Le Congo en danger, et pas seulement pour cause du coronavirus !
Une libre réflexion du politologue Dieudonné Wamu Oyatambwe
Au moment où la terre entière se mobilise pour combattre la ravageuse pandémie du Covid 19, la République Démocratique du Congo, qui est aussi affectée avec plusieurs cas déjà recensés, se trouve confrontée à moult autres menaces. Un cycle de violences chronique à l’est du pays, la réapparition de la fièvre Ebola à Beni, la pauvreté généralisée, et une économie mise à terre par les conséquences de la crise sanitaire mondiale et la chute des prix des matières premières dont elle est largement tributaire, l’insécurité qui gagne certains milieux urbains, etc.
Un tableau tout noir, qui appelle des mesures fortes pour limiter les dégâts. Face au coronavirus en particulier, le pays ne dispose ni d’infrastructures hospitalières, ni de moyens matériels ou financiers adéquats. Il faut donc tout miser sur la prévention et la sensibilisation. AInsi, dès l’apparition des tout premiers cas, le président de la République a vite annoncé une série de mesures pour limiter la propagation de ce virus au sein de la population (fermeture des écoles et lieux de culte, fermeture des frontières, limitation des déplacements, interdiction de rassemblements, mesures d’hygiène, etc). D’autres acteurs sociaux (églises, ONG, monde culturel et artistique…) lui ont emboîté le pas, en multipliant des actions de sensibilisation, surtout pour prévenir la contagion et convaincre les Congolais, souvent sceptiques, de la réalité et de la dangerosité de ce virus contre lequel aucun remède ne s’est encore avéré incontestablement efficace. Et pour couronner le tout, le chef de l‘Etat a décrété l’état d’urgence « sanitaire », en usant de ses prérogatives constitutionnelles.
Etat d’urgence… Congrès ! Et après ?
Hélas ! Alors que beaucoup de Congolais, par inconscience ou par impossibilité pratique, ne respectent pas les consignes de confinement ou de distanciation sociale, alors que le gouvernement peine à trouver les moyens matériels et financiers requis pour appuyer la riposte au Covid 19, surgit une autre menace, plutôt d’ordre politique. Certains partisans de l’ancien président Joseph Kabila, réunis au sein du Front commun pour le Congo (FCC), considèrent comme illégal l’état d’urgence décrété par l’actuel président ; et veulent convoquer les deux chambres du Parlement en Congrès, soit disant pour replacer cet état d’urgence dans l’ordre constitutionnel. Et c’est là que le bât blesse.
D’une part, leur interprétation de la légalité des mesures présidentielles est erronée ; et la Cour constitutionnelle, organe habilité à interpréter la Constitution, leur a donné tort. D’autre part, il y a beaucoup d’indécence à vouloir convoquer une réunion de plus de 600 personnes là où on a interdit des rassemblements de plus de vingt personnes justement au nom de l’urgence sanitaire. Sans oublier les coûts d’un tel congrès, dans un contexte de grave récession économique et d’aménuisement drastique des ressources financières, où la priorié est de couvrir les besoins les plus élémentaires de la population.
Le momentum choisi pour lancer une telle offensive n’est pas fortuit non plus. Alors que, pour une fois, plusieurs responsables politiques et économiques sont poursuivis par la justice pour des graves faits de corruption et de détournement de deniers publics, on peut s’interroger si l’agitation des membres du FCC n’est pas mue par la peur de se voir rattraper par cette vague d’interpellations. Eux qui trainent de nombreux cadavres dans les placards, et dont la corruption était devenue quasi connaturelle, avec la quête des immunités comme principal leitmotiv de ralliement à leur actuel regroupement politique.
L’arrogance affichée par le président du Sénat, Alexis Tambwe Mwamba, à l’égard de Félix Tshisekedi lors d’une émission dans laquelle il reprochait à ce dernier l’illégalité de l’état d’urgence, n’avait d’égale que l’inélégance affichée par son homologue Jeanine Mabunda, présidente de l’Assemblée nationale qui, dans une démarche similaire, se permît aussi de « recadrer » le président de la République lorsque ce dernier évoqua, en janvier 2020, la possibilité de dissoudre le Parlement au cas où sa politique ne serait pas appliquée par ses alliés de la coalition FCC. Deux attitudes désinvoltes qui dénotent donc du mépris de ces personnalités à l’égard de celui qui incarne aujourd’hui l’institution « Président de la République » !
Face à cet état des choses, Félix Tshisekedi apparaît désormais comme un rempart (bien que fragile) face aux appétits voraces de ceux que les électeurs avaient largement rejetés lors des scrutins controversés de 2018-2019, notamment en portant leurs voix à l’élection présidentiele sur des candidats de l’opposition et non sur celui qui les représentait. Que ceux-ci aient pu s’arroger des majorités artificielles dans les différentes assemblées en usant de méthodes repréhensibles et hautement décriées, ne les exonère pas pour autant du devoir de rendre compte un jour de leur mégestion devant la justice d’un peuple qu’ils ont longtemps avili, et dont les souffrances ou la détresse ne les préoccupent guère.
En ce temps de pandémie et de grave risque pour tous, vouloir ajouter une crise politique à a crise sanitaire relève du pire des cynismes. Il est donc impérieux que tous ceux qui aiment un tant soit peu le Congo invitent Joseph Kabila à reprendre ses troupes, et à ne pas exposer le pays à d’autres turbulences, qui pourraient générer davantage de souffrances encore.
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Dieudonné Wamu Oyatambwe
Politologue, chercheur et auteur de nombreux
ouvrages sur les transitions politiques africaines
Vilvoorde, 15 avril 2020