Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 16-12-2019 20:15
9220 | 3

L’armée rwandaise en cours de réoccupation de l’Est de la RDC ? – Jean-Jacques Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Félix reçoit le général Patrick Nyamvumba alors chef de l'armée rwandaise, actuellement ministre de de la sécurité intérieure du Rwanda

L’armée rwandaise en cours de réoccupation de l’Est de la RDC ? 

Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu

L’une des promesses du président congolais Félix Tshisekedi faite au président Rwandais, lors de son séjour à Kigali en fin mars 2019, était d’agir ensemble pour mettre fin aux groupes armés qui écument l’Est de la RDC[1], notamment via des opérations militaires conjointes en RDC, selon les informations d’une source diplomatique africaine. Par la suite, le président congolais, Félix Tshisekedi, avait reçu le 10 mai 2019, le chef de l’armée rwandaise (RDF), le général Patrick Nyamvumba à Kinshasa.

C’est ainsi que plusieurs sources militaires congolaises et de la MONUSCO ont confirmé la présence des deux bataillons des forces spéciales rwandaises en RDC, en juin 2019[2], dans le parc du Virunga au Nord-Kivu et dans les environs d’Uvira au Sud-Kivu, près de la frontière avec le Burundi, sur invitation du président Félix Tshisekedi après la tripartite RDC, Angola et Rwanda qui s’est tenu le 31 mai 2019[3], en marge des obsèques officielles d’Etienne Tshisekedi.

Après l’échec[4] de la création d’un « état-major intégré » des armées de la région (Burundi, RDC, Rwanda, Ouganda, Tanzanie) en vue de permettre aux troupes de ces pays de prendre part aux opérations militaires contre les groupes armés dans l’Est de la RDC, les FARDC, l’armée congolaise, ont lancé officiellement seules une offensive d’envergure contre les groupes armés au Nord-Kivu[5]. Cependant, plusieurs informations concordantes reçues des sources militaires congolaises et ougandaises, ainsi que de la société civile font état d’une présence massive de plusieurs bataillons rwandais estimés à environ 4.000 militaires en opérations en RDC en appui aux FARDC, l’armée congolaise.

Cette analyse tente d’expliquer les motivations sécuritaires et géopolitiques qui sous-tendent la forte présence des unités spéciales des RDF, l’armée rwandaise, en RDC aux côtés des militaires congolais qui mènent des offensives en vue d’éradiquer les groupes armés à l’Est de la RDC. Ces opérations rwandaises en RDC ne visent apparemment pas les mêmes objectifs que ceux poursuivis par l’armée congolaise. Outre la traque des rebelles rwandais installés en RDC, ces opérations visent notamment à conforter une présence militaire rwandaise à l’Est de la RDC où le Rwanda tirent des dividendes économiques stratégiques pour son économie.

Félix Tshisekedi en discussion à Kinshasa avec une délégation de la haute hiérarchie militaire rwandaise accompagnée par le général Mbala.

L’armée rwandaise au Sud-Kivu en appui aux FARDC et aux maï-maï Yakutumba

Le Sud-Kivu se trouve depuis 2017 en proie à une recrudescence de la violence. On parle d’une guerre par rébellions interposées entre le Rwanda et le Burundi. Il y a d’un côté les rebelles burundais, les Forces nationales de libération (FNL)[6], une rébellion hutue et Red Tabara[7], soutenus par le Rwanda dès 2015, notamment en matière de recrutement et de formation, selon un rapport du groupe d’experts de l’ONU[8], ainsi que les groupes ma-maï, dont les Yakutumba et des maï-maï Bembe et Bafuliro.

De l’autre côté, il y a les Gumino, un groupe Banyamulenge soutenu par le Congrès national rwandais (RNC) du général dissident Kayumba Nyamwasa, qui veut renverser le président rwandais Paul Kagame. Selon un rapport du groupe d’expert des Nations-Unies sur la RD Congo, le RNC s’installe dans la forêt de Bijabo, au Nord de Minembwe, et noue une alliance avec les combattants Banyamulenge Gumino. Le même rapport indique que le Burundi sert alors de territoire de transit pour certaines de ses recrues[9].

C’est dans cet imbroglio sociologique congolais et géopolitique régional que les unités spéciales de l’armée rwandaise interviennent en appui aux maï-maï congolais qui combattent les Banyamulenge qui soutiennent le RNC de Kayumba et en appui aux rebelles rwandais qui veulent chasser Nkurunziza du pouvoir, mais aussi contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). L’appui militaire rwandais s’est soldé notamment par l’assassinat en septembre 2019 du chef rebelle FDLR Sylvestre Mudacumura[10].

Le Nord-Kivu sous occupation militaire de l’armée rwandaise qui n’attaque pas les « présumés ADF » ?

C’est au Nord-Kivu que la présence massive des militaires rwandais est signalée par plusieurs sources. Ils combattent sur base d’une répartition de terrain co-établie avec le commandement des opérations Sokola 1 à Beni. Les troupes militaires et paramilitaires rwandaises, estimées autour de 3.000 hommes sont principalement déployées dans le Virunga selon une source militaire congolaise. Plusieurs témoins les ont aperçues à Ishasha, à Masisi, à Rutshuru, à Kitshanga, à Walikale et à Rumangabo. Ils opèrent en tenue de camouflage des FARDC ou des groupes armés locaux. Cette présence des unités spéciales rwandaises en RDC a notamment mené à l’assassinat à Rutshuru, le 9 novembre 2019, du chef rebelle FDLR, Juvenal Musabimana, dit « général Jean-Michel Africa », chef de l’une des branches de la rébellion, officiellement par les FARDC. Mais des sources militaires attribuent cet assassinat au groupe armé Nduma Defense of Congo-Rénové (NDC-R) du chef rebelle Shimirayi Mwisha dit Guidon, appuyés par des éléments des forces spéciales rwandaises. Selon plusieurs rapports d’experts de l’ONU, le NDC-Renové bénéficie également régulièrement du soutien des FARDC et n’est nullement inquiété dans les opérations militaires en cours. Il combat principalement les rebelles hutus des FDLR et d’autres milices locales, notamment les « maï-maï Mazembe », un groupe d’autodéfense constitué de jeunes Nande pour mettre fin aux massacres à Beni et dans le Sud-Lubero.

Une mystérieuse reddition des maï-maï pour temporairement mettre au frais les « présumés ADF » ?

Après l’indignation générale suite à la vague des massacres des civils depuis le début des opérations, 707 miliciens maï-maï se sont rendus aux FARDC le 4 décembre 2019, à Chani-Chani, dans le territoire de Beni. Il s’agit en majorité des combattants du groupe rebelle Uhuru. D’après le général autoproclamé de cette milice, l’objectif est de fédérer les efforts afin de combattre définitivement les ADF à Beni[11]. Chose curieuse, au lieu de démobiliser ces maï-maï qui ne devraient pas avoir leur place dans l’armée, le Colonel Mukulu, envoyé du chef d’état-major dans la région, a déclaré que « ces combattants vont subir une petite formation militaire avant d’appuyer les forces loyalistes, engagées dans la traque des ADF ». Les maï-maï rendus ont été regroupés dans un centre de transit à Mayimoya.

Or, par le passé, le groupe rebelle Uhuru sévissait dans la localité de Samboko, à l’est de la commune rurale de Oicha, chef-lieu du territoire de Beni. La région Samboko-chani-chani est presque inhabitée, ses habitants ont abandonné le village pour se réfugier soit à Oicha, Eringeti pour certains, soit de l’autre côté de la rivière Samboko dont le village porte le nom, en Ituri voisine[12]. Curieusement, c’est dans cette même zone que l’on attribuait les massacres de civils aux présumés ADF, dont celui du 23 mai 2019[13].

Le 29 octobre 2018, nous avons reçu le message d’un officier congolais déployé à Beni qui identifiait plutôt des rwandophones comme assaillants ADF. Il nous a fait part de la capture d’une dizaine de présumés ADF dans une parcelle d’un particulier dans le quartier populaire de la ville de BENI appelé Matonge. « Ils ont été transférés dans le site militaire appelé OZACAF qui est le plus grand dépôt logistique qui ravitaille toutes les unités qui sont engagées aux environs de Beni, Butembo et Lubero, en attendant l’ordre de l’échelon supérieur pour les transférer dans les cachots militaires. L’ordre viendra de l’échelon supérieur de les libérer. Au cours de leur interrogatoire, les assaillants avouent appartenir au groupe ADF en provenance de Kirumba et ils voulaient atteindre la localité de Boga dans la province de l’Ituri. Ils parlent kinyabwisha[14], une langue qui est proche de Kinyarwanda, particulièrement parlée par la population de vers Saké dans les territoires de Rutshuru et de Masisi. »

Par ailleurs, un massacre d’une dizaine de civils a été perpétré le 12 décembre 2019 dans la chefferie de Watalinga, située à environ 100 kilomètres au nord-est de la ville de Beni à proximité d’une position tenues par les commandos formés par la Chine. Après les massacres, les habitants ont pourchassé les assaillants avec des flèches et en ont tué deux. Il s’agit des deux commandos de la brigade dite Ninja faisant partie de la 4ème promotion du Centre d’entraînement de Kamina formé par les instructeurs commandos chinois. L’unité est commandée par le colonel TEM[15] Dunia, l’homme des sales besognes de Kabila selon des sources militaires, et déployée au front centre dans axe Mayengose-Watalinga où dans la nuit du 15 au 16 décembre 2019, au moins 11 civils et 5 blessés ont été massacrés dans le quartier de Majengo Mapya.

Selon un officier militaire congolais, outre des éléments des quelques unités des FARDC impliquées dans les massacres à Beni, les recrutements et les financements des « présumés ADF » qui tuent à Beni sont assurés par un réseau des renseignements militaires congolais dirigé par le général Delphin Kahimbi, le sous-chef d’état-major général des FARDC chargé des renseignements, depuis la fuite de Jamil Mukulu de la RDC. Il parle de recrutement dans les milieux des anciens combattants ADF mélangés avec certaines milices locales et des tueurs rwandophones pour constituer le nouveau groupe des présumés ADF/MTM (Madina à Tauheed Wau Mujahedeen) » que d’aucuns attribuent une allégeance à l’Etat islamique. Nous y reviendrons en profondeur dans une prochaine analyse.

 

Croquis de la zone des massacres à Beni et des déploiements des FARDC et des forces spéciales rwandaises au Nord-Kivu.

Les FARDC mènent principalement des opérations au Sud de Beni laissant les massacres se commettre au Nord

Une analyse minutieuse des opérations militaires en cours réalisée par des experts militaires de DESC constate un déploiement anormal des troupes sur le secteur opérationnel. En effet, depuis début des opérations militaires de grande envergure annoncée par le président Tshisekedi, la grande majorité des opérations d’envergure sont menées au sud-est de Beni, où aucun massacre ne s’est produit depuis quelques semaines. Très peu d’opérations sont menées dans la partie ouest. Depuis le lancement des opérations, on dénombre près de 200 victimes, pratiquement toutes dans la zone nord-ouest de Beni. Cet axe Nord des opérations Sokola 1 Nord comprend les localités de Kamango, Mbau, Mangurejipa, Oicha, la vallée de la rivière Semuliki. Son quartier-général est situé à Erengeti (Voir le croquis ci-dessus). Selon des informations recueillies auprès des sources militaires au Nord-Kivu, les principales bases des massacreurs « présumés ADF » ainsi que leurs zones d’opérations sont situées dans cette aire géographique de l’axe Nord de Sokola 1, c’est-à-dire les zones comprises entre la rivière Semuliki, située au nord du territoire de Beni, frontalière de la province de l’Ituri, et la localité de Mavivi, situé à 10 km de la ville de Beni. C’est là que se commettent la grande majorité des massacres selon les analyses de DESC, illustrées par le croquis des opérations ci-dessus.

Par ailleurs, les militaires sur le terrain nous informent qu’il y a environ officiellement 21.000 soldats FARDC dans ces opérations mais les troupes sont reparties en bataillons et unités qui ne sont pas en contact les uns des autres. L’appui aérien aux opérations de terrain fait défaut. Les trois avions sukhoi-25 basés à Kisangani sont pratiquement non opérationnels. Ils ne peuvent faire des rotations en autonomie Kisangani – Beni – Kisangani dans un rayon de 800 kilomètres. Les deux hélicoptères MI-24 capables de fixer l’ennemi en mouvement et d’appuyer efficacement les troupes au sol sont défectueux.

Outre la désorganisation des troupes et des opérations[16] et la complexification du commandement des opérations depuis l’envoi du Général John Numbi[17], il y a un déploiement de plusieurs bataillons rwandais dans la région pour contourner la frontière ougandaise côté congolais (voir croquis ci-dessus) en vue de tenir en respect une éventuelle entrée des troupes ougandaises, selon une source des renseignements militaires ougandais.

« Ce sont les égorgeurs à la solde de Kabila et de Kagame entretenus par les généraux Kahimbi et Gabriel Amisi Tango Four. Suite au mécontentement populaire du fait de l’augmentation des massacres dans la zone, ils ont reçu le signal de se rendre pour ne pas subir des pertes si jamais le Conseil de sécurité renforce le mandat de la MONUSCO et augmente les effectifs de la brigade de la MONUSCO pour agir dans cette zone comme en 2013. On les met au frais, pour les reverser sur les lieux des massacres ultérieurement. Il y a une complicité entre les autorités militaires congolaises et rwandaises qui induisent le président Tshisekedi en erreur », nous dit un officier de renseignements militaires congolais. Il cite le nom du colonel Bernard Ngozi Kashumba pour co-piloter avec le général Numbi les opérations rwandaises et congolaises au Nord-Kivu.

Présence militaire rwandaise sur le sol congolais, une violation de la Constitution et la charte de l’ONU par Félix Tshisekedi ?

Cette présence massive de l’armée rwandaise en territoire de Beni et dans le Sud-Kivu est l’occasion de rappeler au président Tshisekedi, et aux membres de son gouvernement, les prescrits du droit international et national, et d’attirer l’attention sur les conséquences d’une utilisation de la violence d’une armée étrangère dans des territoires habités par des citoyens congolais. En droit international, l’utilisation de la force armée sur le territoire d’un Etat souverain est en principe interdite. Elle n’est légitime que dans deux cas de figures : l’invitation de l’Etat concerné, notamment dans le cadre des accords de défense, ou un mandat de l’ONU en application du chapitre VII de la charte de l’ONU[18]. C’est sur base de cette deuxième exception qu’une force onusienne, la MONUSCO, est déployée sur le sol congolais avec des contingents militaires et de police en provenance de 57 Etats membres de l’ONU.

Sur la première condition, ayant trait à l’invitation, l’Etat congolais n’a pas d’accord de défense avec le Rwanda, considéré dans l’opinion congolaise comme un Etat ennemi en raison des guerres d’agression et d’occupation qu’il a menées contre le Congo depuis 1996. Des guerres marquées par des atrocités innommables répertoriées dans le Rapport Mapping 2010[19]. Depuis, aucun accord de paix n’a jamais été signé entre les deux Etats pour résorber ce lourd passé. Sur le plan formel, au niveau des autorités de Kinshasa, ni le parlement, ni le Premier ministre, ni le président Tshisekedi n’ont publié un document officiel autorisant le déploiement des troupes rwandaises sur le sol congolais. Sur la seconde condition ayant trait au droit international, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a adopté aucune résolution autorisant le Rwanda à déployer ses forces armées sur le sol congolais. Nous sommes donc en présence d’une tentative d’occupation militaire d’une partie du territoire congolais par une armée étrangère sans aucun mandat officiel. Le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, dont la RDC est partie, considère l’occupation militaire comme un crime international, crime d’agression (article 8 bis, al. a)[20]. Par ailleurs, les crimes que ces forces rwandaises commettent à Beni et dans le Sud-Kivu sont passibles de poursuites devant la Cour pénale internationale.

Sur le plan national, les autorités congolaises, dont le président Félix Tshisekedi en personne, qui auraient éventuellement collaboré à cette intervention militaire illégale rwandaise sur le sol congolais, sont passibles de poursuites pour crime de haute trahison, aux termes de l’article 63 de la Constitution. Il consacre « le devoir de sauvegarder l’intégrité du territoire national par toute autorité nationale, provinciale, locale et coutumière ».

Conclusion : Kigali aux côtés des FARDC pour détruire les Nande, neutraliser la MONUSCO, attaquer l’Ouganda et le Burundi, et neutraliser le RNC de Kayumba 

Si au Sud-Kivu, Kagame prend progressivement le dessus sur le RNC de Kayumba qui est pratiquement neutralisé, sa guerre larvée contre le Burundi risque de prendre d’autres proportions en 2020.

Les massacres contre les populations Nande du Nord-Kivu ne seraient, selon moi, pas motivés par une certaine idéologie religieuse islamiste d’autant que les cibles visées ne concernent pas directement les symboles de l’Etat.  Ce qui est clair, c’est que les Nande représentent l’ethnie majoritaire au Nord-Kivu, qui a toujours dominé l’économie de la région en s’opposant notamment à l’hégémonie régionale des populations rwandophones. Les Nande, qui contrôlent l’essentiel des leviers économiques, dérangent sans doute certains leaders de la région, dont l’ancien président Joseph Kabila qui est détesté par les Nande depuis son divorce politique avec Antipas Mbusa Nyamwisi en 2011. En soutenant massivement Martin Fayulu aux élections de 2018, les Nande ont amplifié leur aversion à Kabila et sanctionné son dauphin Emmanuel Shadary. C’est ainsi que les massacres de Beni représentent, selon notre conviction, sur base de nos analyses, un moyen  pour Kabila et pour Kagame, dans une conjonction d’intérêts politiques et géopolitiques respectifs, de soutenir un faux groupe armé extrémiste. L’objectif est de soustraire le contrôle économique et politique de la région  aux Nande en y semant le désordre par le biais des « présumés ADF » qu’ils ont créés et que les deux présidents entretiennent par leurs hommes de main locaux. Les attaques répétées contre les convois des marchandises et les assassinats répétés des commerçants nande sur les routes Butembo-Beni-Kasindi-Ouganda, Butembo-Beni-Bunia (Ituri) et Butembo-Goma visent clairement à étouffer économiquement les deux principales zones de prospérité économique nande (Beni, Butembo et Oicha), ce qui, à terme, faciliterait leur soumission aux ambitions hégémoniques du Rwanda de Kagame.

La présence camouflée rwandaise vise également à utiliser les maï-maï intégrés dans l’armée pour attaquer l’Ouganda sous label ADF et attaquer les positions de la MONUSCO, comme lors des attaques contre les casques bleus tanzaniens en 2015 et décembre 2017[21] au cas où le Conseil de sécurité de l’ONU déciderait d’impliquer activement la brigade d’intervention pour mettre fin aux activités des groupes armés.

Dans cet imbloglio sécuritaire, le grand perdant est le président Tshisekedi. Le chef de l’Etat congolais qui se refuse de se faire une analyse objective de la situation afin de prendre des mesures efficaces attendues par l’ensemble de la population congolaise pour pacifier cette zone. Au contraire, il préfère poursuivre le même schéma stratégique adopté par son prédécesseur dont les prises de position diplomatiques ont été jugées accommodantes envers le Rwanda. Kagame a une fixation hégémonique géopolitique pathologique sur l’Est de la RDC qui lui sert de cave minière pour exporter à moindre coûts (suppression des barrières douanières) les produits tirés de la contrebande minière en RDC et rentabiliser davantage ses profits économiques[22]. Le Rwanda lorgne sur la RDC, par l’exploitation de rapports déséquilibrés entre d’une part, l’Etat fort qu’est le Rwanda et d’autre part, l’État ruiné qu’est la RDC. Cela fait partie d’une stratégie rwandaise pour consolider ses intérêts stratégiques en RDC. Car l’exploitation des richesses minières à l’Est de la RDC est cruciale pour l’équilibre budgétaire de l’État rwandais, ainsi que pour l’enrichissement personnel de son élite politico-militaire[23]. Lors de toutes les guerres directes ou par procuration menées par le Rwanda en RDC à partir de 1996-1997, plusieurs auteurs ont démontré, au-delà des motivations sécuritaires, que leur mobile primordial était géoéconomique[24], [25].

L’autre motivation géostratégique du Rwanda est de réinvestir l’espace oriental de la RDC où son influence ne cessait de diminuer. En réalité, la perte d’influence du Rwanda en RDC a commencé progressivement en 1998. C’est depuis cette année que le Rwanda, par l’entremise des rébellions qu’il a soutenues en RDC perd du terrain. En effet, avec l’AFDL, le Rwanda contrôlait toute la RDC. James Kabarebe, l’actuel Conseiller militaire de Kagame et ancien ministre de la Défense du Rwanda, fut d’ailleurs chef d’état-major général des forces armées congolaises, les FAC. La création du RCD a permis au Rwanda d’occuper les deux Kivu, le Maniema, une partie de la Province Orientale et du Katanga, soit un tiers du territoire congolais. On peut constater que cet espace a rétréci. Entre 2006 et 2009, le CNDP s’est contenté de Rutshuru et de Masisi. Par ailleurs, avant d’être chassé de la RDC, le M23 n’a régné que sur la moitié du territoire que le CNDP contrôlait. Depuis la défaite du M23, le Rwanda a vu son influence militaire territoriale, malgré des éléments infiltrés dans l’armée et dont plusieurs sont morts ou ont vieilli, se réduire drastiquement. Ainsi, les massacres de Beni et les opérations en cours sont des moyens pour renforcer la présence militaire rwandaise et investir les territoires riches en terres arables et en ressources minières.

Ce sont ces motivations que semblent probablement ignorer le président Tshisekedi ou auxquelles il collabore en double reconnaissance à son alliance politique avec Kabila et au soutien régional de taille lui apporté par Kagame lors de son élection très contestée.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC

Références

[1] https://www.youtube.com/watch?v=mrBRV6f0Rek.

[2] Africa Confidential, Vol.60, Nr12, 14 juin 2019.

[3] Africa Confidential, Vol.60, Nr12, 14 juin 2019.

[4] L’Ouganda, la Tanzanie et le Burundi

[5] https://afridesk.org/loffensive-militaire-baclee-menee-par-les-fardc-a-lest-de-la-rdc-tourne-au-desastre-jj-wondo/.

[6] Les Forces nationales de libération (FNL) est un mouvement de rébellion hutu toujours actif dans la guerre civile qui déchire le Burundi depuis 1994.

[7] RED-Tabara ou Red Tabara, signifiant Résistance pour un État de Droit au Burundi, est une faction armée burundaise particulièrement active depuis le début de la crise politique de 2015. Il s’oppose au régime en place de Pierre Nkurunziza ainsi qu’aux milices à son service dont les Imbonerakure.

[8] https://www.jeuneafrique.com/326011/politique/grands-lacs-contient-rapport-groupe-dexperts-rd-congo/.

[9] https://www.jeuneafrique.com/326011/politique/grands-lacs-contient-rapport-groupe-dexperts-rd-congo/.

[10] https://blog.kivusecurity.org/fr/omerta-sur-une-eventuelle-presence-des-forces-rwandaise-de-defense-dans-le-kivu/.

[11] https://7sur7.cd/2019/12/05/rdc-plus-de-700-mai-mai-se-sont-rendus-aux-fardc-pour-combattre-les-adf-beni.

[12] https://monusco.unmissions.org/nord-kivu-la-monusco-en-mission-d%E2%80%99%C3%A9valuation-s%C3%A9curitaire-%C3%A0-samboko-chani-chani-dans-la-r%C3%A9gion-de.

[13] https://www.kinflashinfo.com/index.php?page=detail&id=45.

[14] Selon Boniface Musavuli, le « kinyabwisha » n’existe pas. C’est du kinyarwanda. Les populations d’origine rwandaise implantées de longue date dans le territoire de Rutshuru se font appeler Banyabwisha tout comme les Banyamulenge au Sud-Kivu pour se démarquer de l’identité « banyarwanda » devenue trop salie. D’où le « kinyabwisha ». Par ailleurs, il indique que les ADF, même du temps où ils existaient militairement à Beni, n’ont jamais eu de présente ni à Kirumba (Sud-Lubero) ni en territoire de Rutshuru. Enfin ces personnes ne peuvent pas être originaires de Kirumba où les habitant perlent kinande et non kinyarwanda.

[15] Technicien d’état-major.

[16] https://afridesk.org/loffensive-militaire-baclee-menee-par-les-fardc-a-lest-de-la-rdc-tourne-au-desastre-jj-wondo/.

[17] https://afridesk.org/quelles-motivations-strategiques-derriere-lenvoi-du-general-john-numbi-a-beni-jean-jacques-wondo/.

[18] Charte de l’ONU, https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vii/index.html : Si le Conseil de sécurité identifie « une menace contre la paix, rupture de la paix ou acte d’agression », il peut « prendre les mesures nécessaires pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».

[19] apport du projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises en République démocratique du Congo entre 1993 et 2003, p. 426-7, au para. 896. http://afridesk.org/rdc-comment-traiter-des-criminels-du-passe-dans-un-contexte-de-coalition-voire-de-cohabitation-gouvernementale-bandeja-yamba/. Lire aussi : , https://www.ohchr.org/Documents/Countries/CD/DRC_MAPPING_REPORT_FINAL_FR.pdf.

[20] Statut de Rome, https://www.icc-cpi.int/resource-library/Documents/RS-Fra.pdf

[21] http://afridesk.org/lattaque-des-casques-bleus-a-beni-la-revanche-rwandaise-sur-les-troupes-tanzaniennes/.

Rappelons que le 7 décembre 2017, une attaque menée contre un casernement des casques bleus tanzaniens avait fait quinze tués du côté tanzanien, 59 blessés et trois disparus dans les rangs des FARDC et des casques bleus. Les assaillants avaient ciblé une base de la MONUSCO tenue par un contingent tanzanien à Semuliki, selon des sources onusiennes, qui ajoutent que les combats avaient duré trois heures. Cette attaque est consécutive à une précédente attaque des casques bleus tanzaniens le 9 octobre 2015 lors d’un assaut contre une base de la MONUSCO dans la région de Beni, à l’est de la RD Congo. L’analyse préliminaire du mode opératoire de cette attaque exclut une participation des ADF.

[22] http://afridesk.org/ladhesion-de-la-rdc-dans-leac-les-raisons-dun-agenda-geostrategique-cache-dicte-par-le-rwanda-jj-wondo/.

[23] Kris Berwouts, (ancien Directeur de l’EurAc : The European Network for Central Africa ) « Un semblant d’Etat en état de ruine », Rapport de mission en RDC – EurAc. www.eurac-network.org/web/uploads/documents/20100209.

[24] La géo-économie fait de l’économie un des fondements de la puissance, à côté des forces militaires, diplomatiques et symboliques. Il parait évident que les intérêts économiques, les conflits autour de l’accès aux ressources et les pouvoirs liés aux contrôles des richesses sont des déterminants essentiels des rapports de force et des conflits. Les enjeux économiques sont au cœur de la géopolitique pétrolière, énergétique, environnementale. Les captations des rentes sécuritaires, démocratiques, économiques fondent les jeux et les stratégies politiques. Philippe Hugon, Géopolitique de l’Afrique, 3è Ed., Sedes, Paris, Septembre 2012, p.104.

[25] Exposé de Masako Yonekawa (Université de Rikkyo – Japon), Caractère défectueux et prolongé des conflits contemporains et processus de pacification en RDC. Colloque du Cercle des Economistes Congolais, Bruxelles, 04 novembre 2017.

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3 Comments on “L’armée rwandaise en cours de réoccupation de l’Est de la RDC ? – Jean-Jacques Wondo”

  • Lidjo Makutu

    says:

    Vos articles sont fort instructifs pour nous qui avons une connaissance approximative des acteurs clés dans l’Est de notre pays. Merci !

  • Mulekya Sivi

    says:

    Les auteurs des massacres de civils à Beni sont bel et bien les rwandophones infiltrés dans l’armée Congolaise.
    Plus question de spéculation.

  • Tuende

    says:

    À saké ou autours de saké on ne parle pas Kinyabwisha on parle Kihunde. Kinyabwisha/Kinyarwanda est parlé à Rutshuru.

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