Vers un nouvel ordre (géo) politique en RDC
Leçons à tirer du voyage de Joseph Kabila en Tanzanie
Par Germain Nzinga Makitu
Le lundi 3 octobre 2016, le président Kabila est reçu en pompe à Dar-es-Salam par son hôte tanzanien John Pombe Magufuli. Au-delà de quelques commentaires émis ça et là à propos de son gratte-ciel de 35 niveaux inauguré dans la capitale tanzanienne, nous avons eu à commettre une grave méprise de ne pas creuser le sens profond de cette visite d’Etat pour pouvoir relever l’impact profond qu’elle pourra imprimer sur l’avenir proche de la République Démocratique du Congo.
Dans les lignes qui suivent, je vais essayer de brosser une relecture de cette visite de Kabila en Tanzanie sous le prisme global de la région des Grands Lacs en vue de mieux en saisir la portée géopolitique et ses potentialités à redessiner un nouvel ordre politique dans lequel, de gré ou de force, le peuple congolais sera désormais forcé de se mouvoir.
1. La RDC, un pays en voie de défragmentation ?
Des indices évidents de menace de l’intégrité territoriale congolaise se signalent depuis un temps dans les confins avec la plupart de ses voisins frontaliers. Les ADF avec l’Ouganda ; les poches de résistance Seleka dans la frontière congolo-centrafricaine ; les liaisons dangereuses de Kigali et de Brazzaville pouvant cacher autres marchandises derrière les produits vivriers cheminés dans les des vols entre les deux capitales; les milices interhamwe et des brigades de l’Armée Patriotique Rwandaise ; les rebelles sud-soudanais au Nord de l’Ituri ; les milices lunda montées de toutes pièces par le pouvoir de Kinshasa pour servir d’épouvantail aux ambitions katangaises de se libérer de la tutelle d’un fils « faussement adoptif » ; le repositionnement de l’armée angolaise derrière Kabila grâce au mensonge des dirigeants congolais sur une éventuelle jonction entre les lundas congolais et ceux d’Angola qui formaient l’ancien bastion de Savimbi et plus récemment, les navires américains qui mouillent dans les eaux de Côte Atlantique de la République Démocratique du Congo.
Tous ces épiphénomènes nous portent à comprendre la douloureuse vérité portée sur la place publique depuis le 26 avril 2015, par Boniface Musavuli et d’après laquelle la Rd Congo est encerclée militairement. Ce brillant analyste congolais attire l’attention du monde sur la présence rwandaise dans la plupart de ces armées prenant en sandwich le Congo de Lumumba. De là, à déduire que « les stratèges rwandais sont en train de réussir de main de maitre, à l’échelle régionale, ce qui a toujours fait leur force sur les champs de bataille : encercler une cible militaire (ville, village, base ennemie), mener des infiltrations puis passer à l’attaque. »[1] bien avant d’assener le dernier coup fatal qui pourra bien précipiter l’implosion totale de ce vaste pays, il n’y a plus qu’un petit pas à faire.
Mais en quoi alors le voyage de Joseph Kabila en Tanzanie conforte cette vision ? On peut chercher l’ébauche de réponse dans des liens de partenariat durable que l’AFRICOM, cette force militaire américaine (créée en 2007 pour coordonner les opérations militaires sur le continent) a commencé à nouer avec la Tanzanie. A ce propos, Jean-Jacques Wondo nous éclairait déjà la lanterne : « Le général Carter Ham, à la tête de l’Africom, aurait déclaré devant la commission sénatoriale des forces armées : « Nous consolidons nos relations avec l’armée tanzanienne, une armée de métier dont les compétences et les zones d’influence portent de plus en plus sur les questions de sécurité en Afrique de l’Est et dans la région de grands lacs. »[2]
Pour bien comprendre cette coopération, il suffit de lire « les nouvelles armes de l’empire américain », une publication de Nuck Turse qui aborde dans son sixième chapitre, les guerres de l’ombre des USA en Afrique. Il relève un bourgeonnant réseau d’infrastructures terrestres et maritimes où transitent denrées alimentaires, combustible et matériel militaire permettant à la superpuissance américaine de ravitailler les entrepôts, camps et aérodromes nécessaires à l’implantation de son armée en Afrique.[3]
Derrière la nouvelle notion du « renforcement de capacités » des armées locales, le Pentagone et la CIA ont déployé leurs hommes discrètement mais sûrement à travers tout le continent noir. « Ils sont par milliers dans des bases militaires des pays d’accueil et travaillent en collaboration avec les troupes locales »[4].
Cette vérité lève une grande partie de voile sur le voyage de Kabila en Tanzanie. Cette visite pourra bien servir de ficelle à cette guerre menée dans l’ombre en Afrique avec des planifications bien établies. Les déclarations du président Barack Obama lors de sa dernière visite à Dar-es-Salam où il annonçait haut et fort le partenariat privilégié des USA avec la Tanzanie nous ouvrent un peu plus grand les yeux.
Selon le nouveau dogme américain de « leading behind » (diriger derrière une puissance locale)[5], il devient plus claire la volonté américaine d’utiliser en sous-traitance les forces armées tanzaniennes qu’ils entrainent et équipent en vue de conquérir de nouveaux espaces politiques africains. A cause de sa vitrine régionale de bonne gouvernance, de stabilité politique et de démocratie, la Tanzanie a été cooptée au détriment d’anciennes alliances avec Rwanda et l’Ouganda, trop souillés par le sang des victimes au nom desquelles l’opinion internationale commence à demander des comptes.
L’engagement du président Kabila à composer justement par puissance interposée avec ceux qui militent pour ce morcellement de la RDC ; ses alliances contre-nature avec des milices qui violent l’intangibilité des frontières et déstabilisent la souveraineté de l’Etat, exposent au plus haut point la République Démocratique du Congo à une auto-déflagration ou à sa liquidation progressive pour reprendre l’expression du professeur Bamba di Lelo.[6]
Au regard des moult menaces d’implosion sur la RDC et après avoir identifié la main invisible qui coordonne par sous-traitance toutes ces armées encerclant militairement la RDC, pourrions-nous alors prendre très au sérieux le rôle de cette Tanzanie, nouvelle alliée stratégique du Pentagone, visitée par un Kabila décidé d’en découdre avec l’unité et l’intégrité territoriale congolaise. Nous aurions tort de sous-estimer les fréquentations de Kabila avec ce nouveau partenaire privilégié américain par lequel ont décidé de passer les yankees pour l’exécution de leur plan de reconfiguration des frontières nationales et régionales des Grands Lacs comme nous le verrons dans les lignes suivantes.
2. Vers une annexion progressive au Marché commun oriental et à l’axe de l’océan indien
Pour mieux appréhender les mécanismes profonds de fin de royaume plus que de règne en RDC, il importe de remonter au rapport de la Banque Mondiale publié en avril 2012 et intitulé : « La défragmentation de l’Afrique. Approfondissement de l’intégration du commerce régional et des services ».
Ceux qui ont eu connaissance du contenu de ce rapport ont eu à relever combien il fustige les obstacles majeurs du commerce intra-régional africain. Parmi ces obstacles, il est mis en exergue : l’importance des coûts de transaction, les entraves non tarifaires et les procédures d’immigration. Le même rapport dénonce en même temps l’ampleur des échanges informels transfrontaliers constituant plus de la moitié de flux officiels notamment en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est.
Un autre rapport élaboré par le Doing Business enfoncera davantage le clou lorsqu’il qualifiera de goulot d’étranglement, ces interfaces frontalières (Kinshasa/Brazzaville ou Goma/Kigali), en regrettant ces « temps d’attente à la frontière » perdus sur la base du nombre des documents douaniers multipliés par le nombre de signatures requises et le temps de franchissement des postes frontières qui peut aller de 35 jours à l’export en Afrique sub-saharienne et de 41 jours à l’importation (contre 10 jours en moyenne dans les pays développés).[7]
Ces nombreux rapports s’inscrivent dans une logique de grandes projections de la Banque Mondiale et de ses commanditaires qui cherchent à redessiner une nouvelle carte géographique africaine dont la RDC semble servir de test dans la région des Grands Lacs.
C’est donc dans leur sillage qu’il importe de faire une relecture du plan d’Herman Cohen qui, le 16 décembre 2008, publiait dans le quotidien New York Times, une étude intitulée : « Can Africa Trade Its Ways to Peace ? »[8]. Pour cet ancien officiel américain de l’administration Clinton, mettre fin à la guerre qui déchire la région des grands Lacs équivaut à trouver une solution économique, notamment l’instauration d’un nouveau Marché commun incluant l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Kenya, la Tanzanie et la RDC elle-même.
Ce marché commun, une fois instauré, entrainerait inévitablement la Rd Congo dans un glissement des axes géopolitiques de l’Ouest vers l’Est qui mettrait automatiquement fin à la guerre interlacustre. Il ne faut toutefois négliger le fait que ce plan accorde plus d’avantage au Sud anglophone de l’Afrique australe à laquelle se voit orientée la manne des minerais rares stratégiques au détriment des pays pétroliers de l’Afrique centrale tels le Gabon, le Congo Brazzaville et le Cameroun formant le pré-carré français combattu farouchement depuis la fin de la guerre froide par le bloc anglo-saxon. Pour conclure, ce plan porte en son sein les potentialités d’enclencher le processus de glissement linguistique et culturel de la RDC, passant de l’aire lingalophone et francophone vers une Afrique swahilophone et anglophone.[9]
La signature de l’Africa New Opportunities Act par Bill Clinton est le premier acte juridique officiellement l’Afrique dans cette direction théorisée par Herman Cohen. Ce document qui définit le programme d’exploration et d’exploitation des nouvelles ressources stratégiques en Afrique est un acte hautement politique qui est le point de départ de la conquête des réserves minières en Afrique en général et dans la région des Grands Lacs en particulier.[10] Ses successeurs Georges Bush I et II puis Barack Obama continueront sur la même lancée clintonienne lorsque leurs administrations proclameront tour à tour le dogme « Trade not Aid », le commerce et pas l’aide. Un commerce atypique cependant où on est loin de traiter d’égal à égal dans une coopération bilatérale win win (gagnant gagnant). Ici le plus fort impose ses règles de jeu au plus faible, quelquefois contre la survie même de ce dernier…
3. L’adhésion de la RDC au port de Dar-es-Salam au détriment du port de Matadi
La semaine écoulée, quelque chose d’insolite s’est passé au port international de Matadi. Des milliers de retraités et autres rentiers de la SCTP (ex ONATRA) ont décidé de bloquer l’entrée du port de Matadi réclamant plusieurs mois d’arriérés de salaires de leurs dus.
Cet incident a mis à nu plusieurs contreperformances de cette société d’Etat au nombre desquelles l’honorable Fabrice Puela mentionne : les intempestives interruptions de fournitures d’eau et d’électricité avec des risques élevés des avaries des produits surgelés; les manques de gas-oil pour faire fonctionner des engins de manutentions ; la cessation de paiement avec un cycle d’endettement sans précédent de 60 millions de dollars en une année et demi de gestion du comité pilotant ladite société alors que plus de la moitié des 42 millions de la redevance logistique terrestre (RLT) a été mise à sa disposition ; la dégradation très avancée de la voie ferrée et la cessation de paiement des manutentionnaires de NewFor services, des fournisseurs et des retraités sonnent le glas de l’existence même d’une société qui a fait le fleuron des entreprises congolaises.
Même tableau sombre dans le Katanga à la douane du port Kasumbalesa abandonné à son triste sort parce que la plupart de marchandises jadis en transit par ce port sont désormais dédouanées à Dar-es-Salam et l’argent perçu est versé directement dans des banques de la place, sans trop savoir dans les comptes bancaires de quel quidam. A Matadi comme à Kasumbalesa, l’ONATRA donne des signes avant-coureurs de sa liquidation en dépit de l’importance stratégique de cette société d’état dont Henry-Norton Stanley avait au 19e siècle soulignait l’importance stratégique par ces termes devenus célèbres : « Sans le chemin de fer reliant l’océan à la capitale, le Congo ne vaut pas un penny ». Liquider une telle société constituant le poumon économique reviendrait carrément à asphyxier l’économie d’un Etat et à précipiter sa mort. La question à ce stade est la suivante : A qui profiterait une telle aventure suicidaire et pourquoi?
A cette question cruciale, c’est le président Kabila lui-même qui nous aide à trouver une réponse. S’adressant aux journalistes tanzaniens lors de l’inauguration de la tour administrative de 35 étages qui servirait de centre d’administration des opérations douanières congolaises à Dar-es-Salam, il déclarait sans ambages : « L’honneur adressé à moi est pour toute la RDC. Bien que le port soit à Dar-es-Salam, il est aussi nôtre, à Dar-es-Salam et à Kinshasa. Il précise que 50% des exportations congolaises passeront par le port de Dar-es-Salam »[11].
En appelant tous les opérateurs congolais à utiliser le port tanzanien et en plaçant les bureaux de la DGDA dans le nouvel immeuble dont l’identité du propriétaire est encore tenue secrète, Joseph Kabila est en passe de réussir une grande opération du déplacement des opérations douanières de la RD Congo vers la Tanzanie et d’étouffement du poumon économique de son pays.
Tous les honneurs réservés par le gouvernement tanzanien lors de son séjour en Tanzanie doivent être jaugés à l’aune de très gros avantages économiques que la Tanzanie entend tirer du mandat de ce responsable politique. Ce n’est pas en vain que Mr Tony Swai, le secrétaire général de TAFFA (Tanzania Freight Forwaders Association), considère comme une véritable aubaine, la coopération de la Tanzanie avec le RDC, laquelle sera capable dans les jours à venir de booster la croissance tanzanienne et de contribuer, ensemble avec la Zambie, à la hauteur de 60% à la croissance des activités portuaires tanzanienne de manière telle qu’elle pourra résorber le problème de six mille ouvriers envoyés en prématurément chômage l’an passé[12].
Il va sans dire que toute cette coopération bilatérale avec de gros investissements est à inscrire dans le vaste contexte du nouveau Marché Commun auquel a adhéré de facto la RDC, poussée bon an mal an, à abandonner l’axe de l’Océan Atlantique pour s’arrimer aux ports de l’Océan Indien avec toutes les conséquences géopolitiques que cette nouvelle orientation comporte. La déflagration politique par perte des frontières s’accompagne ici d’une liquidation pure et simple des entreprises de l’Etat ou plutôt de leur transfert pur et simple vers d’autres aires géopolitiques dont la RDC devient un insignifiant pays satellite qui reçoit des ordres sans imposer sa propre volonté pour défendre ses intérêts vitaux.
4. Une « nationalité transfrontalière » pour très bientôt…
Ce concept utilisé pour la première fois par Colette Braeckman[13] résume merveilleusement bien la vision politique de Paul Kagame qui n’entend pas se contenter de rester le président du petit Rwanda mais nourrit depuis toujours « des visées expansionnistes sur la RDC soit pour y déverser une partie de la population gênante soit pour annexer une partie du territoire congolais. »[14]
A lire attentivement Colette Braeckman, « l’espoir des exilés n’est pas nécessairement de s’installer au Rwanda ; ce qu’ils exigent, c’est un passeport national en remplacement de leurs documents d’apatrides. En réalité, comme leurs cousins du Zaïre, les Tutsis d’Ouganda forment un groupe dynamique, doués pour les affaires, et ils souhaitent déployer librement leurs talents dans l’ensemble de la sous-région. Comme toutes les minorités, ils rêvent d’avoir une sorte de nationalité transfrontalière, qui leur permettrait, en cas de persécution, de se déplacer d’un pays à l’autre. »[15]
C’est la sous-région et non le Rwanda qui intéresse Paul Kagame et toutes les manœuvres rwandaises pour prendre possession du Grand Congo et d’autres territoires nationaux pour étendre son pouvoir se buttent à l’argumentaire juridique de l’intangibilité des frontières.
Lors du XXVIIe Sommet de l’Union Africaine tenue à Kigali le du 17 au 18 juillet 2016, a été inauguré le nouveau passeport africain d’abord opérationnel près de tous les officiels des gouvernements et plus tard 2020 pour tous les citoyens africains, marquera un tournant dans la politique de migration des citoyens et des peuples sur le continent africain. Il pourra devenir également un sésame pour le projet expansionniste de Paul Kagame. Désormais, le stratège rwandais aura entre ses mains l’outil qui lui manquait pour pouvoir contourner la résistance des congolais et d’autres africains contre ses initiatives d’envahir leur territoire. Avec ce passeport et l’annulation du visa d’entrée, de milliers de populations allogènes pourront se déverser sur le territoire congolais. De ce fait, l’occupation de son territoire qui peinait à réussir faute d’instrument juridique, n’aura plus besoin de chars de combat car l’occupant aura trouvé une couverture légale à l’échelle africaine.
Le zèle de Joseph Kabila d’adhérer au projet du Marché Commun et sa propension à signer de nombreux contrats économiques au détriment même de la RDC allant jusqu’à braver les acquis de sa souveraineté doit faire réfléchir tout congolais qui a encore gardé le bon sens. La perte de notre souveraineté pourra bien aller de pair avec l’acquisition de cette nationalité transfrontalière qui passe de la propriété d’un petit groupe pour être imposé à une sous-région dans le but de favoriser des desseins de domination et d’exploitation prédatrice plus sécurisante, cette fois-ci sous le couvert des organisations sous-régionales.
Le passeport africain vient de débloquer le nœud gordien de l’instauration de cet empire atypique transfrontalier où les instigateurs n’ont plus à résoudre le problème frontalier. Ils peuvent aller où ils veulent et quand ils veulent. Désormais, gagnera la partie : non plus l’ayant-droit mais bien celui qui voit plus loin et use un peu plus de ruse et de malice…
5. La Tanzanie est en voie de réussir et de perdre…
En annonçant, quelques jours après la visite d’Etat du président Kabila en Tanzanie, la tenue durant cette semaine en cours à Lubumbashi d’un grand Forum Commercial Tanzanie-RDC avec comme thème principal « Le Renforcement du Commerce Bilatéral et des Opportunités d’Investissement », Madame Naomie Godwin, la secrétaire désignée dudit Forum, ne lésine pas sur les moyens. Elle a annoncé l’arrivée de plus d’une centaine d’hommes d’affaires de deux pays à ces assises.
Pendant que la Fédération des Entreprises du Congo (FED), la partie congolaise, semble être prise de court par la vitesse des événements, la partie tanzanienne s’est sérieusement préparée pour en tirer un large profit.
Louis Accaro, le directeur exécutif de TPSF (Tanzania Private Sector Foundation), affirme sans gêne que la RDC présente beaucoup d’intérêt dans le domaine d’énergie et dans les opérations d’exploration minérale, en même temps qu’il faut pousser Kinshasa d’exporter son pétrole et fuel via le système tanzanien des pipelines, partant de l’Ouganda jusqu’au port de Tanga en Tanzanie.[16] La visite de Kabila dépasse la seule promotion des activités portuaires tanzaniennes. Elle s’étend sur de nombreux secteurs d’économie tanzanienne où la visibilité est plus lisible côté tanzanien que côté congolais.
Le Grand Zaire donne le signe évident d’être plongé dans un coma artificiel. Les nombreuses hautes trahisons de celui qui est censé présider à sa destinée et défendre ses intérêts vitaux, la porosité de ses frontières encerclées par des armées étrangères, l’adhésion pieds et mains liés au Marché commun oriental sans avoir défini ses propres intérêts vitaux, l’étranglement meurtrier de ses institutions douanières et assises au profit d’un pays tiers et tout récemment l’instauration d’une nationalité transfrontalière via le passeport africain instaurée par l’Union Africaine et supprimant sous peu le visa pour un pays qui a perdu tout contrôle de sa propre administration, l’annonce d’un Sommet international à Luanda sur la crise politique congolaise le 27 octobre 2016 prochain pour consacrer le glissement électoral et éloigner tout espoir d’alternance démocratique plongent le Congo-Kinshasa dans une lente agonie. Et la Tanzanie semble être ce pays frère africain en passe de donner la dernière estocade pour que mort s’en suive.
A première vue, on peut déduire à une grande victoire diplomatique tanzanienne. En effet, depuis l’existence de l’Etat Indépendant du Congo (E.I.C) jusqu’à nos jours, la Tanzanie a toujours été en rivalité souterraine avec son grand voisin.
En 1887, grâce à ses ruses, un sujet tanzanien originaire de Zanzibar, nommé Tippo Tip, rendu célèbre par sa traite impitoyable des esclaves congolais, a réussi à se faire nommer par Léopold II, le roi des belges, comme premier gouverneur de la Région des Falls (l’actuel Kisangani) qui s’étendait à l’époque sur presque tout l’Est du Congo.
A l’ère mobutienne, c’est au niveau idéologique d’abord que Mwalimu Nyerere imposera le socialisme « Ujamaa » en Tanzanie en flagrante contradiction avec son rival Joseph-Désiré Mobutu qui imposait son obsolète doctrine de recours à l’Authenticité qu’il cherchera à exporter au reste de l’Afrique Centrale tout en demeurant un bon élève du giron occidental.
En 1997, la Tanzanie engrangera les fruits de sa deuxième victoire dans son duel politique contre le Zaire lorsque L.-D. Kabila, longtemps réfugié en Tanzanie où il avait établi sa propre base entre 1976 et 1986 et où il alla jusqu’à prendre en otage des ressortissants américains et français) renversera le Marechal Mobutu et prendra le pouvoir à Kinshasa.
Mais le leadership tanzanien se frottera encore mieux les mains pour son plus grand triomphe de 2001, année où Joseph Kabila, grandi en Tanzanie, succédera au « père » assassiné. Comme jadis Tippo Tip, un sujet tanzanien nommé gouverneur de la Région des Falls, cette fois-ci un autre porteur du passeport tanzanien sera nommé à la tête de la magistrature suprême de la RDC.[17]
Pendant que les analystes de la crise congolaise pointent régulièrement du doigt le Rwanda et l’Ouganda, la Tanzanie tisse sa toile en silence sans donner l’impression de constituer une menace directe contre la RDC. Pourtant le développement de la situation actuelle peut nous faire comprendre les conclusions du prof. Muhindo : « L’apparente innocence de la Tanzanie peut être seulement affirmée sur base de son absence dans les opérations sur le terrain militaire. »[18] Mais la guerre en Afrique et dans le monde d’aujourd’hui, elle n’est pas que militaire. Elle peut revêtir plusieurs facettes comme celle de l’empoigne économique où les intérêts de deux parties en présence peuvent faire triompher l’une au détriment de l’autre.
La vraie guerre n’étant pas toujours sur le terrain militaire, la Tanzanie est parmi les rares africains ayant compris que l’on peut mener des opérations de guerre économique sans coup férir, sans faire usage d’une politique belliciste. Mieux vaut prendre avec des pincettes la philosophie politique de Mwalimu Nyerere d’après laquelle « La Tanzanie même indépendante ne sera jamais libre si ses voisins ne le sont pas ». Ce pays a toujours servi de base-arrière aux mouvements de libération déstabilisant à moyen ou à long termes ses voisins pour s’attirer des avantages économiques. A l’heure actuelle, la Tanzanie est entrain de réussir une partie de poker avec la RDC en prenant un large avantage sur des mirobolants contrats économiques. Mais je ne crois pas que ce soit le cas à l’échelon de la sous-région des Grands Lacs. Pourquoi ?
Le monde a déjà oublié le meurtre commis voici une année sur Christopher Mtikila, un homme politique tanzanien, assassiné le 4 octobre 2015, pour avoir simplement déclaré en direct à la TV tanzanienne que Joseph Kabila est un sujet rwandais et que les Tutsis veulent contrôler le Burundi et la Tanzanie comme ils contrôlent la RDC.
A titre de rappel, au cours des primaires du CCM (Chakaya CHa Mapinduzi), un parti allié de Christopher Mtikila, il s’est avéré qu’un des candidats de ces primaires nommé Edward Ngoyai Lowassa, ancien premier ministre de la Tanzanie entre 2005 et 2008, était une taupe rwandaise infiltrée dans le CCM depuis des années. Cette taupe s’était cette fois-ci engagée dans la course à la magistrature suprême tanzanienne avec l’appui du lobby pro-rwandais en vue d’obtenir les mêmes résultats qu’au Congo Kinshasa. En l’occurrence, placer un pion à la tête d’un Etat voisin pour téléguider sa politique intérieure, élargir davantage les limites de l’empire Hima Tutsi et retourner les productions économiques à l’avantage de ses commanditaires.
Ceci dit, le Marché Commun où la RDC entre mains et pieds liés pourra bien devenir à long terme un traquenard politique en défaveur de la Tanzanie elle-même où convergent les réfugies fuyant les exactions au Burundi et au Rwanda et qui peuvent devenir dans l’avenir un fusible détonateur.
Un autre danger contre la Tanzanie pourrait bien venir de l’organisation interne même de l’EAC (East African Community) où l’Ouganda, le Rwanda et le Kenya forment une espèce de « Coalition of Willing » qui pour des raisons inconnues concocte des plans secrets, isolant la Tanzanie, un des membres fondateurs de cette organisation sous-régionale qui héberge dans sa ville d’Arusha, le siège même de cette institution sous-régionale. La culture diffuse des intrigues politiques de quelques pays membres de l’EAC[19], le record incalculable de violations de droit de l’Homme dans cette aire géographique et la divergence des orientations politiques de leaders politiques des pays membres pourront s’avérer des futurs bâtons dans les roues de la Tanzanie plus orientée vers la bonne gouvernance et l’alternance démocratique.
D’autre part, la « nationalité transfrontalière » usée par des expansionnistes tutsis faisant partie de la même communauté des pays de l’Afrique de l’Est pourra ne pas s’arrêter au Congo. Elle pourra se servir de nouvelles opportunités du marché commun où les accords de libre marché et de libre circulation venaient d’être signés pour pousser ses pions dans ce nouvel environnement propice et reculer le plus loin possible les frontières de son empire hima Tutsi. Dans ces conditions, le voyage de Joseph Kabila et les nombreux investissements mirifiques engagés en Tanzanie peuvent bien servir d’appâts alléchants vis-à-vis des leaders tanzaniens pour, à la longue, infiltrer via des infrastructures économiques nationales, les sphères du pouvoir tanzanien et de là paralyser toute la machine politique de ce pays qui jusque là donne les preuves solides d’une grande stabilité politique.
Après tout, qui pourra croire que le nouvel investisseur qui a inauguré l’immeuble de 35 étages et a offert sur un plateau d’or à la Tanzanie les structures douanières congolaises le ferait de gratuité de cœur ou par simple reconnaissance envers un pays qui a hébergé son enfance ? Ces nombreux investissements peuvent se révéler tôt ou tard un arbre qui cache la forêt. Le pays de Nyerere peut tout gagner ou tout perdre dans ce jeu de poker interlacustre…
Germain Nzinga Makitu
Références
[1] B. MUSAVULI, « La RD CONGO : un pays encerclé militairement ? » dans http://afridesk.org/fr/rd-congo-un-pays-encercle-militairement-boniface-musavuli/.
[2] J.-J. WONDO, « Kikwete, le joker des américains : La Tanzanie au centre de gravité géopolitique des Grands Lacs » dans http://afridesk.org/fr/kikwete-le-joker-des-grands-lacs-la-tanzanie-au-centre-de-gravite-geopolitique-de-la-region-des-grands-lacs-jean-jacques-wondo/.
[3] N. TURSE, Les nouvelles armes de l’empire américain, Paris, La Découverte, 2012, p. 99
[4] Ibid., 101
[5] J’ai longuement développé cela dans mon livre : Stratégies de domestication d’un peuple, pp. 214-215
[6] BAMBA DI LELO, « L’entreprise terroriste de Joseph Kabila ou l’assaut final vers la liquidation de la RDC ? » dans http://www.congoindependant.com.
[7] M. FOUCHER, Frontières d’Afrique. Pour en finir avec un mythe, Paris, CNRS Editions, 2014, p. 39.
[8] H. COHEN, Can Africa Trade Its Ways to Peace? NYT, 16/12/2008 dans http://www.nytimes.com.
[9] Pour plus de détails, lire G. NZINGA MAKITU, Stratégies de domestication d’un peuple. BMW comme armes de destruction massive, Paris, Edilivre, 2014, pp. 150-151
[10] Cfr H. NBGANDA ZAMBO, Crimes organisés en Afrique Centrale, p.229.
[11] M. SAID, Tanzania : Kabila Open Tallest Building Assures Use of Dar Port” in www.allafrica.com.
[12] B. LUNGONGO, Dar, Kinshasa trade pact saves jobs in www.Dailynews.co.tz.
[13] C. BRAECKMAN, L’enjeu congolais, Paris, Fayard, 1999, p. 188.
[14] H. NGBANDA NZAMBO, Crimes organisés en Afrique Centrale. Révélations sur les réseaux rwandais et occidentaux, Paris, Duboiris, 2004, p.96.
[15] C. BRAECKMAN, op.cit., p. 16.
[16] F. ABDU, Africa : All set for Dar, Lubumbashi Trade Forum Next Week in www.busiweek.com.
[17] Pour plus de détails à ce sujet, lire G. NZINGA MAKITU, Stratégies de domestication d’un peuple, p. 362-368.
[18] M. MUHINDO, L’albero che nasconde la foresta: i segreti della nuova crisi nella Repubblica Democratica del Congo, L’Harmattan, 2009, p. 90
[19] East Africa Community : Revealing the intrigues in http://www.businesstimes.co.tz.
3 Comments on “Vers un nouvel ordre (géo) politique en RDC : Leçons à tirer du voyage de Kabila en Tanzanie – Germain Nzinga”
M Ngoy
says:suis d’accord sur la mauvaise foie de Kabila dans la gestionde la chose publique particulierement le port de Matadi, mais la geopolitique de la sous region surtout les relations avec la Tanzanie restent a discuter, comment pouvez vous assurer la l’ approviosionnement des marchandises et autres bien par une seule entrée(Matadi)? pendant que le pays n’ a pas des infrastructures( routes, chemin de fer) pour alimenter le centre et l’est du pays? le port de Dar es salaam et meme de Mombasa restent importants. CCM c’est chama cha mapinduzi. Je comprend votre peur sur le probleme de passeport Africain avec tous ces malheurs que notre pays traverse et c’est peut etre un peu trop tot …mais si nous voulons une Afrique forte ou le Congo jouera un role important le panafricanisme est la seule issue et c’est inevitable mais pas avec nos predateurs actuels.
Foxtrot
says:Ceci me rappelle la lutte entre la France et l’Allemagne. Malgré que celle-ci a longtemps été victorieuse, la France a pu sortir gagnante grâce au jeu d’alliances. Espérons que les futurs décideurs de la RDC vont changer la donne. Les USA ne seront pas indéfiniment la superpuissance qui impose son diktat au monde et les Tutsi ne bénéficieront pas indéfiniment de leur soutien. Moi je reste confiant en l’avenir.
GHOST
says:@ Foxtrot
Devrons-nous attendre « 50 ans » quand la puissance des USA va decliner avant de faire avancer le destin de notre peuple? Lors de la visite des diplomates de la RFA á Limete, le message a été plus explicite que possible: la RFA n´est pas en faveur d´une impasse politique au Congo. Il n´est pas question d´accepter un « accord » du genre de Kamerhe et son gang qui ne fait que prolonger l´impasse politique et rendre explosive la situation sécuritaire et sociale au Congo.
Quand vous citez la lutte entre la France et l´Allemagne, notez que la France ne doit sa survie qu´aux deux interventions des USA qui ont fait pencher la balance pendant deux defaites militaires francaises*
Les futurs decideurs de la RDC devraient étudier soigneusement l´histoire de la planète avant de se perdre dans la campagne anti-USA que les partisans d´Apareco tentent d´imposer au Congo*
Si l´alliance qui a sauvée la France est celle des USA, la RDC possede toutes les potentialités stratégiques pour beneficier d´un renversement des alliances en sa faveur face au Rwanda ou n´importe quel pays voisin.
Ghost est un « adversaire » declaré du « panafricanisme ». Les congolais devraient se dire que ce concept de « panafricanisme » ne sera utile que quand quand la RDC sera assez puissante militairement et économiquement. Le panafricanisme devrait se faire que dans une position de force au niveau régional..et non dans cet état où la RDC est incapable d´assurer la protection de ses frontières et même de sa souveraineté nationale.