Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 25-09-2013 11:02
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Le terrorisme islamiste et le péril international de l’effondrement des Etats (Somalie, Afghanistan, Mali,…) – Musavuli

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Le terrorisme islamiste et le péril international de l’effondrement des Etats (Somalie, Afghanistan, Mali,…)

Boni-MusavuliPar Boniface Musavuli

Faut-il laisser les États s’effondrer ? Sinon, comment prévenir l’effondrement d’un État ou le restaurer lorsqu’il se met à sombrer sur le plan des institutions officielles ? Ce sont là, entre autres, les questions de fond qu’on devrait se poser après le carnage de Nairobi résultant d’une spectaculaire attaque menée par un commando d’islamistes somaliens.

Les Shebab somaliens ont donc frappé au cœur d’une importante ville africaine, Nairobi, capitale du Kenya. Un acte brutal et sanglant par lequel ils viennent de répandre sur le pays, et même sur le reste de l’Afrique, une angoisse avec laquelle il va falloir désormais vivre. Plus rien ne sera comme avant. Il ne sera plus possible de visiter certaines villes du Continent Noir sans être tenaillé par l’obsession d’un attentat à la bombe ou d’une fusillade spectaculaire, en plein jour et à tout moment. L’occasion de se demander comment on en est arrivé là.

Les islamistes viennent de quelque part

Il y a un peu plus de deux décennies, le monde assistait dans une certaine indifférence à « la mort d’un État », la Somalie. Le pays est devenue, depuis, ce qu’on appelle un « État défaillant » (Failed State). La Somalie était à l’époque dirigée par le dictateur Mohamed Siyaad Barre. Elle devint la proie d’une guerre civile atroce et des rivalités entre factions et seigneurs de guerre. Un dictateur impopulaire et des seigneurs de guerre sans aucun autre agenda politique que la mise à sac du pays et les trafics en tous genres (drogue, armes,…). La communauté internationale manqua d’interlocuteur fiable dans le pays et on franchit rapidement le point de non-retour.

L’opération « Restore Hope » menée par l’armée américaine se termina dans un « inutile » bain de sang. Ce fut un terrible fiasco et les Américains décidèrent de quitter le pays. Peut-être devraient-ils tenir bon malgré les pertes et rester un peu plus longtemps… On ne saura jamais ce qu’il y avait de mieux à faire. La communauté internationale en resta au stade des questionnements pendant que le pays tombait en ruine jour après jour. La Somalie devint désespérément un non-État. Mais le pire était à venir.

On avait laissé tomber, on en paie le prix

Mais si le « monde »se résigna à laisser tomber, on ne mesura pas suffisamment les conséquences de l’effondrement de ce qu’on appelle « un État ». Puisque la nature a horreur du vide, la disparition d’une autorité politique, l’État, qui est l’interlocuteur de référence dans les relations internationales, est compensée par l’irruption d’autres formes d’autorité. Les prises d’otage spectaculaires aux larges des côtes somaliennes et l’activisme des pirates auraient dû alerter le monde sur l’urgence à consacrer de gros moyens à la restauration de l’État somalien.

Au fil du temps, une forme d’autorité morale et politique se répandit sur le pays : les islamistes. Reste qu’une des difficultés avec les islamistes est que, contrairement aux mouvements politiques classiques, ils attachent assez peu d’intérêt au « cadre national ». Ils sont engagés dans une lutte internationale contre l’Occident. Les États qui se délitent deviennent des viviers dans lesquels ils prospèrent. La Somalie devient au fil du temps le « réceptacle » des combattants djihadistes arrivant des plusieurs pays musulmans, et maintenant, même des États-Unis et de l’Europe.

L’occasion de rappeler qu’un autre État, l’Afghanistan, s’était effondré sous le regard assez complice[1]de l’Occident qui y prit part à la propagation de l’anarchie. Le pays devint, lui aussi, le lieu de rendez-vous d’extrémistes islamistes dont un certain Oussama Ben Laden, avec les conséquences qu’on connaît. Et ça se paie au prix fort. Depuis 2001, les tentatives de la coalition internationale visant à rétablir les fondements et un fonctionnement minimal d’un Etat sont extrêmement laborieuses. On en est même au doute face à un certain enlisement[2], voire un échec. Mais il semble qu’on n’a pas le choix… Il faut continuer à se « cramponner » parce que si on lâche, les talibans déferlent sur Kaboul. Le même péril dans le cas de la Somalie.

Difficile, mais a-t-on d’autres choix ?

En Somalie, les Africains tentent de restaurer l’Etat depuis 2007 et se retrouvent empêtrés dans une guerre asymétrique particulièrement meurtrière (3.000 soldats de la paix tués en six ans). L’Union africaine a, en effet, déployé une mission forte de 17.709 agents (personnel civil et militaire). Si la communauté internationale soutient la mission, les pays qui disposent des contingents sur place prennent des risques pour leurs populations et font l’objet d’attaques des Shebab comme en Ouganda (74 morts[3] en 2010)et maintenant au Kenya (62 morts[4]).

Les islamistes qui croyaient remplacer l’Etat défaillant, avec leurs agendas (application de la sharia) considèrent cette force internationale comme une force d’occupation sur les « terres de l’islam ». Car en laissant la Somalie dans un état de déliquescence avancée, la communauté internationale avait permis aux islamistes de se persuader que ce pays était indéniablement devenu« le leur » et que c’est à eux qu’il revenait d’y appliquer « leurs lois ».

Il sera difficile de lutter contre cette mentalité, les Shebab étant très influents dans l’arrière-pays somalien après avoir été violemment chassés des grandes villes comme Mogadiscio et Kismayo qu’ils contrôlaient pourtant et où ils commençaient à appliquer leur politique inspirée de la sharia (lapidations de femmes,…).

Faut-il pour autant « tout faire » pour sauver les pays défaillants, menacés par l’irruption de l’islam radical ?Il semble qu’on n’a pas le choix…

C’est sûrement la question que l’Etat français s’est posée face à l’avancée des combattants d’Ansar Dine qui menaçaient de s’emparer de Bamakol’an dernier. Là aussi, on assistait à l’effondrement d’un Etat après un hasardeux coup d’Etat quelques mois plus tôt. Les djihadistes en avaient profité pour s’emparer du Nord du pays, par ailleurs fragilisé par les conséquences de la chute du colonel Kadhafi (déversement d’armes et de combattants dans le Sahel).

Le Mali, oui, mais après ?

MALI-CONFLICT-AID-EU-FRANCE

Militaires français de l’Opération Serval au Mali

Mais si on peut, après coup, saluer l’action de la France qui a permis de restaurer l’Etat malien et même de permettre aux Maliens d’élire un nouveau président, il devient opportun d’aborder la question dans une approche de fond et une perspective de long terme. La « communauté internationale », les grandes puissances en particulier, doit-elle se pencher sérieusement sur la question des interventions destinées à rétablir les États défaillants ou à prévenir leurs effondrements ? Quelle est la capacité des « grandes puissances » à s’acquitter de cette lourde tâche dans la durée ?

Car la liste des Etats défaillants risque de s’allonger au fil du temps. En Afrique, deux pays au moins sont à surveiller de près : la Centrafrique et la République démocratique du Congo. Au Congo, on éprouve des sueurs froides en apprenant que les Shebab[5]opèrent désormais dans les rangs des maquisards qui dévastent les régions de l’Est. Le pays est un mastodonte mais demeure extrêmement fragile sur le plan de la sécurité. Depuis plus d’une décennie, près de 20 mille casques bleus de l’ONU y font quasiment office d’armée nationale et d’État le gouvernement de Kinshasa demeurant « terriblement » incapable de restaurer le pouvoir étatique sur l’ensemble du territoire national.

En Centrafrique, la coalition de la Séléka qui s’était emparée du pouvoir en mars 2013 échappe désormais à tout contrôle. Même le Président Michel Djotodia, porté au pouvoir par la même coalition en mars dernier, s’en méfie désormais au point d’avoir décidé de sa dissolution.

Pendant ce temps, l’armée française stationnée dans le pays, se retrouve malgré elle, en charge de la sécurité d’un peuple qui n’a plus d’Etat. La population terrorisée vient se mettre à l’abri à l’aéroport sous contrôle des soldats français. La Centrafrique fait pourtant partie des vastes régions d’Afrique où opèrent les djihadistes. La disparition des institutions officielles au profit des bandes armées pourrait, comme au Mali, en Afghanistan et en Somalie, ouvrir le boulevard aux combattants islamistes réputés pour être plus disciplinés et mieux organisés que les armées officielles.

Mais comment faire dans la durée avec de moins en moins de moyens ?

Se poseront toutefois des questions liées aux moyens. Les grandes puissances seront-elles en mesure de sauver les États menacés de déliquescence ? Mais comment pourront-elles durablement le faire puisque elles-mêmes(en tout cas les pays occidentaux) sont l’objet du recul des institutions étatiques. Au nom de la lutte contre les déficits et des politiques néolibérales on y prône d’élections en élections la privatisation de nombreux secteurs longtemps relevant du cadre des services publics, comme les secteurs de la sécurité et même de la défense.

Comment les États confrontés à la diète, surendettés et disposant de moins en moins de moyens vont-ils, dans la durée, gérer le risque international de l’effondrement d’autres États ?

Boniface MUSAVULI


[1] Les Etats-Unis avaient soutenu les combattants islamistes durant la lutte contre la présence de l’armée soviétique en Afghanistan. Des islamistes qui vont par la suite se retourner contre les Etats-Unis et héberger Oussama Ben Laden, le leader d’Al-Qaïda.

[2]http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d’Afghanistan_(depuis_2001)

[3]http://www.rfi.fr/ameriques/20100714-attentat-kampala-autorites-americaines-jugent-credible-revendication-shebab

[4]http://www.rfi.fr/afrique/5mn/20130923-kenya-ultime-assaut-nairobi-suivez-situation-direct

[5]http://www.direct.cd/2013/07/12/les-shebabs-enlevent-9-personnes-dans-le-nord-kivu-dont-1-policier.html

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