La nouvelle politique étrangère pragmatique de l’Angola vis-à-vis de la RDC
La version française de cet article a été relue par JJ Wondo. L’article original est initialement publié en portugais dans le lien suivant : https://www.makaangola.org/2019/02/a-politica-externa-de-angola-e-o-congo/.
Sommaire
Le nouveau président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, tente d’établir une relation étroite avec son homologue angolais, João Lourenço. L’Angola a le devoir d’appuyer cette initiative d’aider Tshisekedi à se débarrasser des liens étroits que Kabila a tissés autour de lui, afin d’instaurer la stabilité politique qui manque tant au pays. Simultanément, avec d’autres pays, c’est le bon moment pour lancer un nouveau cycle politique en Afrique australe axé sur le progrès économique et la lutte contre la corruption.
Le pragmatisme diplomatique angolais entre la déception et le fait accompli
Felix Tshisekedi, le nouveau président de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre), a effectué son premier voyage officiel à l’étranger, le 5 février 2019, en Angola où il s’est entretenu avec le président João Lourenço,.
Il n’est jamais exagéré de souligner l’importance que représente la RDC pour la stabilité et le progrès économique de l’Angola. Une politique étrangère cohérente et équilibrée reposant sur trois piliers est nécessaire : la stabilité politique de la RDC, la sécurité des frontières communes et la croissance du commerce.
L’élection de Tshisekedi a suscité de sérieux soupçons de fraude électorale à grande échelle, et c’était une grande surprise aux yeux d’une large opinion, nationale comme internationale. C’est peut-être pour cette raison même que l’Angola a adopté une position intermédiaire pragmatique, entre la déception et le fait accompli. L’objectif de l’Angola était de laisser partir tranquillement et effectiovement Joseph Kabila du pouvoir, et d’éviter la victoire d’Emmanuel Shadary qui allait être le prolongement de Kabila, de l’instabilité politique et sécuritaire, notamment dans les frontières communes entre les deux pays.
Le problème c’est que Tshisekedi a été élu parce qu’il avait signé un accord faustien[1] – une sorte de pacte avec le diable – avec Kabila. Et ce choix n’a pas vraiment plu aux autorités angolaises. Plusieurs sources congolaises contactées par Maka Angola ont confirmé l’existence d’un accord secret entre l’ancien et le nouveau président congolais. Ce dernier devrait former un gouvernement de coalition avec Kabila lui-même, qui maintiendra dans la pratique le monopole de la politique gouvernementale. Kabila a encadré et manipulé Tshisekedi, lui laissant une marge de manœuvre très limitée, affirment ces mêmes sources.
L’opinion publique congolaise est de plus en plus convaincue que le nouveau président a été « pris en otage » par Kabila. Ce qui semble être que le pays avance d’un gouvernement conjoint entre le parti de Joseph Kabila et le parti de Félix Tshisekedi. Le poids du parti du président actuel dans cette coalition déterminera probablement sa marge de manœuvre pour mettre en œuvre les véritables réformes que tous les Congolais espèrent.
Si ces réformes, qui partent de la restructuration ou la réforme d’un Etat fonctionnel à la lutte contre la corruption et au progrès économique et social, ne se produisent pas, les soulèvements violents auront lieu en raison de la frustration des attentes profondes des populations du nouveau président.
Isoler Kabila et dissocier Tshisekedi de son emprise pour une nouvelle dynamique réformiste dans la SADC
C’est là que le rôle décisif de l’Angola pourra intervenir. L’objectif du président angolais devrait être d’essayer de dissocier le nouveau président de son prédécesseur et de promouvoir les réformes nécessaires, comme João Lourenço tente de le faire en Angola.
De cette manière, une dynamique réformiste sera créée dans cette région de l’Afrique, se joignant éventuellement avec ce qui se passera en Afrique du Sud, donnant ainsi au Mozambique la force de poursuivre son mouvement contre la corruption, qui a été forcé par les États-Unis d’Amérique, et peut-être même amener le nouveau dirigeant zimbabwéen à rejoindre ce bloc réformiste et progressiste.
Par conséquent, non seulement pour la stabilité de la RDC, mais également un mouvement qui peut devenir exemplaire en Afrique australe pourrait émerger. Et c’est dans ce contexte que la politique étrangère et de défense angolaise peut agir de manière décisive et pertinente pour l’avenir.
En passant, il convient de noter que le mari d’Isabel dos Santos, Sindika Dokolo, a perdu la lutte initiale qu’il comptait mener avec le mouvement citoyen « Les Congolais Debout », qui n’avait pas vraiment d’objectifs clairs ni de modus operandi lui permettant d’agir de manière ciblée. Les mêmes sources affirment que Sindika tente de négocier avec le nouveau président congolais la levée de la condamnation qui l’incombe, afin de pouvoir retourner dans son pays natal. À ce stade, il risque d’être arrêté suite à une condamnation judiciaire.
Il semble qu’en Angola, selon plusieurs sources locales, le nouveau président de la RDC ait demandé l’aide de Lourenço pour sa sécurité privée, car il se sentait mal protégé par les gardes de Kabila. C’est ici que l’Angola peut, comme dans le passé, dominer le terrain, en accordant à Tshisekedi les ressources nécessaires pour que ce dernier se débarrasse diplomatiquement de l’étreinte de Kabila.
Récemment, il y a eu un petit épisode qui révèle une première tentative d’émancipation politique de Félix Tshisekedi vis-à-vis de Joseph Kabila. Kabila espère que le nouveau président obtiendra de la communauté internationale la levée des sanctions internationales à l’encontre des plus hautes personnalités du gouvernement précédent. Dans le discours que Tshisekedi a prononcé devant le corps diplomatique, dans son texte écrit remis aux diplomates, il y avait un appel à ette suppression des sanctions, comme convenu avec Kabila. Cependant, dans son discours oral, Tshisekedi a omis cette partie et n’a lancé aucun appel verbal pour lever les sanctions imposées par les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne.
Au vu de ce qui précède, nous considérons que l’Angola devra soutenir de manière équilibrée et prudente le processus d’autonomisation progressive de Felix Tshisekedi vis-à-vis de Joseph Kabila. Le nouveau président congolais peut devenir un acteur-clé qui pourra jouer un rôle déterminant dans la stabilité de la RDC et la création d’un nouveau courant réformiste au sein de la SADC.
Moiani Matondo/Journaliste freelance à Luanda
Référence
[1] Faustien : Relatif à Faust, au pacte qu’il a passé avec le diable. Inspiré par la figure du Docteur Faust, le faustianisme se caractérise par la volonté de dominer la nature, afin d’utiliser ses ressources dans l’intérêt de l’Homme.
One Comment “La nouvelle politique étrangère pragmatique de l’Angola vis-à-vis de la RDC – Makaangola”
IMBANDA Lokenga Lotshitshimbi
says:J’ai bien apprécié l’article sur les mauvais génies. Ce que je considère comme non dit, c’est que ces mauvais génies ne peuvent qu’être le produit de l’accord secret qui existerait entre Joseph Kabila et Felix Tshisekedi dont l’essentiel serait,entre autres,la sécurité du premier cité. Pour ce faire, cela nécessite la mise en place et/ou le maintien dans l’appareil sécuritaire, militaire, policier, juridique et législatif des pions pour la mise en oeuvre de cet accord, et aussi le contrôle de l’autre signataire dudit accord secret entre les deux hommes. Ce que nous vivons n’est qu’une petite préfiguration de ce qui nous attends demain. Le régime Kabila est passé maitre dans l’art de d’élimination politique voire physique de ses adversaires politiques réels ou supposés. Que Dieu nous préserve de ce que je crains.