Le paradoxe de la liberté d’expression en Afrique et en R.D. Congo
Par Jean-Bosco Kongolo
La marche organisée le 11 janvier 2015 à Paris en hommage aux journalistes et dessinateurs du journal Charlie-Hebdo, a eu le mérite de démontrer que la France est et demeure le précurseur de la défense des droits de l’Homme. Tous les continents, toutes les races et toutes les religions y étaient représentés à de degrés divers et de plusieurs manières.
L’Afrique a aligné pas moins de six Chefs d’État tandis que la R.D. Congo, même si elle n’y a pas été officiellement représentée, du moins au haut niveau, les images retransmises en direct par les plus grandes chaînes de télévision du monde nous ont permis d’apercevoir à plusieurs reprises son drapeau flotter plus haut au-dessus des têtes des manifestants.
Les actes terroristes à la base de cette manifestation ont été l’occasion pour plusieurs millions de citoyens du monde de découvrir pour la première fois l’existence de cet organe de presse ainsi que l’importance attachée à la liberté d’expression par la France et par n’importe quel pays qui se veut démocratique.
Au-delà de ces images et de l’indignation suscitée par ces actes de barbarie, nous nous sommes posé la question de savoir si la liberté d’expression, comme du reste toutes les libertés fondamentales, a la même signification et bénéficie de la même considération en Afrique et en RD Congo que dans tous les pays qui en font une valeur du monde civilisé et une composante incontournable de la démocratie.
Ce qu’est la liberté d’expression en la France et dans le monde occidental
Pour comprendre ce que la liberté d’expression signifie pour les Français et les occidentaux, il faut remonter à la révolution française de 1789, qui avait débouché sur la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, dont l’article 11 dispose :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Inspirée par la révolution française, l’Assemblée générales des Nations unies fit à son tour une déclaration dite « Déclaration universelle des droits de l’Homme » du 10 décembre 1948, dont voici les trois premiers paragraphes du préambule :
« Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde;
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme;
Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression. »
L’article 19 de cette déclaration est, quant à lui, consacré à la liberté d’expression en ces termes : «Tout individu a droit à la liberté d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quel que moyen d’expression que ce soit. »
Loin d’être de vains mots, juste pour embellir les textes constitutionnels et légaux, ces phrases sont, dans les pays véritablement démocratiques, des réalités vivantes qui permettent aux opposants et aux citoyens en général de participer à la gouvernance de leurs pays par le débat, la critique, les manifestations et même par des satires et caricatures choquant parfois les immigrants d’origine africaine ou asiatique. Combien de fois ne voyons-nous pas Barack Obama, Président des USA, ou Stephen Harper, Premier ministre du Canada, caricaturés de manière parfois irrespectueuse sans que cela entraîne pour les auteurs des poursuites judiciaires de la part des services du gouvernement ou des autorités concernées. L’image ci-dessous, représentant le premier Ministre (Stephen Harper) du Canada, nu, témoigne du degré élevé de l’expression « Liberté d’expression » au Canada et dans les pays réellement démocratiques. Ce tableau est l’œuvre de la peintre ontarienne Margaret Sutherland.
Le nu de Stephen Harper vendu pour 5000 $
« La peinture est actuellement accrochée au mur de la bibliothèque publique de Ingestion, où un concours d’art a lieu jusqu’à la fin du mois.
Selon ce qu’elle a publié sur sa page Facebook, sa représentation du premier ministre a suscité un véritable tsunami médiatique et de nombreuses offres d’achat au cours du week-end, a soutenu Margaret Sutherland. Pour l’artiste qui a produit cette œuvre l’an dernier, le but de l’œuvre était d’abord satirique. Le tableau fait référence au conte «Les nouveaux habits de l’empereur» du célèbre écrivain Christiania Mandèrent dans lequel l’empereur défile nu devant ses sujets par ce qu’on lui avait dit que ses vêtements ne seraient invisibles que par ceux qui ne partageaient pas ses opinions. » (Source : la Presse.ca, 23 mai 2012, http://www.lapresse.ca/arts/arts-visuels/201205/23/01-4528054-le-nu-de-stephen-harper-vendu-pour-5000-.php)
C’est ainsi qu’usant de ce droit, la diaspora congolaise de l’Europe et de l’Amérique du Nord avait investi en 2011, les rues de plusieurs capitales et autres grandes villes pour protester contre les résultats de l’élection présidentielle, qu’elle considérait avoir été gagnée par E.Tshisekedi alors qu’à Kinshasa, ce dernier était lui-même « emprisonné » dans sa propre résidence pendant plusieurs mois soit disant que c’était pour le protéger. Qu’en est-il donc de la liberté d’expression en Afrique et en R.D. Congo?
La liberté d’expression en Afrique et en R.D. Congo
A ce jour, presque tous les pays africains sont membres de l’ONU et en cette qualité, tous ont adhéré à déclaration universelle des droits de l’Homme ainsi qu’à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, du 26 juin 1981, dont on peut lire à l’article 9.2 :
« 1. Toute personne a droit à l’information.
- Toute personne a le droit de s’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements. »
L’adhésion à ses instruments juridiques internationaux est d’ailleurs confirmée et matérialisée dans presque toutes les constitutions du continent, qui reprennent ce droit parmi les libertés considérées comme fondamentales et même non négociables : Sénégal (art. 8,1), Niger (art.30), Mali (art.4), Tchad (art. 25), République du Congo/Brazzaville (art.19), Burkina Faso (art.8), Côte-d’Ivoire(art.9) pour ne citer que ceux-ci, et le Gabon qui s’est même doté de sa propre charte nationale des libertés, dont l’article 5,2) réaffirme la liberté de la presse.
Au Congo/Kinshasa, la Constitution, tout « en réaffirmant notre adhésion et notre attachement à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et des peuples, aux conventions des Nations Unies sur les droits de l’Enfant et sur les Droits de la Femme, particulièrement à l’objectif de la parité et de représentation homme-femme au sein des institutions du pays ainsi qu’aux instruments internationaux relatifs à la protection et à la promotion des droits humains » (préambule), dispose en son article 23 : « Toute personne a droit à la liberté d’expression.
Ce droit implique la liberté d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs. »
Dans la pratique, comment est vécue cette liberté ainsi que d’autres par les peuples africains et congolais? Autrement dit, quelle importance est accordée à toutes ces belles dispositions par ceux-là mêmes qui ont reçu mission d’en assurer le respect et la protection : les pouvoirs publics? C’est aussi chercher à savoir si en Afrique et en R.D.Congo la dignité humaine bénéficie de la part des pouvoirs publics de la même considération que dans les pays occidentaux, de l’Europe et de l’Amérique du Nord (Canada et USA).Une petite ronde dans quelques pays triés à la volée( Égypte, Guinée Conakry, Gabon et R.D. Congo) nous permettra de nous faire une idée sur les réalités des droits de l’Homme en général et de la liberté d’expression en particulier, sur le continent africain.
La Guinée/Conakry
« La censure de la presse par le gouvernement du président guinéen Alpha Condé menace les progrès démocratiques accomplis par son pays ces derniers mois, estime le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) dans un communiqué reçu samedi par l’AFP à Dakar.
« Nous demandons au président Condé de mettre fin à ces restrictions », affirme dans ce texte Mohamed Keita, un responsable pour l’Afrique du CPJ.
Dans un rapport à l’issue d’une mission en Guinée également reçu par l’AFP, Reporters sans frontières (RSF) « recommande » au président Condé « de s’affirmer publiquement comme garant de la liberté de la presse et du respect du pluralisme des médias ». » (Source : Siged, 14/01/2015 http://www.siged-diplomatique.com/fr/6/175/analyses_thematiques.html)
Il est utile de savoir qu’avant son accession à la magistrature suprême, le Président guinéen était un des plus vieux et des plus farouches opposants du Continent et dont on était en droit d’attendre un peu plus de démocratie que ses prédécesseurs.
L’Égypte
Après leur Printemps arabe, consécutif au long règne du président Moubarak, les Égyptiens avaient cru le moment venu de découvrir enfin les vertus de la démocratie et de la liberté d’expression, c’était mal connaître l’autoritarisme caché du nouveau régime : « Un humoriste égyptien en passe de devenir le symbole d’une liberté d’expression bafouée. Bassem Youssef s’est présenté de lui-même au bureau du procureur au Caire afin d‘éviter une interpellation. L’humoriste a été interrogé, avant d‘être libéré sous caution. Bassem Youssef est accusé d’insultes au président Morsi et à l’islam, ce qui révolte les partisans de l’animateur : “Bassem Youssef a dit les mots justes sous le règne de l’ancien président, sous le Conseil militaire et maintenant avec les Frères musulmans, dit une jeune fille, et nous le soutenons parce que c’est un véritable média, il est honnête dans son travail et dit la vérité. Nous voulons renverser ce régime injuste et corrompu.” Comme il le fait dans son émission, Bassem Youssef a continué à se moquer, publiant pendant son interrogatoire des commentaires ironiques sur Twitter. Il n’est pas le seul à s’attirer les foudres du pouvoir : selon les militants des droits de l’Homme, une vingtaine de plaintes auraient été déposées pour insulte à Morsi depuis neuf mois de pouvoir, soit quatre fois plus que durant les 30 années Moubarak. » (Source : Euronews, https://fr.news.yahoo.com/video/bassem-youssef-coup-projecteur-sur-000612668.html)
Le Gabon
Dans ce pays de l’Afrique centrale, le sort des journalistes et de la liberté d’expression n’est guère différent de ce qu’il est sur l’ensemble du Continent : « Comment évolue la liberté de presse au Gabon ?
C’est un peu compliqué. Au Gabon, beaucoup n’osent pas écrire, et même s’il y en a qui le font, ils voient leurs journaux censurés par le Conseil national de la communication(CNC). Des journalistes sont souvent menacés, le CNC ne joue pas son rôle et protège plus le parti et les médias du pouvoir. Beaucoup vont créer leur site sur internet. Quand je vois la liberté de ton qu’il y a au Cameroun voisin, je me dis qu’au Gabon, beaucoup reste encore à faire. Ali 9, lors des vœux, a reçu la presse et donné des garanties quant à la liberté. C’est une bonne chose. On attend maintenant la suite, avec les premiers articles défavorables à lui et à son régime.
Quel souvenir gardez-vous de votre court séjour en prison ? En colère ? Amusé ?
Pas en colère, beaucoup plus amusé. C’est vrai que j’aurais pu vite faire cesser mon supplice lors de mon séjour en prison, mais je voulais voir jusqu’où les bidasses pouvaient aller dans leur bêtise en me mettant en tôle à cause d’un dessin. Ça m’aurait plu qu’ils me défèrent, comme ils disaient, devant le procureur de la République. J’aurais aimé connaître le délit invoqué. Mais, hélas, je suis sorti trop tôt. » Celui qui parle ainsi, c’est Pahé, un dessinateur bien connu de la presse gabonaise (Source : Jeune Afrique, 17/01/2011 http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20110117165006/gabon-censure-caricaturiste-omar-bongo-ondimbapahe-au-gabon-des-journalistes-sont-souvent-menaces.html)
La R.D. Congo
Ici, une seule question mérite d’être posée : la liberté d’expression, fait-elle partie intégrante de la révolution de la modernité ? Au regard des faits sociopolitiques quotidiens, il nous semble que cette composante incontournable de la démocratie, de l’État de droit et de la cohésion nationale ait été oubliée dans le programme d’action du gouvernement congolais. Tout se passe comme si la justice et les services de sécurité de la Troisième République étaient encore nostalgiques du plus fort temps du MPR, Parti-État, qui ne tolérait pas de contradiction et dont la personne du Guide était sacrée. En effet, depuis 2006, tout Congolais honnête est en mesure de citer au moins un journaliste assassiné, un organe de presse fermé ou suspendu, une manifestation pacifique de l’opposition réprimée violemment, des défenseurs des droits de l’homme interpelés ou des citoyens jetés en prison pour leurs opinions. Il arrive même que des Congolais de la diaspora soient arrêtés et détenus sans procès lors de leurs vacances au pays, soupçonnés d’entretenir des relations avec l’opposition dans leurs pays d’accueil, comme si cela était vraiment un crime. « En 16 ans, selon un décompte de l’ONG Journaliste en Danger(JED), une dizaine de journalistes ont été tués en RDC. La plupart exerçaient dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, où des groupes armés locaux et étrangers sévissent parfois depuis deux décennies.
La RDC occupe la 151ème place (sur 180 pays) du classement mondial de la liberté de la presse 2014 établi par Reporters sans Frontières. »
(Source : Le Monde.fr avec AFP, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/12/27/un-journaliste-assassine-en-rdc_4546549_3212.html)
Ce qui est tout de même troublant, c’est qu’aucun de tous ces assassinats n’a jusqu’à présent jamais été élucidé par la justice pour identifier clairement les criminels et les punir. Les pouvoirs publics ne se sont surtout jamais montrés aussi préoccupés comme on l’a vu dernièrement en France pour défendre la liberté de la presse. Ils en sont au contraire les premiers fossoyeurs.
« La Radio Télévision Lubumbashi Jua (RTLJ), émettant à Lubumbashi (Katanga), est réduite au silence au terme d’un arrêté signé, jeudi 20 novembre, par le directeur de cabinet du ministre des Médias. Il reproche à cette entreprise audiovisuelle, appartenant à Jean-Claude Muyambo, d’«incitation à la haine et à l’insurrection». Les responsables de la RRLJ qualifient cette décision de «politique». Contacté, le ministre Lambert Mende précise que la suspension qui frappe la RTLJ est une mesure conservatoire pour non respect des dispositions légales de diffusion des entreprises privées du secteur audio-visuel. D’après le ministre des Médias, il appartiendra au Conseil supérieur de l’audio-visuel et de la communication (Csac) de prendre une décision finale. De son côté, le directeur général de la RTLJ, Guelord Mukanya, se dit surpris par cette mesure qu’il qualifie de «politique».Il indique que cela fait 3 ans que sa maison n’avait jamais changé sa grille de programme et il ne comprend pas pourquoi on les accuse d’incitation à la haine et à l’insurrection. » (Source : Radio-Okapi, 22.11.2014, http://radiookapi.net/actualite/2014/11/22/katanga-la-radio-tele-lubumbashi-jua-interdite-de-diffusion/).
Non seulement que pareille décision, qui s’éternise, ne relève pas des prérogatives du ministre de la Communication et des Médias, mais jusqu’à ce jour, le Conseil supérieur de l’audiovisuel ou la justice ne se sont jamais prononcés pour dire, hors de tout doute raisonnable, ce qui est vraiment reproché à cet organe de presse. Un autre cas qui choque les consciences est celui d’un ancien député du PPRD, actuellement en détention, poursuivi par le Procureur général de la République pour avoir émis son opinion sur un sujet d’actualité.
« D’après un communiqué publié par l’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj), le Parquet général de la République poursuit cet ancien député pour avoir fait une déclaration à travers certains médias de Lubumbashi dans laquelle il s’opposait à la révision constitutionnelle. Il lui est aussi reproché, selon la même association, d’avoir déclaré être favorable à la candidature du gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, à l’élection présidentielle de 2016.
L’Acaj dénonce cette arrestation qu’elle qualifie d’arbitraire. Elle exige la libération sans condition de Vano Kalembe et l’ouverture d’une enquête indépendante à ce sujet.
Dans son communiqué, cette ONG des droits de l’homme condamne également les menaces et intimidations dont font l’objet actuellement plusieurs personnes qui s’opposent à la révision constitutionnelle en RDC. Elle demande au chef de l’État de faire cesser toutes ces menaces. » (Source : Radio Okapi : 30 .12.2014, http://radiookapi.net/actualite/2014/12/30/rdc-lancien-depute-pprd-vano-kiboko-aux-arrets/)
Pour rappel, le débat sur la révision de la Constitution avait été pompeusement ouvert par le Secrétaire général du PPRD en personne, qui avait publié le 19 juin 2013 un livre intitulé ‘’ Entre révision de la constitution et l’inanition de la nation’’. Point n’est besoin non plus de rappeler que plusieurs personnes du camp du pouvoir s’étaient prononcées, jusqu’à initier des pétitions, en faveur d’un troisième mandat (non prévu par la constitution) du président sortant. D’où vient alors que tout son de cloche contraire soit érigé en infraction d’incitation à la haine et à l’insurrection pour justifier l’arrestation et la détention de ses auteurs? A moins d’avouer que le pouvoir judiciaire n’est pas encore indépendant malgré plusieurs textes de lois qui l’affirment, ces poursuites judiciaires procèdent d’un zèle et sont simplement honteuses pour un pays qui s’autoproclame « démocratique ». Il en est de même de poursuivre quelqu’un pour avoir annoncé son soutien à un membre influent du PPRD au cas où ce dernier présenterait sa candidature à la prochaine élection présidentielle. La MP devrait même se féliciter de compter parmi ses membres, quelqu’un en mesure d’opérer l’alternance interne et de permettre à cette famille politique de conserver légitimement le pouvoir.
Conclusion
Absents ou présents à la marche du 11 janvier à Paris contre le terrorisme et pour la liberté d’expression, les dirigeants africains ont étalé au grand jour leur hypocrisie. Alors que sur le continent, la dignité humaine et la liberté d’expression sont des crimes d’atteinte à l’ordre public, ils ne se gênent pas de se montrer compatissants envers les victimes des pays qui font de ce droit fondamental une valeur non négociable. Quel paradoxe! Il vaudrait pourtant mieux qu’ils commencent par faire de même envers les victimes quotidiennes de Boko Haram et des milices qui tuent, violent et pillent à l’Est du Congo ou en République Centrafricaine. C’est pourquoi, nous faisons nôtres les indignations de la presse française, reprises dans Jeune Afrique sous le titre :
Marche « Je suis Charlie » : les couacs des présidents africains
« En direct sur des chaînes publiques françaises, un rescapé de la tuerie de Charlie Hebdo, le journaliste Laurent Léger, indiquait que ‘’voir défiler Ali Bongo Odimba’’ ne pouvait pas lui faire du bien.
Plus méticuleuse, l’organisation Reporters Sans Frontières se fendait, ce même dimanche, d’une comptabilité de Chefs d’État et de gouvernement qui avaient l’impudence de fouler le bitume parisien, tout en respectant insuffisamment la liberté de la presse chez eux. Nous devons nous montrer solidaires de ‘’Charlie’’ sans oublier tous les Charlie du monde, déclarait Christophe Deloire, le secrétaire général de RSF. Dans son viseur : le même indésirable président gabonais, mais aussi Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères ou encore Boni Yayi, président du Bénin. L’émotion démonstrative de ce dernier-des larmes publiques et un jour de deuil national-a été à la hauteur des critiques à son égard. Et pas seulement de la part d’activistes européens…
Des organes de presse africains rappelaient qu’au Bénin, des journalistes du Béninois libéré ou de l’Indépendant, avaient été condamnés à des peines de prison pour offense à un chef d’État alors peu larmoyant. Et ce n’est pas tout. Les piques sont aussi venues de l’entourage d’homologues de ces présidents marcheurs. Bien entendu, les présidences nigérianes et camerounaises ont dénoncé les tueries de Paris comme un attentat odieux. Mais, dans les rues, on rappelle que le Cameroun et le Nigeria ont perdu, en dix ans, plus de 10.000 citoyens à cause du terrorisme, essentiellement à cause de Boko Haram. On susurre que certains élus africains préféraient une marche parisienne en mondovision à un soutien de proximité.
Il est vrai que le groupe islamiste d’Abubakar Shekau continue sa ‘’croisade morbide’’, débordant de plus en plus au Cameroun, notamment depuis les frappes aériennes depuis le pays de Paul Biya. Il sème la terreur, faisant des victimes par milliers, mais suscitant curieusement des réactions timides. Timides, en Occident, depuis l’essoufflement de la campagne ‘’people’’.
‘’Charlie’’ est-il indifférent au sort des victimes africaines du terrorisme? Certainement pas. Dans sa livraison ’’ Les survivants’’, ce 14 janvier, l’hebdo satirique évoque Boko Haram. Mais comme il ne prise pas la sensiblerie, il se fend d’un dessin, signé Foolz, qui représente les jihadistes devant un village nigérian incendié. L’un des agresseurs, Kalachnikov à la main, déclare : ‘’2000 abonnés que Charlie n’aura pas’’…Décompressons par un rire intelligent. Et comprenons Yayi Boni. Peut-être avait-il un peu de shopping à faire, en cette période de soldes parisiennes… (Source : Jeune Afrique, 15.01.2015, http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20150115191741/b-nin-cameroun-terrorisme-boni-yayi-l-oeil-de-glez-marche-je-suis-charlie-les-couacs-des-pr-sidents-africains.html)