La Turquie et les Arméniens versus l’Allemagne et les Hereros :
Une Europe des deux poids deux mesures ?
Par Rina Rabau
Texte traduit, relu et adapté en français, à partir du néerlandais, par Jean-Jacques Wondo
Les jours passés, le pape a publiquement envoyé un signal fort sur l’attention que l’on doit porter à l’égard du premier génocide du 20ème siècle des Arméniens commis par les Turcs. Toutefois, l’ONU ne reconnaît pas le génocide arménien comme étant le premier génocide du 20ème siècle, cet honneur douteux est réservé aux Allemands qui, dans une guerre d’extermination entre 1904 et 1908 contre les Hereros dans le Sud-Ouest africain (actuellement Namibie), ont massacré ces derniers. Non seulement le pape semble forger dans son esprit ce premier génocide, mais aussi la plupart des pays européens restent aussi ostensiblement silencieux sur ça pendant que l’Etat allemand se bat contre sa reconnaissance officielle. Consciemment ou inconsciemment, le ‘négationnisme’ de ce premier génocide est déplorable parce que d’une part, nous refusons pratiquement de reconnaître que, structurellement, l’Afrique a complètement souffert pendant la période coloniale, dans toute son atrocité épouvantable. D’autre part, c’est triste parce que des générations européennes et africaines actuelles peinent à se réconcilier avec un chapitre sombre de l’histoire de l’humanité.

En Janvier 1904, les Allemands mènent une guerre contre les Hereros, une minorité ethnique constitué de trois tribus : les Ovaherero, les Ovambanderu et les Ovahimbas[1]. La cause première de cette guerre était une révolte des Hereros contre la politique de l’occupation coloniale de l’Allemagne où environ 150 colons ont été tués[2]. Les soldats et les colons allemands ont répondu à cette insurrection populaire par l’usage d’une force excessive, des exécutions arbitraires, des exécutions par pendaison, et les abus de toute sorte[3].
Selon les Nations Unies, « le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) meurtre de membres du groupe; b) atteinte à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe. e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe »[4].
Sur la base de cette définition, les actes d’agression allemands contre les Hereros sont considérés comme un génocide. Une illustration limpide de cela sont les ordres officiels du général Lothar von Trotha donnés à ses troupes. Ces ordres montrent clairement que l’intention (élément moral constitutif d’une infraction) était d’exterminer les Hereros comme on le voit dans son « Vernichtungsbefehl » du 2 Octobre 1904 dans lequel il ordonne l’extermination[5] des Hereros:
“I, the great General of the German troops, send this letter to the Herero people. The Herero people are no longer German subjects . . . The Herero people must leave the country. If the nation doesn’t do this I will force them with the Groot Rohr [cannon]. Within the German borders, every Herero, with or without gun, with or without cattle, will be shot. I will no longer accept women or children, I will drive them back to their people or I will let them be shot at[6]”.
Dans un courrier adressé à son supérieur, le général von Trotha a écrit ce qui suit :
“I believe that the nation as such should be annihilated, or, if this was not possible by tactical measures, have to be expelled from the country by operative means and further detailed treatment. This will be possible if the water-holes from Grootfontein to Gobabis are occupied. The constant movement of our troops will enable us to find the small groups of the nation who have tnoved back westwards and destroy them gradually. My intimate knowledge of many central African tribes (Bantu and others) has everywhere convinced me of the necessity that the Negro does not respect treaties but only brute force.[7]”
Bien que le génocide soit officiellement reconnu par les Nations Unies comme une preuve suffisante que les Allemands avaient l’intention manifeste d’exterminer la population Herero, l’Allemagne continue de refuser de le reconnaître officiellement[8]. Pendant des années, les dirigeants allemands ont refusé de rencontrer les représentants Herero parce qu’ils ne veulent pas se confronter à leur passé, ni endosser les implications de leurs actes dans le présent[9].
Quatre raisons sont avancées pour expliquer le refus du gouvernement allemand de reconnaître le génocide des Hereros. Tout d’abord, il y a la crainte d’une poursuite pénale contre le gouvernement et plusieurs entreprises allemands comme la Deutsche Bank et la SAFmarine, dont les prédécesseurs se sont rendus coupables du travail forcé des esclaves entre 1904 et 1907[10]. Deuxièmement, la reconnaissance officielle du génocide dans une ancienne colonie peut créer un précédent, du point de vue de la jurisprudence, pour d’autres puissances européennes avec un passé colonial. Il est clair que d’autres pays européens ne sont pas en état d’accéder aux demandes d’indemnisation de leurs anciennes colonies, sauf l’Italie pour la Libye[11], même si dans ce cas, il s’agit d’un deal qui s’est largement soldé a l’avantage de l’Italie et n’a pas profité aux Libyens.
Une troisième raison est l’absence de chiffres exacts sur le nombre de Hereros avant et après les massacres à grande échelle de 1904. C’est un argument auquel se réfèrent – ou qui est avancé par – plusieurs historiens qui cherchent à nier le génocide cide, malgré que les intentions de génocide sont démontrées de manière irréfutable. Une dernière raison pour laquelle l’Allemagne manifeste ce déni est le fait qu’elle ne veut pas être confrontée à un autre génocide, en plus de l’Holocauste[12].
Rina RABAU / Exclusivité DESC
Présidente de l’association Belgo-Congolaise Bana Leuven – chroniqueuse chez kif kif : www.kifkif.be.
Autre article publié par Rina Rabau sur DESC :
http://afridesk.org/pourquoi-la-belgique-na-pas-recouru-entre-1945-et-1960-a-la-main-doeuvre-ouvriere-congolaise-rina-rabau/
[1] Prestigestrijd tussen Kolonisatoren. Een analyse van Nederlandse reacties op koloniale schandalen door Europese kolonisatoren. L.L Bremmer (2011).
[2] Herero people: the fearless and war-like African tribe that suffered the world’s first holocaust at the hands of Germans. Kwekudee (2012).
[3] The first genocide of the 20th Century and its Postcolonial Afterlives: Germany and the Namibian Ovaherero. George Steinmetz (2005).
[4] Article II de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’ONU en 1948. http://www.akadem.org/medias/documents/Convention-ONU-genocide_1.pdf.
[5] Pendant la guerre des Allemands contre les Hereros, de 1904 – 1908, le Vernichtungsbefeh ou l’ordre d’extermination, était émis, en termes selon lesquels tous Herero résidant dans le territoire allemand devraient être abattus ou expulsés. Jan-Bar Gewald, The Great general of the Kaiser, Botswana Notes and Records, Volume 26, p.67. https://openaccess.leidenuniv.nl/bitstream/handle/1887/4819/asc-1293873-029.pdf?sequence=1.
[6] German vernichtungsbefehl (“annihilation order”) against the Herero and Nama Peopl: Every Herero Will Be Shot”. Tysusarch (2013).
[7] Herero genocide in the twentieth century Politics and memory. Jan-Bart Gewald (2003).
[8] Redressing Colonial Genocide: Hereros cause of action against Germany. Rachel J Anderson (2005).
[9] The first genocide of the 20th Century and its Postcolonial Afterlives: Germany and the Namibian Ovaherero. George Steinmetz (2005).
[10] Les Hereros accusent Deutsche Bank et Line Woermann (devenu aujourd’hui SAFmarine) et le gouvernement allemand d’avoir formé une «alliance brutale » pour exterminer plus de 65.000 Hereros entre 1904 et 1907. http://www.sadocc.at/news2002/2002-186.shtml.
[11] http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2008-08-30/l-italie-va-dedommager-la-libye-pour-la-periode-coloniale/924/0/270186.
[12] The first genocide of the 20th Century and its Postcolonial Afterlives: Germany and the Namibian Ovaherero. George Steinmetz (2005).