Le Lieutenant-Général en retraite Sikatenda Shabani, ancien compagnon de lutte de Laurent-Désiré Kabila dans le maquis de Fizi-Baraka, au Sud-Kivu, s’est éteint le 4 juin 2025, après une très courte hospitalisation au camp militaire Tshatshi, après avoir été dans le coma à la prison militaire de Ndolo où il était detenu depuis huit mois sans bénéficier de soins appropriés. Il emporte avec lui un pan de l’histoire militaire et révolutionnaire de la République démocratique du Congo (RDC).
Je me souviens parfaitement de son arrivée à la prison militaire de Ndolo, en octobre 2024. Il était déjà gravement malade, profondément diminué physiquement et mentalement. Son regard hagard trahissait une désorientation totale : il ne savait même pas où il se trouvait. Âgé de 82 ans, il n’avait plus aucune aptitude physique, mentale, ni encore moins militaire pour envisager ou mener un quelconque coup d’État.
Ancien compagnon de lutte du président Laurent-Désiré Kabila (Mzee) dans le maquis de Fizi-Baraka, le Général Sikatenda, issu de l’ethnie Bembe, est resté un patriote convaincu, un homme qui a consacré toute sa vie — depuis sa jeunesse lumumbiste — à la défense de la patrie. Après la prise du pouvoir par Mzee Kabila en 1997 et la chute du régime Mobutu, il occupa plusieurs fonctions importantes au sein des Forces armées congolaises (FAC), succédant aux Forces armées zaïroises (FAZ).
Homme discret, d’une simplicité désarmante et peu disert, je garde en mémoire nos rares mais profonds échanges durant notre détention commune. Il exprimait souvent ses regrets face à l’échec de « la révolution-pardon » de LD Kabila à transformer en profondeur le pays et son peuple. Il disait avec amertume : « Mzee a juste changé le Zaïre en République démocratique du Congo, sans changer le ‘Zaïrois’, devenu Congolais aujourd’hui ».
Une manière lucide de souligner que le simple changement d’appellation n’a pas suffi à éradiquer les antivaleurs, l’immoralité et la corruption qui gangrènent encore, avec une acuité inquiétante, toutes les sphères de la société, à commencer par le sommet de l’État.
La disparition du général Sikatenda doit interpeller, au-delà de l’émotion, l’opinion publique nationale et internationale sur les conditions indignes de détention en RDC. Un détenu, quel qu’il soit, a droit au respect de sa dignité humaine. Or, en RDC, l’univers carcéral constitue une autre forme de peine capitale, lente et silencieuse, souvent plus cruelle encore que la peine de mort légale. Les conditions de détention — insalubres, inhumaines, dégradantes et mortifères — sont sciemment entretenues par les autorités, dans un système judiciaire de plus en plus déshumanisé et politisé.
On recense actuellement environ vingt généraux détenus en RDC, soit près de 10 % de l’effectif total des officiers généraux du pays. Si certains sont incarcérés pour des faits justifiés, d’autres sont manifestement victimes de purges politiques ou de règlements de comptes soigneusement déguisés.
Il ne s’agit pas de soustraire les officiers à la justice, mais il est inadmissible de les humilier après qu’ils ont loyalement servi la nation, en les traitant comme de vulgaires criminels de droit commun. Un général est d’abord un symbole : celui du service, du sacrifice et de la loyauté envers la République, quel que soit le régime. Sous Mobutu, on recourait à la résidence surveillée ou à la relégation au village pour les dignitaires en attente de jugement ou condamnés. Aujourd’hui, on préfère les enfermer dans des cellules insalubres, parfois sans procès, comme c’est le cas pour plusieurs généraux et officiers supérieurs incarcérés, dans une volonté manifeste de les briser définitivement.
Selon les informations recueillies par AFRIDESK auprès des proches de sa famille : « A ce jour, le Général Sikatenda n’est pas encore enterré. On tourne sa famille en bourrique. Jusqu’à présent, ils ne savent pas encore si on leur rendra sa dépouille ou non pour qu’ils organisent les obsèques en bonne et due forme. Un membre de sa famille a déclaré que le deuil a tellement duré qu’ils ont arrêté de se réunir dans la parcelle familiale car le coût est très élevé pour prendre en charge tous ceux les suivent« . C’est simplement inhumain et infâme.
Que cachent les autorités militaires et politiques derrière ce décès ? Que gagnent-elles en refusant de restituer la dépouille mortelle du Général Sikatenda à sa famille ? Pourquoi infliger une telle peine supplémentaire à la famille ?
L’histoire retiendra que le Général Sikatenda, héros et patriote d’hier, est pratiquement mort en prison, diminué, oublié, dans une indifférence glaciale. C’est une honte pour la République démocratique du Congo, pourtant membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. C’est une faute collective que tous les Congolais doivent reconnaître et réparer, pour les vivants encore, et par devoir envers les morts congolais.
Paix à son âme.