Le crash de l’Antonov présidentiel à Kinshasa : Charles Bujiriri Deschryver mis en cause
Informations compilées par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
01 octobre 2017
Le samedi 30 septembre 2017, un avion-cargo Antonov 12, de la présidence de la République a crashé après son décollage, non loin du domaine présidentiel de la Nsele (DPN), dans la périphérie est de la ville de Kinshasa. Selon les sources militaires congolaises, le crash a fait 24 victimes dont les membres de l’équipage d’origine ukrainienne, des militaires de la logistique principalement et quelques passages civils parmi lesquels des enfants. Un certain prénommé Robert, agent de la présidence de la République résidant dans un immeuble appartenant à la présidence de la République du Quartier Royal, à Kinshasa Gombe fait partie des victimes. Il n’y a aucun survivant du crash. Outre les passagers, l’Antonov transportait à son bord 11 tonnes de munitions, 2 jeeps militaires, des bombes et des explosifs à destination de Bukavu pour ravitailler les FARDC en opérations dans la province du Sud-Kivu.
Un avion appartenant à la flotte privée de Joseph Kabila dans un état de vétusté avancé
Selon une source de la maison militaire du chef de l’Etat congolais, l’Antonov 12, à hélices, faisait partie de la dotation civile privée du président Joseph Kabila. Cet avion n’appartient pas aux FARDC. Il s’agit d’un avion de la dotation civile privée du président Kabila.
L’avion appartenait au charroi de la présidence de la république et était régulièrement mis en location, à titre privé, au profit de l’armée et des agences gouvernementales, selon le capitaine Pascal Kalonda Disashi, ancien garde du corps du président Kabila, en exil en Belgique. Le capitaine Kalonda a voyagé à plusieurs reprises dans cet avion qu’il connaît très bien. Il déplorait déjà à l’époque l’état de vétusté avancé de cet avion et l’avait même signifié à plusieurs fois Charles Bujiriri Deschryver, l’Assistant logistique des services personnels du Cabinet du Président de la République. L’argent de location de cet avion allait directement dans un compte privé du président Kabila, géré par le colonel Deschrijver, nous précise-t-il. Il s’agit d’une pratique délibérée de ne pas doter les FARDC, qui du reste ne disposent pas de loi de programmation militaire pluriannuelle en vue de leur modernisation, afin de faire payer à l’Etat congolais les frais de location du transport aérien du matériel et des troupes militaires, via des sociétés appartenant soit au Président de la république ou à ses proches en actionnariat avec des firmes privées, comme c’est le cas avec la firme ukrainienne AviaExport. Cette firme appartient [skpoy_banda_zipa] à l’ukrainien Dimitri Igorevitch Popov, un ancien agent de liaison entre le chef de l’État ukrainien déchu Viktor Ianoukovitch et Joseph Kabila[skpoy_suka_zipa].
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Au début de l’année 2016, Charles Deschryver, non mandaté par le département des achats et logistique des FARDC, s’était rendu à Dubaï aux Emirats arabes unis pour l’achat de 500 jeeps Toyota Land-Cruiser pour les FARDC. En décembre 2015, Charles Bujiriri Deschrijver avait affrété un gros porteur iliouchine-76 Candid de la société AviaExport loué à Erevena en Armenie pour acheminer un lot de 50 jeeps tout-terrain Tarpan-Honker et de camions KamAZ-6350 vers Lubumbashi par l’aéroport de Luano. Le but de l’opération était le renforcement de la mobilité des forces de sécurité (armée, GR, police) de la 22ème Région militaire correspondant au territoire de l’ancienne province du Katanga.
Il faut surtout déplorer le fait que le parlement congolais n’a aucun contrôle effectif sur l’armée congolaise. Selon les déclarations du colonel en retraite Patrick Vanhees, alors conseiller de la mission européenne de l’EUSEC en RDC : « En RDC, le ministre de la Défense reste sans portefeuille. Il ne dispose d’aucun droit d’initiative sur l’affectation de ce budget et son contrôle. Ce sont d’autres personnes de l’entourage direct du chef de l’Etat qui se chargent d’actionner les lignes budgétaires »[1].
Pourtant, l’Exposé des motifs de la Constitution, au point relatif à l’Organisation et à l’Exercice du pouvoir, est très explicite à ce sujet :
« Bien plus, les affaires étrangères, la défense et la sécurité, autrefois domaines réservés du Chef de l’Etat, sont devenues des domaines de collaboration.
Cependant, le Gouvernement, sous l’impulsion du Premier ministre, demeure le maître de la conduite de la politique de la Nation qu’il définit en concertation avec le Président de la République[2]».
L’objectif visé par le constituant est d’éviter que la défense nationale soit le domaine de compétence exclusive du chef de l’Etat. Mais bien plus, comme le stipule lui-même l’exposé des motifs de la Constitution : « éviter les conflits ; instaurer un Etat de droit ; contrer toute tentative de dérive dictatoriale ; garantir la bonne gouvernance et lutter contre l’impunité »[3].

Charles Bujiriri Deschryver, Homme de confiance et commissionnaire de Joseph Kabila dans certains achats militaires, est le responsable désigné de ce crash pour négligence intentionnelle
Charles Bujiriri Deschryver (ou Descrhijver) est un métis né de père belge flamand (un riche homme d’affaires installé à Bukavu depuis trois générations) et de mère mushi de Bukavu (la fille du mwami Kabare). C’est un homme très discret mais influent dans l’entourage de Joseph Kabila. Son épouse est la dame de compagnie de l’épouse de Joseph Kabila, Olive Lembe Kabila.
Bujiriri Deschryver a d’abord évolué comme membre du personnel civil (PersCi) de la présidence. Il était aussi l’assistant de Joseph Kabila quand il était chef d’état-major général adjoint des FAC (Forces armées congolaises sous Laurent-Désiré Kabila) et ensuite chef d’état-major de la force terrestre des FAC. En 2001, il a été nommé directeur de l’aviation présidentielle et de la logistique. Il exerce depuis 2015 la fonction d’Assistant logistique des services personnels du Cabinet du Président de la République.
Selon le capitaine Kalonda, les passagers de cet avion se plaignaient des bruits très assourdissants de l’appareil tout au long du vol et à l’atterrissage. Plusieurs d’entr’eux saignaient même des oreilles. Charles Deschryver se contentait de lui répondre en swahili : « ndeke wizuri« . (Traduction littérale : un bel oiseau qui vole très bien). Selon une autre source militaire anonyme, les deux pilotes ukrainiens avaient refusé de piloter l’avion vu le mauvais état de l’appareil, mais le Charles Deschryver leur aurait intimé l’ordre de décoller contre leur gré.
Le non-respect des normes de chargement des cargaisons des avions serait la principale cause du crash, mais…
Si la surcharge de l’avion est la première cause apparente du crash de cet avion, selon les premières analyses des experts déployés sur le terrain, on ne peut pas non plus exclure l’acte de sabotage ou une cause externe d’autant que le chargement excessif des avions congolais, ne respectant aucune norme internationale ad hoc, est une pratique normale des tous les opérateurs aériens congolais.
La question que l’on serait tenté de se poser est de savoir pourquoi ce crash à une période politique très critique de la RDC. Ce, d’autant que c’est n’est pas la première fois que ce genre de sinistres ou d’autres similaires se produisent en RDC.
Notons que le crash s’est produit le 30 septembre 2017, une date supposée être celle de la convocation du corps électoral pour l’élection présidentielle par la CENI. Cela rappelle une autre explosion d’un dépôt de munitions de la Garde républicaine à Kibomango, dans la nuit du 27 mars 2017, qui a occasionné des dizaines de mort. Selon certaines sources GR contactées à l’époque par DESC, il s’agissait d’un incendie volontaire suite au mécontentement des soldats de la Garde républicaine sur leurs conditions de travail et des primes rabotées. Fait curieux de cette explosion, la nuit de la date du 27 mars 2017 considérée par la CENCO comme l’ultimatum de la clôture de toutes les discussions directes entre la Majorité présidentielle et le Rassemblement dans le cadre de la rédaction de l’arrangement particulier entre les deux parties. Le 27 mars consacrait officiellement l’échec de la médiation de la CENCO et donc de l’Accord de la Saint-Sylvestre et c’est cette date qui a été choisie par les militaires de GR pour incendier un dépôt de munitions pour exprimer leur mécontentement.
Notons que par le passé, en 2000, il y a eu destruction des munitions livrées par la République Islamique d’Iran, stockées à l’aéroport de Ndjili au dépôt l’Ofida[4]). En 2011, trois dépôts de munitions de la GR à Kibomango ou étaient stockées des bombes et des roquettes livrées par la Corée du Nord ont été mystérieusement détruites par des frappes inconnues.
Par ailleurs, au moment où on parle de plus en plus d’une ferme implication angolaise dans la crise congolaise, ce crash d’avion se ressemble à s’y méprendre à celui de l’avion qui s’était écrasé sur le marché dit du Type K transportant à son bord du matériel militaire de l’UNITA de l’ancien chef rebelle angolais Jonas Savimbi avec du matériel militaire vendu par le général Nzimbi de la DSP[5]de Mobutu.
Selon une autre source militaire, l’appareil crashé a transporté par le passé du matériel militaire pour ravitailler plusieurs groupes armés dans l’est du pays dont les rebelles rwandais des FDLR.
Au-delà de l’impact de cet accident sur le déroulement de la guerre à l’est et des enjeux politico-sécuritaires du moment, ce sont des vies innocentes qui sont fauchées par négligence intentionnelle et mépris des règles de sécurité aéronautique de base dans l’unique but d’en tirer un bénéfice financier illicite. En attendant les résultats d’une enquête objective et sérieuse, tous les témoignages pointent le Charles Bujiriri Deschrijver comme le premier responsable de cette tragédie de plus dont la RDC n’a plus besoin. C’est vers lui que la justice congolaise devrait d’abord orienter son enquête, notamment pour réparation des préjudices subis par les victimes et leurs proches.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
Références
[1] JJ Wondo Omanyundu, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, 2015, p. 115.
[2] Exposé des motifs, Constitution du 18 février 2006.
[3] JJ Wondo Omanyundu, op. cit., p.4.
[4] Office congolais des douanes et accises.
[5] Division spéciale présidentielle.