Le crash de l’Antonov 72 affrété par la Présidence de la RDC : Les questionnements de DESC
Une analyse collective des experts balistiques et criminologiques de DESC
L’Antonov 72 qui transportait la logistique présidentielle a crashé le jeudi 10 octobre 2019 après avoir décollé de Goma. Les premières informations faisaient état d’un crash au village de Kasese, dans la province de Maniema où, selon le premier témoignage du gouverneur adjoint de cette province, des villageois avaient rapporté avoir entendu une détonation dans la brousse. Les premières recherches opérées par deux avions de reconnaissance Cessna 350 de la MONUSCO ainsi qu’un hélicoptère Mi-2 des FARDC stationnés à Kindu dans la zone du territoire de Punia où l’avion a officiellement coupé le contact avec les tours de contrôle de Goma et de Kinshasa n’ont pas pu localiser les traces de l’Antonov 72. Les débris de l’avion ont finalement été retrouvés le lundi 14 octobre dans la province du Sankuru, précisément dans le village d’Okoto dans le territoire de Kole.
Selon les sources de l’armée de l’air congolaise, deux russes, membres d’équipage, cinq civils travaillant à la logistique présidentielle dont le chauffeur principal du président de la République communément appelé « Maréchal » ainsi que sept militaires, dont le directeur adjoint de la sécurité présidentielle, le major Jules Mpiana Maloba, également ancien garde du corps rapproché de Joseph Kabila, originaire de Kabeya Kamwanga, le village d’origine des Tshisekedi, ont tous trouvé la mort dans ce crash. L’appareil transportait également la jeep blindée et officielle du président Félix Tshisekedi.
La présente analyse se limite à avancer des hypothèses préliminaires pour tenter de comprendre les causes du crash. Des hypothèses balistiques sont avancées par une équipe d’experts militaires congolais en balistique, auxquels d’autres experts ont ajouté d’autres analyses criminalistiques. L’analyse décrit également la situation de la gestion conflictuelle de la flotte aérienne présidentielle au sein du cabinet du chef de l’Etat congolais.
A-t-on tiré sur l’avion
L’analyse de peu de photos à notre disposition dont la qualité généralement laisse à désirer nous permet néanmoins de tirer quelques informations et de nous poser des questions.
Une question qui vient de prime abord à l’esprit est de savoir si tous les débris de l’avion ont été retrouvés au même endroit ou pas car les photos ne permettent pas de le dire. S’ils ont été retrouvés au même endroit, cela permet de dire qu’il y a eu crash. S’ils sont dispersés, dans quel rayon ils ont été retrouvés, dans ce cas, il y a eu explosion en vol.
Néanmoins, en observant la partie de carlingue de l’avion (Fig. 1), nous sommes frappés par trois trous très rapprochés qui se suivent presqu’à la verticale dont deux peuvent être clairement identifiés.
Ces trois trous caractérisés par une même forme bien circulaire et à première vue de même diamètre poussent à penser aux traces laissées par des projectiles de petit calibre tirés en rafale. Ceci nous révèle aussi que la partie arrière du fuselage a été touchée sans présumer si d’autres parties de l’avion ont été aussi touchées. Vu le diamètre des trous, il s’agit probablement des projectiles de calibre 12.7 mm. Dans ce cas, on devrait retrouver des trous de sortie dans la carlingue si les projectiles n’ont pas rencontré suffisamment de résistance à l’intérieur de l’appareil. Dans le cas contraire, on devrait retrouver ces projectiles à l’intérieur ou alors sur le lieu du crash. Un examen minutieux de la carlingue permettrait déjà de lever l’équivoque.
Mais la photo montre dans le prolongement des trous, deux autres points qui semblent être ajoutés et de couleur différente. Ces points ont-ils été ajoutés pour brouiller les pistes ? Difficile à dire.
Mais, ceci pose plus des questions que des réponses:
- Où se trouvait l’avion au moment de sa disparition et à quelle altitude et vitesse volait-il ? Ces données devraient être disponibles au niveau de la tour de contrôle qui a eu le dernier contact avec l’appareil.
- Y a-t-il présence des militaires ou des rebelles au Sankuru ?Disposaient-ils des armes pouvant atteindre l’altitude où volait l’avion ? Disposaient-ils du plan de vol de l’avion ou des équipements nécessaires pour le détecter ? Y a-t-il eu complicité au niveau des hautes autorités militaires ou civiles ?
- Ou alors un aéronef militaire a-t-il pris en chasse l’avion-cargo ? Ce qui n’est pas à exclure dans le cas où il n’y avait pas des militaires/rebelles disposant d’armes de portée suffisante.
- L’avion a-t-il été touché par d’autres moyens ?
Dans l’hypothèse où le crash est dû à l’impact des projectiles de petit calibre, rien ne nous dit que cela s’est passé dans la province de Sankuru. En effet, celle-ci est frontalière à la province de Maniema où sévissent différentes factions rebelles. L’avion peut avoir été touché dans la province de Maniema et qu’il aurait continué encore à voler jusqu’à ce que le crash s’ensuive dans la province de Sankuru. Ce d’autant que les premières informations rapportaient une détonation entendue à Kasese au Maniema. Notons que le village de Kasese, situé dans territoire de Punia, est réputé être le fief du groupe armé Raïa Mutomboki.
Il nous semble qu’il n’y ait eu incendie qui se soit déclaré pendant le vol de suite des impacts de projectiles ou même du crash (sinon fort limité) car on peut encore voir les effets personnels restés intacts à bord de l’avion (Figure 2).
Il est assez étonnant de voir qu’aucune photo ne montre la carcasse du véhicule blindé du président ni même l’autre partie de la carlingue. N’y a-t-il pas eu des photos censurées pour une raison ou une autre ?
Cependant, une source des renseignements militaire congolaise trouve assez intrigant que l’avion disparaisse brusquement sans que l’équipage ne puisse émettre le moindre signal de détresse ni à Goma, aéroport de départ, ni Kinshasa, aéroport de destination, ni même à Kisangani ou à Kindu, aéroport de secours de proximité de la zone du crash. Les premières interrogatoires des agents de différentes tours de contrôle par la cellule de crise indiquaient que le signal radio a été brusquement interrompu, nous rapporte notre source.
Un aéronef vétuste au parcours nébuleux et la surcharge comme autres possibles causes du crash ?
Selon une source de la force aérienne, l’Antonov 72 qui a crashé, est un biréacteur de transport immatriculé EK-72903. Il était régulièrement utilisé par la Présidence congolaise et mis en service depuis 1987. Cependant, la source aéronautique militaire congolaise signale que l’appareil était encore en très bon état et a été acquis en juillet 2018 après des contrôles d’usage. L’avion appartenait à la force aérienne congolaise où il opérait au sein de l’escadron transport militaire dirigé par le colonel aviateur Mwepu. La force aérienne congolaise est actuellement dirigée par le général Enoch Numbi, un cousin germain du général d’armée John Numbi, l’actuel inspecteur général des FARDC, qui fut également un ancien chef d’état-major de l’armée de l’air avant de devenir Commissaire général de la Police nationale congolaise.
Il est à noter que ce n’est pas la première fois qu’un appareil similaire soit victime d’un crash. On se rappelle que le 30 septembre 2017, un avion-cargo Antonov 12 de la présidence de la République a crashé après son décollage, non loin du domaine présidentiel de la Nsele (DPN), dans la périphérie est de la ville de Kinshasa. Selon les sources militaires congolaises, tous les 24 passagers de l’avion, dont les membres de l’équipage d’origine ukrainienne, des militaires de la logistique principalement et quelques passagers civils parmi lesquels des enfants, avaient péri dans ce crash. Outre les passagers, l’Antonov 12 transportait à son bord 11 tonnes de munitions, 2 jeeps militaires, des bombes et des explosifs à destination de Bukavu pour ravitailler les FARDC en opérations dans la province du Sud-Kivu. Cette fois-là, c’est Charles Deschrijver qui a été pointé du doigt comme responsable de ce crash dû probablement à une surcharge. Cet Antonov 12 de la présidence congolaise était régulièrement mis en location, à titre privé, au profit de l’armée et des agences gouvernementales, selon le capitaine Pascal Kalonda, ancien garde du corps du président Kabila, en exil en Belgique. Le capitaine Kalonda a voyagé à plusieurs reprises dans cet avion qu’il connaît très bien. Il déplorait déjà à l’époque l’état de vétusté avancée de cet avion et l’avait même signifié à plusieurs fois à Charles Bujiriri Deschryver. « L’argent de location de cet avion allait directement dans un compte privé du président Kabila, géré par Charles Deschryver », nous précise-t-il. Il s’agit d’une pratique délibérée de ne pas doter les FARDC d’une flotte aérienne appropriée.
Le capitaine Kalonda n’exclut donc pas non plus l’hypothèse d’une surcharge de la cargaison de l’Antonov 72 vu les pratiques similaires dans le passé. Cette hypothèse serait également avancée par certaines sources à Goma du fait que le non-respect des normes internationales de chargement des cargaisons des frets aériens, couplé avec la vétusté des aéronefs, serait la principale cause des crashs en RDC.
Accident ou acte de sabotage externe ?
Les conditions météorologiques exécrables dans la région sont aussi une cause avancée par certaines sources. « La météo était exécrable hier sur cette route, mon commandant qui faisait Goma (Nord-Kivu, est) – Kinshasa (ouest) m’avait envoyé une image impressionnante des conditions de givrage », a posté sur Twitter Gueda Yav, pilote congolaise et propriétaire d’une société aérienne[1].
Toutefois, vu le flou actuel sur les circonstances et les causes du crash, on ne peut pas non plus exclure l’hypothèse d’un acte de sabotage ou une cause externe aussi longtemps que l’on ne dispose pas de plus d’éléments pouvant expliquer ce crash.
En effet, le site d’information Crime Russia, qui dénonce la corruption en Russie, a révélé par ailleurs l’identité des deux pilotes « décédés », dont l’un est un militaire, Vladimir Sadovnichy, condamné en 2011 à huit ans et demi de prison au Tadjikistan pour « trafic, traversée illégale de frontière et violation des règlements internationaux en matière de transport ». Sa peine avait ensuite été revue et avait été libéré en vertu d’une amnistie. L’autre pilote, selon Crime Russia, citant des sources diplomatiques russes, s’appelait Vitaly Shumkov. Selon RFI, depuis la disparition de l’avion, la presse russe, notamment d’opposition, a spéculé sur la présence de l’oligarque russe, un proche de Vladimir Poutine, , Evguéni Prigojine (ou Yevgeny Prigozhin), dans cet avion. Mais l’ambassade de Russie à Kinshasa a assuré que seuls deux russes figuraient parmi les victimes et dit attendre la fin des opérations de recherche avant tout autre commentaire officiel. D’autres sources indiquent qu’une rencontre entre Prigozhin, et Tshisekedi était prévue après le séjour de Tshisekedi au Nord-Kivu. Pour rappel, Prigogine est un puissant homme d’affaires, responsable de la puissante société militaire privée russe Wagner Group en sous-traitance de Moscou. Il est considéré comme étant l’homme par qui Vladimir Poutine tente de pénétrer militairement l’Afrique[2]. La RCA, l’Ouganda, la RDC et l’Angola sont des pays où la Russie est militairement très active en Afrique centrale. Prigozhin est actuellement traqué par les services américains pour ses activités en Afrique.
L’aviation civile présidentielle sous un régime conflictuel
Selon des informations recueillies des sources présidentielles congolaises, l’aviation civile présidentielle est sous un régime conflictuel entre le chef de la logistique présidentielle, Jean-Paul Mulamba, et Charles Deschriiver, l’ancien chef de la logistique présidentielle de Joseph Kabila, qui, selon nos sources, conserve toujours une main mise sur l’exploitation de l’aviation présidentielle. En effet, les avions qui assurent presque tous les déplacements intérieurs, voire extérieurs du président Félix Tshisekedi, sont loués par Descrhijver qui est couvert par Vital Kamerhe, le directeur de Cabinet du président Tshisekedi. Les deux personnes sont originaires du Sud-Kivu. Notons au passage que l’avion qui a assuré la campagne électorale présidentielle de Tshisekedi a été affrété par Deschrijver sur instruction de Joseph Kabila.
En mai 2019, l’hebdomadaire Jeune Afrique avait rapporté que «Vital Kamerhe avait notamment vivement réagi à la nomination d’un directeur des opérations de l’aviation civile présidentielle par Jean-Paul Mulamba, l’assistant logistique du chef de l’État. Le chef de cabinet du président congolais avait alors dénoncé une « usurpation de pouvoir »[3].
Selon nos sources présidentielles, ce conflit a atteint des proportions telles que des menaces de mort fusaient de part et d’autres. Et ce crash ne serait pas de nature à apaiser la situation, croit-on savoir dans les milieux proches de l’UDPS car il vient mettre à nu toute la problématique des insuffisances sécuritaires dans la gestion des déplacements présidentiels. Pour nos sources, Charles Deschrijver aurait même promis la mort à certaines personnes de la nouvelle équipe de la logistique présidentielle s’ils se passaient de lui dans la gestion de la flotte aérienne présidentielle.
Le major Jules Mpiana, un élément clé de la sécurité rapprochée du président décède dans ce crash
Depuis son investiture à la présidence, Félix Tshisekedi s’était rapproché du major Jules Mpiana Maloba à qui il avait même confié la mission de superviser la formation et le coaching des nouveaux éléments de la sécurité rapprochée ainsi que les nouveaux éléments du 4ème bataillon du 14ème régiment spécial honneur et sécurité de la Garde républicaine, la promotion dite « Kabeya Kamwanga » dont une section (environ 12 hommes) avait accompagné le Président à Bruxelles et deux pelotons (environs 30 hommes) l’ont accompagné dans ses récents séjours à Bukavu, Goma et Kindu. Petit à petit, le major Maloba devenait un élément central dans la nouvelle restructuration de la sécurité présidentielle. Sa mort semble avoir affecté considérablement le président Tshisekedi.
Le major Jules Mpiana Maloba devrait remplacer comme directeur de la sécurité présidentielle sont titulaire, le major Ilunga Ndala Dodo alias Tek, un fameux garde du corps irremplaçable et omniprésent dans les sillages de Kabila puis de Tshisekedi, qui devrait avoir une promotion supérieure en janvier 2020 et assumer d’autres fonctions au sein de la GR. Commençait-il a prendre plus d’indépendance vis-à-vis de sa hiérarchie, majoritairement dominée par des Katangais restés loyaux à Joseph Kabila ?
Conclusion
En dépit des différentes hypothèses avancées ci-dessus, nous devons reconnaître qu’avec si peu de photos ainsi que d’autres indices et éléments de preuves, notre analyse reste partielle et incomplète. Seules les boîtes noires peuvent nous donner de plus amples informations pour savoir ce qui s’est réellement passé et une enquête de manière minutieuse permettra de lever tant de zones d’ombre. C’est notamment aux autorités nationales de l’aéronautique et de la justice congolaise de faire preuve de leur professionnalisme et efficacité afin d’éviter de retomber dans des travers du passé où généralement aucune enquête n’aboutit. Mais vu qu’il s’agit d’un avion affrété par la présidence, nous osons croire que cela ne sera pas une enquête bâclée et que toute la lumière sera faite.
Analyse réalisée sous la coordination de l’Ir Guy Ngongo et Jean-Jacques Wondo / Exclusivité DESC
Ir Guy NGONGO est diplômé de l’École Royale Militaire de Bruxelles et Ingénieur civil Spécialiste en Armement et Balistique.
Références
[1] https://afrique.lalibre.be/42047/rdc-un-antonov-72-des-fardc-porte-disparu/.
[2] https://www.bloomberg.com/news/features/2018-11-20/putin-chef-yevgeny-prigozhin-is-now-meddling-in-africa.
[3] https://www.jeuneafrique.com/809229/politique/rdc-quand-felix-tshisekedi-rappelle-a-lordre-les-membres-de-son-cabinet/.
One Comment “Le crash de l’Antonov 72 affrété par la Présidence de la RDC : Les questionnements de DESC”
GHOST
says:IMMATRICULATION DE L´ANTONOV 72
L´indice initiale dans les recherches. On tombe sur une immatriculation d´un ex État sovietique et on apprend que l´avion a changé des proprietares plusieures fois sans precisions.
L´An-72 n´est pas une priorité de l´armée congolaise comme l´immatriculation « civile » l´indique explicitement l´immatriculation.
Selon le site « Aviation-Safety.net » l´EK-72903 appartenait á l´entreprise Armenia South Airline, mais ne figure plus sur l´AOC qui est la liste des avions enregistrés en Armenie.
QUI EST LE PROPRIETAIRE DE L´AN-72 ?
C´est la première question qu´il faut se poser.. Si l´armée (et non la présidence) fait le leasing de cette machine plusieures fois, il doit exister des traces du contrat et du payement de ce leasing.
CRASH « TECHNIQUE » ?
Possible dans ce pays qui ne possede pas des moyens techniques d´aide á la navigation. Ndjil est l´unique aéroport qui possede des équipements électroniques modernes au Congo. Tous les autres aéports ne possedent que des simples « radios » pour communiquer avec les avions qui survolent le territoire congolais.
Ce qui explique que l´An-76 pouvait devier sa trajectoire sans qu´un radar ne puisse avertir le pilote, même pire si l´avion était entrain de perdre l´altitude prevue dans son plan de vol, il serait impossible de le savoir.
Parmis les hypothèses, il faut noter une tentative d´atterissage en cas de panne technique. Ce que dans le Sankuru, il ya Lodja (que Air Zaire avait exploitée ..avec ses Fokker) et le pilote aurait (aussi) tenter de rejoindre Lodja ou Kananga au cas où il ne pouvait pas retourner vers Kindu.
QUESTION DE SECURITE « PRESIDENTIELLE » ?
Mis á part cette question incontournable de la sécurité du président de la RDC dont l´admnistration fait le leasing d´un avion dont les orgines sont difficiles á retrouver, et dont les pilotes ont un passés criminele (selon l´ambassade de la Russie á Kin).. On retrouve VIKTOR BUK qui sejourne en prison aux USA.
On a l´impression que la maffia russe serait en action au Congo où la présidence fait le leasing d´un An-72 dont les traces sont douteuses.
Les congolais devraient aussi se poser une question capitale: Comme la RDC continue á ne pas avoir un système d´aide á la navigation.. un pays où James Kabarebe pouvait faire un raid en traversant le Congo de l´Est á l´Ouest sans peine?