est ainsi que l’on nommait les officiers sortis de l’ERM. « EFO-istes » pour les officiers sortis de l’EFO-Kananga ; « Saint-Cyriens » pour ceux ayant été formés à « Saint-Cyr » en France, …

[2] A l’exception d’une femme, l’Adjudant-chef Brigitte Kisonga, verra sa peine de mort commuée en détention à perpétuité à cause de son statut de femme, puis graciée

[3] Mouvement d’Action pour la Résurrection du Congo.

[4] À titre illustratif : les frères de Kudia Kubanza, les parents du capitaine Fundi-Sefu, se virent ravir tous leurs biens. Madame Kamona Nyota, veuve du colonel Kalonda, a perdu sa maison située sur avenue Nguma, n° 4344, à Binza Ngaliema, cadeau de mariage obtenu de son frère l’ambassadeur Kamba. Cette maison lui a été dépossédée par l’amiral Lomponda, juge-président du Conseil de guerre ayant condamné son époux. Maintes exactions et injustices ont été infligées aux épouses et aux enfants des suppliciés et des rescapés. Ils ont été priés de quitter leurs logements et traités comme des parias nuisibles à la société.

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One Comment “Les faux coups d’Etat au Congo : Cas de l’affaire Kalume, 1978 – B. Musavuli”

  • GHOST

    says:

    LA MALEDICTION DES ENVELOPPES
    Nos parents, aînés et nous non orginaires de l´Equateur avons eu á subir la discrimination, les injustices, et toutes sortes des tortures psychologiques á cause de ce procès.
    Jusqu´á la chute de Mobutu, les FAZ/Gendarmerie/Garde-Civile ont appliquées systèmatiquement cette « fatwa » où les congolais non orginaires de l´Equateur étaient une menace sécuritaire au sein des forces de sécurité du Zaire.
    Le pire avec ce procès est que les FAZ/FAZA vont perdre des cadres et cela va impacter sur les performances de l´armée dans les 2 débâcles des guerres du Shaba.
    Le Zaire n´avait plus la capacité offensive, et pire les têtes pensantes stratèges pour diriger son armée depuis ce procès. La suite logique est l´occupation á l´Est 30 ans après les invasions qui avaient causées la chute de Mobutu.
    MALEDICTION DES FAUX COUPS D´ÉTAT
    Quand la RDC recommence avec cette culture qui avait causée la fin des FAZ et de Mobutu, le RETEX (retour d´expérience) des FAZ enseigne que l´institution de la défense ne peut fonctioner correctement et gagner la guerre sur fond du « tribalisme ».
    Les images du PR Félix sous la protection des mercenaires ex membres de la Légion étrangère indiquent le retour de la malédiction des enveloppes qui semble-t-il va frapper cette fois, une fois de plus les officiers non orginaires du Kasai.
    Rien de nouveau sous le soleil car ceux qui pensent inventer la roue de la discrimination n´ont pas le temps de lire l´histoire militaire de notre pays.

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