La conquête démocratique du pouvoir politique en RDC
Les coalitions politiques : option ou impératif ?
Par Eloge Mavungu Poaty
La scène politique congolaise ponctuée par des crises à répétition, n’a jamais servi d’un cadre vecteur de bonheur collectif pour les communs des Congolais. Dans le combat pour la conquête du pouvoir, plusieurs ou presque tous les acteurs politiques se sont complus et se complaisent à batailler pour leurs intérêts mesquins au détriment de la communauté qu’ils sont censés servir. Cet égoïsme de nature cynique est par malheur un élément déterminant qui caractérise l’homme politique congolais. Malencontreusement pour cet antagonisme, le marché politique congolais oblige les acteurs politiques dans un impératif des unions en lieu et place de l’individualisme qui les a toujours obnubilés.
De plus en plus, depuis la volonté des fils et filles du Congo matérialisée au Dialogue Inter-Congolais sur les questions relatives à la gestion régalienne de l’Etat (crise de légitimité, création et consolidation de paix) ainsi que la détermination qui s’en est suivi de réinstaurer le pays vers la démocratie, il se crée des regroupements, des plates-formes qui fédèrent les associations politiques, les personnalités politiques ou les opinions politiques dans le but de porter haut une question politique ou un choix électoral. Est-ce à dire que la classe politique congolaise a atteint la maturité politique ? On ne saurait à ce niveau donner une réponse concluante à cette interrogation. Cependant un constat est réel ; les alliances politiques, prennent davantage de place et s’affirment sur la scène politique congolaise comme des acteurs de taille.
Qu’en est-il réellement ?
La société congolaise entant qu’espace politiquement organisé pour assurer le bien-être de la communauté, suppose l’institutionnalisation d’un pouvoir politique sans lequel aucune organisation ne serait possible. Ce pouvoir est une possession exclusive du souverain primaire vers lesquels les individus, les lobbies, les organisations politiques recourent pour obtenir mandat afin de prétendre à la gestion de la Res publica. Cette manière de courtiser ou d’amadouer le souverain primaire obéit à un certain nombre des réalités, règles, et requiert de ce fait des instruments, des outils dont les partis et les individus pris comme acteur politique indépendant sont privilégiés.
Les partis politiques s’affichent à ce titre comme étant les acteurs avantagés de conquête du pouvoir politique au regard non seulement des lois mais aussi des réalités que présente le marché politique congolais. Pour un parti politique, tenter de conquérir seul le pouvoir suprême dans un pays comme la RDC, serait une hypothèse qui fait directement recours à la stratégie politique ou stratégie de conquête, au vu des réalités en présence. L’évidence de l’équation laisse comprendre que la configuration géopolitique actuelle de la RDC, l’état de sa démocratie dominée encore par le tribalisme électoral, le système électoral en vigueur et l’état de l’économie nationale dans lequel évolue les partis politiques et par ricochets ses membres ne permettraient pas à un parti politique quelle que soit son influence, sa capacité réelle ou imaginaire de mobilisation des masses à remporter seul une bataille électorale de taille.
L’enjeu de cette étude est de contribuer à cette dynamique de construction de grands ensembles, car un pays comme la RDC ne saurait évoluer ou consolider sa démocratie de masse que par la conscientisation des formations politiques et sociales qui bataillent pour l’ébauche d’un véritable élan démocratique.
Les alliances politiques, les coalitions politiques, les plates-formes politiques ou électorales sont autant d’appellation que peuvent prendre ces regroupements. Bien qu’ayant évoluées dans le temps et dans les contextes différents, ceux-ci ne sont pas des nouveautés en soi dans l’arène politique congolaise. Déjà dans les moments pathétiques où la RDC négociait péniblement son indépendance, il eut des alliances politiques et électorales. Avant de revenir sur les détails des 4 éléments déterminants cités précédemment, qui seraient selon notre modeste analyse à la base de l’affirmation des coalitions politiques pour un développement aussi politique de la vie politique congolaise, nous aimerions tout d’abord retracer de manière lapidaire, l’arrière-plan historique de l’institutionnalisation de partenariats politiques depuis 1960 en les reclassant bien sûre dans les contextes qui les ont vu naitre.
Il existe une alliance politique lorsque les partis politiques soutiennent une seule idée et se coalisent pour la défendre. La table ronde politique de Bruxelles tenu du 20 janvier au 20 février 1960 peut être retenue comme le premier forum qui consacra la naissance des alliances politiques dans la vie politique congolaise. Les délégués de différentes formations politiques qui ont siégé à ces discutions ont convenu de soutenir d’une seule voix les positions à tenir lors de cette rencontre, parce qu’ayant pris lucidité que la Belgique s’entreprenait à les dresser les uns contre les autres et à exploiter leurs querelles et divisions, car il faut rappeler que la Belgique n’avait jamais songé d’elle-même à accorder l’indépendance au Congo en 1960.
Les délégués à cette rencontre prirent l’initiative de la création en date du 18 janvier[1] de la même année d’une coalition politique dénommée front commun au travers duquel ils prenaient l’engagement d’unir leurs efforts pour l’accession du Congo à l’indépendance. Cette première fut une coalition purement politique, et a obtenu succès parce qu’elle a réussi sa mission d’arracher de la Belgique la date du 30 juin comme date d’accession de la RDC à la souveraineté internationale. Ensuite vint les élections législatives qui devaient mettre sur pieds les premières chambres législatives du Congo et bien sûr élire le chef de l’Etat comme le prévoyait la loi fondamentale. Cette occasion fut la deuxième à occasionner la création des alliances (électorales) dans l’histoire de la nouvelle république. Apres ces élections LUMUMBA pouvait compter sur une coalition qui comprenait entre autre partis le MNC /L, le PSA, le COAKAT, l’UNC, le CEREA, et le BALUBAKAT. Cette coalition majoritaire dit des nationalistes faisait face à la coalition adverse menée par KASA VUBU avec les partis comme l’ABAKO, le PNP, MNC/K, le CONAKAT, le RECO, le PUNA et l’UNIMO qui totalisaient 55 députés et 34 sénateurs contre la première coalition qui comptait 71 députés sur les 137 sièges à la chambre de représentants et 41 sénateurs sur un total de 84.
Malgré la volonté des belges de voir à la tête du premier gouvernement congolais quelqu’un qui leur est convenable, ce choix s’est butté à la réalité de voir LUMUMBA former son gouvernement, car sa coalition était majoritaire. Qu’à cela ne tienne on remarque que le jeu d’alliance a donc permis l’élection de KASA VUBU comme Chef de l’Etat et LUMUMBA fut investi comme premier ministre du nouveau gouvernement avec un total de 60 voix pour, contre 12 abstentions et 4 absences(ou abstention ?) au sénat et 74 votes positifs, 1 voix contre et 5 abstentions et 57 absences à la chambre de représentants[2].
Cette jeune république contrôlée et combattue par le pouvoir occidental, se distingua par une turbulence sans précédent de la scène politique avec des rebellions, sécessions et autres crises qui ne pouvaient en rien faire de la politique un outil de développement et de matérialisation des espoirs nés dans l’euphorie de l’indépendance.
On peut également souligner dans cette logique de coalition, l’adhésion à la CONACO des principaux acteurs de la vie politique de l’époque dans le cadre des élections législatives de 1965. Ce consortium composé d’Albert KALONJI MULOPWE, Isaac KALONJI MUTAMBAYI, Cleophas KAMITATU, Victor NENDAKA, Etienne TSHISEKEDI etc. remporta 122 sièges sur les 167 pourvus à l’assemblée nationale pour confirmer l’adage qui dit « l’union fait la force ». Ce bloc était incontestablement une machine électorale, accomplie par l’association des forces individuelles de chaque acteur et érigea cette structure politique en une force incontournable.
La deuxième République dénudée d’essence démocratique, ne pouvait en rien servir de cadre de consolidation des premiers pas de démocratie jetés par la première République car étant d’abord un régime militaire issu d’un putsch, ensuite un régime qui a institué la terreur comme mode de gouvernance. Toute initiative démocratique serait donc combattue et étouffée dans l’œuf, ce qui par ailleurs n’empêcha pas en octobre 1980, 13 parlementaires de se coaliser contre les dérives d’un pouvoir dictatorial et baliser les sentiers qui ont conduit à une certaine mesure à accélérer la pression de l’ouverture démocratique. Avec l’usure du temps, des effets endogènes et exogènes à ce régime aboutirent à une pseudo-démocratie en 1990 qui a réactivé le combat politique où les alliances politiques de tout genre ont gagné le microcosme politique, ce fut la période de transition. Qui dura 16 ans avec 3 chefs d’Etats.
Pendant la transition mobutienne de 1991 à 1996, il y eut un afflux des plates-formes de tout genre. On se souviendra de l’Union pour la République et la Démocratie (UDR) conduite par KENGO avec des partis tels que l’UDI, FNC/KAMANDA, PDSC/KITITWA et l’UNADEF. La mouvance présidentielle liguée autour des Forces Politiques du Conclave(FPC), camp fidèle au chef de l’Etat MOBUTU. Le Front Commun Contre la Bipolarisation de la politique au Zaïre (FCCB) conduit par le professeur Mathias NZANDA BWANA. L’USORAL, l’USORAS, l’Union Sacrée de l’Opposition Radicale (USOR) avec les têtes d’affiche telles que l’UDPS, l’UFERI, le PDSC, qui militaient pour la tenue d’une conférence véritablement souveraine, c’est cette coalition qui porta Etienne TSHISEKEDI à la primature avec une victoire électorale écrasante aux allures plébiscitaires avec 71% de suffrage exprimé contre Thomas KANZA qui bénéficiait du soutien du Président de la République et sa famille politique.
Le blocage qui s’en est suivi, malignement concocté par le pouvoir en place n’a malheureusement fait qu’extérioriser l’état d’un régime politique sclérosé qui n’a pas su tenir à l’agression-rébellion de l’AFDL en 1996, qui elle-même fut une coalition de 4 mouvements politiques dont le PRP de L-D Kabila, le CNRD d’André KISASE NGANDU, l’ADP de Deogratias BUGERA et le MRZ de MASASU NINDAGA.
Pendant la deuxième phase de transition (1997-2001), et la troisième phase (2001-2003), il y a eu des alliances politiques entre mouvements rebelles qui ont opéré en RDC et les forces pacifiques du changement, à l’exemple de l’Alliance pour le Soutien au Dialogue Inter Congolais (ASDIC) mais du fait qu’il n’y a jamais eu depuis 1996 des rebellions à proprement parlé congolaises, nous n’estimons pas important d’en parler comme des exemples, vu notre estime à la volonté et aux efforts démocratiques déployés par les uns et les autres pour un Congo véritablement démocratique.
En ce début de la IIIème République, dès 2006, la création des plateformes telles que l’Union pour la Nation (UN), l’AMP-UDEMO-PALU a auguré une autre habitude de confrontation politique dans la vie électorale congolaise.
Comment et pourquoi ces 4 éléments viennent imposer les jeux d’alliances dans le combat politique en RDC ?
En politique, il n’y a pas d’adversaires éternels tout comme il n’y a pas d’alliés perpétuels. Aujourd’hui plus que jamais, les contraintes sociopolitiques congolaises commandent la création des coalitions politiques en vue de maximiser les chances de victoire dans un rapport de force, conquérir le pouvoir et pallier les multiples problèmes qui rongent la RDC. Il ne s’agit pas pour les partis membres de la coalition d’un abandon de leur autonomie, mais plutôt d’éviter que la compétition entre les partis acquis à une même cause ne puisse favoriser un autre courant. Les élections sont à cet effet l’objet primaire de la consolidation des alliances et ces dernières incarnent à ce point de vue une stratégie qui fait échec à l’exploitation des divergences entre les alliées qui visent un même but ou décrient les mêmes abus sociaux, politiques ou économiques.
Ces alliances sont d’ordre politique (longue vie) et d’autres sont spécifiquement électorales (courte durée). Dans les deux cas, l’une peut précéder l’autre. Une alliance politique peut être le résultat d’une alliance électorale ou encore vice versa. On peut citer l’exemple de la coalition AMP-UDEMO-PALU qui était une plateforme électorale qui après la victoire de son candidat, est devenue une coalition politique parce qu’ils ont pris l’option de gouverner sur un programme politique commun.
La plupart des alliances politiques dans leur logique, cheminent vers la création d’une alliance électorale. Ce sera peut-être le cas avec les coalitions de l’opposition politique congolaise qui pourraient être transformées en plateformes électorales.
Comme tout observateur politique pourrait le remarquer, notre système électoral, l’immensité de notre territoire national ainsi que nos réalités historico-sociopolitiques prouvent à suffisance qu’aucun parti politique ne peut à lui seul remporter une victoire électorale en fourbissant seul ses armes de conquête sans faire le jeu des véritables alliances et tenter de mettre en application son projet politique. Nous abordons ci-dessous les 4 points focaux qui commandent cette nouvelle donne.
1. La configuration géopolitique
La dimension géographique d’un pays comme la RD Congo (2.345.409 Km2) est un obstacle majeur pour la majorité des formations politiques congolaises à y être représentées de manière significative. Au regard du multipartisme intégral, option privilégiée par la constitution de la RDC en son article 6, il est difficile d’avoir un parti qui couvre son influence sur l’ensemble du territoire national. Si nous étions dans un bipartisme ou multipartisme limité à 3, 4 ou 5, on aurait véritablement des structures influentes sur l’ensemble du territoire national.
Prenons l’exemple d’un pays comme la Côte d’Ivoire 8 fois moins grande que la RDC qui a compris que le jeu d’alliance dans la conquête du pouvoir serait inévitable. Avec une trentaine de partis représentatifs, la Côte d’Ivoire a eu au moins 3 grandes coalitions dont le Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP 5 partis ) qui a porté Alassane OUATTARA au pouvoir et a obtenu la majorité absolue aux législatives avec 204 sièges sur 255, la Coalition Nationale pour le Changement (CNC, 7 partis) du candidat KOUADIO KONAN Bertin, et l’Alliance des Forces Démocratiques (AFD, 12 partis) qui a soutenu le candidat Paul AFI NGUESSAN. Ces structures sans fouiller dans les détails ont été des acteurs majeurs dans les élections ivoiriennes de 2015. Dans un pays aux dimensions de la RDC, doublé de plus ou moins 477 partis politiques, les coalitions sont les premières stratégies en terme d’outils de conquêtes du pouvoir au service du développement car l’étendue du territoire national congolais se présente comme un obstacle à l’implantation effective d’un parti faute non seulement des moyens financiers que soulèverait une telle option mais aussi en raison de certaines pesanteurs culturelles.
2. La sociologie électorale et le caractère embryonnaire de la démocratie congolaise
La sociologie électorale de la RDC est fortement calquée autour de l’identité ethnique. Dans une société où la pauvreté mine la vie quotidienne, le népotisme et le favoritisme sont quasiment devenus les pistes royales pour accéder à un emploi, alors on préfère voter un candidat avec qui on a des liens directs pour s’attirer certains privilèges et facilités (emploi, promotion, prestige etc.).
A l’exception de la ville de Kinshasa qui avec son statut de capitale, est une ville politique et multiethnique, le vote en RDC est d’abord une affaire tribale. Les résultats des élections de 1959, 1960, de 2006 et même ceux de 2011 peuvent bien illustrer cela. La majorité des électeurs votent par rapport à l’attachement ethnique qu’à autre chose, cela est une preuve que la maturité politique de masse n’est pas encore développée dans la culture politique congolaise. Ce qui pour le moment peut trouver une explication et paraitre « normal » parce que la démocratie électorale n’est pas une denrée habituelle aux communs de congolais et surtout par le fait qu’il n’existe pas une démopedie qui familiariserait à l’apprentissage des règles et de la pratique démocratiques d’autant qu’il est absurde de prétendre exercer la démocratie sans la connaitre.
La responsabilité de la méconnaissance de la démocratie électorale, qui voudrait que le choix soit orienté vers le meilleur profil des candidats et des programmes politiques, reste partagée entre l’Etat et les différentes structures de la société. Cette impéritie s’érige comme un blocage aux aspects politiques du développement, et doit être balayée par les partis politiques, les ONG, et par l’Etat aux travers des programmes d’éducation civique et politique.
Faute de cela, le vote reste une affaire ethno-tribale, ce qui empêche l’élargissement de l’électorat dans des circonscriptions où un potentiel candidat n’a pas des liens tribaux ou ethniques. Quelle que soit la séduction que peut porter un projet politique, il se voit limité à une sphère restreinte. Seul un jeu d’alliance et une maturité politique pourraient élargir les sphères d’influence d’un programme de développement.
Ce phénomène de tribalisation de la vie politique prit de l’importance suite à la mutation des associations tribalo-culturelles en partis politiques vers les années 1958-1959, lorsque les congolais ont eu pour la première fois, le droit de créer des partis politiques.
La démocratie congolaise est encore à une phase de construction comme nous l’avions dit. Il y a une méconnaissance des valeurs qui fondent la démocratie et une absence de pratique régulière de celle-ci. En analysant par exemple les résultats de la présidentielle de 2011, il apparait très clairement que tous les candidats n’ont été mieux votés que dans leurs fiefs identitaires. Vous verrez à titre d’exemple qu’en Equateur aucun candidat parmi les 4 premiers n’a pu devancer KENGO WA DONDO. C’est dans cette province qui est également sa province d’origine où il a été mieux voté par rapport aux 10 autres provinces. Même analyse pour le candidat KAMHERE LWA KANYNGINI, bien qu’il n’ait pas eu le premier score, c’est dans la province du Sud Kivu où il est originaire, qu’il a été le mieux voté sur toute l’étendue du territoire national. Le même constat pour Etienne TSHISEKEDI WA MULUMBA dans son Kasaï natal où il s’est tiré avec 75,6% des suffrages exprimés (tout en considérant le taux d’électeurs omis 16% et un taux de participation qui n’était que de 50,6%). Et ce pareil en scrutant les résultats du président sortant Joseph KABILA KABANGE qui a obtenu près de 89% des suffrages exprimés dans sa province du Katanga.
Ces 4 candidatures montrent clairement qu’il y a un lien direct entre choix politique et identité ethnique. Cette donne embrigade et cloisonne les chances d’un candidat à se faire adopter hors de sa cellule identitaire, ce qui est également un obstacle à l’intégration politique du Congo.
On pourrait à ce niveau conclure que par rapport à l’influence identitaire, la réalité de notre démocratie impose le jeu d’alliances en vue d’optimiser les chances de victoire d’une candidature et permettre par conséquent au futur dirigeant d’acquérir une légitimité beaucoup plus large.
3. Le système électoral en vigueur
Le changement du mode de scrutin présidentiel opéré en 2011, impose finalement un changement d’ordre stratégique à la classe politique congolaise. L’opposition qui ne jure que sur l’alternance démocratique ne doit plus se présenter avec une profusion de candidatures comme elle pouvait se le permettre dans un scrutin à deux tours, où l’on mesure le poids électoral des différents candidats au premier tour en vue de bâtir des alliances dignes au second. La victoire de l’opposition devra inexorablement passer d’abord par l’union réfléchie des prétentions des candidatures présidentiables. Le système électoral actuel oblige également à la majorité au pouvoir une discipline de consolidation de ses forces politiques, et au besoin une séduction démocratique dans le rang de l’opposition car elle en a le droit au travers de ses œuvres, ses actes et ses discours, tout comme l’opposition a su tirer bénéfice du départ en septembre 2015 des sept partis politiques venus de la majorité et qui font désormais cause commune.
En ce qui concerne les élections présidentielles, le système actuel à un tour voudrait que le candidat qui obtient le plus grand nombre des voix soit déclaré vainqueur (majorité relative), cette démarche impose sérieusement aux éventuels candidats (individu ou partis) un jeu d’alliances pour améliorer les chances de réussite. Un second tour n’étant pas possible, les électeurs ne se prononcent qu’une seule fois. Avec ce mode de scrutin, les suffrages sont émiettés entre les forces politiques en présence, alors la coalition la plus large, la plus forte, la plus représentative et stratégique les remportent.
A ce stade nous pouvons admettre que le système électoral a une influence considérable sur la formation de coalitions et d’alliances dans l’arène politique congolaise et celles-là s’affichent plus comme un impératif qu’un choix délibéré d’ordre stratégique.
4. L’état de l’économie nationale
La conquête du pouvoir au-delà des stratégies politiques qu’exige une telle motivation, a un coût financier considérable. La situation économique du pays n’a pas favorisé l’essor des partis politiques financièrement viables. Ces finances joueraient un rôle capital dans la diffusion des messages, dans la projection de grands événements etc. L’absence de viabilité de partis est corollaire à la vie socioéconomique des populations en générale. Un parti politique vie des cotisations de ses membres dont l’absence présente un coup fatal à la majorité des partis politiques. Un parti doit en dehors du financement qu’il devait bénéficier de l’Etat avoir ses propres moyens obtenus par les contributions de ses militants pour couvrir même des activités courantes non électorales. Hors ces derniers vivent également une situation économique morose qui ne laisse pas deviner qu’entre le ventre et le parti, le ventre passe en premier.
Lors des élections présidentielles de 2006 et voire celles de 2011, la plupart des candidats ont fait des campagnes limitées par manque des moyens, la majorité des candidats non pas fait le tour du pays pour des grands événements et de sensibilisation des électeurs potentiels. Faire face aux dépenses d’une campagne électorale à la congolaise peut représenter un sérieux obstacle au candidat ou parti qui cherche à contourner seul cet énigme car une telle campagne présente des sommes s’élevant à plusieurs millions de dollars américains. Une coalition peut être une des réponses pour contourner ce défi. A cause de ces nombreux points, les partis ou les candidats ne peuvent bien fonctionner que s’ils ont des moyens financiers importants.
Préfiguration actuelle de la scène politique
Plusieurs responsables de partis politiques congolais sont mus par des ambitions égoïstes, ignorant de toute évidence qu’une démarche collective est un préalable incontournable vers une victoire, parce qu’il est notoirement connu que « seul on avance, ensemble on va plus loin ».
La scène politique congolaise se caractérise par une affluence des plateformes objectives, alimentaires, fantaisistes et de positionnement. La Majorité Présidentielle (MP) qui s’est affaiblie par le départ de 7 partis politiques n’a pas encore comblé ce vide et tente de se rééquilibrer indirectement par le foisonnement des coalitions observé au sein de l’opposition politique congolaise. Ce fait risquerait de desservir d’une manière ou d’une autre cette opposition.
Cette multiplication des plates-formes, on ne saurait dire si elle relève d’une stratégie ou simplement l’exhibitionnisme du caractère égocentrique de la plupart de ces leaders. On peut citer quelques exemples de coalitions acquises à l’opposition telles que la Dynamique de l’Opposition, l’Opposition Républicaine (OR), la Nouvelle Classe Politique et Sociale (NCPS), Opposition Patriotique et Républicaine (OPR) Debout congolais (DECO), les Tshisekedistes, le G7, le Front Citoyen 2016 qui réunit et les politiques et les structures sociales , ajouter à ces dernières le Front des démocrates , Front anti dialogue et bien d’autres. Le plus grand travail de ces plateformes serait de fédérer les partis autour d’une vision claire, réaliste et cohérente au regard des besoins ressentis par la nation et non mettre en avant des débats stériles sur les animateurs de ces structures quand bien même les caractéristiques personnelles de celui qui incarne au mieux la vision de développement du pays sont importantes.
Toutes ces plateformes de l’opposition en ce (y) compris la Majorité Présidentielle doivent s’investir chacune à mettre sur pieds des structures solides en charge des élections et parvenir à élaborer des programmes communs de gouvernance en vue des stratégies efficaces pour des candidatures communes aux présidentielles ; des stratégies de candidatures concertées pour les élections législatives ainsi que pour les autres élections.
Les coalitions préélectorales sont très utiles dans ces cas, puisqu’elles permettent aux électeurs de critiquer et choisir les options gouvernementales possibles et permettent également aux partis et candidats de murir les différentes stratégies axées vers une victoire électorale.
La majorité au pouvoir se devait plutôt que d’entretenir le flou sur la succession de son candidat, apaiser les tensions et réinstaller la sérénité du climat politique en activant ses vraies options sur la désignation de son futur candidat, ainsi que l’affirmation de la responsabilité de son gouvernement sur ses devoirs constitutionnels pour ne pas donner raison à ceux qui lui prête intention de vouloir emprisonner la jeune démocratie, voie consensuelle que les congolais ont opté pour la gestion des intérêts nationaux.
L’opposition congolaise au lieu de multiplier les plates-formes en son sein devrait plutôt élever les stratégies en vue de venir à bout d’une majorité déjà en risque de suffocation. L’unité de l’opposition est inexorable si elle voudrait sérieusement une alternance absolue, une seule ligne de conduite à tenir : s’unir. Les élections présidentielles à venir exigent d’elle patriotisme, détermination et hauteur des vues, l’union serait pour elle la seule et la plus forte de réponses. La leçon assimilée en 2006, et en 2011 devrait lui donner une autre expérience.
En analysant les élections de 2011, nous nous trouvons devant 3 candidatures de l’opposition contre le seul candidat du pouvoir. L’alliance Antoine GIZENGA-Joseph KABILA a fait de KABILA le candidat gagnant dans la seule province Ouest du Bandundu avec 73,4% des suffrages exprimés (avec un taux d’omission de 18% et un taux de participation de 56%) ce qui n’est pas un hasard. L’allié du Président Kabila, Antoine GIZENGA se présentait comme le seul allié de taille aux prétentions présidentielles sérieuses parce qu’il a obtenu dans son Bandundu natal en 2006, au premier tour de la présidentielle, la majorité absolue des voix avec 80,1% et Kabila s’en était tiré avec 2,6 %, preuve que sa victoire en 2011 dans cette province est le fruit de l’alliance conclue avec le patriarche Antoine GIZENGA.
En bipolarisant les 4 candidatures opposition-pouvoir, il se dégage qu’en alliance sur les 11 provinces, l’opposition est majoritaire ; au Kasaï-Oriental, au Kasaï-Occidental, dans le Bas-Congo, à l’Equateur, à Kinshasa, au Nord-Kivu ainsi qu’au Sud-Kivu (7/11 provinces, avec un nombre d’électeurs inscrits de 19.083.492 contre 12.941.148 dans les 4 autres provinces où le pouvoir était majoritaire). En considérant l’effet produit par alliance GIZENGA-KABILA où ce dernier s’est fait adopté électoralement dans un milieu où il n’est pas originaire et n’a pas d’influence linguistique, on peut supputer sur ce qu’aurait été une alliance préélectorale TSHISEKEDI-KAMERHE-KENGO, la synergie des moyens, des stratégies et leur volonté aurait influencée de manière conséquente le résultat d’ensemble obtenu par ces 3 candidats.
La volonté des partis d’opposition à ébaucher véritablement une alternance crédible se remarquera par leur capacité à présenter un candidat commun mais pas unique pour la plupart de ses forces politiques. La mouvance présidentielle également ne devra pas pécher sur l’unanimité du candidat qu’il devra présenter lorsque l’on sait qu’au-delà des apparences, le PALU d’Antoine GIZENGA qui constitue son allié électoral de taille en termes d’apport électoral à la dernière présidentielle, voudra peser de tout son poids dans la redistribution des mandats à venir.
Conclusion
Les élections présidentielles à venir sont véritablement précieuses du point de vue politico-historique car elles augurent les sens d’une intéressante démocratie avec au menu une alternance démocratique et une première passation pacifique du pouvoir avec un Président de la République sortant et un nouveau entrant. Cette donne encourage la formation des grands ensembles politiques et laisse peu de chances aux partis ou candidats qui s’aventurent à y aller seuls. Les alliances doivent naitre par la volonté de travailler ensemble pour élargir leurs perspectives politiques, économiques et sécuritaires dans la manière de donner des solutions aux problèmes de Congolais. Aucun parti politique, aucun homme politique ne peut brandir sa prétention individualiste et s’éprouver seul dans une bataille politique d’une telle envergure. Seul le soutien de l’un et de l’autre pourrait assurer une large présence médiatique, un rayonnement nécessaire du message, une vulgarisation pertinente du programme politique pour remporter le challenge.
C’est dans une coalition qu’il faut être capable de faire naitre une république où des réponses aux urgences sociales, politiques ou sécuritaires qui constituent le lot du problème dont la RDC fait face sont possibles. Les entrepreneurs politiques devraient avoir conscience que les votes venus de tous les horizons politiques ne sont pas des chèques en blancs, le peuple attend de vous tout. Les coalitions les plus utiles sont celles qui changeront le sort du congolais dans les jours ou années à venir, car au-delà des apparences, ces coalitions doivent s’investir à consolider la démocratie à travers l’organisation d’élections régulières, justes, libres, crédibles, transparentes; à œuvrer pour renforcer le respect des droits humains, l’indépendance de la justice pour tous, en combattant l’impunité.
Elles doivent s’ingénier à défendre l’intégrité de l’Etat, le respect des institutions républicaines, encourager la bonne gouvernance politique, économique et sociale et développer une culture de la tolérance afin de créer les conditions de la paix et de la réconciliation nationale.
L’heure des grands rassemblements pour une république qui prend conscience des ambitions naturelles de son développement et plus que jamais dépassée. Il est temps de recadrer le débat politique prioritairement sur le Congolais. Une grande alternance avec au fond les mêmes résultats sociaux ne servira en rien et ne fera que consolider la contestation, car le peuple est toujours du côté où il est mieux pris en charge. Les forces politiques qui ont choisi de faire barrage au pouvoir en place, devraient mesurer les responsabilités qui sont les leurs en montrant qu’elles ne feront plus la politique comme avant. C’est cela d’ailleurs le sens d’une alternance qui apporte une alternative.
Autant pour la majorité que pour l’opposition, un chantier immense est devant vous, c’est celui d’aimer le Congo. Une victoire électorale n’est jamais définitive tout comme un échec électoral n’est pas non plus fatal. Ce qui compte dans les deux cas, c’est le courage de continuer à poursuivre le juste combat pour lequel on s’est investi en politique.
Eloge Mavungu Poaty
Chercheur et écrivain en matière politique
Références bibliographiques
- Jules Gérard-Libois et Jean Heinen, Belgique-Congo 1960 : le 30 juin pourquoi, LUMUMBA comment, le portefeuille pour qui, De Boeck supérieur, 1989, vol 2.
- Walter J. Ganshof van der Meersh, Congo mai-juin 1960, rapport du ministre chargé des affaires générales en Afrique, Bruxelles, 1960.
[1] Jules Gérard-Libois, Jean Heinen, Belgique-Congo 1960 : le 30 juin pourquoi, LUMUMBA comment, le portefeuille pour qui, De Boeck supérieur, 1989, vol 2 de Pol-His, p 51.
[2] Walter J. Ganshof van der Meersh, Congo mai-juin 1960, rapport du ministre chargé des affaires générales en Afrique, Bruxelles, 1960, p 47.
4 Comments on “Les coalitions politiques pour la conquête démocratique du pouvoir en RDC : option ou impératif ? – Eloge Mavungu”
Eric Lowate
says:C’est formidable Mr Eloge
Makangu Nsumbu Jonathan
says:tres intéressante réflexion, mais les opposants DE LA RDC ne sont pas unis, c’est ça le problème! en 2011 Tshisekedi avait gagné mais la Ceni a profité de la dispersion des opposants pour proclamer un autre Candidat.
GHOST
says:¤ LE CAS TSHOMBE
On se demande pour quelle raison le cas de Moise Tshombe qui avait été le dernier premier ministre avant le second coup d´État de Mobutu n´est pas cité par l´auteur de la réflexion?
Tshombe est une solide réference historique en matière de « coalition politique » visant á conquerir le pouvoir au Congo* En effet, Tshombe avait fait mieux que Lumumba en ralliant autour de lui une solide alliance politique qui avait obtenue la majorité absolue au parlement en 1965*
Mugalu Sinyembo
says:Merci pour cette intéressante réflexion qui doit faire réfléchir les opérateurs politiques congolais et africains. Quant à la préoccupation de monsieur ou madame GHOST je crois que l’auteur de cet article en a parlé dans son paragraphe 11 quant il a parlé de la CONACO qui a raflé 127 sièges sur les 167 pourvus. Mais la CONACO comme le dit l’auteur était un parti pas une coalition dans le vrais sens du terme.