DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 16-10-2023 10:30
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L’allègement progressif et graduel de l’état de siège : un dispositif hybride confusionnel ?

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, décide d’« un allègement progressif et graduel » de « l’état de siège » instauré en mai 2021 au Nord-Kivu et en Ituri, deux provinces confrontées à la recrudescence des violences de groupes armés. Dans son allocution, le président Tshisekedi explique les raisons qui l’ont poussé à instaurer cette mesure exceptionnelle de gouvernance, conformément à ses prérogatives consacrées par les articles 69, 85, 144 et 145 de la Constitution aux fins de « répondre, de la manière la plus appropriée et la plus adaptée, à cette situation ; en ce particulièrement, dans la nature des actions à entreprendre dans ces zones opérationnelles où les ennemis de la paix devaient de toute urgence être affrontés et l’autorité de l’État, restaurée ».

Le président Tshisekedi déclare également s’appuyer en toute responsabilité sur l’examen de l’ensemble des recommandations formulées dans les trois commissions de la Table ronde et « après avoir échangé avec les responsables des institutions de l’État et entendu le Conseil Supérieur de la Défense ». Il déclare avoir pris la ferme résolution de conduire, « sans atermoiements funestes, mais sans précipitation inconsidérée », les populations des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu vers un allégement progressif et graduel du régime de restriction de l’état de siège avec les meilleures garanties de poursuite du maintien d’une pression maximale sur les ennemis de la paix.

Les participants à la table ronde sur l’état de siège en août 2023
Un camouflet de l’échec de l’état de siège ?

Il sied de noter que les participants de la Table ronde, qui s’est tenue à  Kinshasa du 14 au 16 août à l’initiative présidentielle, ont quasi unanimement opté pour la levée de cette mesure d’exception[1]. ils ont estimé que « l’unique et seule option » à prendre est « la levée pure et simple de l’état de siège ». Ils demandaient également au gouvernement de « rétablir » les institutions civiles et de « renforcer les opérations militaires de grande envergure » dans la région[2]. En effet, depuis son lancement, sans planification stratégique et opérationnelle[3], la mise en œuvre de cette mesure était vivement critiquée par des militants des droits de l’Homme et les experts en sécurité. Ces derniers estiment qu’elle n’est pas parvenue à stopper les violences. Selon un rapport du Groupe d’étude sur le Congo, « l’état de siège était une réponse inadaptée au problème de la violence dans l’est. Il a consisté principalement à restreindre les libertés civiles et à remplacer les administrateurs par des militaires. Mais la violence à l’Est n’a jamais été causée par un excès de libertés, ni par des autorités civiles nuisibles. L’un des principaux moteurs de la violence – la corruption rampante et les rackets au sein des forces armées – n’a été qu’exacerbé par le manque de redevabilité et de transparence qui a accompagné le régime militaire dans les deux provinces »[4].

En effet, l’état de siège avait pour objectif de juguler l’insécurité qui prévalait dans les deux provinces concernées. En plaçant ces provinces en état de siège, l’objectif était de sanctuariser les deux provinces en vue d’empêcher que la situation sécuritaire se détériore ou que ces provinces subissent d’autres attaques internes et externes. Or le fait que la province du Nord-Kivu ait été attaquée par le M23 alors qu’elle était sous état de siège, est un indice de l’inefficacité du dispositif opérationnel de l’état de siège. Il en est de même de même de la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire en Ituri[5]. Par ailleurs, dans un rapport publié en août 2021, la Commission Défense et Sécurité de l’Assemblée nationale a également dressé un bilan mitigé de cette mesure. Il a en outre déclaré que « les tueries, les massacres, les viols, les braquages (…) se sont intensifiés dans les zones concernées »[6].

Un dispositif de transition sans base juridique susceptible de créer un vide juridique et instaurer la confusion

Il sied de rappeler que l’état de siège est une mesure constitutionnelle permettant le transfert de compétences administratives des autorités territoriales civiles aux autorités militaires. Comme l’a rappelé le président congolais, il s’agit donc d’un « régime exceptionnel et temporaire ». Celui-ci met en place une réglementation qui confie à une autorité militaire la responsabilité du maintien de l’ordre public et de l’administration d’un pays ou d’une partie de son territoire confrontée à une menace sécuritaire très grave. Concrètement, il entraîne exceptionnellement le transfert de compétences des pouvoirs de sécurité et d’administration du territoire, normalement exercés par les autorités civiles, pour une durée limitée dans le temps, aux autorités militaires, sans que ce transfert soit absolu et automatique, puisqu’il faut que l’autorité militaire suprême le juge nécessaire et indispensable[7].

La décision de la levée graduelle et progressive de l’état de siège ne se repose sur aucun fondement  légal d’autant que cette mesure est strictement encadrée par la Constitution. Elle ne peut donc faire l’objet d’une quelconque cohabitation avec une mesure transitoire ne se fondant sur aucune base légale au risque de créer une insécurité juridique et générer de la confusion sur le terrain.

Enfin, il faudrait un calendrier clair détaillant le chronogramme de la suppression définitive de l’état de siège et de la reprise effective de la gestion administrative de ces deux provinces par les autorités civiles habilitées. Ce d’autant que cette situation inédite de cohabitation hybride hommes en armes et civils risque de créer la confusion entre les autorités militaires sortantes et les autorités civiles provinciales compétentes dans la gestion de la province au risque de générer d’autres conflits dans ces provinces déjà meurtries. Nous pensons notamment à la situation de la province de l’Ituri où le gouverneur élu Jean Bamanisa pourrait difficilement cohabiter avec le général Johnny Luboya du fait qu’ils n’ont cessé de s’invectiver mutuellement durant toute la période de l’état de siège.


Jean-Jacques Wondo Omanyundu, analyste des questions sécuritaires

Références

[1] https://www.radiookapi.net/2023/08/16/actualite/politique/rdc-les-participants-la-table-ronde-sur-letat-de-siege-au-nord-kivu.

[2] https://www.jeuneafrique.com/1473705/politique/est-de-la-rdc-nouvel-appel-a-lever-letat-de-siege/.

[3] https://afridesk.org/six-mois-apres-linstauration-de-letat-de-siege-linsecurite-ravage-lest-de-la-rdc-jj-wondo/.

[4] GEC, Podcast Po na Congo – RDC : le début de la fin de l’état de siège ? 18/08/2023

[5] https://www.rtbf.be/article/rdc-la-crise-humanitaire-se-degrade-encore-en-ituri-et-dans-le-nord-et-sud-kivu-salarme-lonu-11236472.

[6] Assemblée nationale de la RDC, Commission Défense et Sécurité, Rapport de synthèse des auditions sur l’évaluation de l’état de siège, août 2021.

[7] JJ Wondo, Quelle armée pour appliquer l’état de siège décrété en Ituri et au Nord-Kivu ? – AFRIDESK, 3 mai 2021. https://afridesk.org/quelle-armee-pour-appliquer-letat-de-siege-decrete-en-ituri-et-au-nord-kivu-jj-wondo/.

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