Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 20-04-2021 17:25
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Le maréchal Idriss Deby assassiné sur fond d’un règlement de comptes politico-familial ? – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Idriss Déby Itno, Président du Tchad, est mort des suites de blessures reçues alors qu’il commandait son armée dans des combats contre des rebelles dans le nord durant le week-end, a annoncé le porte-parole à la télévision d’Etat.

Militaire et combattant rebelle avant de s’emparer du pouvoir par un coup d’Etat en 1990, l’homme de 68 ans venait d’être réélu pour un sixième mandat consécutif de 6 ans avec 79,32 % des suffrages exprimés, selon des résultats provisoires énoncés lundi 19 avril dans la soirée par l’instance électorale nationale.

« Le président de la république, chef de l’Etat, chef suprême des armées, Idriss Déby Itno, vient de connaître son dernier souffle en défendant l’intégrité territoriale sur le champ de bataille. C’est avec une profonde amertume que nous annonçons au peuple tchadien le décès ce mardi 20 avril 2021 du maréchal du Tchad », rapporte le communiqué.

Idriss Déby, militaire de carrière, s’est emparé du pouvoir en 1990 à l’issue d’un coup d’Etat. Il a été élevé au titre de maréchal le même jour que la date anniversaire des 60 ans de l’indépendance du pays, mardi 11 août 2020. Une promotion symbolique qui permet au régime de renforcer son image de puissance militaire, après ses succès revendiqués contre Boko Haram.

Un conseil militaire dirigé par un de ses fils, Mahamat Idriss Déby Itno, général quatre étoiles à 37 ans et commandant de la garde présidentielle, est chargé de le remplacer. « Le conseil s’est aussitôt réuni et a promulgué la charte de transition », a ajouté le général Azem Bermandoa Agouna.

Cependant, ce remplacement viole les dispositions suivantes de la  Constitution tchadienne.

Article 81 : En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement définitif constaté par la Cour Suprême saisie par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les attributions du Président de la République, à l’exception des pouvoirs prévus aux articles 85, 88, 95 et 96 sont provisoirement exercées par le Président de l’Assemblée Nationale et, en cas d’empêchement de ce dernier, par le 1er Vice- président

Dans tous les cas, il est procédé à de nouvelles élections présidentielles quarante cinq (45) jours au moins et quatre vingt dix (90) jours au plus, après l’ouverture de la vacance.
Article 82 : Le Président de l’Assemblée Nationale assurant les fonctions de Président de la République ne peut ni démettre le Gouvernement, ni procéder à la révision de la Constitution, ni dissoudre l’Assemblée Nationale.

L’opposant Yaya Dillo

Des tensions dans la famille

Selon une source tchadienne de la Direction générale de service de sécurité des institutions de l’Etat (DGSSIE), le président Deby n’a pas été atteint par des tirs rebelles. Mais c’est un cousin qui était en même temps son proche garde du corps qui a tiré sur lui.

En effet, le grand frère de l’assassin, l’ancien ministre, diplomate et rebelle, Yaya Diallo, s’était porté candidat aux dernières élections présidentielles. Le 1er Mars, sa résidence était encerclée par les éléments de l’armée et de la police. Ne l’ayant pas trouvé, ils ont tué sa mère. Dillo est un proche parent, cousin, d’Idriss Deby. Tous deux sont de la tribu de Zaghawa. La maman de Diallo était donc une tante de Deby. Cet assassinat avait suscité une vive tension au sein de la communauté Zaghawa.  

C’est donc un autre fils de la dame assassinée, qui aurait tiré à bout portant sur Idriss Deby. Pour éviter l’exacerbation de la tension, on préfère dire que c’est un rebelle qui a tiré.

C’est l’information parvenue à DESC via des sources proches de la garde présidentielle tchadienne.

Ami d’une Françafrique obsolète

La France « perd un ami courageux« , déclare l’Élysée après la mort du président Déby. En effet, en perte progressive de son monopole sur ses anciennes colonies, la France a fait de Deby et du Tchad un état pivot de sa politique paternaliste dans une région en proie à la menace islamiste. L’atout de Deby était de jouer un rôle d’influence et régulateur à un niveau plus global dans les relations et les crises régionales, notamment en déployant son armée – une des plus fortes de la région – au Mali. Selon Thomas Dietrich, ancien haut fonctionnaire et journaliste au Média : « Idriss Déby en avait profité pour diviser afin de mieux régner. C’est la Françafrique militaire qui soutient Idriss Déby. La France a gelé les fonds d’opposants qui n’étaient absolument pas islamistes. François Hollande a donné la nationalité française à la femme d’Idriss Déby. Il a ainsi reçu un certain nombre de passe-droits qui sont totalement en décalage avec ce qu’il est réellement, un dictateur sanguinaire ».

Après la chute de Blaise Compaoré en 2014 au Burkina Faso, la mort de Deby va certainement rabattre les cartes de la géopolitique de l’Afrique médiane. Cette disparition devrait également et peut-être appeler l’Elysée et le Quai d’Orsay à faire une autopsie pragmatique des mutations qui s’opèrent dans une Afrique où les Etats-Unis d’Amérique, la Chine et la Russie renforcent leur présence militaire dans les anciens bastions français. La France devrait enfin s’employer à faire une analyse stratégique prospective froide lui permettant de réajuster sa diplomatie en se rangeant davantage du côté des forces vives de ces Etats qui optent pour plus de partenariat que de paternalisme désuet.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Expert des questions sécuritaires de l’Afrique médiane
Exclusivité DESC
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