Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 22-11-2017 12:40
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Un leader inconnu! Solution pour la République démocratique du Congo? – Bandeja Yamba

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Un leader inconnu! Solution pour la République démocratique du Congo?

Par Bandeja Yamba

Résumé
Une élection présidentielle tenue dans le cadre du système politique actuel risque de rendre difficile l’alternance démocratique au Congo. Le pouvoir politique organisateur utilisera tactiques et moyens de l’État pour contourner cette volonté de changement de la population congolaise. Les partis d’opposition et la population contesteront la légitimité des dirigeants qui se seraient maintenus au pouvoir  irrégulièrement  et frauduleusement. Devant une telle impasse, plusieurs analystes considèrent que la sortie de la crise politique congolaise passe, non pas par la tenue d’élections, mais par l’arrivée à la tête du pays d’un leader vecteur de changements. Dans l’histoire de plusieurs sociétés qui ont connu des divisions sociales et des conflits, ce sont des personnes exceptionnelles qui ont pris le pouvoir politique, imposé les structures nouvelles, changé les mentalités, réconcilié leurs populations, parfois avant les élections.

Introduction

Le 19 décembre 2016, la République démocratique du  Congo (Congo) aurait dû avoir à sa tête un nouveau président[1]. La Constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels n’a pu empêcher Joseph Kabila de violer cette loi fondamentale pour se maintenir à la tête du pays. L’accord signé, à Kinshasa, le 31 décembre 2016, par la majorité présidentielle, les partis d’opposition et la société civile sous l’égide de l’église catholique pour la cogestion du pays jusqu’à la tenue des élections à la fin de 2017 n’a pas été appliqué.

A moins de deux mois de la fin de l’année 2017 qui devait, en principe, se conclure par  l’élection d’un nouveau président et le départ de Joseph Kabila, l’institution chargée de rendre possible cette transition, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), a annoncé que les élections n’auront pas lieu avant le 23 décembre 2018.

Quand bien même la CENI aurait pu organiser les élections dans les délais prévus par l’accord du 31 décembre 2016, beaucoup pensent que leurs résultats auraient nécessairement fait l’objet de contestations en raison du manque de transparence de cette institution. Disposant d’espace de manipulation, les politiciens aux commandes du pays auraient utilisé tous les moyens de l’État  pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible. Pour leur part, ces politiciens de la majorité auraient été « aidés » par certains opposants qui, plutôt que de former une coalition, se seraient déclarés en très grand nombre candidats, favorisant  ainsi la division du vote. Une attitude que l’analyste Jean-Jacques Wondo a qualifiée comme étant « l’incapacité de la classe politique post-Lumumba de se fédérer autour des valeurs républicaines de l’intérêt général »[2]. On se trouve dans une situation où les Congolais souhaitent l’alternance démocratique par voie électorale, mais ils ne savent pas avec qui faire corps.

Or tout processus électoral ne conduisant pas au renouvellement des acteurs politiques empêcherait l’avancement de la démocratisation du Congo. Face à ce statu quo, plusieurs s’interrogent à savoir s’il est sage de réclamer la tenue d’élections à la fin de 2017 ou même en décembre 2018.  

Dans la présente analyse, notre réflexion portera sur la possibilité de l’avènement à la tête du Congo d’un leader politique de transition, homme ou femme,  capable de résoudre prioritairement le problème de respect des structures politiques existantes et, qui, n’ayant pas  l’intention de s’éterniser au pouvoir, servirait de modèle pour les prochaines générations des responsables politiques. 

Leader : une définition

Il existe plusieurs définitions du terme leader ou leadership politique. Dans la présente analyse, ce concept doit être compris comme une relation sociale. Selon le sociologue Max Weber, les leaders politiques sont ceux qui cherchent – parviennent à – la reconnaissance des représentés et prennent des décisions politiques dont ils se font responsables[3]. Cette brève  définition comprend deux éléments centraux qui fondent l’idée du leadership politique que l’on trouve dans les démocraties modernes. Pour commencer, cela permet de déduire une notion du leadership conçue, non exclusivement en fonction des capacités personnelles, mais comme un type de relation sociale établie entre les représentants et les représentés[4]; apparait ici la notion de reconnaissance[5]. Mais, la préoccupation de Max Weber amène aussi à imaginer  comment préserver une idée de la politique qui, en tant que sphère d’action libre et de réalisation de valeurs, apparaît menacée par une société chaque fois plus bureaucratique. L’intérêt pour la décision politique se révèle  ici, c’est-à-dire pour la possibilité d’établir un principe d’action qui donne sens à la communauté nationale.

L’action des leaders s’identifie exclusivement à sa possibilité de ne pas rester subsumée dans des structures qui conditionnent le cours de l’histoire. Cette approche affirme la capacité d’action des leaders et l’idée d’un devenir historique qui échappe aux règles structurelles préétablies.

Difficultés de trouver un leader au Congo

Trouver un leader qui incarnerait cet idéal politique semble être une tâche difficile. Le 21e siècle est caractérisé par la planétarisation de principe marchand, le cynisme et le remplacement de la conscience historique par la consommation de l’instant.  Dans un contexte plus large, les politicologues Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz soulignent qu’en Afrique, les leaders politiques ne bénéficient plus de l’enthousiasme des lendemains de l’indépendance, ni des rentes de la guerre froide : des idéologies fédératrices du nationalisme, du développement, de l’africanisme apparaissent usées[6].

Au niveau du Congo, la difficulté tient au changement de  l’environnement sociopolitique depuis l’indépendance en 1960. Le temps du personnage charismatique incarnant la nation et lui promettant par magie un avenir prospère est dépassé. La perspective d’un futur heureux a laissé la place à un désenchantement général. 

La multiplication des partis politiques et la versatilité de dirigeants qui déambulent d’un parti à l’autre renforcent la difficulté. Quand on travaille sur les rapports politiques sous l’angle du leadership, l’une des problématiques centrales qu’il s’avère nécessaire de considérer est celle de l’abdication, c’est-à-dire le fait de savoir si les représentés s’en remettent totalement aux représentants, auxquels il serait fait systématiquement confiance[7].

Certains analystes politiques considèrent qu’au lieu de se quereller sur les personnes qui doivent gouverner le pays, il faudrait plutôt commencer par répondre à la question des institutions et ensuite choisir les hommes et les femmes qui gouvernent en fondant leur pouvoir sur les institutions stables et démocratiques préalablement acceptées par tous[8]

Or le problème congolais n’est pas lié à l’absence d’institutions, mais plutôt à leur respect. Le Congo a des institutions, notamment, une présidence de la république, un parlement, des ministères, des structures ad hoc, des tribunaux, des lois, des codes, des règlements et une  Constitution.  Mais ces institutions n’ont pas empêché Laurent  Kabila de prendre les armes avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda  pour renverser le président Mobutu en 1997; elles n’ont pas empêché la révision précipitée de la constitution pour faciliter la  réélection à un seul tour de Joseph Kabila en  2011. Elles n’ont pas empêché le même Joseph Kabila d’être jusqu’aujourd’hui  Président du Congo.  En d’autres mots, les institutions congolaises actuelles ne peuvent empêcher la radicalisation des forces attachées à la défense de leurs privilèges de s’éterniser au pouvoir. 

L’autre difficulté pour trouver un tel leader proviendrait des complicités extérieures qui empêchent les congolais de choisir leurs dirigeants en toute liberté. Historiquement, on note qu’à toute volonté de changement exprimée par les Congolais, il y a l’ombre des acteurs étrangers belges, français et américains mais aussi plus récemment, sud-africains, angolais, rwandais et ougandais. Ce qui renforce l’idée selon laquelle les vrais acteurs des crises congolaises se trouvent à l’extérieur et que les événements de terrain ne servent que de caisses de résonnance[9]

Les élections sont-elles la solution à la crise congolaise?

Comment sortir de ce chaos? Des Congolais qui luttent pour un changement politique croient y parvenir par des élections à divers niveaux, présidentiel, législatif, provincial et municipal.

Certes, il s’agit de rites électoraux de consécration « démocratique » qui se sont imposés comme des événements incontournables depuis 2006. Mais il n’est pas superflu de tenir compte du fait que, si de nouvelles élections étaient organisées sur la base du système politique en vigueur, leurs résultats ne contribueraient en rien au renouvellement du personnel politique, et ce même si Joseph Kabila n’était  pas candidat à sa propre succession. En effet, comme l’écrit, avec justesse, l’analyste Boniface Musavuli, « l’idée est que le candidat sur qui Kabila jettera son dévolu sera nécessairement le prochain « président élu », puisque le président de la CENI, Corneille Nangaa, est un obligé de Kabila. Si l’élection présidentielle se tient pendant que Kabila est toujours à la tête du Congo, tout porte à croire que le président de la CENI proclamera « président élu » l’homme que Kabila lui donnera injonction de proclamer[10]. La perspective d’un futur démocratique pour la population congolaise par la voie électorale ne semble pas au rendez-vous, alors que l’élection devrait être un exercice pour sortir la population de sa misère.

Historiquement, les jeunes et vieux politiciens, tant de la majorité que de l’opposition, cherchent à rester ou à entrer au pouvoir par tous les moyens.

De l’observation de la composition des membres des parlements, des gouvernements, et des entourages présidentiels, on constate une remarquable continuité. On y trouve des individus qui ont une longue carrière dans les hautes sphères.  A contrario, on est frappé par le nombre très restreint de figures inédites. Si les jeunes générations jouent un rôle non négligeable dans la contestation politique, elles se trouvent ensuite écartées des principales positions de pouvoir.

En même temps, il n’est absolument pas certain que l’avènement de ces jeunes générations serait automatiquement un gage de mutations profondes. L’histoire récente du Congo fourmille d’ex-jeunes radicaux qui briguent des carrières rémunératrices et finissent par se laisser coopter. La logique du « c’est maintenant à notre tour de manger » s’impose.

Au niveau de l’ensemble de la population à travers le pays, la compréhension de la signification du vote semble très limitée : les enjeux paraissent davantage communautaires, voire même personnels. Ceux qui vont voter se rendent aux urnes parce qu’ils s’y sentent obligés, parce qu’on les y a incités, à la limite parce qu’il importe que vos voisins vous voient en train de faire la queue. On ne vote guère pour des idées, un programme, mais en raison d’une certaine loyauté à l’égard de tel ou tel individu qui vous y pousse. On n’exprime pas un choix individuel, on apporte sa contribution dans le cadre d’un échange, et les élections risquent de reposer pour longtemps encore sur les solidarités fondamentales, fussent-elles manipulées, ainsi que sur la distribution d’argent à des courtiers influents[11].

De telles élections organisées dans le contexte décrit ci-dessus ne sauraient être sources de légitimité; bien au contraire,  des manifestations de contestation se multiplieraient à travers le pays.

C’est pour cela qu’un nouveau leader pour la transition politique présente le grand avantage d’être à la fois medium et force de passage entre deux situations d’ordre : celle d’un ordre en crise et celle d’un ordre nouveau. Le Congo est une affaire de présidents.

Congo, une affaire de présidents

L’histoire postindépendance du Congo est dominée par les quatre présidents qui l’ont dirigé. Joseph Kasa-Vubu, Mobutu Sese Seko, Laurent Kabila et Joseph Kabila ont en commun le fait que la constitution leur a accordé beaucoup de pouvoirs de souveraineté. Profitant de ces prérogatives, ils ont pu, à chaque rendez-vous politique, cherché à modifier cette  loi fondamentale ainsi que des lois électorales.

À l’exception de la constitution du 19 juin 1960 relative aux structures du Congo, laquelle a été léguée par le colonisateur belge, on  compte officiellement 7 constitutions en 45 ans, avec 32 ans passés sous une seule constitution continuellement révisée parfois avec un bout de crayon, parfois par de simples discours, par des communiqués ou même par un simple silence.

Toutes ces révisions intempestives avaient pour objectif, le renforcement des pouvoirs présidentiels. Tel fut  le cas de la révision constitutionnelle du 15 juin 1974 qui a érigé le Mouvement populaire de la révolution (MPR), parti au pouvoir, en unique institution du pays, rendant toutes les autres au niveau de simples organes qui lui étaient subordonnées.

Le projet de Constitution élaborée lors de la Conférence nationale souveraine (CNS) en prévision de la Troisième République (Constitution de la République fédérale du Congo), adoptée en novembre 1992, était aussi  taillé sur mesure. Cette fois-ci, pour sanctionner Mobutu et contrer ses élans dictatoriaux; d’où un grand nombre de garde-fous disséminés dans cette Constitution, mettant le MPR à l’index et prônant la décentralisation du pouvoir et la réduction des attributs présidentiels au profit de ceux du gouvernement. Ces dispositions n’ont jamais obtenu l’adhésion de Mobutu.

De même, la Constitution du 18 février 2006 fait du Président de la République un kleptocrate. Aux termes de l’article 69 de la constitution, le Président de la République est le chef de l’État. Il représente la nation et est le symbole de l’Unité nationale. Il veuille au respect de la constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions, ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté et du respect des traités et accords internationaux

Aux termes de l’article 78, « le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Le pouvoir de nommer les autres membres du gouvernement et de mettre fin aux fonctions de ces derniers lui revient, bien entendu sur proposition du Premier ministre ».  L’article 81 stipule à son tour que sans préjudice des autres dispositions de la Constitution, le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres: (1) les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires; (2) les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale, le Conseil supérieur de la défense entendu; (3) le chef d’état-major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des forces armées, le Conseil supérieur de la défense entendu; (4) les hauts fonctionnaires de l’administration publique; (5) les responsables des services et établissements publics; (6) les mandataires de l’État dans les entreprises et organismes publics. D’après l’article 82 : « Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, par ordonnance, les magistrats du siège et du parquet sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature ».  Dans un tel contexte de concentration des pouvoirs, que le  Président de la République ait été bien ou mal élu, cela ne change rien.

Certes, pour éviter à l’exécutif et au parlement la tentation de chercher dans la révision constitutionnelle la solution aux problèmes conjoncturels, la Constitution de 2006 a inclus une clause d’éternité par laquelle elle a exclu de la révision constitutionnelle certaines matières telles que le nombre et la durée du mandat du Président de la République, l’indépendance du pouvoir judiciaire, les droits de l’homme et la décentralisation.

Mais en onze ans d’existence, la Constitution de 2006 a subi des révisions pour supprimer le deuxième tour de l’élection présidentielle et octroyer au président le pouvoir de dissoudre les parlements provinciaux, et de révoquer les gouverneurs de provinces.

Aujourd’hui, 2017, Joseph Kabila, un seul individu, a tétanisé l’ensemble du Congo et la communauté internationale, par son intention à s’octroyer dans le silence une prolongation de mandat, malgré l’interdiction de la Constitution.

Ces exemples montrent comment ces présidents se complaisent dans le pouvoir. Comme ailleurs en Afrique, des chefs d’État, on ne connait avec certitude que le début des mandats et jamais leur terme. Leur durée est dépendante de la capacité de chacun à s’imposer à son peuple pour se maintenir à la tête du pays.

Malgré cela, les Congolais semblent attacher encore de l’importance aux personnes qui aspirent au poste de Président de la République. Félix Tshisekedi, président du Rassemblement des forces acquises au changement, et Moïse Katumbi, ancien gouverneur de l’ex-province du Katanga, réussissent, actuellement, à rassembler autour d’eux plusieurs partis et regroupements politiques qui soutiennent leurs candidatures.

Mais dans le contexte du système politique en place, rien ne laisse présager que le Président de la République, bien élu ou mal élu, respectera la constitution.

Un leader pour mettre en place un ordre nouveau

Une brève transition citoyenne, sans Kabila, est préconisée par un éventail de membres de la société civile et d’autres dirigeants congolais[12]. Elle est considérée comme le meilleur moyen de s’assurer que des élections transparentes soient organisées.

Mais une telle transition doit résoudre trois problèmes avant l’organisation des élections, la réhabilitation des institutions, la réforme de la justice et la moralisation de la politique.

Le premier problème consisterait à respecter les institutions et à doter le pays des contre-pouvoirs. Comme on l’a vu, le Congo dispose d’institutions qui n’attendent que des leaders pour les faire fonctionner. Le leader de la transition doit initier la mise en place d’un système politique capable de matérialiser l’efficacité des contre-pouvoirs. Agir de telle façon aiderait à ce que les élections à venir ne tombent dans le même travers qu’en 2006 et 2011 et empêcherait la pérennisation d’une gouvernance rébarbative.

Pour cette raison, plusieurs souhaitent que le leader de la transition soit entouré de personnes ayant fonctionné dans un environnement différent de celui qui est corrompu. D’après Fweley Diangitukwa, « lorsque quelqu’un a appris à corrompre depuis l’école primaire jusqu’à l’université, qu’est-ce qu’il peut faire, si à l’âge adulte, il devient un responsable politique »[13].  Ces personnes devraient démontrer qu’elles s’acquitteront de ces tâches de façon temporaire, qu’elles ont un emploi, prennent un congé sans solde, pour servir la République pendant une période déterminée. Au terme de la transition, elles reviendront à leur emploi habituel.

 Faire en sorte que les futurs présidents ne soient pas tentés de s’imposer par des moyens anticonstitutionnels. Des exemples allogènes renseignent que dans plusieurs pays le respect des  institutions est dû, le plus souvent, aux comportements exemplaires des leaders d’exception qui se sont révélé des catalyseurs d’opinions lorsqu’ils traversaient des périodes de turbulence. Dans son allocution prononcée en français et en lingala le 23 juin 2016 à l’occasion de la fête de l’indépendance des États-Unis d’Amérique à Kinshasa devant les autorités congolaises, l’ambassadeur James Swan, a montré le rôle joué par Thomas Jefferson dans le renforcement des institutions de son pays. Il dit : «Thomas Jefferson, le principal rédacteur de la Déclaration d’indépendance n’avait que 33 ans quand il la rédigea. L’élection de Jefferson à la présidence en 1800 a constitué la première passation de pouvoir pacifique d’un parti à un autre dans une République moderne. Après avoir rempli deux mandats, Jefferson a respecté la tradition d’une présidence à deux mandats établie par le premier président, George Washington. Au terme de sa présidence, Jefferson a transféré avec ferveur son énergie et ses ambitions dans l’existence de citoyen privé accompli, de fermier, d’inventeur et, particulièrement, de fondateur de la première université séculaire du pays »[14].

Le deuxième problème est la réhabilitation de la justice, institution devenue aujourd’hui simple service d’appui à la pérennisation du pouvoir personnalisé et la répression de toute velléité de revendication[15]Le système de justice est le pilier le plus important de l’État de droit pour toute société. Il est gage de stabilité et de paix pour toute société qui émerge d’une situation de conflits. Dans les sociétés en crise ou post-conflit, l’incapacité du système judiciaire de promouvoir, garantir et protéger les valeurs d’équité et de justice ne peut qu’être une source d’anarchie et une porte ouverte invitant au retour de troubles sociaux. Mais le secteur de la justice ne pourra efficacement répondre à ses fonctions qu’à la condition que les prestataires des services judiciaires et les autorités politiques et administratives se soumettent à la règle du droit.[16] L’existence au Congo d’un secteur de la justice indépendant, impartial, respectueux de la légalité et accessible constitue un impératif de l’établissement d’un État de droit.

C’est au cours de la transition qu’il serait nécessaire de mettre fin à la culture de l’impunité, en prenant  des actions contre des individus qui ont profité de leurs positions pour retarder le Congo sur le plan démocratique, en violant les droits humains et les lois du pays. Parmi eux, des membres des gouvernements central et provinciaux, chefs de partis politiques, médecins, infirmiers, journalistes, leaders religieux, industriels, gens d’affaires, professeurs d’universités,  agents de services de sécurité, tels l’Agence nationale de renseignements(ANR), la police, l’armée, la Garde présidentielle et les juges de tribunaux qui se livrent à des massacres, à des arrestations arbitraires, à des condamnations et à des détentions illégales.

Le troisième problème à résoudre est la moralisation de la politique. Le leader de la transition doit pouvoir bousculer les habitudes des politiciens de carrière et même utiliser une certaine contrainte. Par exemple, stopper la prolifération des partis politiques. Certes, il ne sera pas facile de transformer en profondeur un système où beaucoup n’ont que la politique comme profession. Malgré cela, le leader sera suivi par la population même si ces politiciens rechignent. Les peuples sont souvent reconnaissants envers celui qui leur offre l’épopée, le rêve, l’administration des autres, et un brin d’orgueil[17].

C’est après avoir trouvé des solutions à ces problèmes que le leader et les personnes qui assurent  la transition pourront organiser les élections, lesquelles devraient avoir prioritairement pour but le renouvellement du personnel politique.

Ceux-ci devraient aussi se tenir à l’écart du scrutin qu’ils auront organisé, question de ne pas fausser le jeu démocratique. C’est pourquoi le choix du leader ne doit pas être fait en fonction de sa notoriété; un inconnu compétent peut tout aussi bien jouer ce rôle.

Conclusion

Les élections présidentielles, législatives et provinciales ont été annoncées pour le 23 décembre 2018. Dans le contexte politique actuel, leurs résultats ne permettront pas d’espérer que l’État de droit soit au rendez-vous au Congo. Les politiciens de la majorité et de l’opposition, qui sont en scène depuis de nombreuses années, cherchent soit à rester ou soit à entrer au pouvoir par tous les moyens. Or ces politiciens n’ont  pas de nouvelles idées pour extirper le pays et le peuple congolais de sa misère.

Seul un leader légitime et intègre peut faire le ménage, mettre en place des mécanismes appropriés de bonne gouvernance, que le peuple congolais pourra suivre dans les années futures. La leçon des exemples vaut mieux  que celle des préceptes.

Bandeja Yamba est analyste en droits humains.

Références

[1] Article 73 de la Constitution de la République démocratique du Congo.

[2]Jean-Jacques Wondo, « RDC; Vers l’implosion du Rassemblement?» http://afridesk.org/fr/rdc-vers-limplosion-du-rassemblement-jj-wondo/.

[3] Max Weber, Œuvres politiques (1895-1919), Albin Michel, 2004, p. 148.

[4] Cette idée du leadership comme relation n’apparait pas de manière explicite dans l’œuvre de Weber. De fait, celle-ci, demeure la tension concernant l’idée de penser le leader en fonction de ses capacités héroïques et exceptionnelles, comme attribut essentiel de la domination de type charismatique, et la possibilité d’aller au-delà de cette idée en concevant son processus d’objectivation. Deux processus rendent particulièrement compte de cette dynamique chez Weber. L’idée de la « routinisation du charisme » quand la domination charismatique n’est plus éphémère, et l’idée du « charisme de fonction », quand le leader est reconnu par la position institutionnelle qu’il occupe (Max Weber, 1995 (1956), p. 246-249.

[5] Michel Dobry, Être gouverné. Études en l’honneur de Jean Lega, Presses de Sciences  Po, 2003, p. 127-147.

[6]  Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz, l’Afrique est partie! Du désordre comme instrument politique, Economica, 1999, p. 47.

[7] Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz, l’Afrique est partie! Du désordre comme instrument politique p. 56

[8] Fweley Diangitukwa, Pouvoir et clientélisme au Congo-Zaïre-RDC, Paris, 2005, p. 252.

[9] Isidore Ndaywel E Nziem, L’invention du Congo contemporain. Traditions, mémoires, modernités, t. 1, P. 14.

[10] Boniface Musavuli, Calendrier électoral : Un pari sur l’après- Kabila, http://afridesk.org/fr/calendrier-electoral-pari-lapres-kabila-b-musavuli/.

[11] Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz, l’Afrique est partie! Du désordre comme instrument politique, p.47,  53-54.

[12] HRW, veut une « transition citoyenne » sans Kabila, http://www.congoactuel.com/human-rights-watch-veut-une-transition-citoyenne-sans-kabila/

[13] Dix questions au  professeur Fweley Diangitukwa par Freddy Mulongo de Radio FM international, Publication (1ère Partie avec photos et illustrations), http://www.reveil-fm.com/index.php/reveil-fm.com2017/10/10/6197-10-question-a-fweley-diangituka-professeur-chercheur-et-ecrivain

[14] Ambassade des États-Unis en République démocratique du Congo, Allocution de l’Ambassadeur des États-Unis, James C. Swan, prononcée le 24 juin 2016 à l’occasion de la Fête d’indépendance américaine, https://cd.usembassy.gov/fr/allocution-de-lambassadeur-des-etats-unis-james-c-swan-prononcee-loccasion-de-la-fete-dindependance/.

[15] Jean-Bosco Kongolo, Conditions de refondation de l’État congolais après Joseph Kabila, http://afridesk.org/fr/conditions-de-refondation-de-letat-congolais-apres-joseph-kabila-jb-kongolo/#_ftn9.

[16] République démocratique du Congo. Le secteur de la justice et l’État de droit. Un État de droit en pointillé. Essai d’évaluation des efforts en vue de l’instauration de l’État de droit et perspectives d’avenir, Open Society Initiative for Southern Africa, 2013.

[17] Amin Maalouf, le dérèglement du monde, Grasset, 2009, p. 107.

1

One Comment “Un leader inconnu! Solution pour la République démocratique du Congo? – Bandeja Yamba”

  • Makutu Lidjo

    says:

    Monsieur , avec tout ce qu’a subi notre pays il est utile de connaître le background de celui ou celle qui aspire impulser à partir du sommet un projet du mieux vivre collectif dans notre pays. Méfions nous par expérience des ovnis. Nous avons bien subi Laurent Désiré Kabila puis son fils putatif. Quel en est le résultat ? Il est vrai que le pays a pu se réunifier, mais les poches d’instabilité demeurent, les 20 ans de l’afdl n’ont fait que faire reculer économiquement et socialement notre pays. Les drames sont légion dans ce pays. Je suis ainsi hostile à la notion d’un leader inconnu et éclairé, c’est comme cela que l’on facilite l’entrée des loups dans la bergerie nationale. Apprenons à être rationnels.

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