Le Parcours du « Maître »
Par Tshieke Bukasa
Le Phare, 25 avril 2016
Auteur-compositeur de talent et chanteur très particulier dans son registre « voix de coq », il était capable d’évoluer, selon le prof. Jean-Pierre François Nimy Nzonga, auteur du Dictionnaire des Immortels de la musique congolaise moderne, très à l’aise sur trois octaves conjointes.
De souche « Anamongo (Otetela) », Jules Shungu Wembadio, encore bébé, s’établit à Kinshasa avec ses parents. Fils aîné, Jules Shungu grandit sous l’appellation de « Papa ». Telle est, en effet, la tradition dans certaines familles congolaises qui vise à souligner le caractère sacré de la primogéniture. L’aîné de sexe masculin assure, de ce fait, la succession du père et prend sur lui la responsabilité de chef de famille (élargie).
Son géniteur est un ancien soldat de la Force publique, à l’époque de la colonie, et un vétéran de la seconde guerre mondiale. Quant à sa mère, pleureuse de profession, elle peut à juste titre être considérée comme l’élément détonateur de la vocation musicale de Jules Wembadio. En effet, celui-ci ne rate aucune occasion de l’accompagner dans ses diverses prestations.
Jules Shungu n’a que 20 ans, en 1969, lorsqu’il décide d’embrasser la carrière musicale. Il intègre l’orchestre Stukas Boys au sein duquel il compose sa toute première œuvre inédite « Madrigal ». Le chanteur n’y livre que 4 concerts avant d’accepter l’offre de D.V. Moanda et de faire partie d’un nouvel ensemble en gestation. Au cours de cette même année donc, 1969, il participe à la fondation de l’orchestre Zaïko.
Sous l’influence des années « sixties », marquées par le grand succès du King Elvis Presley, le jeune chanteur s’affuble du pseudonyme de Jules Presley au sein de l’orchestre Zaïko.
De 1969 à 1974, l’orchestre innove en matière de rythme et le Zaïko finit par s’imposer dans le microcosme musical congolais. Au sein de Zaïko Langa Langa, nouvelle désignation de l’ensemble, Jules Presley donne la pleine mesure de sa façon de chanter toute singulière. Il possède, en effet, le timbre le plus aigu de toute la confrérie et devient la coqueluche d’un large public acquis à l’orchestre.
Grand auteur compositeur, il se place, par ses œuvres aguichantes, au sommet du hit-parade et ne laisse personne indifférent : « Pauline », « Chouchouna », « Liwa ya somo », «MT la vérité», «Vie ya mosolo», « Amoureux déçu », « Miyelele », « Naleli yo, Bibi, Zonga Zonga », etc.
Désormais vedette à part entière, il se surnomme « Papa Wemba » et ce sobriquet s’identifie à lui et l’accompagne, le reste de sa carrière. Cinq années durant l’artiste contribue grandement au bonheur des mélomanes.
Hélas, en 1974, Papa Wemba avec quelques camarades, Evoloko, Mavuela Somo et Bozi Boziana quitte l’ensemble Zaiko Langa Langa et s’enva créer l’orchestre « Isifi Lokole » où sera accouchée la chanson « Amazone », œuvre coruscante qui vient confirmer son leadership.
En 1976, Papa Wemba en compagnie de Mavuela Somo, Bozi Boziana et Mbuta Mashakado, monte « Yoka Lokole » qui ne dure que l’espace d’un matin. Papa Wemba se sent les coudées franches pour disposer de son propre ensemble. Aussi, en 1977, crée-t-il l’orchestre « Viva la Musica ».
L’école Viva La Musica
Devenu pratiquement l’archétype du Kinois à la mode, Papa Wemba invente le « Village Molokai » et se fait introniser « Chef coutumier ». Ce village, stéréotype du quartier Matonge, comprend les rues de Masimanimba, Oshue, Lokoloma, Kanda-Kanda et Inzia.
Il impose un style vestimentaire, une démarche, un certain « parler », bref une allure générale qui caractérise les « Sapeurs ». Appelé ainsi « Roi de la sape », il porte en même temps plusieurs autres sobriquets qui ne sont que le reflet de sa progression dans les bonnes grâces d’un public de plus en plus enthousiaste : Kuru Yaka, Bokulaka ou vieux Bokul, Fula Ngenge, Ekumany Bakala Dia Kuba, Linioko ya Tembe, Vieux Boa, Petit Rossy, Le parrain (son futur surnom pour le prochain album), etc. Côté discographique, il aligne «Mère Supérieure», «Analengo».
En 1979, il décide d’intégrer, un moment, l’orchestre Afrisa International de Tabu Ley Rochereau aux fins de peaufiner ses connaissances musicales. Il y enregistre « Lèvres roses » dont la réussite est totale.
Renouant avec son orchestre, il se retrouve à la tête d’une panoplie d’artistes aux talents complexes et complémentaires tels Emeneya, Jadot le Cambodgien, Sangwa Maray Maray, Djenga Kisangani Esperant, Bipoli Guimares, Safro Manzangi, Reddy Amisi, Stino l’As de la chorale, etc.
Son étoile augmente d’intensité et à partir de l’an 2000, une carrière internationale solidifie le succès de l’artiste. Avec une nouvelle génération d’artistes, il met sur pied à Kinshasa une aile de Viva la Musica dénommée « Nouvelle Ecriture ». Des chanteurs comme Bendo Son, Pompon Miyake, Ibos, Al Patchino, Pathy Patcheco, Bogus Bompema, Ramazani etc., vont l’accompagner dans ce nouveau virage.
Incarcéré quelques semaines dans une affaire d’immigration clandestine en 2004, l’artiste est sorti de l’épreuve porté en triomphe, tel un phénix renaissant de ses cendres. Pour ses fans, en effet, cet épisode douloureux est à mettre sur le compte des impondérables de la vie.
Génie créateur, son dernier album sur le marché est intitulé « Maitre d’école ». Œuvre de haute facture, il a associé quelques grands noms de la musique nationale et internationale pour sa réalisation. Notamment JB Mpiana Nyoka Longo, Barbara Kanam, etc.
Tshieke Bukasa
Le Phare

Pour rappel, « le baobab de la rumba congolaise, Kuru, Ekumani, Bokul, Fula Ngenge, Kema Mfumbe, Mwalimu, 100% Star, Bakaka dia Kuba, Jules, Jeune premier, Roi de la religion Kitendi, le Maître d’école, … a tiré sa révérence dans la nuit du samedi 23 avril au dimanche 24 avril 2016 en pleine prestation musicale à Abidjan en Côte d’Ivoire« . (Jean-Jacques Wondo)
La deuxième grande scène du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (FEMUA) qui se tenait dans la nuit du samedi au dimanche à Abidjan, a été brusquement interrompue aux environs 5h30 (heure locale et Gmt), lors du passage de la star congolaise Papa Wemba, victime d’un malaise qui l’a affaissé en pleine prestation, a constaté l’Agence de Presse Africaine (APA) dans la capitale économique ivoirienne.
« Le Roi de la sape », Papa Wemba et son orchestre très attendus à ce festival initié par le groupe ivoirien Magic System faisait vibrer les mélomanes qui attendaient patiemment une belle fin de soirée avec leur idole venu de Kinshasa lorsque ce drame est intervenu. NST Cophies, (Côte d‘Ivoire), Kerry James (France), Charlotte Dipanda (Cameroun), John Kiffiz (Côte d’Ivoire) ont précédé l’artiste congolais sur la scène.
DESC présente ses condoléances les plus attristées à la famille biologique du disparu ainsi qu’à la grande famille de la musique africaine dont Papa Wemba fut un de ses illustres porte-étendards qui a fait rayonner la grandeur de la culture africaine aux quatre coins du monde. Salut et Merci l’Artiste!
Musavuli Boniface (DESC): « L’histoire retiendra que Papa Wemba est mort comme Molière, sur scène. »
Post-scriptum de Jean-Jacques Wondo
Ce lien très instructif, quoique traduit littéralement d’anglais, détaille et illustre l’influence sociologique de l’œuvre artistique Papa Wemba sur l’évolution sociopolitique et culturelle de la République démocratique du Congo :
http://epoque-du-villagemolokai.skyrock.mobi/.
De nos jours, dans un monde globalisé et interdépendant où les facteurs traditionnels de la puissance définis par Raymond Aron et Hans Morgenthau perdent de leur influence, la culture devient un facteur important de ce que Joseph Nye et Suzanne Nossel appellent soft power. C’est-à-dire une conception de la puissance fondée sur l’attraction d’un modèle culturel (la langue anglaise pour les Etats-Unis, langue utilisée dans le cadre du commerce international, le Reggae, le RnB ou le RAP à la base des mouvements contestataires citoyens africains), sur l’influence des canaux d’information (CNN, Al-Jazeera…), sur la maîtrise du savoir et des connaissances avec le développement exponentiel des think tank (knowledge is power). C’est le cas notamment de l’attractivité des Universités américaines dans la formation d’une grande partie des élites mondiales, particulièrement chinoises ces dernières années (Les universités américaines accueillent aujourd’hui 770.000 étudiants étrangers dont un quart sont chinois).
L’importance de la culture dans le domaine stratégique a amené l’introduction de la notion de culture stratégique dans le développement de la stratégie générale des Etats puissants. Celle-ci est la référence à la culture comme outil d’explication des phénomènes guerriers, stratégiques et de sécurité. C’est l’idée qu’il existe des styles spécifiques, des styles (culturels) nationaux en matière stratégique. C’est ainsi qu’il est admis que les études stratégiques doivent tenir compte des Low Politics autant des High Politics et analyser les aspects sociaux, culturels, écologiques, ou idéologiques, qui contribuent à redéfinir les problèmes de sécurité et la politique sécuritaire des Etats.
Par ailleurs, dans un Congo résistant aux projets de balkanisation de son territoire, la musique congolaise joue un rôle important dans la consolidation de la cohésion nationale et de l’identité nationale congolaise. Les populations congolaises de l’est du pays s’identifient naturellement à la musique kinoise lingalophone, chantée à plus de 1500 Km, comme faisant partie de leur identité intrinsèque que par les influences de la musique swahilophone produite à un jet de pierre des frontières dans les pays limitrophes de l’est de la RDC.
Jérôme Kengawe Ziambi (DESC): Un souvenir de Papa Wemba: « Au cours d’un voyage dans ma jeunesse il y a quelques années, dans un coin perdu, un américain me demanda d’où je venais, je lui répondis à l’époque : du « Zaïre « , son visage s’illumina, d’un coup, il répliqua avec une autre question « do you know Papa Wemba ? Il prononça plutôt « woumba ». Je lui ai dit bien sûr. Avec beaucoup de joie, il me déclara « papa woumba is a famous singer and I love his music ». En bref, papa est un célèbre chanteur et qu’il aime. Pour un américain qui n’a jamais été ni au Zaïre ni en Afrique, connaître ce pays à travers Papa Wemba est un hommage au Congo pour lequel je peux témoigner ».
Sélectionné par Jean-Jacques Wondo Omanyundu