Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 17-09-2013 07:08
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La RDC peut s’inspirer des modèles de DDR du Libéria et de l’Angola en vue d’une armée professionnelle – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

La RDC peut s’inspirer des modèles de DDR du Libéria et de l’Angola en vue d’une armée  professionnelle

Par Jean-Jacques Wondo

Au moment où le Désarmement-Démobilisation-Réinsertion (DDR) des groupes locaux est retenu comme un des thèmes des points à débattre dans les concertations nationales convoquées par le président Kabila, nous avons voulu profiter de l’occasion pour éclairer le lecteur sur cet aspect.

1. Généralités

Le DDR des ex-combattants est un processus complexe à dimensions politiques (et diplomatiques), militaires, sécuritaires, humanitaires et socio-économiques. Le DDR vise à aborder les défis sécuritaires post-conflictuels que posent les ex-combattants se retrouvant sans subsistances ni réseaux de soutien, autres que ceux de leurs anciens camarades, lors du passage critique de la guerre à la paix et au développement. Le DDR cherche à assurer la réinsertion sociale et économique des ex-combattants afin qu’ils deviennent des parties prenantes au processus de paix. Bien qu’une bonne partie d’un programme DDR se focalise sur les ex-combattants, les principaux bénéficiaires sont en fin de compte la communauté dans son ensemble. (Documents PNUD).

Le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration effectif et compréhensif est la condition préalable fondamentale pour la paix, la stabilité et le développement humain dans les sociétés post-conflit africaines en développement (DDR). L’échec du DDR a par exemple contribué, directement ou indirectement au déclenchement approximatif de 60% de conflits armés des États en développement qui ont rechuté dans ces mêmes conflits depuis la fin de la guerre froide (Monty G. Marshall, Report-Conflit Trends in Africa, 1946-2004: A comparative Perspective, Octobre 2005).

C’est en effet le cas aujourd’hui de la RDC où dix ans après, l’échec du processus de brassage et des programmes DDR et DDRRR y afférents n’ont pas permis au pays de sortir effectivement d’une situation d’un Etat post-conflit

DDR : Définitions

Désarmement. Par désarmement on entend la collecte, le recensement, la documentation, le contrôle et la destruction des armes de petit calibre, des munitions, des explosifs et des armes légères et lourdes des combattants et, souvent également, de la population civile. Le désarmement comprend également l’élaboration de programmes de gestion responsable des armes.

Démobilisation. Par démobilisation on entend la libération officielle et contrôlée des combattants actifs de forces armées ou d’autres groupes armés. La première étape de la démobilisation peut s’étendre du traitement des combattants dans des centres temporaires jusqu’à la concentration de troupes dans des camps désignés à cette fin (sites de cantonnement, camps, zones de regroupement ou casernes). La deuxième étape de la démobilisation comprend la fourniture de moyens d’appui aux démobilisés, que l’on appelle la réinsertion.

Réinsertion. On entend par réinsertion l’assistance offerte aux anciens combattants pendant la démobilisation, et avant le processus à plus long terme de réintégration. La réinsertion est une forme d’assistance transitoire visant à satisfaire les besoins fondamentaux des anciens combattants et de leur famille et peut comprendre des indemnités de sûreté transitoire, des aliments, des vêtements, un abri, des services médicaux, des services d’éducation à court terme, une formation, un emploi et des outils. Alors que la réintégration est un processus social et économique continu et à long terme de développement, la réinsertion est une assistance matérielle et/ou financière à court terme visant à satisfaire des besoins immédiats et peut durer jusqu’à un an.

Réintégration. Par réintégration on entend le processus par lequel les anciens combattants acquièrent un statut civil et obtiennent un emploi et des revenus durables. La réintégration est essentiellement un processus social et économique de durée non déterminée, qui a lieu principalement dans les collectivités au niveau local. Elle fait partie du développement général d’un pays et est une responsabilité nationale, et elle exige souvent une assistance extérieure à long terme. »

 2. Les concertations nationales abordent le DDR mais ne traitent pas de DDRRR ni de la réforme des FARDC

En effet, on constate que dans les concertations convoquées par Kabila, c’est juste le terme DDR qui est retenu mais pas celui relatif au Désarmement-Démobilisation-Rapatriement-RéintégrationRéinstallation (DDRRR) des combattants étrangers. Est-ce s’agit-il d’une subtilité des organisateurs visant à éviter le débat sur ce point alors que dans la mare des groupes armés qui sévissent à l’Est du Congo, bon nombre font recourt à des combattants étrangers. Tous les derniers rapports de l’ONU relèvent cette évidence. D’où l’appel à la vigilance aux « concertateurs » de ne pas perdre de vue ce volet qui reste d’ailleurs plus important que le volet DDR car les  rébellions en RD Congo sont créées et financées à partir des pays voisins. Ainsi, vouloir ne traiter que l’aspect DDR signifie de considérer tous les combattants évoluant au Congo comme étant des congolais qui doivent être réinsérer au Congo et non au Rwanda ou en Ouganda où la plupart d’entre eux sont recrutés. Un piège qui risque de devenir un goulot d’étranglement par la suite car ces groupes, comme on l’a vu depuis le brassage, finiront par se rebeller et nous ramener à la case départ. Ainsi, le cercle vicieux va se relancer dans une subtile stratégie savamment mise en place des ruptures et continuités

D’autre part, il paraît incongru de traiter du DDR sans parler de l’échec de la réforme des FARDC qui reste, selon les experts, l’un des principaux facteurs étiologiques de la situation qui prévaut à l’Est de la RDC. Ce, pour la simple raison que si aujourd’hui l’Est du Congo est confronté par une exponentiation des groupes armés, c’est parce que la réforme de l’armée n’a pas atteint ses objectifs et qu’à ce jour, les FARDC sont incapables de restaurer l’autorité de l’État dans l’ensemble du pays.On recense une cinquantaine de groupes armés sévissant à l’Est du Congo et ne se limiter qu’à traiter le problème de leur démobilisation et réinsertion revient à s’attaquer aux conséquences de l’insécurité et non à leur cause. Cela ne fera que déplacer et retarder la problématique car en l’absence des formes armées et de sécurité bien réformées, performantes et professionnelles, le pays sera malheureusement encore confronté à ce fléau des groupes armés dans un proche avenir.

3. Le Liberia, un modèle de DDR qui a abtenu des résultats satisfaisants

DDA CINous avons voulu dans cette analyse examiner brièvement le cas du DDR au Liberia. Comme la RDC, le Libéria a souffert des années de dévastation dans une guerre qui a opposé entre elles de nombreuses factions armées. Comme au Congo, des négociations entre les parties au conflit ont abouti en 2003 à la mise en place d’un gouvernement de transition dans lequel la plupart des principaux groupes armés étaient représentés.

Mais une différence fondamentale existe : les accords de paix n’exigeaient pas la fusion des groupes existants dans une armée nationale unique, mais plutôt la création de forces armées entièrement nouvelles. Contrairement au Congo où cette réforme était menée, sans une réelle coordination, par l’implication des plusieurs pays et institutions (EUSEC, MONUC et MONUSCO), au Liberia, ce sont les Etats-Unis ont été sollicités pour jouer le rôle principal” pour piloter la réforme  et la formation de la nouvelle armée, les Casques bleus de la Mission de l’ONU au Libéria (MINUL) se chargeant de la réorganisation et de la réforme de la police nationale.

La création de la nouvelle armée n’a commencé en réalité qu’en 2006, à la suite des élections démocratiques qui ont remplacé le gouvernement de transition et de coalition par celui dirigé par la Présidente Ellen Johnson-Sirleaf. A cette date, plus de 100.000 combattants des anciennes factions avaient été désarmés et démobilisés dans le cadre du programme dirigé par la MINUL. On prévoyait la démobilisation de plus de 14.000 autres militaires de l’ancienne armée nationale et du Ministère de la défense.

Les accords de paix stipulaient que les soldats de la nouvelle armée libérienne “pouvaient être sélectionnés parmi” les anciens groupes armés, mais sur une base individuelle et uniquement s’ils étaient qualifiés. Quand le recrutement a commencé en janvier 2006, plus de 12.000 Libériens se sont présentés — pour constituer une force limitée à juste 2.000 soldats.

Les critères de sélection ont été très rigoureux. Pour être retenus, les candidats ne devaient pas seulement être en bonne forme physique mais aussi avoir au moins 12 années de scolarité. Des commissions de sélection ont passé au crible toutes les candidatures, éliminant tous ceux qui avaient été impliqués dans des violations des droits de l’homme. Les recruteurs se sont déplacés jusqu’aux villages d’origine des candidats pour vérifier leurs informations et encourager la population à les renseigner sur leur passé. Finalement, trois quarts des candidats ont été refusés. D’autres n’ont pas dépassé le stade de l’entraînement de base.

Les recruteurs ont aussi cherché à obtenir un certain équilibre ethnique et géographique, par contraste avec les anciennes forces armées qui favorisaient souvent un groupe ou l’autre. Le gouvernement espérait que 20 % des nouvelles recrues seraient des femmes, mais n’a pas pu obtenir assez de candidates — le pourcentage de femmes est actuellement d’environ 5 %.

Au Liberia, quand le recrutement a été initié en janvier 2006, plus de 12.000 Libériens se sont présentés — pour constituer une force limitée à juste 2.000 soldats.

4. L’Angola, seuls 10% des ex-UNITA réintégrés dans l’armée

En février 2002, Jonas Savimbi est tué lors de combats avec l’armée loyale. Après avoir annoncé, le 13 mars, la cessation de toutes les actions offensives de son armée. Le gouvernement angolais entreprend alors avec l’UNITA, décapitée et exsangue, des négociations en vue d’un cessez-le-feu et les conditions de sa reddition. Un accord historique est signé à Luanda, le 4 avril 2002, entre l’armée gouvernementale et les forces rebelles de l’UNITA, mettant fin à 27 années de guerre civile ayant occasionné la mort d’un million de personnes. L’accord prévoit le cantonnement et le désarmement d’environ 50.000 combattants, l’intégration d’une poignée d’entre eux (5.000) dans les Forces armées angolaises (F.A.A.), le retour à la vie civile des autres et, enfin, la transformation de l’UNITA en un parti politique légal. La dissolution de l’aile militaire de l’UNITA a été supervisée par une commission mixte, au sein de laquelle siègaient, outre des représentants des belligérants, des observateurs des Nations unies et de la troïka (Portugal, Russie, États-Unis).

De 2003 à 2008, l’Angola exécuta un programme national de DDR (PDRA) financé par le Gouvernement, le MDRP (Programme multi-pays de démobilisation et de réintégration), la Banque mondiale et la Commission européenne. Le programme a aidé plus de 92 000 ex-combattants et les personnes à leur charge à réintégrer la vie civile par le biais d’un grand nombre de sous-projets.

Le Gouvernement a lancé un nouveau programme de DDR à l’intention de plus de 150.000 ex-combattants des FAA. Le Gouvernement angolais a utilisé ses propres ressources pour financer le programme. Dans le cadre de ce programme, 79 projets provinciaux ont permis une réintégration réussie des 31.703 ex-combattants dans la vie civile.

5. Un aperçu de quelques critères de réintégration des combattants dans l’armée

A l’instar du Liberia, pour une meilleure réintégration des combattants dans l’armée, quoique je ne défends pas personnellement l’idée d’intégrer les rebelles dans une armée, car une armée formée au départ des mutins sera tôt ou tard confrontée à l’indiscipline, il faudrait établir des critères de sélection très rigoureux qui ne doivent pas laisser place à des exceptions comme cela s’est passé pendant le brassage.

Pour être retenus, les candidats ne doivent pas seulement être en bonne forme physique mais aussi avoir un minimum de 10 années de scolarité.

Des commissions de sélection indépendantes (MONUSCO – SADC- CEEAC- EUSEC – Société civile) devront passer au crible toutes les candidatures, éliminant tous les militaires qui avaient été impliqués dans des violations des droits de l’homme, des violences sexuelles, massacres et dans des crimes économiques.

Les commissions de sélection et recruteurs doivent disposer des moyens pour pouvoir, le cas échéant, se déplacer jusqu’aux villages d’origine des candidats pour vérifier leurs informations et encourager la population à les renseigner sur leur passé.

La réintégration des combattants doit se faire sur une base individuelle et uniquement si ces combattants sont physiquement, moralement  et psychotechniquement qualifiés.

Ces combattants doivent signer un document de reconnaissance de leur abandon à tout moyen armé pour faire part de leurs revendications, sous peine des poursuites nationales ou internationales.

Ces combattants doivent accepter d’être mutés individuellement tant durant leur formation que leur affectation partout en RD Congo pour renforcer le caractère républicain et national des forces arméesafin d’éviter la constitution d’une armée des milices.

Les recruteurs doivent aussi chercher à obtenir un certain équilibre ethnique et géographique pour éviter la constitution des milices ethniques.

Soumettre les personnes recrutées et sélectionnées aux entrainements de base pouvant aller de 9 mois à 15 mois (selon que l’on dispose d’un pré-requis militaire suffisant ou non) dans différents centres répartis partout en RDC, particulièrement dans les zones éloignées des zones sensibles.

Il faudrait aussi veiller à la parité homme-femme ou tout au moins encourager un engagement suffisant des femmes. De part leur statut social, les experts constatent que les femmes jouent un rôle essentiel dans le cadre de résolution des conflits en faisant prévaloir à la fois leurs statuts conciliateurs de « Mama » et leur autorité d’agent publique.

Pour une bonne mise en œuvre des programmes de DDR, la RD Congo peut s’inspirer des expériences du Liberia où des acteurs de la société civile ont été activement impliqués dans l’accompagnement de la réforme de l’armée au lieu de voir leurs actions se limiter uniquement à l’évaluation des réformes qui se soldent souvent par des recommandations creuses et difficilement applicables. Au Liberia, par exemple, un pays qui a connu un conflit armé dévastateur pendant les années 1990 similaire à la RDC, les ONG sont entrées en discussion avec les autorités nationales dans la conceptualisation et l’opérationnalisation de nouvelles approches de la RSS répondant mieux aux besoins et aux attentes des populations locales. C’est ainsi qu’au Liberia, diverses organisations de la société civile ont participé dans une série de formations avec des représentants des forces de sécurité et des membres des commissions parlementaires. Le but de ces formations était d’augmenter le niveau de connaissance de tous les acteurs sur des questions sécuritaires, mais aussi d’ouvrir des voies de communications et d’interactions entre les groupes.Cela a permis une implication et un contrôle actifs du secteur civil dans la mise en oeuvre de la RSS.

L’Aspect Réinsertion sociale des ex-combattants dans la vie civile doit surtout mettre en place des mécanismes pragmatiques et efficients visant à une meilleure définition, orientation, coordination, surveillance et évaluation des projets ad hoc. Il s’agit notamment de fournir des incitants alléchants pouvant attirer les combattants, via des projets de réinsertion sociale communautaire durables de leur réinsertion  à la vie sociale. Il ne s’agit pas de se limiter à leur remettre 110% en échange des armes mais bien à les impliquer directement via des formations qualifiantes à être des moteurs de la reconstruction de leurs communautés locales en initiant des projets de développement communautaire à utilité sociale et publique, basés sur le développement durable dans leurs zones de vie respectives.

Jean-Jacques Wondo/Desc-Wondo.org – Septembre 2013

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