La participation de la femme congolaise dans la réorganisation de l’environnement urbain : Cas de la Ville de Kinshasa
Cet article, en hommage à la journée des droits de la femme, a été publié pour la première fois le 7 août 2015.
Par Jeannette Kayembe Musau
Introduction
Le territoire congolais ou plus exactement l’espace urbain du temps colonial et la répartition territoriale des années 1950 sont totalement dépassé. En effet, la croissance démographique accrue, l’exode rural causé par des raisons diverses, le développement économique de certaines régions et les besoins toujours plus croissants dans tous les secteurs de développement, en appellent à une réorganisation du territoire, un remodelage de l’espace urbain congolais.
Non seulement l’espace urbain kinois, en général, est totalement dépassé, mais en plus, il est envahi et déstructuré à cause de la croissance démographique.
Certes, nous assistons actuellement à un remodelage, timide il est vrai, du paysage de la ville de Kinshasa, partant premièrement des axes routiers et de certains quartiers en cours de reconstruction, qui ne tient malheureusement pas toujours compte des zones maraîchères, comme le quartier pépinière de la commune de Bandalungwa ou des zones vertes pour agrément.
Cette réorganisation de l’espace Kinois a-t-elle été planifiée ou arrive-t-elle de façon spontanée? Parmi les personnes ressources à la planification, la femme a-t-elle trouvé sa place en tant qu’un des acteurs important, d’ une part et bénéficiaire privilégié et spécifique de l’autre? Dans la question de l’articulation entre les nouvelles politiques de modernisation et l’émergence de la part des milieux scientifiques, et des aménageurs[1], la femme doit être partie prenante: est-ce le cas ? Nous tenons à l’affirmer, la participation de la femme est une condition importante à la réorganisation de l’espace Kinois.
En réalité, Yves Robert définit le droit à la ville, tel que droit à la ville de Kinshasa, comme avoir droit à une ville gérée grâce au recours à un débat public car cette ville doit répondre aux besoins anthropologiques fondamentaux[2].
Cet article a pour objet de mettre en exergue un acteur important mais très souvent oublié dans la prise de décision et l’organisation tant de l’espace que de la distribution des services communautaires. Cet acteur qui, à notre sens, devrait participer aux instances de décisions et avoir une voix délibérative soutenue car il est le plus concerné, le plus présent sur site et dont les activités engagent et rassemblent particulièrement les autres acteurs ; nous voulons parler de la femme. « On devra donc se convaincre que tout développement d’une société passe par la reconnaissance de l’effort de la femme et par l’intégration de cette dernière aux activités les plus variées et les plus nombreuses de la vie nationale »[3].
La ville de Kinshasa est confrontée à une croissance démographique déstrurcturante
Ces dernières décennies, il a été observé une croissance démographique fulgurante et non contrôlée en RDC. Particulièrement pour la ville de Kinshasa, le professeur Francis Nzuzi Lelo précise que l’accroissement annuelle de la population a avoisiné les 8,5% entre 1967 et 1975 (BEAU 1976 et CETUR 1982) et le rythme de sa croissance spatiale de 1960, année de l’indépendance du pays, à 1975 est évalué entre 500 et 700 hectares par an : un étalement dévoreur d’espace, conclut Mr Nzuzi Lelo[4].
En effet, Kinshasa, ville construite pour moins d’un million d’habitants en compte près de 10 millions actuellement. On y lotit, on y construit où et comme on veut sans le respect des normes urbanistiques. On détruit impunément l’environnement avec des érosions, l’insalubrité, la pollution mais on se plaint, oubliant que l’on contribue soi -même à détériorer son environnement. Mais l’Environnement, on en parle peu ou presque pas dans cette ville. Pourtant cet espace, le milieu dans lequel l’homme évolue pose problème, le Kinois puisqu’il s’agit de sa ville, son espace vital[5].
Et pourtant, sous la période de l’Etat indépendant du Congo (EIC) et du Congo-Belge, il existait des structures telles que le « Fonds du bien-être indigène », « le Fonds du roi », et après l’indépendance « le Fonds d’avance » et « l’Office Congolais de Logement », pour permettre le logement et l’appropriation de logement décent, en son temps. Aujourd’hui, l’Etat congolais, depuis la dissolution en 1989 de l’Office Congolais de Logement (ONL), n’établit, sauf quelques rares cas marginaux, aucune politique sociale et administrative incitative pouvant permettre aux citoyens de pouvoir devenir un jour propriétaires de leur propre logement. La population multiplie des stratégies et astuces pour pouvoir se loger à n’importe quel prix ou à acquérir un terrain foncier pour se loger. Une démarche qui paraît naturellement légitime comme étant un droit à la dignité de la vie humaine.
Le professeur Isidore Ndaywel è Nziem, cité par son collègue Tshisuaka Ngalula, nous rappelle que l’organisation des espaces dans les communautés de l’Afrique noire a toujours répondu à certaines valeurs dont l’identité territoriale qui reconnaissait à l’individu le droit au logement par l’indication d’un espace qui lui était octroyé pour sa bâtisse[6].
La ville est de prime à bord une agglomération de populations dans une étendue limitée. L’urbanisation est un processus social de conquête de l’espace rural associé parfois à un déplacement des populations et de recomposition des rapports entre centre et périphéries ainsi que leurs densités.
Etudiant la politique urbaine, Jean-Pierre Gaudin[7] (1995) s’interroge sur la coopération des multiples acteurs. Cette politique doit résoudre des problèmes de coordination verticale, horizontale, intersectorielle ainsi que l’articulation entre secteurs privé, public et associatif. La coordination verticale correspond à la permanence des structures hiérarchiques. La coordination horizontale renvoie au problème de l’intercommunalité. Il s’agit ici de dépasser les égoïsmes locaux pour prendre conscience de l’interdépendance des acteurs sociaux.
Les services fonciers, profitant de cette situation de déséquilibre entre la demande excessive de la population pour se loger et l’offre disponible insuffisante sur le terrain, vendent, à qui mieux mieux, tout espace disponible et même « indisponible » ou encore des zones « non aédificandis ». Les preneurs ne s’inquiètent nullement de l’insolvabilité de ces ventes, guidés par ce besoin primaire de logement, et bien au contraire, se les disputent. Ceci entraine des conséquences qui affectent la cartographie urbaine de Kinshasa, aux des dimensions incommensurables. L’étendue de la ville de Kinshasa a pris des proportions telles que l’Etat éprouve de sérieuses difficultés à contrôler, à planifier et à gérer l’urbanisme. C’est le cas du quartier Jamaïque dans la commune de Kintambo. On peut également citer le camp Kokolo où, faute de logements suffisants pour les militaires casernés, certains d’entre eux ont créé un quartier d’auto-construction appelé camp Jérusalem avec près de deux cents bicoques au bord de la rivière Basoko[8].
Au cours du colloque international tenu à Kinshasa en juin 2013, sur le droit à la ville, l’architecte Arsène Ijambo, dans sa présentation portant sur l’auto-construction et le développement durable dans l’écosystème de Kinshasa, a déclaré qu’ au niveau des villes congolaises l’auto-construction en tant que principal mode de production de logement, pose les questions de son efficacité par rapport à la réponse aux besoins des habitants en termes de confort et de qualité d’usage, mais aussi de son rapport avec l’environnement qui l’abrite…[9].
Ceci revient à dire que le résultat final, le cadre de vie qui s’offre dans la ville-capitale de Kinshasa ne présente pas le standard moyen encore moins le standard idéal.
En outre, l’accroissement tant de la population que de l’occupation spatiale se développant sans toutes les mesures d’accompagnement nécessaires ou les dispositions administratives de l’autorité compétente en la matière ne va pas sans conséquences sur la qualité de vie et l’accessibilité aux services urbains de proximité tels que les marchés, les gares routières, les abattoirs et les services sociaux comme les écoles primaires et maternelles, les dispensaires, les maternités, les centres sociaux, les bornes fontaines etc.
Les problèmes qui se posent alors peuvent être répertoriés ainsi ; le manque d’eau potable permanent et régulier, le manque d’électricité, la carence de transport et de voies de communication, l’environnement malsain et l’insuffisance des infrastructures sociales, le chômage aigüe sans oublier la carence de logement planifié.
Et pourtant, la ville de Kinshasa, capitale du pays, de surcroît, devrait pouvoir offrir à la population un milieu de vie favorable, dans lequel l’homme peut s’épanouir et mener une vie décente et enrichissante. Les organes exécutifs et législatifs de l’état, établis, devraient gérer leurs ressources économiques, financières, techniques et humaines dans cette optique : la recherche du bien-être, du confort de la population.
Il ne faut pas surtout perdre de vue que les différents schémas directeurs d’aménagement du territoire et d’urbanisme qui fixent les orientations fondamentales de l’aménagement du territoire doivent tenir compte des relations entre les régions et de l’équilibre écosystémique qu’ il faut préserver entre l’extension des agglomérations, l’exercice des activités rurales dans lesquelles les femmes sont les plus concernées et très actives, les activités industrielles et tertiaires ainsi que d’autres secteurs relatifs à la préservation des sites naturels et des espaces verts de la Capitale.
La Femme congolaise, moteur du la bonne gouvernance et du développement urbain
La participation des habitants dans la gestion de l’environnement social ou de la cité est un thème qui fait aujourd’hui partie des objectifs affichés par de nombreux gouvernements. Dans les pays en voie de développement, l’objectif est, selon le mot de Didier FASSIN (1998) de « faire participer ». Par ailleurs, les citoyens pour pouvoir participer à une action publique, doivent disposer d’un outillage technique et intellectuel, être compétents et informés. Cela vaut particulièrement pour la participation de la femme dans la réorganisation de l’espace urbain.
Un adage populaire dit « éduquer une femme c’est éduquer une nation ». En effet, il est généralement admis dans nos sociétés africaines que pour bien « réussir » dans la vie, la base doit être nécessairement être bien posée par la femme, qu’est la mère. De ce fait, le rôle social ou l’incidence de la femme sur la communauté n’est plus à démontrer et joue un rôle fondamental pour le développement et l’équilibre de la société. Cependant, est-il possible de donner ce qu’on ne possède pas ? La femme peu instruite, peu informée, peu formée et surtout pas vraiment épanouie elle-même, pourrait-elle se transformer en moteur d’épanouissement des autres ? Dans quelle mesure pourrait-elle être écoutée lorsqu’elle s’exprime ? Quel pourrait être son apport à la réorganisation de l’espace urbain congolais ?
Dr. Marèma Touré illustre la fonction de la femme dans la société en l’identifiant comme étant essentiellement un acteur social exerçant le rôle de reproduction, de production et de gestion.[10]
La femme congolaise, de par son statut de ménagère est appelée à se rendre au marché régulièrement ou au supermarché pour assurer les besoins alimentaires de son foyer. Au Congo, c’est généralement la mère qui accompagne ses enfants à la maternelle ou à l’école. C’est encore elle qui, dans les foyers sociaux, représente le taux le plus élevé des populations qui y ont recours. C’est toujours la femme qui va puiser l’eau à la borne fontaine ou partout ailleurs et quand il y interruption d’alimentation en eau ; tout comme quand la fourniture en électricité est interrompue, c’est elle qui va à la recherche des solutions alternatives du charbon de bois ou du bois de chauffe…
Le Professeur Ngoma-Binda affirme qu’« On devra donc se convaincre que tout développement d’une société passe par la reconnaissance de l’effort de la femme et par l’intégration de cette dernière aux activités les plus variées et les plus nombreuses de la vie nationale »[11].
Aujourd’hui dans la vie socio-économique de nos sociétés, il y a des activités spécifiques qui exigent certaines qualités telles que la patience, le courage et la persévérance, l’ouverture et le dialogue pour mieux les accomplir. Et ce sont là les qualités qu’on reconnait particulièrement à la nature féminine.
Madame Raïssa Muadi, journaliste, nous rappelle que les statistiques indiquent que 80% de l’alimentation produite dans le monde l’est grâce au travail des femmes. Les femmes représentent 50% de la population mondiale et sont génératrices de revenus pourtant elles ne sont propriétaires que d’1% du patrimoine mondial.[12]
Les femmes dans la société traditionnelle africaine, en tant que travailleuse manuelle, étaient l’un des maillons forts économiques. Elles jouaient un rôle économique très important parce que ce sont elles qui étaient premières responsables des travaux des champs. En effet les hommes se préparaient à la chasse et à la guerre. Elles avaient donc, spécialement en matière de nutrition et de sécurité alimentaire, le rôle essentiel, tout particulièrement en matière de production vivrière. Ce rôle a même évolué au fil du temps et devient actuellement de plus en plus marchand. C’est ainsi que dans l’entreprise moderne, les femmes sont petit à petit bien acceptées, et en cela l’Afrique noire se distingue de nombre de régions en développement.[13]
En République démocratique du Congo en général, à Kinshasa plus précisément, elles comptent parmi les piliers sur le plan économique alors qu’elles n’occupent pas des postes ou des positions de décision dans les instances administratives ou politiques. En dépit du fait que la RDC ait ratifié le protocole de la SADC sur le « genre et développement » qui reconnait à celle-ci le droit de jouir de ses produit sur le plan économique en ses articles 15 à 19[14]. Malgré tout, la femme demeure dans l’ombre de l’homme et, n’étant pas présente à la prise de décision, celles-ci, très souvent ne lui sont pas favorables et même ne lui facilitent pas la tâche. Sans oublier qu’en RDC l’application concrète des textes reste encore aléatoire et toujours un grand défi à relever.
Et pourtant, les femmes peuvent constituer un atout indéniable pour le développement socio-économique de la RDC. Faire participer les femmes aux projets de développement, en les impliquant notamment dans les processus de prise de décision dans le cadre de la réorganisation de l’urbanisme à Kinshasa va leur permettre d’acquérir des compétences et des connaissances nouvelles. Mais cela est aussi un atout pour la réussite de la promotion de la bonne gouvernance en RDC. D’autant que l’engagement social et la participation économique (informelle) des femmes congolaises sont des contributions évidentes à la survie de la société congolaise. L’implication de la Femme congolaise, en tant qu’actrice de premier rang faisant fonctionner le secteur informel au pays où le taux de chômage touche plus de 60% de la population, soulageant un tant soit peu la misère de la population nous semble indispensable à la bonne gouvernance du Congo, surtout en situation de pays post-conflit. Les économistes estiment à un peu plus de 55% le nombre des activités du secteur informel occupées par des femmes. Ils avancent également que près de 75% d’activités commerciales en RDC relèvent du secteur informel qui contribue à environ réellement à 80% du revenu à la survie des ménages des familles en milieux urbains. (JJ Wondo in http://www.congoforum.be/upldocs/Elections…pdf).
Malheureusement, le potentiel du pouvoir décisionnel de la Femme Congolaise reste un capital faiblement exploité, faute de soutien aux actions féminines par le pouvoir congolais et les organisations internationales impliquées dans le soutien au processus de développement social, économique et politique en RDC. De tout temps, la représentativité des femmes congolaises aux différents niveaux de décisions a été déficitaire et les dernières élections, malgré tous les espoirs affichés, n’ont pas réussi à pallier cette lacune. La faible participation de femmes comme candidates et le nombre élevé d’électrices analphabètes aux scrutins de 2006 et de 2011 en sont des preuves éloquentes de ce constat amer. Il est consternant de constater que l’implication de femmes à tous les échelons du pouvoir reste méprisée par une classe politique machiste. (JJ Wondo). A titre d’exemple, en 2006, l’identification et l’enrôlement des électeurs en 2006 ont permis l’enrôlement de 25.712.552 électeurs, dont 57,6 % des femmes et 43,4 % des hommes. Au premier tour de l’élection présidentielle du 30 juillet 2006, il y avait 33 candidats présidents, dont quatre femmes, à savoir : Catherine Nzuzi wa Mbombo, Justine Mpoyo Kasa-Vubu, Wivine Landu Kavidi et Marie-Thérèse Nlandu Mpolo. Triste est de constater qu’en 2011, aucune candidate femme ne s’est alignée à la course présidentielle . Pire encore, aux législatives du 30 juillet 2006, on a comptabilisé 9.709 candidats députés nationaux, dont 8.389 hommes (soit 84,6 %) et 1.320 femmes (soit 13,6 %) pour 500 sièges à pourvoir à l’assemblée nationale. Après le vote, 458 hommes (soit 91,6 %) et 42 femmes (soit 8,4 %) ont été élus. (JJ Wondo in http://www.congoforum.be/upldocs/Elections…pdf).
Les sociétés dirigées par les femmes sont les plus performantes
Selon plusieurs récentes études scientifiques, la présence de femmes aux postes de direction offrirait de meilleures performances et une plus grande compétitivité comparée à celles des entreprises dirigées majoritairement par des hommes. Reste que dans les sociétés africaines, si les mentalités commencent tout doucement à évoluer, la question de mixité dans la gestion de l’Etat ou de la cité demeure pour beaucoup un sujet peu prioritaire, voire un tabou.
En effet, en 2007 déjà, une première étude du cabinet McKinsey & Company a démontré que la mixité serait un fort levier de performance. L’enquête «Women Matter» 2007 a finalement démontré l’existence d’une corrélation positive entre la proportion de femmes dans les comités de direction et la performance des sociétés. Ainsi, en avril 2010, dans la revue « Travail, genre et sociétés », l’expert a établi que les structures boursières du CAC 40 comptant plus de 35 % de femmes cadres ont connu, entre 2002 et 2006, une croissance de 23 % de leur chiffre d’affaires, contre seulement 14 % pour celles présentant un taux inférieur. De nombreux autres indicateurs, comme la productivité, la rentabilité et la création d’emplois ont été analysés, avec à chaque fois les mêmes conclusions. « Les entreprises les plus féminisées sont plus rentables, ont une meilleure productivité et créent davantage d’emplois », assure le chercheur.
Une récente étude menée entre 2012 et 2014 par la banque Crédit Suisse à Zurich, en Suisse, a révélé que les entreprises qui comptent des femmes au sein de leur conseil d’administration ou de leurs instances de direction affichent de meilleurs performances. L’étude a passé au crible 3.000 entreprises dans 40 pays et dans tous les secteurs économiques.
Confirmant ce ressenti, le cabinet McKinsey met en exergue cinq comportements de leadership que les femmes pratiquent plus souvent que les hommes.
Les femmes apparaissent ainsi plus à l’écoute des besoins,
consacrent plus de temps à la formation et au mentorat,
elles se montrent également plus attentives dans l’élaboration d’objectifs et dans leur suivi,
elles suscitent davantage d’optimisme pour l’avenir et montrent l’exemple, s’attachant aux conséquences éthiques des décisions prises ;
enfin elles favorisent les prises de décision collectives, une qualité importante pour la consolidation du processus démocratique en RDC[16].
Par ailleurs, dans la majorité des pays africains, et un peu partout dans le monde, sauf dans certains pays nordiques, l’exercice de la prise de décision reste une « affaire d’hommes ». Les femmes, astreintes d’abord à la sphère familiale et aux tâches ménagères, y sont considérées comme illégitimes, voire incompétentes. De nos jours, les femmes sont certes présentes, mais dans des proportions marginales, dans de petites entreprises. Elles sont par ailleurs bien représentées dans d’autres secteurs diversifiés qui reconnaissent leurs qualités: le commerce, les services essentiellement la restauration et l’hôtellerie, la production artisanale, et surtout l’agriculture maraîchère ou vivrière. Elles fournissent, tant bien que mal, à une bonne partie de la population les services et les produits de base dont elle a besoin sans malgré tout être associées aux processus de prise de décision et à la gestion de l’environnement public urbain et des activités économiques étatiques.
Et pourtant madame Ilaria Boniburini insiste pour dire que le droit de s’approprier la ville et de participer au processus de décision sont des points qui restent incontournables dans toutes les latitudes.[17]
Ainsi, il est impératif que la femme participe déjà au processus de prise de décision en ce qui concerne l’aménagement de l’espace, et dans l’élaboration des plans d’aménagement de la ville. Ce ne sont pas les compétences féminines en la matière qui font défaut : les palmarès des institutions de formation supérieures techniques locales et même étrangers africains sont parlants. Et sur le marché de l’emploi nous côtoyons bon nombre de professionnelles féminines très compétentes.
Dans son ouvrage intitulé Droit à la ville, le célèbre urbaniste Henri Lefèbvre rappelle que la participation est un autre thème obsédant dont il faut tenir compte. Il poursuit en disant que dans la pratique, l’idéologie de la participation permet d’obtenir au moindre prix l’adhésion des gens concernés et intéressés.[18]
Il est sûr qu’améliorer la situation des femmes, par l’aménagement des espaces urbains, en prenant en compte leurs préoccupations, contribuera à améliorer la situation de l’ensemble des ménages et en même temps de la société. C’est cela même leur contribution au développement local, spécialement à la réorganisation de l’espace. Il serait plus adéquat à la femme maraîchère, qui assure l’approvisionnement en produit vivrier de la ville de pouvoir retrouver des espaces de travail dans un environnement suffisamment proche des zones cibles de ses produits pour plus d’efficience et de facilité de transport. Surtout quand on est conscient des réelles difficultés de transport dans la ville de Kinshasa.
L’augmentation de la productivité permet une augmentation des revenus et des meilleures conditions de vie. Il faut pour cela alléger les tâches et la fatigue en réduisant la longueur des trajets à parcourir et le poids à transporter.
Autre exemple, concernant la distribution des bornes fontaines dans les villes de la RDC où l’eau potable demeure encore un problème, les villes telles que Mbuji Mayi, Kikwit ou Mbandaka pour ne citer que celles-là et même dans les zones périphériques de Kinshasa, ne sont que partiellement approvisionnées en eau potable. Le positionnement des bornes fontaines installées ne tient souvent pas compte des distances à parcourir et les femmes, qui ont cette charge ménagère, doivent parcourir des distances considérables et parfois très peu sécurisantes . Elles sont exposées à toutes sortes de risques qui, parfois, coûtent même la vie à certaines. Les femmes ne font pas partie des commissions de décision, encore moins sont-elles consultées. Nous pensons que ce serait là un début de solution : la consultation et l’implication des femmes dans le processus de prise de décision.
La femme comme actrice importante dans la régulation de la vie en société
Nul ne peut ignorer que la femme est la première victime tant dans les conflits armés que dans un contexte de dégradation du tissu social et urbain alors que ce sont les hommes qui possèdent la puissance de décision. Ce sont eux qui décident la réhabilitation ou l’amélioration du cadre de vie et pourtant la femme a des préoccupations sociales et des priorités différentes de celles de l’homme. Elle joue un rôle important dans l’économie de la capitale et partant du pays. Par exemple, la femme est debout à quatre heures du matin pour aller chercher du pain à vendre chaque jour, parcourant parfois des distances importantes sur des routes peu sûres. Elle produit un revenu important mais qui reste officieux et peu reconnu ni normalisé mais qui a son influence sur l’économie nationale.
Aujourd’hui, par exemple, Kinshasa, la capitale de la RDC, est particulièrement confrontée à un phénomène de bandes urbaines de jeunes délinquants communément appelés les « Kuluna ». Or dans ce domaine, les femmes peuvent être activement impliquées dans le processus de résolution, de gestion, de prévention et de régulation de ce fléau qui affecte la qualité de vie de la capitale. En effet, de par leurs dispositions intrinsèques et sociales, les femmes peuvent contribuer à la restauration de la paix civile, la sécurité, l’ordre public, la stabilité sociale, la justice transitionnelle par la médiation par le dialogue visant à maintenir l’équilibre sociale de la ville. (Jean-Jacques Wondo O.)
Il est urgent d’identifier la femme comme atout et espoir de la RDC dans un contexte où ce pays post-conflit, confronté à la fois aux tensions sécuritaires et socioéconomiques, aux velléités déstabilisatrices endogènes et exogènes impliquant un exode rural massif qui étranglent les centres urbains, notamment la capitale Kinshasa. Cela consisterait à postuler l’hypothèse selon laquelle la femme serait une réponse appropriée à la problématique de la bonne gouvernance, de la stabilisation institutionnelle, du développement urbanistique et du développement de la RDC en quête de son émergence socioéconomique. (Jean-Jacques Wondo O.)
Malheureusement, la Femme Congolaise, dans ce domaine, on le constate, est entravée dans ses potentialités d’actrice sociale par le dispositif et le mécanisme des normes conservatrices ethno-socio-légales (latentes ou apparentes) misogynes. Des pesanteurs qui empêchent à la femme d’occuper pleinement sa place dans la réorganisation et la gestion de l’espace urbain. Par une telle structuration sociale, la femme est astreinte à des fonctions limitant sa liberté et ses qualités de créativité et d’innovation en matière de progrès social et de bien-être collectif. (Jean-Jacques Wondo O.)
Accroître la représentation des femmes dans la gestion de la cité
L’objectif doit être d’accroître la représentation des femmes dans le secteur public, y compris aux fonctions décisionnelles. Cela en vue de contribuer au développement social et économique du pays. La division du travail en RDC est telle que la femme occupe en grande partie la responsabilité de production agricole et vivrière mais pas les revenus qui en sont générés. Alors que l’homme s’accapare des activités administratives. Toutefois, dans les zones urbaines, la femme occupe de plus en plus l’espace informel en se livrant aux activités de production lucratives. Le rôle de la femme dans le secteur informel de survie ou de subsistance en RDC n’est plus à démontrer. Les mutations du statut de la femme induites aussi bien par la colonisation, les indépendances, les politiques agraires, les processus de démocratisation ou les mutations dans l’organisation administrative et institutionnelle des Etats africains l’ont affecté. Plutôt qu’un réel bouleversement dans la perception classique de la femme, ces transformations ont creusé l’écart entre les représentations et l’importance du rôle réel des femmes. Ses tâches se sont multipliées mais restent résiduelles, ce qui les rend presque invisibles.
C’est particulièrement dans le domaine de la prise de décision que le rôle des femmes et leur leadership peinent à émerger. Les décentralisations politiques entreprises dans beaucoup de pays africains dans le but de favoriser le développement local en impliquant davantage les acteurs sociaux auraient pu offrir à la femme une chance de valoriser son statut social et politique, et son leadership. Malheureusement, la répartition des rôles masculins et féminins reste tenace dans la société africaine, et, en pratique, la situation a peu changé. Il paraît dès lors urgent de s’impliquer dans l’amélioration des rapports homme-femme par la promotion du genre afin de réduire les inégalités. L’analyse du genre doit être une analyse globale contextuelle (en rapport avec la problématique des centres urbains) et interactionnelle (systémique et sociétale en tenant compte des interactions entre les différents acteurs de l’espace urbain parmi lesquels, la femme.(Jean-Jacques Wondo O.)
Selon les experts de l’ONU, les objectifs internationaux en matière de développement, tels que les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ne seront pas atteints si l’égalité des genres et les droits des femmes ne sont pas réalisés. Quelques données indiquent clairement la féminisation de la pauvreté: quelque 70% des personnes qui vivent dans une pauvreté extrême sont des femmes et des jeunes filles, alors que 70% des femmes et des enfants vivent en-deçà du seuil de pauvreté; la part des femmes dans les salaires mondiaux est de 10%, parmi les analphabètes, elles sont 66% et elles représentent 59 % des malades infectés par le VIH. Ce n’est pas un hasard que les pays qui occupent le plus des femmes dans les postes de direction ou de prise de décision (politique, entreprise, territoriale…) sont ceux qui ont un système éducatif performant. Or en RDC, on observe des carences dans les programmes d’éducation en général et d’éducation à la citoyenneté participative destinés aux femmes et aux jeunes filles. (Jean-Jacques Wondo O.)
A la Conférence de Beijing, sur les 189 pays qui se sont engagés à promouvoir le statut des femmes, seuls 21 pays ont accordé le niveau de priorité le plus élevé à la question du renforcement de la participation des femmes à la prise de décisions à tous les niveaux. Les pays qui ont adopté des politiques de discrimination positive envers les femmes sont de plus en plus nombreux. Il est important que la RDC s’aligne sur cette mouvance. L’article 4 de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes autorise l’adoption de mesures temporaires spéciales visant à accélérer l’instauration d’une égalité de fait entre les hommes et les femmes. Dans le Programme d’action de Beijing, il est demandé aux gouvernements de réaliser l’égalité d’accès des femmes aux structures du pouvoir et aux postes de décision, au besoin par des objectifs chiffrés et des mesures de discrimination positive. (Jean-Jacques Wondo O.). Bien que dans certains pays le principe même d’égalité s’oppose à l’adoption de mesures volontaristes en faveur des femmes, d’autres ont mis en place des programmes de discrimination positive :
Le Ghana a adopté des mesures discriminatoires positives réservant aux femmes 40 % des sièges dans les organes de prise de décisions.
L’Ouganda a créé un ministère des femmes, du travail et du développement social, chargé de mettre en œuvre la politique nationale de discrimination positive.
Au Cameroun, en El Salvador, au Nigéria, au Paraguay et aux Seychelles, les femmes ont créé leurs propres réseaux politiques regroupant organisations locales, mouvements féministes et élues politiques.
La Chambre des députés du Rwanda est l’assemblée la plus féminine du monde avec le taux de participation des femmes à la vie politique : 64% à la Chambre, 38 % au Sénat, 47 % au gouvernement. Les femmes sont aussi près de 40 % dans les sphères judiciaires et dans les administrations locales. Et la politique de promotion du genre au Rwanda a sans doute impacté son développement. Le rapport économique 2012 coproduit par la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et l’Union africaine (UA) pour la période 2008-2012 place le Rwanda en cinquième position des top dix des pays les plus performants en termes de croissance moyenne annuelle . Cette forte croissance s’est traduite par une augmentation régulière du revenu annuel par habitant, qui est passé de 225 dollars en 2000 à 693 dollars en 2013. Le pays a réduit le taux de pauvreté du niveau de 58,9 % en 2000 à celui de 44,9 % en 2011. La proportion de la population vivant dans la pauvreté a sensiblement diminué de 79% à 63 % entre 2000 et 2011 . La mortalité infantile des enfants de moins de cinq ans a diminué de 76 à 52 par 100 000 habitants entre 2008 et 2013, selon les chiffres du PNUD. Le Taux de scolarisation primaire est passé de 86,6 % en 2006 à 91,7% en 2011. L’alphabétisation des 15 à 24 ans est passée de 76,8 % en 2006 à 83,7% en 2011.
En Inde par exemple, dans les villages où les conseils municipaux ont des quotas femmes/hommes, on constate que l’accès à l’eau potable, la couverture vaccinale et les routes sont meilleurs, et que la corruption est plus rare.
Eu égard aux qualités mentionnées dans cet article qui sont reconnues à la Femme Congolaise, en l’occurrence celles de compétence, de travailleuse acharnée, rigueur et de moteur économique de l’Etat, outre sa fibre sociale, il faudra conforter sa participation et la contribution efficiente qu’elle apporte, à l’instar de l’homme, à la réorganisation de l’espace urbain, à l’exercice de la bonne gouvernance et bref, au processus de développement intégral.
Conclusion
Cet article pourrait amener à élaborer des recommandations pour les décideurs politiques et les « aménageurs » afin qu’ils puissent adopter des mesures adaptées aux réels besoins des femmes dans la société. Ils doivent prendre en compte la dynamique « femme » dans les organes de décision.
Si les femmes leader émergent, elles pourront partager, échanger leurs idées et apporter leur contribution aux problèmes de gestion et réorganisation de la ville.
La participation des femmes à la vie sociale et économique, et à la gestion publique est l’un des objectifs du millénaire pour le développement. Cette participation est essentielle pour donner aux femmes des moyens d’action et faire prévaloir et respecter leurs droits, mais aussi pour leur permettre de participer activement à la vie communautaire. Cependant, les disparités entre hommes et femmes demeurent encore énormes dans la société congolaise. Le plus important, c’est que les femmes soient partout parties prenantes des processus de décision, à quelque niveau que ce soit et dans tous les secteurs de la vie de l’Etat, que leurs voix soient entendues.
Les initiatives visant à renforcer la participation des femmes dans les structures de prise de décisions doivent être renforcées. Cela ne doit pas demeurer de l’ordre des slogans politiques
Il faudra que les décideurs politiques et les acteurs sociaux continuent à œuvrer pour doter la femme congolaise des moyens à même de lui permettre d’être partie prenante dans le processus décisionnel et de développement de la société congolaise en l’encourageant à s’impliquer davantage dans la vie de la nation et à occuper les différents postes de la fonction publique et la territoriale (dont l’aménagement du territoire) et des postes des fonctions dirigeantes dans les entreprises privées sans exclusive.
La Femme Congolaise est une ressource sociale, économique et politique précieuse et indispensable, mieux le partenaire de l’homme dans l’entreprise de la bonne gouvernance et du développement.
3 Comments on “Le rôle de la femme dans la gestion de l’espace urbain à Kinshasa – Jeannette Kayembe M.”
Prof. Lievin CHIRHALWIRWA
says:Bravo à l’Architecte Jeannette KAYEMBE pour cette belle publication.
Un clin d’œil à Jean-Jacques WONDO O. pour sa contribution et pour la mise en valeur des articles scientifiques.
dr joel mutamba
says:Félicitation a l architecte Kayembe Musau et grand Merci a Mr Wondo pour la diffusion de ce travail scientifique qui, par son sujet et son auteur souligne la place de l apport de chacun indistinctement de sexe dans la réflexion sur la vie quotidienne et sur les sujets purement techniques
SendulaMutoba Dorcas
says:Félicitation à l’architecte Kayembe Musau et grand Merci à Mr Wondo