Le Kivu et l’Ituri, une poudrière absente du débat électoral
Première Publication: 14 Novembre 2011
Introduction – Influence de l’hégémonie occidentale en Afrique
L’Histoire nous enseigne que l’Europe d’avant-guerre apparaissait comme un « système de peuples » fondé sur un système d’Etats-Nations dont l’extrême éclatement politique en porte les traces : 34 Etats en 1985 et aujourd’hui, après le démembrement de l’URSS, la naissance des pays baltes, la balkanisation de l’ ex-Yougoslavie donnant naissance à la Serbie, Bosnie, Croatie, Monténégro et récemment au Kosovo et la scission de la Tchécoslovaquie en Tchéquie et en Slovaquie. Environ 50 Etats se partagent officiellement l’espace géographique européen dont le tiers d’entre eux ont à peine 20 ans d’existence.
Le modèle du « système de peuples » du début du 19èmeSiècle a été aveuglement transposé en Afrique lors de son partage par le Traité de Berlin ; créant de ce fait une trentaine d’Etats dont moins de 5% étaient des Etats homogènes. Des Etats qui ont coexisté en paix durant la période coloniale sur le respect des accords de Berlin que les puissances coloniales se sont elles-mêmes imposé. Cette coexistence pacifique a été superficiellement maintenue à la suite de l’accession de ses Etats à l’indépendance, puis renforcée surtout grâce à la guerre froide. Les deux blocs bipolaires géopolitiques Est-Ouest veillant et s’accordant mutuellement à maintenir leurs zones d’influence idéologiques et géostratégiques respectives, renforcées par l’imposition à la tête de ces Etats des dictateurs dont la mission était moins l’expansionnisme que chercher à maintenir une paix civile à l’intérieur de leurs frontières nationales respectives, héritées de la colonisation.
Mais depuis la chute du Mur de Berlin, les tentatives de l’instauration de la « Démocratisation » en Afrique, l’internationalisation de nouvelles technologies de l’information et de la ainsi que la communication mondialisation des échanges commerciaux, on constate subitement et avec quelque effroi la résurgence de la diversité linguistique, ethnique et religieuse et sa mise en avant-plan comme argument avancé par certains Etats pour étendre leurs frontières nationales. Dans le cas de l’Afrique des Grands-Lacs, le Génocide Rwandais, événement majeur marquant la transition entre la fin de la guerre froide vers le début de la démocratisation et l’arrivée de la mondialisation en Afrique, fut l’élément déclencheur de référence à ces bouleversements à la fois géopolitiques et géostratégiques. Autrefois, au centre des enjeux géopolitiques de la toute la région médiane d’Afrique, la RDC (ex-Zaïre), devient aujourd’hui le talon d’Achille de la stabilité (fragile) régionale du fait de l’effondrement de l’Etat, du déficit de leadership politique et des convoitises démesurées de ses voisins de l’est et des multinationales internationales.
La sympathie des lobbies anglo-saxons bien négociée par Museveni et Kagame
Dans un contexte des dynamiques des forces centrifuges où le contrôle du Congo, en situation de « failed state », devient l’enjeu majeur des Etats périphériques, il est vital que les autorités congolaises s’attèlent en priorité à la restauration de l’Etat dans toutes ses composantes. Cela n’est possible qu’avec un leadership fort à même de ramener le centre de gravité géopolitique régional à l’intérieur des frontières souveraines de la RDC. Mais aussi un leadership capable d’endiguer et de contenir les velléités expansionnistes de Kagame et de Museveni, soutenus par les puissances anglo-saxonnes et leurs multinationales. Il est un secret de Polichinelle que ces deux alliés caressent un rêve commun et démesuré d’étendre leurs influences au-delà des frontières occidentales de leurs pays respectifs. Ainsi, la meilleure façon d’y parvenir- à l’instar de la Russie de Poutine vis-à-vis des pays satellites du Nord Caucase (Tchétchénie, Ossétie du Nord…)- c’est d’avoir le contrôle très étroit des hautes autorités congolaises.
A ce jour, Kagame réussit avec brio ce périlleux exercice équilibriste auprès d’un Joseph Kabila, soumis, discipliné et conciliant ; à l’instar du Régime de Vichy sous Pétain. Le dégel précipité des relations diplomatiques entre la RDC et le Rwanda semble attester ce constat. Les autorités de ces deux pays sont ingénieusement parvenues à persuader l’opinion internationale sur le bien fondé de cette démarche dénuée de toute rationalité. Comment envisager un début de normalisation des relations diplomatiques entre un pays agresseur et sa victime sans que les contentieux à la base de cette agression ne soient effectivement résolus ? Cela concerne notamment la question des FDLR, le transfert massif des réfugiés rwandophones dans le Kivu, le règlement judiciaire des multiples agressions rwandaises en RDC ainsi que les réparations y afférentes, le soutien rwandais au RCD, CNDP, FRF et autres groupes armés responsables de graves crimes; les pillages des ressources et massacres en RDC. Un stratagème politique machiavélique visant subtilement à remettre en surface la tentative avortée de l’ex-président hutu rwandais, le Pasteur Bizimungu qui, à deux reprises et sous le diktat de Kagame, d’abord en 1994 puis le 28 octobre 1996, dès les premiers sons des canons de l’agression rwandaise par l’entremise de l’AFDL de LD Kabila, a exhibéà la presse internationale une carte du « Grand Rwanda précolonial » ; incluant l’Est Congolais.
Le réchauffement apparent des relations diplomatiques constaté ces dernières années entre Kigali et Kinshasa semble plutôt dicté par une logique de collusion des intérêts économiques et ethno-politiques nocifs à la RDC. Cela, sans rechercher la mise en place effective des mécanismes efficaces de sécurisation globale et de pacification durable de la région des Grands Lacs. Ainsi, le retour massif des réfugiés rwandophones dans le Kivu afin d’y injecter un surplus de population rwandaise et la nomination à la tête de nouvelles unités des régiments des FARDC dans la zone opérationnelle et sensible du Nord Kivu des officiers rwandophones issus du CNDP, FRF et APR rwandais inquiètent. Sans compter l’exploitation illicite des ressources naturelles à l’Est de la RDC et leur trafic illégal via des réseaux politico-maffieux vers le Rwanda pour leur commercialisation. Pour certains analystes, la finalité de la manœuvre serait rien moins que la création d’un vaste « Tutsiland » incluant les deux Kivu et l’Ituri. Ainsi, tel un cancer, Kagame, avec l’aide de ses valets installés à la tête de la RDC, finira par occuper insidieusement cette zone qu’il convoite en vue de réaliser son rêve de rétablir le Grand Rwanda précolonial.
Par ailleurs, s’agissant de celui qui se nomme Le « Bismarck africain », c’est-à-dire, Museveni, il continue de chérir son rêve fou de s’accaparer de la fructueuse stratégique région congolaise de l’Ituri. Une région riche en matières naturelles et ressources du pétrole de haute qualité. Cette volonté fait partie de sa grande ambition hitlérienne de créer un vaste Etat qui s’étendrait de l’Atlantique à l’Océan indien. Tout comme Kagame pour le Rwanda, Museveni a besoin d’un espace vital à l’instar de son idole Hitler. Ainsi, comme on peut le constater dans sa déclaration du 4 avril 1997 devant l’East African Law Society: « Ma mission est de faire en sorte que l’Erythrée, l’Ethiopie, le Soudan, l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi et le Zaïre deviennent des Etats fédéraux d’une même nation. Maintenant ce n’est pas un choix, mais une obligation (a must)… Comme Hitler a fait en unissant l’Allemagne, nous devons le faire aussi ici. Hitler était un type brillant, mais je crois qu’il est allé un peu trop loin en voulant conquérir le monde entier »
C’est accablant de constater qu’à moins de deux semaines des élections présidentielle et législatives, cet aspect vital, dont dépend sans doute l’avenir de la RDC en tant que Nation Souveraine, Une et Indivisible, est absent des débats et projets politiques et électoraux.
Urgence de définir une doctrine diplomatique et militaire à l’image du rôle géostratégique de la RDC
Dans ce contexte sécuritaire régional instable où l’essentiel des enjeux géopolitiques régionaux se confine à l’Est de la RDC, le Kivu et l’Ituri sont devenus la poudrière des Grands Lacs. Il s’avère dès lors crucial, dans la tentative de résolution efficace et globale des conflits qui minent cette région, de considérer le Kivu et l’Ituri comme l’axe géopolitique central autour duquel devront absolument dépendre la stabilité et la sécurité de la région des Grands Lacs. La restauration et la consolidation de l’Etat Congolais et de l’autorité de l’Etat ne pourront être effectives que si elles intègrent impérativement cette dimension géo-systémique d’importance géostratégique. Autant grande est la distance qui sépare Kinshasa (siège du pouvoir et des institutions) des zones périphériques névralgiques (Kivu, Ituri,…), autant sera proportionnellement grand l’effort à déployer pour ramener et maintenir le centre de gravité géopolitique et l’équilibre régional à l’intérieur des frontières du Congo. Cela exige à tout prix la mise en place d’une diplomatie active, à la fois préventive et dissuasive ou agressive, rendant la RDC visible et audible (même manu militari) sur le plan régional et international. Ce qui implique obligatoirement le développement et la mise en œuvre d’une doctrine diplomatique et militaire qui prend intégralement en compte les intérêts géostratégiques de la RDC dans le but de la renforcer. Il s’agit de l’élaboration d’unestratégie fondée sur la FORCE. C.à.d. elle doit reposer sur l’emploi (stratégie d’action) ou sur la menace d’utilisation (stratégie de dissuasion) de la force. Laquelle force va pouvoir transformer la RDC, par la stratégie développée, en PUISSANCE régionale. Ainsi, la RDC pourra prétendre recouvrer sa position géopolitique centrale perdue. « La guerre, disait Clausewitz, n’est jamais quelque chose d’absolu dans son résultat… Souvent l’Etat vaincu (Comme la RDC d’aujourd’hui) voit plutôt dans sa défaite, un mal transitoire, auquel les circonstances politiques ultérieures pourront fournir un remède ». Le tout c’est de s’en rendre compte et d’en tirer les conséquences.
Conclusion.
Il nous semble important que les débats électoraux traitent en profondeur la situation très préoccupante de l’Est de la RDC et de la restauration de l’autorité de l’Etat par une profonde réforme des services de sécurité et de la justice. Aux politiques, Ils doivent s’atteler à concevoir dans leurs projets une doctrine de politique étrangère et militaire pragmatique alliant prévention, dissuasion et action. Au peuple, nous demandons de donner un carton rouge à tout candidat qui fait preuve d’une connivence politique et militaire avec les agresseurs de la RDC. Ceux-là qui veulent faire main basse sur notre territoire et ses richesses en y entretenant une guerre maligne de basse intensité à destruction progressive. Le peuple doit surtout exiger que la Justice soit faite à la RDC et à toutes ses victimes. Il est consternant de constater que le pouvoir sortant n’ait entamé aucune démarche visant à récupérer les dommages financiers subis par la RDC à la suite de l’agression ougandaise, au moment où le vécu quotidien des congolais frise l’implosion sociale. En effet, une somme évaluée par le gouvernement de transition dit 1+4 à environ 6 à 10 milliards de dollars américains, que la Cour Internationale de Justice, siégeant à La Haye, a jugé « appropriée » de réclamer à l’Ouganda. En effet, la CIJ, plus haute instance judiciaire de l’ONU, a estimé que l’Ouganda avait violé la souveraineté de la RDC et était responsable de violations des droits de l’homme commises dans ce pays lors de la guerre de 1998-2003. Le tribunal avait jugé en outre l’Ouganda responsable d’actes de pillage en RDC car il n’a pas fait en sorte que ses soldats respectent les ressources naturelles de ce pays. Dans son arrêt rendu en audience publique, la CIJ a estimé que l’Ouganda était notamment responsable, entre août 1998 et juin 2003, de « l’occupation de l’Ituri », de « violation des lois internationales sur les droits de l’Homme » en RDC, d’ « usage illégal de la force », de « pillages et d’exploitation des ressources naturelles » de la RDC, selon. Pour la CIJ, « l’Ouganda devra verser des compensations dont le montant sera déterminé ultérieurement ».
Autant le gouvernement dirigé par Joseph Kabila est resté atone dans cette affaire, de même il se montre réticent pour faire valoir à la RDC ses droits et compensations dans le cadre du rapport accablant du HCDH (Haut-commissariat des Nations unies pour les Droits de l’Homme) publié le 1er octobre 2010, connu sous le nom de Rapport Mapping. Cerapport fait l’inventaire des atrocités commises en RDC entre 1993 et 2003, révèle que l’armée du Front Patriotique Rwandais de Kagame a délibérément commis en RDC d’innombrables actes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre contre les réfugiés hutu et les citoyens congolais. Parmi les victimes se comptaient des enfants, des femmes, des personnes âgées et des malades.
Le silence étrange de Kabila, préférant inviter ces deux présumés criminels de guerre lors des festivités du Cinquantenaire alors que la RDC n’a pas eu droit à la justice en faveur de ses filles et ses fils victimes par millions des atrocités infrahumaines, ni aux compensations du fait des agressions subies, conforte la thèse de sa complicité latente dans cette tragédie innommable. Il préférait en plus, laisser son épouse offrir des cadeaux en diamant aux premières dames de ces présidents. Alors que la Miba est dans un état de faillite et que le Dr. Mukwege de l’hôpital de Panzi à Bukavu, travaillant dans la quasi indifférence générale de la classe politique jouisseuse congolaise, peine à panser les plaies des atrocités sexuelles commises par la soldatesque de Kagame envers nos mères et filles. C’est d’autant indignant et révoltant que les organisateurs des festivités du Cinquantenaire n’aient même pas eu le moindre réflexe patriotique de penser à honorer la mémoire de tous compatriotes morts des suites de ces tragédies à répétitions imposées au Congo par l’extérieur en érigeant ne fut-ce qu’une stèle en souvenir de leur sacrifice. Le pouvoir préférant s’égayer avec ses alliés-agresseurs du Congo. S’il y a des compatriotes qui auraient dû être mis à l’honneur lors des festivités du Cinquantenaire, le vaillant patriote Dr Mukwege devait en être un. Mais l’ironie du sort a voulu que ce soit le pays colonisateur qui, par la voix de son Roi, Albert II, ait attribué cette année cet honneur à ce digne fils du pays et une part importante du discours officiel royal à l’occasion de la fête nationale belge !
Honte à la RDC et à ses dirigeants infâmes !Le temps de mettre fin à la politique de dépendance et de soumission de la RDC vis-à-vis du Rwanda et de l’Ouganda, et de tourner définitivement et à tout prix cette nébuleuse page noire qui hante la RDC depuis 1996 a sonné. Au Peuple-Gendarme de s’occuper du reste et à l’armée, si elle veut jouer pour une fois son rôle républicain, de faire son devoir !
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions sociopolitiques et sécuritaires de la RD Congo