Le commandant belge e.r. Adolf Rappé : Il faut une main de fer au Congo pour garder l’unité et la cohésion nationale

DESC : Mon Commandant, nous poursuivons notre entretien dans lequel vous avez émis le souhait de vous exprimer avec votre cœur et par la franchise dans un style direct. Je rappelle que vous avez passé 30 ans en Afrique, principalement au Congo. Pour ceux qui n’ont pas suivi le début de cet entretien, ils peuvent l’ouvrir ici : http://afridesk.org/le-commandant-adolf-rappe-30-ans-dafrique-juge-le-bilan-de-la-cooperation-technique-militaire-belge-en-rdc-tres-mitige/

DESC : Vos meilleurs souvenirs du et au Congo (Afrique?)

Je n’ai que des bons et d’excellents souvenirs, non pas du Congo uniquement mais de toutes cette Afrique Centrale. L’Afrique Centrale est un paradis. J’ai fait 30 en Afrique Centrale ….  le paradis.

Après 30 ans de souvenirs, il m’est impossible de les énumérer ici. Il faudrait écrire un livre.

DESC : Dans un échange privé, vous mentionnez avec beaucoup d’attention et de respect le nom du Lt-Col Doumont? Qui est-il et que représente-t-il pour vous ?

Il est actuellement LtCol et pensionné. C’est l’officier belge que j’ai vu s’intéresser à fond au Congo et aux Congolais.  De plus, il est marié à une congolaise. Il connaît si bien ce pays et pourrait donner de très bons conseils. Je ne peux évidemment imposer une relation mais s’il était d’accord il serait un « Sage », vu son âge et son expérience de l’Afrique.  Il a également été « attaché militaire » au Bénin.

DESC : Avez-vous connu le major d’aviation e.r. Jan Vansevenant ? ou le Colonel Lambert au Zaïre ?

Le major e.r. Vansevenant : je ne le connais pas.

Le Col. e.r. Lambert ; je le connais très bien.  C’est un artilleur d’ailleurs.

DESC : Aujourd’hui à la retraite (méritée), vous semblez très attaché au Congo au point d’acheter deux exemplaires de  l’ouvrage Les Armées au Congo-Kinshasa. Pourquoi un tel attachement au Congo ?

Je suis militaire belge, j’ai passé 7 ans à l’armée belge et le reste en Afrique.  Le Congo, c’est mon 2^ème pays, malheureusement perdu pour le moment, sinon j’y serais encore.

DESC : Comment suivez-vous les événements actuels à l’Est du Congo ?

Surtout la presse, les communiqués, les articles d’anciens qui se transmettent des articles via les courriels. J’ai vécu à Rumangabo, au pied du Nyaragongo et du Karisimbi… inoubliable ce Kivu, quelle merveille.

DESC : Avez-vous un petit conseil tactique ou opératique à donner aux chefs de l’armée congolaise ?

Payez vos hommes, habillés-les, ils sont très disciplinés, dévoués, très attachants et compétents mais respectez-les.

DESC : Croyez-vous que le Congo aura un jour une armée performante? Si oui comment ? Si non que faut-il faire alors ?

Ce n’est pas en étant aidé par trente-six pays que vous créerez une armée cohérente.  Faites-vous aider par la Belgique pour la formation de votre cadre de vos  hommes et formez-les sur place. Equipez-les ; ils sauveront votre pays. Il est temps, grand  temps.  Le temps joue en votre défaveur, la connaissance de votre pays avec les belges se perd. Et … surtout … surtout … faites fi de votre complexe de néo-colonialisme. Je répète si le système était « Colonial », la plupart des belges n’étaient pas des colonialistes en personne.

DESC : Comment jugez-vous l’action du président Joseph Kabila en tant que commandant suprême des armées ?

Impossible de répondre, ayant quitté le Congo en 1995.

DESC : A sa place que feriez-vous ou lui conseilleriez-vous ?

Toujours la même rengaine… Construisez une armée valable pour reconquérir le Congo.

DESC : Comment voyez-vous l’avenir (politique, social et militaire) du Congo ?

D’un très mauvais œil… tant que chacun tire la couverture en sa faveur.

DESC : Quelle est votre lecture de la coopération internationale (assistance militaire) au Congo ?

Il n’y a plus de coopération militaire, que sporadique et ce n’est pas l’ONU (ce grand Machin comme disait De Gaulle) qui vous aidera.

J’entendais Mobutu qui serinait continuellement : « La Nation doit compter sur ses propres filles et garçons ».  Alors ?????  Qu’attendez-vous ?  Les miracles, n’existent PAS.

DESC : Comment comparez-vous la Coop. Tech. Mil. des années 1970-80 par rapport à maintenant ?

Il m’est impossible de réponde à cette question, désolé.

DESC : Pensez-vous que la Belgique peut encore jouer un rôle dans la formation et encadrement des FARDC?

1991, L’opération « Blue Beam » : Evacuation des Occidentaux par des paras belges lors des pillages

Bien sûr, la Belgique peut tout faire mais il est grand temps car les belges (militaires et civils) qui connaissent et aiment ce pays se raréfient. Les jeunes générations ne s’intéressent plus aux problèmes des autres. Que chacun tire son plan …

DESC : Le rôle de la Monusco? Différence avec l’ONUC (1960) ?

C’est toujours l’ONU «  Ce grand Machin » ? 

DESC : Vous avez lu l’ouvrage Les Armées au Congo Kinshasa, quelle en est votre recension ? Le recommanderiez-vous à d’autres ?

Je suis de tout cœur avec toi et ce que tu dis dans ton ouvrage. Une armée forte, payée, nourrie, habillée et équipée, une armée du peuple, qui défend son pays mais qui défend et soutien aussi son peuple si chaleureux.  Une armée avec des officiers (de tous les grades et de tous les rangs) honnêtes et justes et participants à la construction du pays.

Oui, il faut en faire une publicité car tous les anciens Coopérants voudront l’acquérir.

DESC : Que pensez-vous du site  www.afridesk.org et des sujets y développés ?

Très belle présentation et agréable mais surtout intéressant. Un site bien ordonné.  A suivre …  en espérant qu’il sera mis à jour régulièrement.  Je l’ai transmis à plusieurs CTM. En espérant qu’il y aura des suites afin de te soutenir dans tes idées.

Il faut soutenir ce projet car lorsque nous suivons la situation nous souffrons autant que ce peuple qui s’enfonce de plus en plus dans l’horreur et personne ne réagit. Nous les anciens, nous en souffrons aussi.

Bravo, continue … courage.

DESC : A la retraite mais en bon militaire, j’ose croire que vous êtes encore actif dans d’autres passions. Lesquelles en quelques mots ?

J’ai un diplôme de « Conseiller en informatique », j’ai donné pendant 20 ans des cours d’informatique.  J’ai suivi des cours à l’AEI (Association Européenne des Investisseurs), je joue  en bourse, comme on dit,  depuis 1990, j’ai géré des portefeuilles privés.  Je joue au bridge (compétition nationale et internationale) et je donne des cours depuis plus de 20 ans.

DESC : Un dernier message aux congolais? Aux militaires ?

Abandonnez tout complexe.  Organisez une armée forte et compétente, avec vos vrais amis. Il vous faut une main de fer pour garder l’unité et la cohésion nationale, d’abord et avant tout, vous en avez les moyens mais dans un esprit de justice, de démocratie et de partage ???  Une seule et même armée, mais non différentes unités, créée pour diviser et régner.  Cette armée vous garantira la « sauvegarde » des biens du peuple à partager entre tous les Congolais.Tout le reste n’est que « Bla … bla … » comme disait Mobutu.

Participation du bataillon au complet en trois vagues étalées sur six mois à la mission AVENIR au Congo afin de former trois bataillons de l’armée congolaise à des missions de soutien de la paix (PSO, Peace Support Operation)

DESC : Concrètement

On peut aider les militaires par le salongo (je cultivais avec mes hommes et ainsi j’améliorais le quotidien des hommes et des familles). J’ai construit des petits-villages pour les militaires mariés [une petite maison avec une parcelle pour cultiver – pas plus heureuses que les mama avec leurs mutoto (ndlr : enfants en swahili)]. 

J’avais appellé cela : le ‘soldat-paysan’, rien de péjoratif, chaque soldat marié avec sa parcelle devenait un soldat-cultivateur. Il améliorait son ordinaire et avec le surplus, les mama se rendaient au marché au à la gare pour vendre leur produit dans de grandes bassines. 

Et …  que de satisfactions pour nous, lorsqu’on revenait de congé (d’Europe) d’être fêté par toutes les mama du Bn (Ndlr : bataillon) qui nous interpellaient  » Tata« .

Or, un projet comme celui-là, je rêvais de le réaliser aussi avec la population locale des environs… Je vois cette armée du peuple, non seulement, les protéger mais les aider, les éduquer.

J’ai eu de splendides années (30 ans) en Afrique, j’ai eu de la chance, que du bonheur qu’on ne peut oublier.

Retiens ce que je te dis, d’accord nous étions des colonialistes mais le système était colonialiste pas les blancs. Certains étaient xénophobes (le racisme n’existe PAS  ?  Tous les hommes de la terre ont les mêmes gènes qu’ils soient noirs, jaunes ou blancs – les différences proviennent de la nourriture et de l’environnement) certains furent brutaux, d’accord mais crois-moi, la plupart (la grosse majorité) aimaient les congolais, à preuve, les blancs qui s’installaient chez vous à leur pension.  Si le pays était resté stable, j’y serais toujours avec mes 10 congolais (civils et militaires) qui mangeaient tous les jours ensemble dans ma parcelle.

Avec mon jardinier qui vivait avec nous dans sa maisonnette … 

Tu ne crois pas que l’on regrette tout cela ….  et je ne suis pas un nostalgique …

DESC : Mon commandant, autre chose à dire que je n’ai pas pu aborder selon vous ?

Une chose encore et dont vous ne parlez PAS. L’ayant vécu au plus haut point (j’entends encore les balles siffler – le Pac et le Pan), allusion à la rébellion muléliste.

 Dans leur croyance (belle croyance) des Ancêtres qui est parfois mal utilisée par le fétichisme et qui vire au style Vaudou, les différentes armées congolaises en ont beaucoup souffert.  Vous n’en parlez PAS dans votre ouvrage, je comprends, ce sont des souvenirs horribles. La révolte de Pierre Mulele et tous ses massacres comme à Kisangani.

Les militaires étaient envoutés et les Mulélistes attaquaient en changeant les balles en eau : Maï-Mulele  » était leur cri de guerre et les militaires peureux, jetaient leurs armes et s’enfuyaient.   Je les ai vus agir et cavaler à Bukavu quand quelques mulélistes montraient le bout du nez venant de Kamanyola. Et…quand les Mulélistes nous apercevaient, ils cavalaient également sachant évidemment que nos balles étaient réelles et allaient faire mal ? 

Pierre Mulele parvint à conquérir rien que par ses sortilèges et ses massacres (dont 25 Onusiens Italiens) et à envahir les 3/4 du territoire congolais. 

Mobutu et Tschombe firent appel aux mercenaires comme Mike Howard (nazi réfugié en Afrique du Sud – le fameux Schramme, bête noire de Mobutu car pro-Katangais et ami de Tschombe – de Bob Denard, l’homme de l’Elysée), aux para-belges (qui sautèrent sur Kinsangani) et à la 5ème Brigade-mécanisée commandée par le Col Van De Waele (il fut directeur de la sécurité en 1960, dans ses nombreux courriers avaient prévenu Lumumba et la Belgique de ce qui se tramait à la F.P.)

Vous les jeunes congolais, vous nous traitez de  » Colonialistes  » comment expliques-tu que je suis resté jusqu’en 1988 (28 ans après l’indépendance) et rappelé par la Belgique et mis obligatoirement à la pension (51 ans pour les Cdt), sinon, j’y serais encore mais intégré et armé. Nous aimions nos militaires, de tous les grades et leurs mama. Ils nous rendaient pareil et nous savions tout d’eux.  Quand on les comprend, on s’en occupe jours et nuits, on les paie, on les nourrit et leur famille. Quand on les défend contre les vols de leurs chefs directs et indirects dans une pure  justice.

Ils acceptent tout, après l’indépendance je n’étais plus un colonialiste, j’ai puni des hommes et les ai incarcérés au cachot.  Jamais, aucun ne m’a fait de mal, mais il faut être juste.  Cette vie fut malgré les horreurs, les malheurs, les sacrifices, les plus belles années de ma vie. Cette sensibilité des noirs que nous les blancs nous ne connaissons pas, que cela vienne du jardinier, de notre pischi ou de tous nos militaires fut  unique.

Je m’entendais même avec les Batetala (les hommes léopards) et c’est pas peu dire.  J’eu eu comme 2ème commandant du CPSLI  un Mutetela, il a voulu me piquer ma Caisse, il était très mal tombé car à l’époque le directeur de la sûreté Zaïroise était un très, très bon ami. Le Col. Ungaye (un Alour, ce ne sont pas des Congolais mais des Soudanais – territoire volé, comme tu l’écris dans ton livre, par Léopold II  et le Cdt Baron Dhanis – Lui, il a envahi le Sud Soudan, voulant voler ce territoire aux anglais).  Sa femme avait peur de la foudre ????  (foudre imaginaire des Nganga … sorciers).

Mobutu se rendait régulièrement à Dakar pour y consulter son GURU Sénégalais.  Je pilotais à l’époque, donc j’ai connu tous les pilotes (ou presque tous) militaires et civils, des 3 pays, et depuis 1959 j’avais connu un pilote à Bujumbura, Massart Jacques, décédé d’un cancer, chef pilote à la Gécamines qui devait amener Mobutu au Sénégal, donc je ne raconte pas d’histoire !!!!!  Comme me disait mon 1er Sgt-Major (que j’appelais Goliath, une force de la nature et aussi calme et gentil qu’un petit mouton – mort tué par les Mulélistes, mais maintenant il me protège),  » Ca, ça n’agit pas sur vous, les blancs « . Et, lorsque nous étions avec eux, ils ne bougeaient PAS, au contraire. 

Ce Mulélé a coûté environ 3 millions de morts (toujours des estimations au Congo).  Impossible de compter  la population, dès qu’une autorité, surtout accompagné de militaires, se pointent dans un village c’est la panique et la fuite en Egypte.  Quand , je pense qu’avec mes militaires je me pointais avec « médecins sans frontière  » dans les villages afin de vacciner les enfants contre la varicelle, la variole, j’étais reçu par le chef de ces villages avec ma Primus (Ndlr. Bière célèbre au Congo) car je savais que je recevrais quelques rats muskés, quelques serpents  et tortues (véritable délice).  Je vaccinais avec les médecins et  les « injecteurs à pressions  » sans douleur et sans contact, les mama m’appelaient Muganga pour soigner leur progéniture.  Que de souvenirs.  Nous étions les  » Mondele  » du Congo et ça personne ici, parmi tous ces Belgicains (terme péjoratif inventé par les belges du Congo pour signifier que ce sont des belges de Belgique qui ne comprennent rien à rien et ont toujours été contre le Congo – petit pays, petit esprit). Nous sommes condamnés, par les uns traités de  » Colonialistes et par les autres de Mercenaires), mais en attendant ce que j’ai eu, je l’ai eu… beaucoup de joies, de bonheur et maintenant de peine, qu’ils disparaissent les uns après les autres … c’est notre sort à tous.

Faut que je stoppe, sinon je n’arrête pas et j’en souffre trop (mpasi mingi na motema).

Que dieu t’écoute, tu mènes un superbe combat, continue, NE lâche JAMAIS... C’est la seule solution pour sauver cet immense et superbe pays, une armée digne de sa population.Je te souhaite beaucoup de force, de courage et du soutien des ancêtres.

Au plaisir de te rencontrer, un jour.

Tikala malumu (Au revoir ou reste en paix)

Merci d’avoir pensé à moi… bien sûr qu’il y aura des réactions négatives et de mauvaises interprétations, mais soyez prudent, quand même !

Propos recueillis par Jean-Jacques Wondo