La visite en Israël du Colonel Lusadusu : Pourquoi et pour quoi faire ?
Entretien exclusif avec Jean-Jacques Wondo
A la suite de notre dernière interview du 11 juillet 2017 avec le Colonel-médecin Daniel Lusadusu[1], qui a suscité de nombreuses réactions des lecteurs, nous avons estimé utile de poursuivre notre entretien afin d’éclairer l’opinion sur certains points restés en suspens. C’est ce que DESC a fait après le retour d’Israël du Colonel-médecin Lusadusu, où il a séjourné du 11 au 13 juillet 2017.
Mon colonel, vous avez tour à tour accordé deux interviews, d’abord sur Congoindependant.com puis sur DESC. Quelle a été votre motivation derrière cette initiative ?
La situation de détresse aigüe que traverse mon pays, les conditions de vie miséreuses de mes compatriotes et les traitements inhumains qu’ils subissent ne pouvaient qu’interpeler ma fibre humaniste et patriotique. Ces derniers mois, j’ai également été sollicité par de nombreux officiers, pour certains en poste au pays, qui constatent l’impasse meurtrière dans lequel se trouve la RDC et qui sont conscients du rôle essentiel qu’ils ont à jouer pour assurer une transition pacifique au 31 décembre 2017. Ces deux interviews marquent ma décision de sortir d’une réserve que je ne pouvais plus supporter, que je m’étais imposée mais qui n’était plus acceptable au regard du danger quotidien pesant sur mes sœurs et mes frères. Il ne peut y avoir de retour en arrière. Ainsi, j’ai donc décidé de consacrer mon expérience et mon expertise à la renaissance de mon pays au profit des miens et de l’humanité ! Je ne puis continuer à assister silencieux à la souffrance de mon peuple.
Quelles réactions avez-vous reçues de ces deux sorties médiatiques, plutôt inappropriées pour quelqu’un qui a évolué dans la grande muette ? Avez-vous reçu des sollicitations ? Lesquelles ?
C’est une vertu déformatrice que d’avoir évolué dans la grande muette comme militaire et médecin, tenu à la fois au « secret défense » et au « secret médical ». Comme je vous l’ai indiqué lors de notre dernière entrevue, je travaille à ce projet depuis de nombreuses années. Le tournant que je prends aujourd’hui est de le rendre public, parce qu’il est mûr et parce que le temps d’agir est venu. J’ai pris le temps de la réflexion et d’une préparation minutieuse avant de me lancer au front. Je suis maintenant entré dans cette phase d’action qui suscite d’ores et déjà beaucoup d’espoir ; les premiers retours sont donc très positifs et très encourageants. J’ai reçu ces dernières semaines de nombreuses marques de soutien et d’encouragements de tous les secteurs de la société congolaise, ici et au pays. J’ai été approché par des acteurs politiques, des personnalités de la société civile, des représentants des Eglises et de la jeunesse et bien entendu par nombre de mes frères d’armes qui ne supportent plus l’état de déliquescence de notre pays en général et de notre armée en particulier.

Vous avez promis d’entamer des initiatives concrètes. Qu’avez-vous entrepris entretemps depuis notre dernière interview ?
Outre l’entretien des contacts que je viens de vous décrire, j’ai entamé une série de rencontres à haut niveau ici en Belgique et à l’étranger. Mon objectif, au travers de ces échanges, est de sensibiliser mes interlocuteurs à la situation désastreuse, et d’apparence inextricable, dans laquelle se trouve la RDC. Par ailleurs, il s’agit surtout de puiser dans leurs expériences et leurs expertises, des sources d’inspiration et de soutien au programme que j’envisage de mettre en œuvre pour reconstruire notre Etat et notre nation. L’idée n’est pas de m’afficher avec l’une ou l’autre personnalité, d’ergoter des heures sur l’illégitimité de Kabila et de planifier l’un ou l’autre conclave duquel ne sortiront que des vœux pieux qui seront aussi vite foulés du pied par le régime de Kabila.
C’est en ce sens que mes rencontres se concentrent sur les crises essentielles auxquelles est confronté notre pays comme l’éducation, la santé, l’agriculture, l’accès à l’eau potable, le développement économique et bien entendu les questions sécuritaires et régaliennes incontournables en vue de la reconstruction d’un Etat digne de ce nom.
Dans le cadre de cette démarche, je reviens d’un voyage de travail en Israël lors duquel j’ai eu l’occasion d’échanger avec une brochette d’experts de haut niveau dans ces différents domaines. J’ai pu y rencontrer une série d’organismes et de personnalités à la pointe dans leurs domaines respectifs.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce séjour e, Israël ? Qui y avez-vous rencontré ?
J’ai par exemple été reçu par la société Mekorot, la compagnie nationale des eaux, sur le site de son réservoir principal dans le nord du pays. Israël, à l’image de ses voisins, manque cruellement de ressources en eau. Malgré cela, l’or bleu est distribué sur l’ensemble de son territoire pour tout type d’utilisation ; domestique, industrielle ou agricole. Mieux encore, elle est exportée vers huit pays de la région du Proche-Orient, grâce à « la diplomatie de l’eau » qui contribue au budget de l’Etat. Les eaux usées sont par exemple recyclées pour les besoins industriels et pour le micro-arrosage des champs !

Le contraste avec le Congo ne peut que m’interpeller. Le Bassin du Congo, le deuxième après l’Amazonie, dispose dans sa partie couverte par la RDC, de 52% des réserves d’eau douce du continent africain et 25% de la ressource mondiale. Un grand château d’eau douce tant convoité. Malheureusement, l’absence de vision politique et la mégestion de l’Etat font que seulement 26% de la population à accès à de l’eau potable qui il y a quelques jours était souillée des matières fécales. C’est inadmissible, voire criminel !
La population meurt de faim avec des immenses terres arables non exploitées, certaines étant même déjà vendues aux pays étrangers. Par ailleurs, le Congo dispose d’un climat très favorable au développement de l’agriculture, un accès à la mer et d’innombrables ressources hydriques qui devraient favoriser le développement socio-économique à long terme pour lutter contre la pauvreté. Il s’agit par exemple des activités agro-industrielles, halieutiques, l’élevage, la culture capables de créer des emplois et d’augmenter le pouvoir d’achat des Congolais.
Naturellement en tant que médecin, les aspects relatifs à la santé faisaient également partie de l’objet de ma visite. J’ai eu l’occasion de visiter deux hôpitaux de pointe, l’un public, l’autre privé. La réputation du pays dans les domaines de l’application médicale des hautes technologies n’est plus à démontrer. Les hôpitaux israéliens sont équipés d’appareils ultra-modernes, c’est impressionnant même pour moi qui pratique la médecine hospitalière en Belgique depuis plus de 20 ans. Mais l’objet de ces discussions ont surtout porté sur les politiques mises en place pour assurer l’accessibilité des soins à tous. Là, à nouveau le contraste avec le désert médical en RDC est révoltant.
Depuis mon retour, je travaille sérieusement avec mon équipe stratégique à consolider et optimiser les bénéfices de ce voyage en Israël.

Pourquoi avoir visité des institutions technologiques et médicales en Israël ? Et pourquoi Israël et pas la Belgique, votre pays de résidence ?
Nous parlons de mon voyage en Israël parce que c’est l’une de mes dernières initiatives, mais j’entretiens d’étroites relations en Belgique et à l’étranger depuis de nombreuses années. Je vous rappelle que j’ai été formé à l’Ecole Royale Militaire, ici en Belgique, où j’ai également poursuivi l’ensemble de ma formation médicale. J’y vis et connais ce pays depuis 45 ans ; j’y entretiens bien entendu de nombreux contacts dans différents domaines qui bénéficieront également à la reconstruction du pays. D’autre part, au cours de ma carrière au sein des Forces armées Zaïroises (FAZ), j’avais une proximité avec la coopération militaire dont celle très appréciée de l’Etat d’Israël dans les domaines stratégiques de la défense, de la sécurité, de la logistique et du renseignement. Par ailleurs, j’ai suivi ma formation de para-commando au Centre d’Entrainement des Troupes Aéroportées (CETA), avec des cadres militaires instructeurs de la coopération technique militaire française qui font partie de mon carnet d’adresses.
Enfin, comme je vous l’avais expliqué lors de notre dernière rencontre, Etienne Tshisekedi m’avait confié la mission de réorganiser nos services de sécurité et m’avait également mandaté pour être son représentant à l’étranger, cela m’a permis de construire plus avant mon réseau au niveau international.
Pour revenir à mon voyage, j’ai voulu m’enrichir d’autres expériences en allant voir comment les Israéliens ont construit leur Etat et leur Nation avec l’idée d’y puiser de nouvelles inspirations pour la reconstruction du nôtre. Je dois également avouer que lorsqu’on sait la proximité que le Maréchal Mobutu a entretenue avec la coopération israélienne, il est regrettable de voir le peu d’accomplissements réalisés en son temps. Quant à Joseph Kabila, je veux lui dire que l’Etat d’Israël, et non ses firmes militaires privées, a plus à apporter à notre pays que son ami et complice Dan Gertler et ses pratiques mafieuses et spoliatrices.
D’autre part, la Belgique est née en 1830 tandis que l’Etat d’Israël a été créé en 1948, soit peu avant l’indépendance de la RDC en 1960. Ces deux derniers sont des Etats jeunes, de la même génération post seconde guerre mondiale. Il me parait donc intéressant de comparer leur évolution ! J’ai été édifié de voir comment dans un espace de temps comparable et dans un environnement topographique et géopolitique plus hostile encore, les israéliens ont construit un Etat moderne, puissant et démocratique. Je pense que ce succès vient de la vision et de la volonté de ses pères fondateurs, mais aussi de la détermination de sa population et de son intransigeance vis-à-vis de ses dirigeants politiques. Quelle souffrance de comparer cette évolution à celle, négative, de la RDC qui en dépit de son immense potentiel, de ses richesses innombrables de la vivacité de sa jeunesse est dans l’état de délabrement indescriptible que l’on sait.
Par ailleurs, sans prendre position dans les différends qui l’oppose aux Palestiniens et à ses voisins, la situation sécuritaire du pays est très intéressante à analyser et à exploiter. Israël a connu beaucoup de conflits comme mon pays depuis plusieurs années. Je voulais dès lors mieux cerner son approche stratégique en matière de sécurité, de défense et de diplomatie en allant discuter avec certains acteurs de premier plan de cette stratégie.

Qu’avez-vous encore visité sur place ? Pour quel objectif ?
J’ai passé une demi-journée aux abords de la bande de Gaza où j’ai rencontré les dirigeants civils et sécuritaires du Conseil Régional d’Eshkol qui regroupe l’ensemble des villages et exploitations agricoles qui longent cette frontière et qui sont régulièrement la cible des roquettes du Hamas et du Djihad Islamique. A nouveau, sans prendre position dans le conflit, j’ai été surpris de voir la capacité de résilience développée par cette population et de ses leaders qui mettent tout en œuvre pour que la vie suive son cours de manière presque normale. Le développement économique et agricole de cette région est très impressionnant. La vie continue dans un climat étonnement serein, les gens vaquent à leurs occupations, les agriculteurs dans leurs champs, les enfants à l’école…
Malgré une menace permanente, je n’ai pas vu un seul militaire, ni policier, ni une seule patrouille en train de tracasser et terroriser la population. Les mesures sécuritaires sont efficaces mais étonnamment discrètes, ce qui a pour conséquence de rassurer la population locale, qu’elle que soit son origine sociale, ethnique ou religieuse.
Lors de cette visite j’ai eu le plaisir d’être reçu par Gadi Yarkoni, le Président du Conseil Régional. Il est à lui seul le symbole de la résilience de ses administrés, mais aussi du souci de l’Etat d’agir au profit des victimes de conflits. Gadi a eu ses deux jambes sectionnées lors des derniers bombardements qui ont opposé Israël au Hamas lors du sanglant été 2014. Avec l’aide des services de santé, le soutien de ses concitoyens et une volonté qui force l’admiration, Gadi a surmonté cette terrible épreuve et a décidé de se tourner vers le service public. Il été élu à la tête du Conseil deux ans après sa tragédie personnelle et il consacre aujourd’hui sa vie au bien-être de ses administrés avec une fougue et une joie de vivre qui vous laisse sans voix mais qui vous donne foi en l’humanité.
A nouveau quel contraste avec le Congo, où les victimes de guerre et conflits, civils ou militaires, sont abandonnés à leur sort et à la mort par un Etat qui n’a cure de leurs sacrifices et ne montre pas le moindre respect pour la vie humaine.
Je retiens enfin de mon entretien avec Gadi sa conviction que l’avenir de ses administrés passe aussi par la résolution du conflit en cours. Ainsi qu’il me l’a dit, la paix et la croissance de la Région dont il a la charge dépendra aussi, voire d’abord, du fait que les Palestiniens qui vivent de l’autre côté de la frontière puissent croire aussi à un avenir meilleur et connaître un développement similaire. Il est persuadé que l’avenir de ces deux populations est irrémédiablement lié. Une leçon également à tirer dans la manière dont nous devons envisager la coopération régionale avec nos voisins dans le respect des intérêts nationaux de chacun, en commençant d’abord par les intérêts vitaux de la RDC, mais aussi dans le respect de la dignité de chacun.

Cette réflexion fut d’ailleurs une excellente transition pour ma visite suivante au Pérès Peace Center où j’ai été reçu par Yoram Raviv, Directeur du centre qui tire son nom de feu Shimon Pérès, lauréat du Prix Nobel de la Paix et ancien Président de l’Etat israélien.
Dans la continuité de la pensée de Shimon Peres, la philosophie du Centre est fondée sur le fait que la résolution des conflits sur le long terme ne peut être que le fruit de la coopération et du développement ; en particulier dans les domaines de l’éducation, de la culture et de l’économie. L’innovation étant la clef de la prospérité, le Centre Pérès se donne pour mission d’apporter le savoir-faire et la technologie israélienne dans les zones les plus reculées de la planète. Selon ses dirigeants, la pacification d’une région découlera naturellement de la coopération favorisant l’accès des populations à la santé, à l’énergie, à l’eau, au développement économique et humain, notamment par la culture.
Le Centre Pérès est connu pour être un think-tank stratégique de l’Etat israélien. Quelle a été votre motivation derrière cette visite et qu’attendez-vous de ce centre qui du reste est très lié au régime de Paul Kagame qui n’a pas une bonne presse en RDC ?
Ma visite en Israël, loin d’être touristique, avait effectivement une visée stratégique. Cette séance de travail au Centre Pérès fut très instructive quant aux approches envisageables dans le règlement des conflits et de la paix entre les peuples. Dieu Seul sait les conflits qui endeuillent mon pays et la région des Grands-Lacs tout entière ! Le fait que le Centre soit très proche du Rwanda et de Paul Kagame ne m’avait nullement dérangé, que du contraire. Au vu du score du scrutin présidentiel de la semaine passée, il ne faut pas être grand clerc pour considérer que Paul Kagame sera toujours là lorsque Kabila sera parti, et le Rwanda sera toujours notre voisin. Nous ne pourrons pas le jeter dans le Lac Kivu.
Au contraire, il nous appartient de développer et d’implémenter une vision stratégique ambitieuse qui remette la RDC au centre des enjeux géostratégiques régionaux, comme ce fut le cas par le passé. Mon discours a toujours été clair à ce sujet, mon ambition est de repenser les relations et la coopération entre la RDC et ses voisins. Celles-ci ont d’abord été tronquées par le fait que la famille Kabila a mis en place une diplomatie régionale qui sert ses propres intérêts au détriment du peuple congolais avec le soutien des voisins qui n’en demandaient pas tant. Une RDC respectable sera respectée. Je vous renvoie à ma réponse précédente car je suis également persuadé qu’un conflit ne peut être résolu que si les belligérants arrivent à la conclusion que la paix et la coopération leur seront plus bénéfiques que la guerre et la spoliation économique. C’est le constat auquel parviendront je pense l’ensemble des dirigeants de la sous-région et tant mieux si ma collaboration avec le Centre Pérès peut contribuer à amplifier et à concrétiser ce message auprès de leur ami.
Dans ma vision globale de la résolution de la crise congolaise, je suis convaincu qu’en plus des actions que nous menons sur le front intérieur, il est extrêmement important d’intensifier le front extérieur en prenant directement langue avec des acteurs internationaux de premier plan capables de peser sur la situation régionale.
La crise congolaise est multifactorielle et la solution doit être multidimensionnelle et intégrer des aspects sociopolitiques internes couplés avec les enjeux géopolitiques régionaux et géostratégiques internationaux. Je ne vois pas d’autres alternatives efficientes à cette vision.

Deux rencontres intrigantes concernent vos tête-à-tête avec deux hautes personnalités militaires et sécuritaires de l’Etat d’Israël. En l’occurrence Benny Gantz[2] le chef d’état-major général sortant de Tsahal, l’armée israélienne ainsi que Ram Ben-Barak[3], ex-Directeur des Opérations et Numéro 2 sortant du Mossad, les services de renseignement israéliens. Dans quel contexte placez-vous ces visites ?
Effectivement, j’ai été reçu par ces hautes personnalités militaires et sécuritaires qui ont une compétence et expertise exceptionnelles dans leurs domaines respectifs, tout à fait normal pour qui comme moi a un passé militaire et sécuritaire.
Ce dont je peux vous parler quant à nos échanges concerne leurs visions respectives de l’armée en tant que pilier d’une nation et d’un Etat de droit. Comme je vous l’ai dit lors de notre précédent entretien, je considère l’institution militaire comme l’un des piliers fondamentaux de l’Etat.
En Israël, Tsahal est d’abord l’armée du peuple, c’est un intégrateur social majeur, le service militaire étant obligatoire pour tous les jeunes, garçons et filles, dès l’âge de 18 ans, quelles que soient leurs origines sociales ou ethniques. Je pense que nous pouvons en tirer des leçons en vue de la réforme en profondeur de l’armée de notre pays qui doit prendre en charge et former des jeunes venant des quatre coins du pays, ayant des origines différentes, qui parlent des dialectes différents et issus de classes sociales différentes pour en faire des citoyens patriotes congolais, au service de la nation congolaise dans sa pluralité. Aujourd’hui notre armée, qui n’en a que le nom, est une milice privée à la solde d’un régime. Les FARDC ne sont pas au service de notre nation et de son peuple. Elles ne sont donc pas une armée républicaine et ne contribuent malheureusement en rien à la construction de la conscience patriotique de nos concitoyens ni à consolidation de la cohésion nationale armée-nation.
D’autre part, j’ai également été conforté par mes interlocuteurs dans le fait que les responsables des services de sécurité doivent être en mesure de confronter librement leurs analyses de spécialises dans les matières qui les concernent aux décisions des politiques, sans craindre pour leur poste, voire pour leur vie comme c’est le cas en RDC. S’ils se soumettront in fine aux décisions des dirigeants élus, comme cela doit être le cas dans une démocratie, ils ne se priveront jamais de leur exposer leurs opinions ou leurs désaccords. C’est la preuve d’un fonctionnement sain des différentes composantes d’un Etat moderne.
Toujours à propos de ces deux rencontres, peut-on avancer que vous êtes allé en quête du soutien militaire d’Israël dans votre démarche ?
Je formulerais la chose différemment, c’est en quête d’expertise et d’expériences que j’ai rencontré ces personnalités. Outre nos discussions sur les problèmes structurels, organisationnels et fonctionnels de notre armée et de nos services de renseignement, nous avons beaucoup échangé sur les menaces extérieures et les ingérences diverses dont la RDC est aujourd’hui la victime avec le consentement tacite de ses dirigeants via des politiques de défense et de sécurité très accommodantes à cet état de fait, d’un Etat faible, fragile et instable dont ils tirent des dividendes.
A l’époque de ma formation, la coopération militaire entre le Congo et Israël était très intense. J’ai donc été un témoin privilégié de tout ce qu’ils seraient en mesure d’apporter pour le renforcement de notre armée et de nos services de sécurité. Notre réflexion doit se mener en amont et en échange d’expertise et d’expérience avec des hommes de terrain ou qui ont été sur le terrain. Pour avoir évolué au sein d’une unité commando, vu le rôle des unités spéciales dans les conflits contemporains (asymétriques et du même type que ceux auxquels est confronté mon pays) et certaines similitudes entre nos deux pays évoquées précédemment, la RDC peut s’inspirer énormément d’Israël à bien des égards.
Je suis très satisfait de la manière dont mon discours et ma vision ont résonné auprès de mes interlocuteurs ; et il est clair que je me réjouis de leur promesse ferme de nous soutenir le moment venu, lorsque nous serons confrontés à la mission titanesque de reconstruction de notre pays, et de nos forces de sécurité en particulier.

Quel bilan tirez-vous de ce séjour en Israël ?
J’en tire un bilan très positif. J’y ai rencontré durant ces quelques jours des personnes d’exception et je pense être parvenu à les sensibiliser à la situation dramatique dans laquelle se trouve notre pays. J’y ai noué de nouvelles relations qui pourront à terme contribuer à la reconstruction de la RDC, car toutes les personnes rencontrées m’ont clairement encouragé à aller de l’avant. Ils m’ont surtout assuré de leur soutien à ma démarche, parce qu’ils partagent entièrement ma vision de la moralisation de nos institutions, préalable indispensable à la pacification, à la sécurisation, à la stabilisation et à la reconstruction de notre pays dans le sens souhaité par notre peuple.
Pourquoi avoir privilégié une démarche extérieure plutôt que de mener des actions directes sur le terrain.
Contrairement à votre assertion, mes actions sur le terrain remontent à plusieurs années et nous y continuons dans l’ombre pour des raisons stratégiques évidentes. Comme je l’ai mentionné précédemment, ma sortie publique n’a fait que multiplier et renforcer les contacts que j’y entretiens. Je ne transigerai pas et j’irai jusqu’au bout pour l’intérêt supérieur de la Nation, notre peuple mérite un autre Congo !
Joseph Kabila vient de nommer un militaire, le général Dieudonné Amuli Bahingwa à la tête de la police nationale congolaise. Quelle lecture faites-vous de cette nomination ?
Voilà encore une preuve que Kabila essaye par tous les moyens de maintenir sa mainmise sur le pays. Pourtant officiellement le Congo n’est pas en état d’urgence ou sur pied de guerre. Je ne peux dès lors comprendre qu’un général, de surcroît chef d’état-major général chargé des opérations militaires et de l’instruction, n’ayant pas la moindre expérience en matière de police et de maintien de l’ordre, y soit nommé inspecteur général de la police et que d’autres militaires l’y rejoignent en nombre. Cette militarisation des services de police procède d’une stratégie à peine voilée de l’escalade que Kabila entend imposer à une population certes exténuée, mais que je sens plus déterminée que jamais à le voir déguerpir d’ici au 31 décembre 2017.
Vous confirmez donc que Kabila semble plutôt opter pour une résolution de la crise politique par la force. Vous avez un parcours d’officier supérieur. Comment pensez-vous concrètement stopper Kabila dans sa détermination à se maintenir au pouvoir par la force ?
Dans un pays normal, pareille folie meurtrière serait stoppée par l’armée pour faire respecter la constitution en faveur d’un pouvoir transitoire devant organiser les élections dans le délai constitutionnel.
L’Article 64 de notre constitution confère au peuple le pouvoir d’empêcher un dirigeant qui tente de se maintenir par la force. C’est la situation que nous connaissons aujourd’hui. Mais appeler le peuple à aller se faire massacrer par la milice de Kabila n’est pas une option à privilégier. Par contre, il faut travailler avec la population et l’encourager à faire usage de ses droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution en s’assurant que les militaires patriotes seront en grand nombre aux côtés du souverain primaire le moment venu. C’est dans ce cadre que nous travaillons aussi bien avec la société civile, les acteurs politiques et les hommes en armes, premiers défenseurs de la nation congolaise, ainsi que les amis des Congolais, pour stopper la dérive dictatoriale qui s’installe dans notre pays. Et nous avançons très bien et efficacement dans cette stratégie. A nouveau, comme je vous l’ai indiqué lors de notre précédente rencontre, je veux être la passerelle entre la société civile et les hommes en armes.
Que voulez-vous dire concrètement et comment intégrer cette posture dans le schéma de départ de Kabila que vous conjuguez dans le passé ?
Vous comprendrez que pour des raisons évidentes, je reste relativement vague dans mes réponses sur ce sujet précis. Cependant comme je vous l’ai dit au début de cet entretien, le timing de ma sortie est étroitement lié aux appels répétés de mes frères d’armes en poste au pays. Il y a dans tous les corps de l’armée des officiers qui constatent l’impasse dans laquelle nous a menée Joseph Kabila, l’illégalité de son régime. Ils veulent activement contribuer à son départ. Il y a toutefois une méfiance profonde et réciproque entre ces militaires, la société civile et la classe politique congolaise, même celle de l’opposition. Ils ne sont pas en mesure de se parler et sont donc incapables de penser ensemble l’après-Kabila. Or comme je le répète de manière incessante, si l’on veut éviter un bain de sang duquel notre peuple risque de ne pas pouvoir se relever, cette nouvelle page de notre histoire ne pourra s’envisager qu’avec la contribution de toutes les composantes de la société congolaise.
Je disais d’ailleurs à mes interlocuteurs israéliens comme dans leur pays la présence des militaires procure à la population un sentiment de sécurité, alors que dans le mien la présence d’hommes en uniforme est d’abord perçue comme une menace. Je le répète, je me considère d’abord comme celui qui sera en mesure de rétablir cette confiance essentielle à la renaissance du Congo.
Quel est votre message à la population congolaise pour clôturer cet entretien ?
L’heure est grave et ce n’est qu’unis que nous parviendrons à atteindre nos objectifs communs au bénéfice de tous. Nous n’avons plus le choix et nous avons l’obligation de poursuivre le combat de nos martyrs de l’indépendance et de nos compatriotes qui se sont sacrifiés pour que nous nous réappropriions notre destin collectif. Nous devons faire battre à nouveau le cœur de notre grande nation. Soyez persuadés de votre force et croyez bien que nous mettons tout en œuvre pour que cette renaissance débute le plus rapidement possible. Mais vous me jugerez sur mes actes et non sur mes paroles ; j’espère en ce sens que ces premières initiatives que je vous dévoile aujourd’hui contribueront à construire plus avant la confiance entre nous.
Propos recueillis par Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
Pour suivre les activités du Colonel-médecin Lusadusu allez sur :
@DanielLusadusu
www.daniellusadusu.com
Références
[1] http://afridesk.org/fr/colonel-daniel-lusadusu-lere-de-joseph-kabila-est-desormais-conjuguee-au-passe/.
[2] Benny Gantz est un général israélien et le 20e Chef d’état-Major Général des forces de défense de l’Etat d’Israël (TSAHAL) entre 2011-2015. Le Général Gantz a reçu le titre honorifique de la Légion du Mérite au grade de Commandant (Etats-Unis). Il a connu une longue carrière dans les forces de défense de l’état d’Israël entre 1977 et 2015, soit 38 ans d’années de service.
[3] Ram Ben-Barak fut Directeur Général Adjoint du Mossad, chef des Opérations (2009-2011). Il a également occupé la fonction de Directeur Général du Ministère de la Stratégie et du Renseignement israélien (MOSSAD) entre 2014 et 2016. M. Ben Barak possède plus de 20 ans d’expérience dans divers postes de cadres supérieurs dans le secteur public et les agences de sécurité.
Autres liens en rapport avec le Colonel Lusadusu:
Colonel Daniel Lusadusu : The era of Joseph Kabila is now conjugated to the past, DESC, 12 août 2017 : http://afridesk.org/en/colonel-daniel-lusadusu-the-era-of-joseph-kabila-is-now-conjugated-to-the-past-interview-with-jj-wondo/.
Colonel Daniel Lusadusu : L’ère de Joseph Kabila est désormais conjuguée au passé, 11 juillet 2017 : http://afridesk.org/fr/colonel-daniel-lusadusu-lere-de-joseph-kabila-est-desormais-conjuguee-au-passe/.
Questions directes au colonel-médecin Daniel Lusadusu Nkiambi, Congoindependant, 27 juin 2017 : http://www.congoindependant.com/article.php?articleid=11812.