Le territoire de Beni reste en proie aux attaques meurtrières récurrentes qui ont repris de l’ampleur depuis le lancement de l’offensive d’envergure le 31 octobre 2019. Ces massacres sont généralement attribués aux combattants de la rébellion ougandaise appelée Forces Démocratiques Alliées (ADF). Dans un communiqué, le Département d’État désigne les (ADF) sous le nom de « Daech RDC » commandé par « Seka Musa Baluku ». Les attentats ont fait plus de 849 victimes civiles en 2020 dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, ajoute Washington, en s’appuyant sur des chiffres d’un rapport remis aux Nations unies[1]. Cette analyse tente de décrypter la logique – laconique – qui a poussé les Américains à qualifier l’ADF/MTM de mouvement islamiste comme seul responsable de tous les massacres commis dans la région de Beni et des environs.
Ethnicité, religion et ADF : un document confidentiel américain méthodologiquement laconique
DESC a reçu un document confidentiel rédigé par un analyste américain, ancien coopérant militaire en RDC, à l’attention des autorités américaines sur la problématique des ADF. On peut y lire ce qui suit : « Les peuples Nande, Konjo et Amba sont situés des deux côtés de la frontière entre l’Ouganda et la RDC à proximité du lac Albert et de la chaîne de montagnes Ruwenzori. Les Nande sont les dominantes des tribus susmentionnées, avec plus de deux millions de membres. Les Nande sont considérés comme indigènes de la RDC et constituent plus de la moitié de la population de la province du Nord-Kivu, leur principale concentration étant dans les territoires de Beni et Lubero. Les Nande ont traditionnellement été considérés comme des cultivateurs, les opposant à la fois aux Rwandophones et aux communautés pastorales (bien que presque tous les groupes détiennent une sorte de bétail) ».
« Le groupe Nande est appelé tribu Konjo en Ouganda. Avec les Konjo, ils constituent l’ethnie Yira (ou Bayira, littéralement «peuple Yira»). Bien que des langues techniquement distinctes, Nande et Konjo communiquent facilement et se sentent vraiment un seul peuple[2]. Les deux groupes pensent qu’ils sont originaires des montagnes du Ruwenzori («Les montagnes leur appartiennent et elles appartiennent aux montagnes») ».
Selon le professeur Ndaywel : « L’identification du peuple Nande nécessite quelques éclaircissements. S’il y a quelques ambiguïtés à ce sujet, elles proviennent de ce que les Nande ne constituent qu’une partie d’une ethnie plus grande dont l’étendue déborde du territoire congolais pour atteindre l’Ouganda. Le lac et la montagne divisent les deux parties de cette ethnie et la colonisation est venue accentuer ce clivage par le fait que les deux parties ont subi la tutelle de deux systèmes coloniaux différents, belge sur le Congo et britannique sur l’Ouganda. Cette situation a compliqué l’usage d’une terminologie pour déterminer cette grande ethnie dans ses différentes parties. Trois termes sont encore en concurrence : Nande, Kodjo et Yira, qui désignent tous cette même réalité ethnique. Le terme Kodjo est actuellement d’usage pour qualifier les Nande de l’Ouganda par opposition aux Nande du Congo. Mais ce clivage a été renforcé par la colonisation qui a accentué la division entre les Nande orientaux et Nande occidentaux. Mais le terme Kodjo est inconnu au Congo. Il a plutôt cours en Ouganda… »[3].
Le document américain mentionne en outre que « La majorité des membres de l’ADF semblent être d’ethnie Konjo, probablement parce que l’ADF avait ses racines en Ouganda. Cependant, depuis au moins les années 1950, les Nande – qui sont l’ethnie majoritaire au Nord-Kivu et considérés comme des Congolais autochtones – ont organisé des groupes d’autodéfense contre les migrants rwandais (appelés communément les Banyarwanda ou les rwandophones). Fait intéressant, les Nande ont résisté à la fois aux Tutsi (éleveurs) et aux Hutus (cultivateurs), bien qu’ils soient eux-mêmes des cultivateurs. Les Nande ont répandu un message xénophobe à travers leurs liens ethnoculturels avec les Konjo (et les Konjo vraisemblablement avec les Amba à travers leurs liens monarchiques). Les ADF des communautés de Konjo / Amba se sont emparées de la propagande Nande, dépeignant leur milice comme un sauveur pour les peuples Konjo et Amba des menaces extérieures et aussi un défenseur de l’idéologie religieuse. Ce message détourné a joué un rôle déterminant en aidant les ADF à recruter au sein des communautés de Konjo, Amba et Nande, bien que les trois groupes soient majoritairement chrétiens/animistes ». Bien que les informations soient rares et datées, il semble que les Konjo soient nominalement à 89% chrétiens, les Amba à 92% et les Nande à 98% (bien que de nombreux membres soient en même temps animistes). La grande majorité des Konjo et Amba[4] résident en Ouganda, tandis que la plupart des Nande sont au Congo ».
« En Ouganda, les Konjo et les Amba forment un royaume subnational appelé Rwenzururu. À l’approche de l’indépendance et pendant plusieurs décennies par la suite, le Rwenzururu était un mouvement sécessionniste armé qui s’est finalement contenté d’un statut semi-autonome. En 2008, le gouvernement Museveni a reconnu les Ruwenzururu comme le premier royaume ougandais partagé par deux tribus. Peu après l’éviction d’Obote du pouvoir par Museveni, les présidents kenyan Arap Moi et zaïrois Mobutu ont accepté de soutenir une nouvelle rébellion Konjo sous la bannière de l’Armée nationale de libération de l’Ouganda (NALU). De même, le Soudanais Omar Al-Bashir n’appréciait pas non plus Museveni et a fomenté une insurrection en Ouganda. En 1995, le Soudan a négocié la fusion de la NALU avec l’Armée musulmane de libération de l’Ouganda et le Mouvement démocratique allié des Bagandais, donnant ainsi naissance aux Forces démocratiques alliées (ADF) », peut-on lire dans ce document.
« Comme pour la plupart des insurrections en Ouganda, Museveni a finalement réussi à déplacer ces groupes rebelles vers la RDC, le Soudan et la République centrafricaine voisins. En raison du manque relatif de gouvernance en RDC, les ADF (et d’autres groupes ougandais plus notoires comme l’Armée de résistance du Seigneur) n’ont jamais été totalement vaincus et continuent de créer de l’insécurité dans la région ». (…) « L’ADF ne constitue pas un groupe homogène. À un moment donné, il semble s’être fractionné en deux camps pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires. Une branche est plus une entreprise criminelle, avec des liens de type mafieux avec la Somalie et le Kenya. Cette faction est impliquée dans le trafic de carburant, de minerais et d’or, ainsi que dans des enlèvements. C’est la branche la plus viable économiquement. L’autre faction s’est apparemment transformée en Madina à Tauheed Wau Mujahedeen (MTM). Sa relative faiblesse est probablement ce qui l’a poussé à tendre la main à l’État islamique. MTM est blâmé pour les récentes attaques dans la région de Beni. On pense également que la mosquée Erengeti se trouve dans le camp du MTM, bien que toutes sortes de musulmans y adorent. ». Malheureusement, le document américain ne donne pas suffisamment de preuves ni d’indices pour étayer davantage cette deuxième allégation.
Sans fournir des preuves matérielles suffisantes pour démontrer le lien entre les rebelles ADF et l’Etat islamique, le document américain s’est limité à s’appuyer sur les supports vidéo publiés sur les réseaux sociaux en 2017 pour illustrer les connexions internationales des ADF avec les groupes islamiques de la région. « Il y a de plus en plus d’indices de contact entre l’ADF et la Province de l’État islamique d’Afrique centrale (IS-CAP). Une vidéo d’octobre 2017 présentait la «Cité du monothéisme et des monothéistes» ou Madina à Tauheed Wau Mujahedeen (MTM). L’orateur était le ressortissant tanzanien Ahmad «Jundi» Mahamood, qui a rejoint le groupe extrémiste en 2017 après avoir étudié en Afrique du Sud. Jundi affirme dans la vidéo que MTM est un autre surnom de l’ADF et qu’il est aligné sur l’État islamique. Al-Baghdadi a mentionné pour la première fois la « province de l’Afrique centrale » en août 2018. On pense que l’IS-CAP englobe les opérations extrémistes à la fois dans l’est de la RDC et dans le nord du Mozambique », écrit l’auteur de ce rapport.
Pourtant, selon Laurent Touchard, l’insurrection djihadiste dans le nord du Mozambique est remarquée en 2018 avec la présence rapportée d’éléments de l’Etat islamique, ce que dément fermement le pouvoir. En réalité, cette présence croit discrètement depuis 2017. Elle se construit autour du mouvement Ansar-al-Sunna. Ce dernier est lui-même issu de l’agglomération à partir de 2015 de petits islamistes regroupant des jeunes nommés « al-Shabaab »[5] (« les jeunes »). Leur entraînement militaire est assuré dans un premier temps par au-moins trois ex-membres des Forces de défense limogés (police et garde-frontières). Des indices laissent penser que les liens existent avec l’EI à partir de 2017, mais les Shabaab mozambicains font d’abord preuve de discrétion à propos de cette influence. Ce flou sur la création du mouvement et sur les proportions de son affiliation à l’EI doit au défaut d’informations. (…). En 2020, le mouvement islamiste mozambicain se compose principalement de Mozambicains, mais aussi de Tanzaniens et de Somaliens. Pretoria craint aussi que les ressortissants sud-africains ayant précédemment rejoint l’EI en Syrie et IRAK s’y replient[6].
Donc, jusque-là, on ne parle pas de connexion avérée avec les combattants qui massacrent en RDC. Par contre, dans leur nomenclature des groupes islamiques qui évoluent dans les différentes régions du monde, ces mouvements qui luttent au Mozambique et dans les environs sont mis sous le vocable générique de Islamic State’s Central Africa Province (ISCAP). D’où probablement la confusion de faire directement le lien avec la RDC du fait qu’elle est située en Afrique centrale.
L’évolution la plus inquiétante, fait remarquer le document américain, est peut-être le contact confirmé entre une milice du Nord-Kivu et des extrémistes islamiques en Tanzanie et au nord du Mozambique. Par exemple, un ancien colonel et deux majors des Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) ont fait défection vers les ADF. Les mêmes officiers ont ensuite été capturés et tués par les forces de sécurité mozambicaines dans la province de Cabo Delgado. Ces Ougandais étaient intégrés à Al-Sunnah dans le nord du Mozambique.
Selon ce document, « l’État islamique (EI) a revendiqué sa première attaque en RDC en avril 2019, à la suite d’une opération non confirmée des ADF/MTM. Le 4 juin 2019, l’EI a fait sa première déclaration d’attaque dans le nord du Mozambique. L’inclusion du groupe mozambicain Al-Sunnah dans la zone d’opérations de l’IS-CAP peut indiquer des synergies ou des liens entre les deux groupes extrémistes ». Il existe des rapports non confirmés selon lesquels certains membres d’al-Sunnah (dont beaucoup sont impliqués dans le trafic illicite de rubis et de bois) ont reçu une formation en Tanzanie et en RDC. Des liens entre MTM et Al-Sunnah ont également été établis en 2018 lorsque six membres du MTM auraient été arrêtés par les autorités mozambicaines lors d’un raid sur un camp d’Al-Sunnah dans le district de Mocimboa da Praia à Cabo Delgado. Parmi les personnes détenues, il y aurait eu le chef de la mosquée Usafi à Kampla, Abdul Rahman Faisal Nsmaba. Mais jusque-là, toutes les allégations fournies ci-dessus restent de l’ordre des suppositions sans apport de d’indices sérieux ou preuves matérielles irréfutables.
Et le document de tirer les constats suivants basés sur des rumeurs :
« Il est probable que les ADF/MTM aient invoqué le nom d’État islamique comme technique de recrutement, ou que ce changement de marque ait été fait pour attirer l’attention et le soutien de l’État islamique. Il y a eu depuis des rapports confirmés de communication entre l’ADF et l’État islamique, bien que les détails de ces échanges ne soient pas connus. En outre, selon la rumeur, un financier de l’État islamique aurait visité l’ADF (mais cela n’a pas été confirmé).
« Il est probable que les ADF/MTM ne soient pas uniquement motivée par un zèle religieux ou une quelconque idéologie. Il est également probable que tout soutien des Nande, Konjo et Amba ne représente probablement qu’une petite fraction infime de ces communautés, et que la grande majorité de ces populations soient des victimes et des participants réticents. Ce qui est clair, c’est que les Nande du Nord-Kivu représentent la majorité de la population et ont traditionnellement dominé l’économie. Les Nande, qui contrôlent toujours les leviers économiques du pouvoir, peuvent en quelque sorte calculer qu’il est dans leur intérêt politique de soutenir un groupe extrémiste. Alternativement, peut-être que Kabila et ses copains ont jugé que le moyen d’arracher le contrôle économique aux Nande est de semer le désordre dans la province par le biais des ADF, et ont trouvé des complices locaux pour aider dans cette entreprise. Ou peut-être que le soutien de l’ADF joue dans la stratégie de Kabila de faire tout ce qu’il peut pour discréditer et déstabiliser le président Tshisekedi et son alliance CACH en faveur du FCC », conclut le document américain. DESC pense que cette piste n’est pas suffisamment exploitée par les Américains.
Des islamistes sans ancrage sociologique local
Contrairement aux mouvements islamistes de l’Afrique de l’ouest et au Mozambique greffés sur les communautés ethniques musulmanes implantées localement, rien de tel n’atteste aujourd’hui l’ancrage musulman communautaire local de l’ADF à Beni.
Je me suis toujours posé la question de savoir quel serait l’objectif réel de Daech/Etat islamique de venir s’installer dans une zone à très faible proportion de la population musulmane, contrairement à ce qui se passe au Sahel ou au Mozambique à Cabo Delgado où Ansar-al-Sunnah, allié à l’EI s’appuie sur la forte communauté musulmane locale (près de 50 % de la population), pour revendiquer ses attaques qui vont au-delà du Djihadisme. Au sahel, à la corne de l’Afrique comme au Mozambique, c’est le pouvoir qui est principalement pris pour cible et non uniquement les populations civiles, principalement Nande, comme en RDC. Aussi, en RDC, les massacres qui ont débuté depuis octobre 2014, sont rarement revendiqués directement par les assaillants. Enfin, pourquoi l’EI attaquerait-il un pays ne participe pas aux opérations dans les zones où sévissent les islamistes ?
Si le groupe EI revendique des attaques dans des pays Occidentaux qui le combattent en Syrie et en Irak, l’essentiel de son action reste dans cette zone où il veut établir géographiquement un califat au profit des musulmans du monde entier suivant les principes de la loi islamique. Selon nous, il n’existe aucun continuum spatial, géographique, sociologique, humain, religieux voire idéologique entre l’Etat Islamique et la région.
Dans une étude intitulée : La menace islamiste dans la région des Grands Lacs : un enjeu sécuritaire utile ?, Myrto Hatzigeorgopoulos, cite Gérard Prunier qui avait, dès 1999, qualifié l’ADF d’ « islamistes sociaux », arguant que « ces islamistes-là, [ne sont] souvent même pas musulmans au départ ». Bien que les activités de l’ADF présentent un facteur d’insécurité majeur pour les populations de l’est du pays, l’ADF ne se situe pas dans la mouvance du terrorisme islamiste et ne participe pas à la « djihadosphère ». Aucune information ne permet, à ce jour, de confirmer que celle-ci aurait des liens financiers et opérationnels avec les réseaux terroristes internationaux. Selon de nombreux observateurs, jouer la carte du radicalisme islamique lui a plutôt permis de recruter des combattants et d’obtenir des soutiens financiers conséquents en provenance des pays musulmans, comme le Soudan[7].
La piste interne FARDC ?
Dans nos analyses et contacts avec la société civile locale à Beni et les militaires qui opèrent sur le terrain : plusieurs témoignages des survivants des attaques dans la région de Beni ont identifié des agresseurs qui parlaient soit le Kiganda ou le Swahili, avec un accent local ougandais, ou le Kinyarwanda ou même le Lingala, langue usuelle au sein des FARDC. Dans certains témoignages on parle des agresseurs en tenue militaires, par contre, dans d’autres témoignages on parle d’ hommes en tenue civil.
Par ailleurs, ce que je sais est qu’avant son décès, les Américains s’intéressaient au général Delphin Kahimbi, ex-chef des renseignements militaires congolais, qu’ils soupçonnaient d’être en collusion avec les autorités soudanaises. Entre 2018 et 2019, il nous revient d’une autre source militaire proche de Delphin Kahimbi que ce dernier se rendait souvent au Soudan pour suivre de cours de leadership (modules de formations accélérée à l’Ecole de renseignement militaire des SAF (Sudanese Armed Forces) située à Oudourman dans la banlieue de Khartoum.
Nous savons aussi que Kahimbi était en contact avec Musa Baluku, un des ex-lieutenants de Jamil Mukulu, qui avait trahi ce dernier. Ensemble, ils auraient mis en place un réseau de recrutement des « faux ADF » en tentant d’avoir des connections avec l’Etat islamique. Il s’agissait des combattants islamistes érythréens, somaliens ou soudanais dans le but de faire accréditer la thèse de la menace islamiste en vue de dédouaner certains pays (come le Rwanda ou l’Ouganda) ainsi que des officiers et des unités de l’armée de leur responsabilité dans la perpétration ou la complicité de ces attaques.
Pourquoi ne pas exploiter également la piste des « returnees FDLR » recyclés au Rwanda ?
Au Nord-Kivu, on distingue deux groupes des FDLR : les FDLR/FOCA et les FDLR/RUD. Les premiers, les Forces combattantes Aba Cunguzi (FOCA), sont issus de génocidaires Interhamwe. Les seconds (RUD) sont un groupe dissident des FDLR, mais qui accueillait des Tutsis qui quittaient le Rwanda et surtout l’Ouganda, pour s’installer en RDC. Ces Rwandais formés par l’armée rwandaise (RDF) se sont infiltrés en RDC pour y mener des activités de déstabilisation, d’espionnage et de facilitation du trafic illégal des minerais, selon des sources militaires congolaises.
Selon John Nsengo, un ancien Assistant du processus DDRRR au sein de la MONUSCO : « Au départ, le RUD était dans une coalition dénommée Congrès National Démocratique (CND) avec un groupe d’officiers Tutsis du nom de Rassemblement pour le Peuple Rwandais (RPR-Inkeragubatara). Les FDLR/RUD avaient déjà une position avancée dans le Parc des Virunga vers Bunagana… alors que leur QG était à Mashuta (limite entre les territoires de Lubero et Walikale). Mais le groupe fut infiltré par les anciens éléments rapatriés au Rwanda à travers le processus de DDRRR et qui, une fois arrivés au Rwanda étaient formés pour retourner en RDC en vue d’exécuter des plans des RDF. Après le décès du Général Mousare, leur commandant militaire sur terrain, le groupe fût infiltré à grande échelle. Il s’est ensuite disloqué. Une partie de ce groupe a tissé des relations avec les autres groupes armés locaux et collabore actuellement avec les « ADF » qui tuent à Beni. Leur emplacement vers la frontière ougandaise était aussi motivé pour faciliter le recrutement de nouveaux combattants en Ouganda qui devaient ensuite être acheminés en Territoire de Beni pour le compte des ADF. Et ce circuit fonctionnerait encore actuellement ». Ces FDLR/RUD sont majoritairement de l’ethnie tutsie. Ils pillent, tuent, sèment le chaos et violent. Ils sévissent principalement dans les territoires de Masisi, de Rutshuru et dans le Parc des Virunga. Ils bénéficient des complicités dans l’armée congolaise via des rebelles brassés, mixés et intégrés dans les FARDC, mais aussi dans la police congolaise. Ils travaillent pour le compte du Rwanda afin de maintenir son emprise sur la RDC, précisent nos sources.
Certaines recherches de DESC pointent des populations rwandaises chassées de Tanzanie, qui migrent dans des zones des massacres à Beni. A l’époque il y avait un conflit entre le Rwanda et le Président Jakaya Kikwete. Ces migrants se sont d’abord installés à Masisi et à Rutshuru dans les zones occupées par le M23. Après que cette rébellion a été défaite, ces populations se sont rendues au Rwanda où elles ont été réarmées puis réinjectées au Congo[8], notamment au sein des groupes armés installés dans la région.
Conclusion
Le professeur Rui Verde, spécialiste de l’Angola et chercheur à Oxford School of Global and Area Studies, analyse actuellement les prémices de l’islamiste dans ce pays. Dans un échange que j’ai eu avec lui, il estime que la décision américaine s’inscrit dans ce qu’ils appellent une vision holistique de la lutte contre le terrorisme dans la région. « Les Américains considèrent les activités en RDC et au Mozambique comme étant complémentaires. Au Mozambique, les Etats-Unis ont lancé une formation militaire en faveur des forces de défense locales pour lutter contre le terrorisme. Nous assistons à un mouvement d’actions conjointes déclenchées au départ du Mozambique », me dit-il. Selon lui, il y a une dynamique de propagation des menaces terroristes inspirées par l’Etat islamique dans la région de la SADC, à la suite d’une étude récente qu’il a effectuée sur ce thème en Angola. La menace du terrorisme islamique est déjà dans les pays voisins de l’Angola, comme la Tanzanie. Il n’est pas surprenant qu’il tente de rejoindre l’Angola ou qu’il y ait déjà des indices d’infiltrations discrètes de ce mouvement.
Jason Stearns, tout en restant sceptique sur l’approche américaine, estime que le fait que les Etats-Unis perçoivent les ADF comme ayant des liens avec l’EI pourrait changer un peu la politique du groupe. Mais ce positionnement peut aussi avoir des inconvénients. Plus on perçoit Daech comme l’ennemi dans l’est du Congo, plus on délaisse les autres facteurs qui contribuent au conflit[9].
C’est également ce que nous constatons car l’erreur que tout le monde commet aujourd’hui, notamment les Américains, est d’attribuer tous les massacres aux fameux ADF/MTM. Pourtant il y a plusieurs groupes/réseaux actifs dans la région : Groupe des FARDC issus des rebellions, faction ADF/Baluku qui a commis les récentes tueries de Bulongo et qui a été réactivé par Kahimbi et certains officiers des FARDC, les Mai-Mai locaux ravitaillés par l’armée congolaise et les pays voisins et les « returnees rwandophones ».
Malgré les allégations du professeur Rui Verde, épousant la thèse américaine, nous sommes plutôt d’avis avec Jason Stearns que les contours des liens qui unissent ce mouvement à l’EI restent largement flous, « les ADF se sont inscrits dans la logique terroriste prônée par l’Etat islamique », le groupe d’experts de l’ONU sur la RDC assure dans son rapport de décembre 2020 qu’il n’a pu confirmer aucun lien ou soutien direct entre les deux organisations[10]. Nous estimons donc qu’à ce jour, aucun indice sérieux ni des preuves matérielles suffisantes ne justifient le lien direct entre les tueurs à répétition à Beni et l’EI. Ce, du fait de la multiplicité des acteurs criminels qui interagissent, parfois aux objectifs convergents, dans cette partie du pays. La désignation par les Etats-Unis des « ADF/MTM » comme groupe allié à l’EI souffre des lacunes méthodologiques qui jettent le doute sur la crédibilité de cette décision. La persistance des massacres à Beni et dans la région souffre de plusieurs lacunes. On peut citer notamment :
– La méconnaissance de l’ennemi qui est mal identifié ou dont on refuse de donner l’identité réelle. On attribue systématiquement les massacres/violences qui se commettent à Beni aux ADF sans aucune autre forme d’’identification précise des auteurs avec des preuves matérielles irréfutables. L’idée est de brouiller sciemment les pistes sur la véritable identité des tueurs de Beni.
– L’ignorance des dynamiques internes au sein de l’armée congolaise : La désorganisation/superposition des structures de commandement et le déploiement dans les zones d’opération des unités complices avec les assaillants constituent la marque de dysfonctionnement des FARDC. La chercheuse hollandaise Judith Verweijen mentionne qu’il est difficile de prévoir les effets de la cohésion militaire au vu de la complexité socio-structurelle des FARDC[11]. Les mécanismes de loyauté hiérarchique qu’on y rencontre compliquent des équilibres locaux abscons et changeants : complicités intéressées avec les groupes armés, situations de rivalités entre chefs d’unités qui conduisent à ne pas secourir une unité voisine en difficulté, etc.[12]
– La sous-estimation des enjeux géopolitiques de la région : trop souvent, on a tendance à réduire l’insécurité à l’est du Congo à sa dimension interne congolaise. On fait semblant d’exclure les causes exogènes de ces conflits qui impliquent activement les États de la région.
– Le manque de volonté politique pour réformer l’armée et s’attaquer correctement à l’insécurité à l’est de la RDC : cela s’illustre par l’indifférence ahurissante de tous les acteurs politiques au drame de Beni. Ça se matérialise par l’abandon des processus de réforme de l’armée, l’absence d’un programme de DDR pragmatique. On préfère recycler dans l’armée des miliciens qui ont tué, violé et massacré leurs compatriotes. On note aussi l’absence d’une stratégie nationale de lutte contre l’insécurité. L’abandon de l’armée dans un état de clochardisation, sans loi de programmation militaire censée financer sa modernisation, est aussi un indicateur d’absence de volonté politique. Par ailleurs, les autorités politiques congolaises, contre l’avis de la hiérarchie militaire, tiennent mordicus à inviter l’armée rwandaise en RDC pour résoudre l’insécurité dont le Rwanda est en grande partie responsable.
– La faible implication de la justice pour lutter efficacement contre l’impunité en vue de sanctionner vigoureusement les auteurs (militaires/rebelles) de graves violations des droits humains laisse transparaitre l’absence de volonté politique. Pourtant aujourd’hui le contexte est favorable pour prendre des actions d’envergure grâce au plaidoyer en faveur du rapport sur le Projet Mapping des Nations unies entrepris par le Dr Denis Mukwege. Pendant que les autorités congolaises trainent les pas, ce plaidoyer a trouvé un écho favorable auprès du Parlement européen[13]. Ce dernier « demande une nouvelle fois que les recommandations du rapport sur le Projet Mapping des Nations unies soient suivies d’effets, notamment la recommandation relative à la création de chambres mixtes spécialisées au sein des tribunaux de RDC »[14].
Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Analyste des questions sécuritaires de l’Afrique médiane
Références
[1] https://fr.africanews.com/2021/03/11/rdc-le-groupe-adf-affilie-au-terrorisme-par-les-etats-unis/.
[2] Cela joue un rôle très important dans leurs traditions et leur image de soi, et explique les similitudes entre les deux groupes. Les Konjo en RDC ont une population estimée à 325 000 habitants.
[3] On a même pensé que ce terme désignait peut-être les « gens de la montagne » par opposition aux « gens de la plaine » (Banyirungu). Mais dans ce cas-là il ne serait pas dérivé du mot « montagne » qui se dit Ekitwa en langue Nande. Lire Isidore Ndaywel, Histoire du Zaïre. De l’héritage ancien à l’âge contemporain, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1997, p.222.
[4] Selon le document : « Les Amba sont de loin la plus petite des trois tribus considérées. Du côté congolais de la frontière, ils se trouvent dans les sous-comtés Bawisa et Watalinga de Beni au Sud-Kivu. De l’autre côté de la frontière, du côté ougandais, on les trouve dans le district de Bundibugyo. La grande majorité du peuple Amba se trouve du côté ougandais de la frontière (environ 42 000 personnes), tandis qu’en RDC, la population Amba compte environ 6 000 membres. Les Amba sont traditionnellement des cultivateurs, mais ils élèvent également des moutons et des chèvres. En raison des mariages mixtes, la plupart des enfants Amba grandissent en parlant le Lubwisi ».
[5] Sans aucun lien avec l’organisation somalienne communément connue sous ce nom, même si la présence de « formateurs mercenaires » des Shabaabs somaliens a été signalée, ces combattants étrangers ayant été payés par Ansar al-Sunnah.
[6] Laurent Touchard, Mozambique : une armée fragile face au djihadisme », in Défense & Sécurité internationale, Numéro 151, Janvier – Février 2021, p.62.
[7] Myrto Hatzigeorgopoulos, La menace islamiste dans la région des Grands Lacs : un enjeu sécuritaire utile ?,
SÉCURITÉ & STRATÉGIE N°133 Janvier 2018, Institut Royal Supérieur de Défense Centre d’Etudes de Sécurité et Défense, p.10.
[8] Boniface Musavuli, Les Massacres de Beni : Kabila, le Rwanda et les faux islamistes, Amazon, 2017.
[9] Jeune Afrique, Etat islamique dans l’est de la RDC : il faut privilégier les approches non militaires, 17 mars 2021.
[10] Ibid.
[11] Judith Verweijen, How do patronage networks affect military cohesion?, dans lse.ac.uk, 10 avril 2018.
[12] Laurent Touchard, Forces armées Africaines 2016-2017, Paris, Editions LT, 2017, p. 359.
[13] Proposition de résolution commune du Parlement européen sur la situation à l’est de la République démocratique du Congo et l’assassinat de l’ambassadeur italien Luca Attanasio et de son entourage du 10 mars 2021. Cette proposition invite entre autres :
- le gouvernement de la RDC à adopter une approche de tolérance zéro à l’égard de la collaboration entre les dirigeants politiques, les forces armées et la police et les groupes armés ;
- les autorités de la RDC à mettre en place d’urgence un programme et une stratégie efficaces de démobilisation, de désarmement et de réintégration (DDR) pour faire face aux groupes armés, avec un soutien à long terme pour empêcher le retour d’anciens combattants; prie instamment les autorités de la RDC de fournir une aide humanitaire critique à des centaines de combattants démobilisés actuellement stationnés dans des camps de DDR, avec très peu de nourriture et sans accès à des soins médicaux adéquats. https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/RC-9-2021-0173_FR.html.
[14] Afin de permettre une coopération entre la justice congolaise et la communauté internationale en ce qui concerne les poursuites des violations des droits de l’homme; demande le renforcement du secteur de la justice nationale dans son ensemble afin de poursuivre les infractions ayant entraîné de graves violations des droits de l’homme.