Les crashes d’avions en RDC ou la mort planifiée des citoyens par défaut d’application des règles de l’aviation et la corruption
Par Trésor Mack Kabeya
Le secteur aéronautique en RDC est un domaine qui est appelé à être pris au sérieux par les nouvelles autorités du pays. Cette nécessité deviant impérieuse après le crash du vol A-72903 survenu le 10 octobre 2019 dans le territoire de Kole, dans la province du Sankuru. A peine 45 jours après le crash precedent, un autre crash du vol 95-GNH de la compagnie Busy Bee est survenu le 24 novembre 2019 dans la ville de Goma tuant 19 personnes[1] et un rescapé. Il s’agissait d’un petit aéronef du type Dornier-228 de la compagnie Busy Bee en partance pour Beni dans l’Est du pays. C’est le sixième crash sur le territoire national congolais depuis 2018.

En effet, il est totalement inacceptable de se rendre compte, sur une analyse étalée entre 2010 et novembre 2019, que la RDC a connu plus de 35 crashes, parmi lesquels plus de 90% sont dûs aux problèmes techniques. Malheureusement, aucune mesure idoine n’est prise pour améliorer la sécurité aérienne en RDC. La maintenance des aéronefs revêt une importance capitale car le maintien d’un aéronef en bon état augmente la sécurité de l’aviation. Cependant, l’entretien de la plupart des appareils opérant à l’intérieur de l’espace aérien fait défaut. Un grand nombre de ces avions sont vetustes et ne répondent pas aux normes recommandées par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI)[2], et mettent de ce fait la vie des passagers congolais en grand danger.
Un des objectifs stratégiques de l’OACI vise le renfocement de la sécurité de l’aviation civile à l’échelle mondiale. La sécurité relevant du respect des règles d’exploitation des aéronefs et des installations par les personnels qui en ont la charge, cet objectif stratégique cible principalement les capacités des États en matière de supervision réglementaire. Dans ce cadre, il y a lieu de distinguer la sûreté et la sécurité. La sûreté se rapporte à la protection des personnes, fret, installations et matériels contre les actes malveillants, criminels ou terroristes. La sécurité, elle, relève du respect des règles d’exploitation des aéronefs et des installations par les personnels qui en ont la charge[3].
Une autorité de l’aviation civile congolaise incompétente, faillie et corrompue
En RDC, l’Autorité Congolaise de l’Aviation Civile (A.A.C.) devrait par son inspection rigoureuse s’assurer de la qualification, aptitude et la validité de la licence de toute personne (technicien, contrôleur, agent à la tour de contrôle, météorologue…) travaillant dans ce secteur.
Ce qui malheureusement ne semble pas être le cas. Il est clair que les procedures de cette inspection ne sont pas respectées, voire systématiquement violées? Ce qui impute un une grande de responsabilité structurelle et morale de l’A.A.C. dans la survenance des catastrophes aériennes en RDC.
On constate également une forte négligence en termes de contrôles de poids des cargaisons, des bagages que les passagers emmènent avec eux dans les avions, une absence de rigueur dans le respect des les conditions d’embarquement dans les avions, etc.

On se rappellera par exemple du crash survenu dans l’ex-province du Bandundu en Août 2011 de l’avion Let L-410 opéré par Filair. En effet, un passager aurait embarqué illégalement un crocodile vivant qu’il devait vendre au marché local de Bandundu. Il survint que lors de l’amorce finale de la phase d’attérissage, l’animal prédateur étant sorti de son sac a brusquement débarqué dans la cabine. Pris de panique, l’hôtesse de l’air et de nombreux passagers ont quitté leurs sièges et se sont dirigés vers le cockpit. Le centre de gravité étant alors hors de l’enveloppe et trop éloigné à l’avant, l’équipage a perdu le contrôle de l’appareil qui s’est écrasé dans la foulée. L’ironie du sort est que le crocodile a par la suite été retrouvé sain et sauf par les sauveteurs bien qu’il ait été finalement abattu. Scène surréaliste tragique, qui frise le rocambolesque pour certains, hilarante pour les plus cyniques peut-être, mais le fait est que 20 personnes ont perdu la vie dans ce drame qui aurait pu être évité. L’on se pose la question de savoir comment ce passager s’était retrouvé à bord de l’avion, embarquant aussi facilement un animal aussi dangereux dans un moyen de transport exigeant des conditions de voyages hautement règlementés dans ce 21è siècle où l’avion constitue un des moyens de transports les plus sûrs au vu des progrès réalisés dans la navigation aérospatiale et les normes de sécurité ?
Si des enquêtes avaient été menées pour investiguer sur les raisons et les conditions qui ont mené à l’embarquement d’un passager accompagné d’un animal aussi dangereux sur cet appareil, nous serions bien intéressé d’en connaître les résultats pour apporter plus de lumière à nos compatriotes. Malheureusement dans ce cas, comme dans la majorité des crashes d’avions en RDC, c’est un constat amère qui se dégage. Il n’existe généralement pas de contrôles rigoureux en amont pour respecter les normes de l’OACI. Le respect de ces normes est quasi systématiquement contourné facilement devant des avantages financiers qui constituent aujourd’hui en RDC le joker qui réussit à passer tous les obstacles. Ceci est un des exemples les plus éloquents pour illustrer les effets néfastes de la corruption qui gangrène la gouvernance en RDC par un lien direct de cause à effet.
Malheureusement, comme la nature ne garde pas toujours les énigmes qui violent ses lois, cette équation tragique se vérifie souvent à des moments qu’on l’attend ou le souhaitent le moins, coûtant plus cher à la communauté. On pointe du doigt à ce moment-là beaucoup de choses, alors qu’il est plus souvent questions d’une équation simple avec la corruption en prémisse comme suit :
Corruption -> Décoller hors règles de l’aviation -> Manifestation d’une faille ayant été négligée au sol -> Crash -> Mort d’hommes
On devrait donc, à notre avis, faire prévaloir dans ce secteur les normes en vigueur. Le respect des règles de sécurité de l’aviation civile est vu comme une barrière par les professionnels du secteur. Ceux-ci s’intéressent aux commissions frauduleuses et autres avantages illégaux que leur octroient des pratiques de corruption plutôt qu’à effectuer rigoureusement leur mission en toute conscience et professionnalisme dans un domaine où des vies humaines sont directement mises en jeu à la moindre negligence.
Pourtant, l’obligation de se conformer à ces mesures est clairement stipulée dans les attributions de l’AAC, mais visiblement elles ne font pas partie de la priorité.
En effet, le Décret n°011/29 du 10/06/2011 portant statuts d’un établissement public dénommé « Autorité de l’Aviation Civile de la République Démocratique du Congo », en sigle « AAC/RDC », charge entre autres l’AAC de[4] :
- de proposer au Gouvernement : – les programmes nationaux de sûreté et de facilitation aéroportuaires ;
– le programme national de sécurité en matière d’aviation civile ;
– et le programme national de gestion des catastrophes et des crises en matière d’aviation civile ;
- d’administrer, réglementer et superviser la sécurité et la sûreté de l’aviation civile ;
- d’orienter et coordonner toutes les activités d’aviation civile avec les autres administrations concernées dans la mise en œuvre de la politique de l’Etat relative à l’aviation civile ;
- d’édicter, mettre à jour et faire appliquer la réglementation technique relative aux aérodromes, à l’exploitation des aéronefs, à la navigabilité des aéronefs, à la navigation aérienne, au personnel aéronautique, au transport aérien, à l’aviation générale, à la météorologie aéronautique ainsi que la réglementation économique concernant l’exploitation des services aériens commerciaux et de l’aviation générale ;
Conclusion et recommandation
Au regard de la situation chaotique actuelle dans le secteur de l’aviation civile et profitant de l’opportunité qu’offre l’alternance au pouvoir qui incite la bonne gouvernance, et vu l’urgence, il est recommandable, voir urgent de mettre en place une Agence Congolaise de la Sécurité Aérienne. Celle-ci aura pour mission principale d’apporter une réponse rapide et adaptée prenant en compte les carences actuelles de la sécurité de l’aviation en RDC. Elle devra mettre en place une stratégie globale visant à implémenter dans l’ensemble du territoire congolais des mesures drastiques de nature à augmenter la qualité et la crédibilité de la sécurité de l’aviation en RDC afin de prévenir des catastrophes à venir. Ces catastrophes qui, par leurs effets collatéraux comme récemment à Goma, touchent également les populations victimes d’impacts des chutes d’avions.
Malgré l’insécurité qui règne dans le domaine aéronautique, il est paradoxal de constater que le transport aérien est un des moyens les plus chers en RDC. Or, on pourrait prélever des taxes additionnelles des prix exorbitants des billets d’avion pour doter cette agence de moyens adéquats pour réaliser efficacement ses missions.
Avec une ferme volonté politique des autorités au pouvoir, nous restons convaincu que l’application rigoureuse des règles de bonne gouvernance, indispensables à la mise en place des mesures de sécurité dans le secteur de l’aviation, va à coup sûr produire un triple effet bénéfique à la RDC : rendre l’avion un moyen de transport sûr, attractif et accessible à un plus grand nombre de congolais.
Trésor Mack Kabeya,
Ingénieur Aéronautique, Shenyang Aerospace University/key Lab.
Références
[1] Selon Timothée Muissa Kiesse, le bourgmestre de Goma, de 17 passagers et deux membres d’équipage, soit 19 personnes, étaient à bord.
[2] L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) a été créée par la Convention de Chicago le 7 décembre 1944. Elle est une institution spécialisée des Nations Unies chargée d’établir le cadre réglementaire mondial de la sécurité de l’aviation civile internationale. https://oaci.delegfrance.org/L-OACI-en-quelques-lignes.
One Comment “Les crashes d’avions en RDC ou la mort planifiée des citoyens par défaut d’application des règles de l’aviation et la corruption – Trésor M. Kabeya”
Hugues MUTOMB
says:Proud of you brother