Initialement publié dans blog.kivusecurity.org
En février 2020, les acteurs armés ont tué 57 civils dans le Masisi. C’est un record, sur ce territoire,
depuis le début des relevés du Baromètre sécuritaire du Kivu(KST). Ce bilan dépasse même celui enregistré sur le territoire de Beni à la même période (39 morts), ce qui est inédit depuis septembre 2019.
L’explosion de violences contre les civils qu’a connu l e territoire de Masisi en février est lié à l’intensification de la guerre que se livrent le Nduma defense of Congo – Rénové ( NDC-R) et plusieurs milices rivales comme les Nyatura et les Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain ( APCLS). Ce conflit, qui touche d’ordinaire aussi les territoires de Walikale, Lubero et Rutshuru, s’est en effet concentré sur le Masisi. D’autre part, l ’intégration récente de miliciens, notamment Nyatura vivant avec leurs familles dans les rangs du NDC-R semble avoir davantage exposé ces civils lors des combats. Les Forces armées de RDC ( FARDC) sont restée largement passive lors de ces affrontements : elles n’ont été impliquées que dans un incident.
Dans le même temps, le nombre de civils tués sur le territoire de Beni a connu une baisse relative, en parti dû au déplacement des massacres commis par les ADF vers la province voisine de l ’Ituri. Par ailleurs, les FARDC semblent avoir opéré un changement de stratégie face à cet ennemi, en nouant notamment des alliances avec des groupes armés locaux et en redéployant une partie de leurs forces dans le Nord-Ouest du territoire, particulièrement touché par les massacres le mois précédent .
Enfin, les violences se sont poursuivies sur les hauts-plateaux de Fizi, Mwenga et Uvira, avec 21 meurtres sur ces trois territoires soit une très légère baisse par rapport à janvier ( 26). Ce niveau demeure très élevé. Ceci étant, après les violences record de janvier 2020 ( 210 morts), le nombre de morts violentes de civils a globalement baissé dans les Kivus : les acteurs armés ont tué au moins 153 civils en février. Cela reste toutefois très supérieur à la moyenne de 88 morts par mois enregistrée par le KST depuis le début de ses relevés, en juin 2017.
Beni : baisse relative des violences
Le nombre de civils tués a très nettement baissé sur le territoire de Beni en février avec 39 victimes civiles, contre 94 le mois précédent. Néanmoins, une partie de cette baisse est en trompe l ’oeil puisque des massacres ont été commis non loin du territoire de Beni, dans la province voisine de l ’Ituri, hors de la zone de couverture du KST. Selon les médias locaux, les ADF ont tué plus de 50 civils dans cette province entre mi-janvier et fin février .
Par ailleurs, à Beni, le niveau de violence reste nettement supérieur à la moyenne constatée avant novembre 2019 – elle était de 24 civils tués par mois. L’immense majorité des massacres reste attribués aux ADF (la mort de 33 victimes sur 39 leur est imputée).
Plusieurs autres hypothèses peuvent néanmoins expliquer cette baisse relative. Le redéploiement d’une partie des FARDC ( le 2102e bataillon notamment) à Mangina dans le Nord-Ouest du territoire, semble avoir évité des massacres. C’est dans cette zone que la majeure partie des tueries avaient été enregistrés le mois précédent.
Par ailleurs, pour lutter contre les ADF, les FARDC ont soutenu plusieurs groupes armés présents dans cette zone en armes et en vivres dont l es Mai-Mai Uhuru et l ’Union des patriotes pour la l ibération du Congo ( UPLC). Deux sources au sein de ces groupes l ’ont affirmé au KST, qui a pu vérifier la présence de matériel neuf habituellement utilisé par les
FARDC dans un de leurs camps lors d’une visite. Le 6 février, les Mai-Mai Uhuru ont attaqué les ADF à Mulolya , dans le Nord-Ouest du territoire.
Butembo – Lubero : les structures de santé ciblées
Après un mois de janvier particulièrement calme à Butembo ( aucune violence contre des civils n’avait été enregistré par le KST en janvier), l ’insécurité a de nouveau touché la cité avec 8 incidents ayant coûté la vie à 9 personnes, dont 2 civils.
Les structures de santé ont été particulièrement ciblées avec trois attaques, visant, à chaque fois, à s’approprier des ressources, au moyen de pillages ou de kidnappings. Leurs auteurs demeurent inconnus. L’insécurité des soignants, qui avait fortement augmenté lors de la « riposte » contre la maladie à virus Ebola n’a donc pas pris fin avec la décrue de l’épidémie.
La violence a en revanche connu une baisse relative dans le territoire de Lubero : le nombre d’incidents recensés est passé de 16 à 9. Cela pourrait en partie s’expliquer par un accroissement du nombre de reddition dans l es groupes armés présents sur l e territoire (notamment issus des Mai-Mai Kabido, Mazembe et du NDC-R), constaté à Kirumba.
Rutshuru : le NDC-R bat en retraite L’intensité des conflits a nettement baissé dans l e Rutshuru avec 33 incidents, contre 48 l e mois précédent. Le nombre de morts civils, en particulier, a drastiquement baissé, passant de 53 à 10.
Cela s’explique en partie par l e retrait du NDC-R, acteur majeur des conflits et auteurs de nombreuses exactions contre les civils en janvier, de certaines de ses positions, semble-t-il pour se concentrer sur l e territoire de Masisi ( voir ci-dessous). Ses positions à Gashavu, Mashango, Kinjugu, Mimba, Mutanda, Shonyi, Kavumu, Kinyamugezi, Kibwe, Muko, Kazuba,
Karambi, Kyahemba, Bukumba, Rubeha, Buhambira ou encore Kanyangohe ont ainsi été abandonnées.
Par ailleurs, l ’armée rwandaise, présente sur ce territoire fin 2019 pour traquer les rébellion hutu rwandaises était absente en février et les opérations des FARDC ont baissé en intensité (l’armée congolaise n’a été impliquée que dans 4 affrontements contre 10 le mois précédent).
L’indiscipline de l ’armée congolaise a en revanche persisté. Après une embuscade contre un véhicule militaire transportant la paie de soldats à Rwaza, le 20 février, faisant 7 morts chez les FARDC et causant la perte d’au moins 100 000 dollars, des militaires du 3416e régiment ont tué 4 civils et pillé des maisons lors de représailles indiscriminées ( lire notre billet de
blog « qui vole l ’argent des FARDC ») . Des FARDC ont aussi commis un kidnapping l e 8 février dans le village de Ruvumu.
Masisi : sale guerre pour les civils
Le mois de février a été extraordinairement meurtrier pour les civils du territoire Masisi avec 57 personnes tuées par les acteurs armés, soit le triple du bilan de janvier. Cela s’explique par l’intensification du conflit entre le NDC-R et ses principaux rivaux à Masisi que sont l ’APCLS souvent appuyé par des milices Nyatura, notamment de l ’Alliance
des patriotes pour la restauration de la démocratie au Congo ( APRDC). Ces derniers ont tenté de reprendre des positions au NDC-R, vu comme un groupe envahisseur ( il est originaire du territoire voisin de Walikale). Le leader du NDC-R, Guidon Shimiray, a notamment passé la majeure partie du mois de février dans le Masisi pour faire face à ces
attaques. Ces offensives ont finalement eu peu de succès mais les combats se sont néanmoins avérés extrêmement coûteux en vies civiles.
Une grande partie des victimes a été exécutée après avoir été accusée par les divers belligérants de collaborer avec leur ennemi.
Une autre partie a été victime collatérale des affrontements, comme ce fut le cas le 3 février, avec l a mort de 14 civils au cours d’une attaque des Nyatura Jean-Marie contre une position du NDC-R à Kitso. La plupart des civils tués étaient membres des familles des combattants du NDC-R.
Ce type de phénomène semble avoir été favorisé par la politique de recrutement du NDC-R ces derniers mois. Plusieurs milices, pour la plupart Nyatura, ont en effet été intégrés au groupe de Guidon Shimiray sans pour autant quitter leurs villages. Lors de l ’attaque de leurs positions, leurs familles, restées auprès d’eux, ont payé un prix particulièrement élevé.
Walikale : enlèvement et contestation locale
Walikale-centre a connu d’importantes tensions suite à l ’enlèvement de maître Obedi Kamala, coordonnateur territorial du Bureau d’étude et d’appui au développement de Walikale ( Bedewa) le 15 février. Cette organisation est très proche du député provincial d’opposition Prince Kihangi ( Kihangi est le cofondateur et ancien secrétaire général du
Bedewa).
Avant son enlèvement, Me Obedi accusait l ’administrateur du territoire, Joseph Sukisa Ndayambaje, de le menacer. Sa disparition a donc suscité une vive émotion et une vague de défiance contre les autorités locales. Plusieurs maisons appartenant à Sukisa ont, notamment, été incendiées.
Maître Obedi a finalement été libéré le 18 février. Il n’a pas pu identifier ses geôliers.
Bukavu : criminalité en hausse
L’insécurité s’est nettement aggravée dans la capitale provinciale du Sud-Kivu avec 6 civils tués en février, contre le mois précédent. Tous l ’ont été par des acteurs inconnus. Cette insécurité a touché en particulier les quartiers populaires de Nkafu et Ndendere.
Fizi, Uvira, Mwenga : un cycle sans fin
Les violences se sont poursuivies sur l es hauts-plateaux de Fizi, Mwenga et Uvira, avec 21 morts violentes sur ces trois territoires, en très légère baisse par rapport à janvier ( 26 civils tués).
Le cycle de violence, débuté en 2019, entre groupes armés issus de l a communauté Banyamulenge ( Gumino et Twiganeho) et les groupes mai-mai issus des autres communautés des hauts-plateaux ( Banyindu, Babembe et Bafuliru principalement), est toujours en cours. 33 521 personnes seraient déplacées du fait des conflits sur les hauts
plateaux selon le « plan opérationnel 2020 » du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, publié en mars 2020 ).
Il a été particulièrement violent à la fin du mois. Le 26 février, quatre femmes issues de la communauté Bafuliru ont ainsi été enlevées par les Gumino alors qu’elles se rendaient au marché du village de Bialere, près de Minembwe. Deux jours plus tard, quatre civils issus de la communauté Banyamulenge ont été tués dans le village voisin de Kalongi, lors d’une
incursion du groupe Mai-Mai Ebu Ela Mtetezi. Ce même jour, deux femmes et deux filles issues des communautés Banyindu et Bafuliru ont été tuées près du camp de déplacés de Bijombo, où elles résidaient. Une survivante a désigné le groupe Gumino comme auteur de ce massacre. Le 29 février, enfin, deux vachers i ssus de la communauté Banyamulenge ont été tués alors qu’ils tentaient de protéger leur bétail à Kahwela, près de Minembwe.
Selon plusieurs sources de la société civile locale, une centaine de jeunes Banyamulenge seraient revenus du Kenya et de l ’Ouganda via le Burundi pour renforcer les milices issues de leur communauté. Certaines d’entre elles affirment qu’ils étaient encadrés par des éléments des Forces armées burundaises.
Par ailleurs, la création d’une nouvelle coalition, baptisée Union des congolais pour la libération ( UCL), regroupant les groupes mai-mai Kidjangala, Buhirwa et Mwenyemali ainsi que des rebelles rwandais, a été annoncée le 6 février. Un de ses composant ( les Mai-Mai Buhirwa) a notamment kidnappé un agent de l’ONG italienne AVSI le 23 février.
Cet incident, ainsi que le kidnapping de trois agents de l ’ONG MSF Holland, rappelle que l’insécurité reste très importante pour les humanitaires dans cette zone, même si tous ces agents ont fini par être libérés. Par ailleurs, les kidnappings se sont poursuivis dans la plaine de la Ruzizi avec cinq incidents de cette nature.
Pour autant, les FARDC ne s’interposent que très peu lors des conflits dans le Sud du Sud-Kivu. L’armée congolaise n’a, ainsi, été impliquée que dans un incident ( l’attaque d’un de ses camps).
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Le KST est un projet mené ́ conjointement par le Groupe d’ Étude sur le Congo ( GEC), base ́
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ne soutient pas nécessairement tous les arguments avancés par le KST.