La délégation provinciale de Lunda-Norte du ministère de l’Intérieur de l’Angola a condamné aujourd’hui la mort d’un agent angolais en République démocratique du Congo (RDCongo) par les forces armées du pays, qu’il a qualifié de « barbarie ».
« La délégation provinciale du ministère de l’Intérieur dans la province de Lunda-Norte condamne fermement et exprime sa profonde indignation devant la grande barbarie commise par les forces armées de la République démocratique du Congo », lit un communiqué publié le 6 juillet par le bureau des communications de l’institution.
L’enjeu est la mort d’un agent angolais, de la 7e unité de la police des gardes-frontières (PGF), « victime de tirs par les FARDC [Forces armées congolaises], au poste frontière de Tchitundo / RD Congo avec le Poste de Nachiri / Lunda-Norte, municipalité de Chitato », indique la note.
Le document explique que deux officiers étaient « officiellement en mission de service le long de la frontière, à bord d’une moto » lorsqu’ils ont rencontré un « camp occupé par des personnes habillées en civil et avec de grandes quantités de carburant stockées dans des tambours ».
La délégation provinciale du ministère de l’Intérieur a déclaré que les deux agents de PGF étaient « convaincus qu’il s’agissait d’un groupe de passeurs de carburant et de marchandises à l’intérieur » de l’Angola et qu’ils ont donc tenté de les photographier.
Le camp en question était composé d’un détachement des FARDC, situé à environ 300 mètres au-delà de la frontière.
« Des soldats des FARDC, une vingtaine d’éléments, ont décidé de les arrêter et, dans la vaine tentative d’évasion, ils ont été la cible de tirs d’armes à feu, entraînant la mort d’un agent et l’évasion d’un autre, apparu quelques heures plus tard, dans la sous-unité PGF / Chitato », a détaillé le communiqué.
Le document ajoute que des contacts ont été établis entre les deux pays et que le cadavre de l’agent a été livré, ainsi que la moto où les deux agents suivaient, mais les forces congolaises n’ont pas rendu de pistolet ni le téléphone portable de la victime mortelle.
La délégation provinciale du ministère de l’Intérieur a critiqué l’action des FARDC et rappelé un accord récemment signé.
« L’accord récemment signé le 10 juin de l’année en cours prévoit la non-utilisation d’armes à feu entre les forces, quelles qu’en soient les raisons, compte tenu de l’absence de signes visibles de délimitation de la frontière commune », a-t-il souligné la délégation provinciale du ministère angolais de l’Intérieur.
Si le ton de la déclaration paraît ferme, on constate cependant que le communiqué n’est signé que par la délégation du ministère de l’Intérieur et non par le Ministre lui-même. Selon des informations parvenues à DESC, l’idée est que l’Angola veut protester et mettre en garde les autorités congolaises sans toutefois tomber dans une escalade militaire avec son grand voisin du nord.
Notons que depuis son accession au pouvoir en janvier 2019, le président Félix Tshisekedi entretient d’excellents rapports diplomatiques avec son homologue angolais João Lourenço. C’est en Angola que le président congolais a effectué sa première visite d’Etat à l’étranger après son investiture. Depuis, les deux présidents se sont rencontrés régulièrement autour des questions liés aux challenges diplomatiques et sécuritaires de la région et entre les deux pays.
Mais ces fréquentes rencontres concernent également des enjeux économiques autour notamment du contentieux pétrolier entre la RDC et l’Angola en mer située face à leurs côtes, dans l’Atlantique. Un litige qui fait l’objet de l’arbitrage de l’ONU depuis 2010. L’Angola exploite de nombreux gisements face à ses côtes et à l’enclave de Cabinda (au nord du fleuve Congo). Kinshasa considère que l’essentiel de la production pétrolière au large de Cabinda lui appartient en fait. Il s’agit d’une zone maritime qui regorge d’importantes réserves offshore dans la zone d’intérêts communs (ZIC) créée par les anciens présidents José Eduardo Dos Santos lors de la 8ème commission mixte bilatérale Angola-RDC en juillet 2007 à Luanda (Misser, F. 2012 a : 200). Cette ZIC, inaugurée le 6 novembre 2007, dont l’accès aux ressources se heurte à des obstacles d’ordre politique, juridique et diplomatique, liés particulièrement à la délimitation de la frontière commune. Selon les calculs de la firme de Houston, Trinity Oil and Gas, qui avait proposé en juillet 2011 au gouvernement congolais une stratégie de négociation avec l’Angola, la ZIC couvre huit blocs qui recèlent 3,6 milliards de barils de réserves économiques restantes, auxquels il conviendrait d’ajouter une petite partie du bloc 14, opéré par Chevron Texaco, dont la production moyenne a été de 187 000 barils/jour en 2011 (Misser, F. 2010 : 151).
Le gouvernement de la RD Congo dénonce régulièrement l’entrée de soldats angolais sur son territoire, affirmant souvent être à la poursuite d’éléments du Front de libération de l’enclave de Cabinda (FLEC).
Pour rappel, entre 2007 et 2012, les troupes angolaises avaient occupé des villages congolais dans la province du Bas-Congo pour y contrer la présence présumée du FLEC, provoquant des déplacements de population. En août 2011 et en mai et novembre 2012, de nouveaux combats éclatent dans la région de Tshela (RDC) entre les Forces armées angolaises (FAA) et les combattants du FLEC. De même, en janvier 2007, les troupes angolaises avaient déjà occupé treize localités congolaises dans le territoire de Kahemba et ses environs, dans la province du Bandundu. Le drapeau angolais y avait été hissé, sur fond de contestation du tracé frontalier. Le territoire de Kahemba dispose de cours d’eau dont les alluvions sont particulièrement riches en diamants. Depuis 2003, plusieurs milliers de creuseurs clandestins de diamant congolais ont été expulsés des provinces angolaises voisines de Lunda Norte et Sul. Enfin, le 13 octobre 2013, un bataillon de militaires angolais – environ 500 hommes accompagnés d’engins blindés – en provenance de l’enclave de Cabinda, avait occupé cinq localités du Congo-Brazzaville, avant de se retirer après une négociation entre les autorités des deux pays. L’absence de réaction des autorités congolaises, à l’envoi de plusieurs rapports confidentiels, par l’Angola, relatifs aux activités du FLEC sur le territoire congolais, pourraient éclairer ce mouvement d’humeur côté angolais et l’incursion territoriale d’octobre 2013 (Luntumbue, M. & Wondo, JJ. 2015). Depuis 2017, à la suite des conflits meurtriers au Kasaï, l’armée angolaise a déployée son infanterie militaire, appuyée de tanks et d’une artillerie lourde, le long des frontières communes ouest et au nord-est de l’Angola, dans les provinces de Lunda Norte et de Mexico qui ont accueilli le gros des réfugiés congolais.