DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 15-06-2023 12:05
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RSS en Afrique des Grands-Lacs : Séminaire de JJ Wondo aux Hautes études de sécurité et défense de Belgique

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Depuis janvier 2005, l’Institut royal supérieur de défense (IRSD) de Belgique organise, dans l’enceinte de l’Ecole royale militaire (ERM), des sessions annuelles des Hautes études de sécurité et défense (HESD) en collaboration avec Egmont (Institut royal des relations internationales). Dans le jargon militaire, il s’agit d’une formation de quatrième cycle, c’est-à-dire le cycle académique qui suit celui de breveté d’état-major (BEM) pour les officiers militaires.

A l’instar des années précédentes, Jean-Jacques Wondo a été invité cette année pour tenir un séminaire scientifique sur la réforme du secteur de sécurité dans les pays d’Afrique des Grands-Lacs auprès des auditeurs de la session 2022-2023 des Hautes études de sécurité et de défense. Dans l’après-midi, Jean-Jacques Wondo a été invité pour partager ses réflexions personnelles sur une véritable indépendance en Afrique centrale dans un panel intitulé Post-colonialisme vs. Néo-colonialisme vs. Une véritable indépendance en Afrique centrale aux côtés de : Dr Peter Verlinden (la lutte de l’Europe avec son passé colonial) et du Dr. Sara Van Hoeymissen (L’avènement de la Chine en Afrique… Qui est-ce qui (ne) gagne (pas) ?)

Les Etats fragiles en Afrique et la RSS

Le politologue canadien, expert des relations internationales et des questions de sécurité, Kalevi Holsti, avance que les Etats faibles ou faillis sont des terreaux favorables pour les guerres civiles[1]. L’Afrique reste un continent marqué par les guerres civiles. A l’instar d’Holsti, nous avançons également que les conflits armés récurrents et l’insécurité en Afrique sont liés à la grande fragilité des structures étatiques. De la sorte, l’instabilité politique et structurelle des Etats fragiles impacte négativement la sécurité (humaine – Etat – International), l’État de droit, la démocratie, les droits de l’homme et développement durable[2]. D’où l’importance de la réforme du secteur de sécurité (RSS) dans l’effort de construction des Etats stables et prospères dans le cadre de la  gouvernance sécuritaire.

Le concept de sécurité au centre des politiques étatiques et internationales

On peut définir laconiquement la sécurité comme étant la tranquillité sociale ou absence de la guerre ou des conflits. Selon Edward Carr, la sécurité est devenue la « Maladie du corps politique international ». Hervé Coutau Begarie a mis en évidence l’aspect de la mondialisation de la pensée sécuritaire. Le concept de sécurité occupe la priorité des politiques étatiques et internationales et est un enjeu politique universel[3]. La sécurité est aussi un service rendu au public, attendu de toute gouvernance politique responsable.

Le concept de sécurité va au-delà de la notion de défense. La sécurité ne se limite donc plus qu’aux seuls aspects militaires, mais s’étend aux domaines politique, économique, sociétal et environnemental[4]. Des logiques différentes entre défense et sécurité. La défense est fondamentalement militaire, la sécurité est une préoccupation qui touche tous les secteurs de la vie étatique. La défense repose sur la force, facteur objectif (elle procure ce que l’on appelait autrefois la sûreté), la sécurité repose sur des facteurs subjectifs (sentiment d’insécurité). La sécurité quant à elle est une composante essentielle de la bonne gestion des affaires publiques et des initiatives en faveur de la paix. Elle englobe divers domaines dans lesquels la sécurité humaine occupe une place centrale en Afrique[5].

La notion de sécurité humaine a été conceptualisée par la professeure japonaise Sadako Ogata (Commissaire UN aux Réfugiés) en 1994 dans la foulée du génocide rwandais. Elle a été entérinée à la Conférence de Londres en 2005 : lien entre sécurité humaine et Etats fragiles. Elle a enfin été formalisé au Sommet mondial des Nations unies de septembre 2005 à New-York.

L’idée de base est que placé au cœur du problème, l’humain est considéré comme essentiel pour la sécurité internationale où l’ordre dépend de la sécurité de chacun. Ainsi, lorsque la sécurité des individus est menacée, la sécurité de l’Etat et la sécurité internationale le sont  aussi.  Ce paradigme a été élargi par Barry Buzan qui a démontré l’interdépendance entre la sécurité Humaine, la sécurité de l’Etat et la Sécurité Internationale. Selon lui, on ne peut parler de la sécurité sans lui associer trois réalités que sont : l’Etat, l’individu et le système international. Le lien entre les trois est que la sécurité de l’individu et du système international dépend de celle des Etats[6].

Intervention de Jean-Jacques Wondo au séminaire sur la RSS en Afrique à la session 2022-2023 des HESD-Belgique
RSS et DDR, qu’est-ce à dire ?

Des études montrent que la RSS est une condition nécessaire pour le développement efficace des pays post-conflits et/ou instables. D’une manière générale, la RSS est la réforme de l’armée, de la police, de la Police, de la justice et des services de sécurité/renseignements des pays post-conflits.

Selon les Nations unies, le secteur de sécurité regroupe l’ensemble des structures, des institutions et du personnel responsables de la gestion, de la garantie et du contrôle de la sécurité : forces armées ; services de police ; services pénitentiaires, services de renseignement, services de contrôle des frontières/douanes ; protection civile et la Justice.  Selon le PNUD, la RSS concerne principalement la réforme de l’armée, de la police, de la justice et des services des renseignements des pays post-conflits.

La réforme du secteur de la sécurité (RSS) est comprise comme étant la transformation du système de sécurité qui inclut tous les acteurs (militaires, politiques et civils), leurs rôles, leurs responsabilités et leurs actions afin qu’ils soient gérés d’une façon plus compatible avec les normes démocratiques et les principes sains de bonne gouvernance (Gouvernance sécuritaire). De la sorte, ils contribuent à établir un cadre sécuritaire fonctionnant correctement.

La gouvernance sécuritaire est une notion centrale dans le cadre des politiques de states building dans les pays post-conflits. C’est la résultante d’une interaction d’actions conjointes hybrides et coordonnées, menées par différents intervenants issus du monde politique, du secteur de la sécurité (armée, police…), de la société civile et de la C.I. suivant une approche holistique (Comprehensive approach).

Les forces de sécurité responsables et redevables (accountability) ou devant rendre des comptes à l’autorité civile réduisent les risques de conflit, assurent la sécurité des citoyens, renforcent l’Etat de droit et les droits humains. Elles contribuent enfin à créer un environnement favorable au développement durable. L’objectif, en général, de la réforme du secteur de la sécurité est d’établir un environnement sécurisé qui stimule le développement[7] et consolide la démocratie dans le cadre de la « gouvernance sécuritaire ». Pour qu’elle soit efficace, la RSS exige une bonne compréhension du contexte national et de l’environnement géopolitique régional du pays en question[8].

Jean-Jacques Wondo a axé son exposé sur deux parties. La première partie était consacrée aux notions génériques sur les concepts de la RSS, du DDR[9]  et de la gouvernance sécuritaire. La deuxième partie a abordé une revue panoramique des processus de RSS et en DDR en RDC, au Burundi et au Rwanda.

Dans sa conclusion, Jean-Jacques Wondo a indiqué que la RSS et la gouvernance sécuritaire restent la voie de passage obligée pour consolider la paix, la bonne gouvernance et l’implémentation de l’Etat de droit. Elles constituent des bases indispensables d’un développement durable. La RSS et la gouvernance sécuritaire permettent de renforcer l’Etat et d’ancrer son autorité dans les pays post-conflits.

Selon Wondo, les conditions favorables pour la réussite d’une RSS  sont :

  • cadre politique interne légitime, stable et démocratique : la légitimation citoyenne et le renforcement de l’État de droit ;
  • volonté politique ferme des autorités compétentes et appropriation nationale (local ownership) par les acteurs ;
  • bonne compréhension du contexte local, national et géopolitique régional du pays concerné. ; recentrage de l’armée/police sur les fonctions régaliennes (et non prétoriennes) de défense et de sécurité du territoire et des populations ;
  • soutien ferme et un accompagnement actif de la communauté internationale. Ce qui nécessite des moyens des bailleurs de fonds internationaux ;
  • mais aussi une implication active de la société civile dans le cadre du dialogue civilo-militaire.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Références

[1] Kalevi J Holsti, The State, War, and the State of War, Cambridge University Press, 1996, 254 p.

[2] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine : des indépendances à nos jours: Cas des différents régimes prétoriens au Congo-Kinshasa, Amazon, 2019, p.207. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Lessentiel-sociologie-politique-militaire-africaine/dp/1080881778.

[3] Lire Hervé Coutau-Begarie, Traité de Stratégie, Economica, 6ème édition, Paris, 2008, 1135p.

[4] Barry Buzan, People, State and Fear: An agenda for international security studies in de Post-Cold War Era, Harvester Press Group, Brighton, 1983.

[5] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine : des indépendances à nos jours: Cas des différents régimes prétoriens au Congo-Kinshasa, Amazon, 2019, p.205. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Lessentiel-sociologie-politique-militaire-africaine/dp/1080881778.

[6] Barry Buzan, People, State and Fear: An agenda for international security studies in de Post-Cold War Era, Harvester Press Group, Brighton, 1983.

[7] Kasongo, Missak et Hendrickson, Dylan, « défis et difficultés de la réforme de la sécurité en République Démocratique du Congo », in (Re-)construire les Etats, nouvelle frontière de l’ingérence, p.401.

[8] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine : des indépendances à nos jours: Cas des différents régimes prétoriens au Congo-Kinshasa, Amazon, 2019, p.335. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Lessentiel-sociologie-politique-militaire-africaine/dp/1080881778.

[9] Désarmement – Démobilisation –Réinsertion des ex-combattants

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