Jean-Jacques Wondo Omanyundu
GÉOPOLITIQUE | 04-07-2022 10:00
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La mise au point de Jean-Marc Châtaigner à propos de la nouvelle prorogation des mesures d’embargo sur les armes en RDC

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
La question d’embargo sur les armes en RDC imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies ne cesse de susciter des réactions en sens divers. Une certaine opinion naîve, maintenue psychologiquement dans l’obscurantisme politique dogmatique, est convaincu qu’à ce jour, il est impossible aux FARDC de s’acheter des armes conventionnelles. Cette opinion attribue généralement la contreperformance des FARDC, non pas à cause  des défaillances structurelles, organisationnelles, opérationnelles et fonctionnelles de l’armée, mais bien au manque d’armements adéquats pour contrer les forces négatives à l’est de la RDC.
Le présent article a pour but de déconstruire ces idées-reçues par des éléments factuels démontrant que les FARDC s’équipent régulièrement en matériels de guerre adéquats et par la mise au point faite par M. Jean-Marc Châtaigner, Ambassadeur de l’Union Européenne en République démocratique du Congo, à propos de la prorogation du  dispositif d’embargo sur les armes en RDC qui concerne uniquement les groupes armés et n’empêche pas les FARDC de s’approvisionner en armes.
Des pièces d’artillerie tractées des FARDC lors du défilé du 30 juin 2010 à Kinshasa. Radio Okapi/ Ph. John Bompengo

Cependant, on oublie en même temps que le Gouvernement congolais, par la voix du général Léon Kasonga, a régulièrement vanté la suprématie et les capacités matérielles militaires des FARDC, se référant au classement annuel élaboré par le think tank américais spécialisé dans la défense Global Fire Power (GFP). Une évaluation faite en termes de facteurs quantitatifs bruts – effectifs, budget militaire brut, nombre brut de matériels militaire)- qui ne tiennent pas compte du rapport de ces chiffres avec la taille du pays concerné ou de sa démographie, ni du ratio entre le budget et le nombre de militaires. Cette classification écarte également certains critères qualitatifs (qualité de la formation, la capacité opérative de l’armée dans les opérations militaires, le salaire moyen d’un militaire, les conditions de travail du militaire, la motivation des militaires au combat, etc.)[1].

Qu’à cela ne tienne, par ce classement du GFP, on a là des indices sérieux que les FARDC ne sont pas sous embargo des armes. Elles s’achètent régulièrement et légalement des armes performantes pour la défense de la RDC, dont une grande partie se retrouve régulièrement aux mains des groupes armées qu’elles sont censées combattre[2].

Nous avions par ailleurs démontré à plusieurs reprises l’hyper-militarisation croissante des FARDC et de la Garde républicaine sous Joseph Kabila alors que le pays était toujours placé dans le même régime d’embargo sur les armes.[3] Dans une autre publication, nous avons annoncé qu’après la victoire des FARDC contre le M23 en novembre 2013, aidées par la brigade d’intervention de la MONUSCO, les autorités militaires congolaises se sont lancées dans les achats des matériels militaires. Le site defensenews.com a livré ce 17 février une information selon laquelle Le premier groupe de défense de l’Ukraine, Ukroboronprom, a annoncé qu’elle a signé un contrat pour livrer les chars de combat de type 50 T- 64BV-1 d’une valeur d’environ 100 millions de hryvnia (environ 11,5 millions de dollars américains) dans un pays étranger que la société n’a pas identifié. Mais le site d’information russe Lenta.ru indiquait que ces chars seront livrés à la République démocratique du Congo. Le site russe précise en outre que la RDC a signé ce contrat en fin 2013 pour un prix unitaire de $200 000. Ce type de char est une version améliorée du char T-64 de conception soviétique. (http://www.defensenews.com). Selon les informations très fiables et précises parvenues à AFRIDESK à l’époque, l’Ukraine ne s’est pas limitée à vendre des chars à la RDC mais aussi plusieurs armes, munitions et véhicules de transport des troupes[4]. Ce sont là des éléments factuels qui démontrent à suffisance que les FARDC n’ont jamais été sous embargo leur interdisant l’achat des armes.

Jean-Jacques Wondo
En arrière-plan, un lot de véhicules blindés russes de combat d’infanterie BMP-1 achetés en Ukraine pour la GR sous Joseph Kabila. En avant-plan, on aperçoit un modèle de véhicule blindé russe de transport BTR-50 livré également par l’Ukraine. Ces véhicules, entreposés autrefois à la base GR de Kibomango près de Kinshasa, ont été utilisés lors de la répression des manifestants (majoritairement de l’UDPS) à Kinshasa en septembre et décembre 2016.  Photo : Exclusivité AFRIDESK
Bref rappel d’Afridesk[5]

L’embargo sur les armes en RDC a été imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2003 par la Résolution 1493/2003. Il concernait tous les groupes armés étrangers ou congolais opérant sur les provinces du Nord Kivu, du Sud Kivu et de l’Ituri, ainsi que les groupes qui ne faisaient pas partie de l’Accord Global et inclusif sur la transition en RDC.

En 2005, Par sa Résolution 1596/2005, le Conseil de sécurité a ensuite étendu l’embargo sur les armes à tout destinataire en RDC, à l’exception de l’armée et de la police congolaises. Cette Résolution 1596 prévoit de sanctionner les personnes ayant violé l’embargo sur les armes en leur imposant des mesures d’interdiction de voyage et un gel de leurs avoirs financiers. De plus, cette Résolution 1596 a élargi l’embargo sur les armes à l’ensemble de la RDC, tout en exemptant les FARDC et la PNC en cours des processus de brassage et d’intégration, néanmoins soumises à certaines restrictions.

En juillet 2006 par sa Résolution 1698/2006, le Conseil de sécurité des Nations unies a reconduit pour un an l’embargo, puis par les Résolutions 1771/2007 et 1799/2008 jusqu’au 31 mars 2008.

Le 31 mars 2008, une nouvelle Résolution 1807/2008 a de nouveau reconduit cet embargo jusqu’au 31 décembre 2008. Elle a limité son application uniquement aux forces non gouvernementales.

La particularité de la Résolution 1807/2008a été de supprimer l’obligation faite au Gouvernement congolais suivant laquelle tout envoi autorisé d’armes devait se faire exclusivement sur les sites désignés par le gouvernement en concertation avec la MONUSCO en RDC. Cependant, l’article 5 de cette résolution précisait que tous les Etats pourvoyeurs d’armes à la RDC doivent notifier au Comité des sanctions du Conseil de sécurité sur la RDC, tout envoi d’armes et de matériels connexes en RDC et toute fourniture d’assistance, de conseil ou de formation ayant un rapport avec la conduite d’activités militaires dans le pays.

Un véhicule de lance-roquettes multiples des FARDC en opération à l’est de la RDC.
Mise au point de Jean-Marc Chataigner, Ambassadeur de l’Union Européenne en RDC

Dans une publication sur son compte LinkedIn, M. Chataîgner a voulu apporter l’éclairage suivant à propos de la dernière résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

« Compte-tenu du nombre de messages reçus sur sa portée et les contresens entretenus, je crois utile d’apporter un éclairage sur l’adoption de la résolution 2641 du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui proroge jusqu’au 1er juillet 2023 l’embargo sur les armes à destination de la République démocratique du Congo #RDC. Le point de vue que j’exprime ici est personnel (l’#UE en tant que telle n’a pas de représentation au Conseil) :

1) Contrairement à ce que beaucoup affirment, cet embargo sur les armes établi au début des années 2000 pour accompagner le processus de paix de Sun City, ne s’applique plus à l’Etat congolais et à ses forces armées depuis la résolution 1807 de 2008 : il vise exclusivement les différents groupes armés qui sévissent à l’Est du pays. Le Gouvernement congolais peut acheter et importer les armes qu’il souhaite.

2) La résolution 1807 avait néanmoins maintenu le principe d’un mécanisme de notification des ventes d’armes par les pays fournisseurs (une notification = une information du Comité des sanctions et non un régime d’autorisation préalable). Dans le but initial d’assurer une traçabilité des armements vendus et d’éviter qu’ils n’arrivent, le cas échéant, dans de mauvaises mains.

3) La RDC a demandé formellement cette année la levée de ce dispositif de notification, estimant qu’il constituait une contrainte bureaucratique. Le Conseil de Sécurité a examiné cette demande et n’a pas tranché totalement dans ce sens. Il a néanmoins circonscrit le champ de notification à une liste précise d’armes et matériels (détaillés en annexe de la résolution).

4) Ce progrès n’a pas été jugé suffisant par 5 Etats (les trois pays africains du Conseil, la Chine et la Russie) qui n’ont pas voté la résolution et se sont abstenus. 10 États membres ont néanmoins voté pour (ce qui est suffisant, il faut 9 voix au minimum pour adopter une résolution au Conseil). Le Conseil s’est donc divisé, mais n’a pas été bloqué. Il aurait suffi d’un vote contre de la Chine ou de la Russie pour écarter le texte (droit de veto), ce qu’ils n’ont pas fait.

Ndlr. Jean-Jacques Wondo : Dans la rhétorique diplomatique, la Chine et la Russie ont de manière subtile appuyé cette résolution sans s’y opposer formellement par un vote négatif car l’abstention est une manière douce de ne pas s’opposer à une résolution.

5) Certains commentateurs arguent que la France, « porte-plume » de la résolution, serait à l’origine de sa rédaction finale. C’est faux. La France a proposé une option médiane entre ceux qui voulaient appuyer la position congolaise et ceux qui s’y sont opposés, un « compromis » permettant le vote de la résolution (la levée de l’embargo sur les armes pour les groupes armés aurait été dramatique).

6) Cette résolution n’a aucun d’impact pour l’approvisionnement en armes de la RDC (puisque l’embargo ne s’applique pas aux autorités). Face à la résurgence ces dernières semaines des attaques criminelles du M23, le signal d’une levée totale du processus de notification aurait sans doute été plus fort. La résolution 2641 constitue néanmoins un progrès sur lequel les autorités peuvent s’appuyer pour demander un renforcement du soutien international aux #FARDC ».

Rédaction AFRIDESK

Références

[1] Jean-Jacques Wondo, Les FARDC sont-elles réellement la 10ème armée la plus puissante d’Afrique ? https://www.mediacongo.net//article-actualite-18832.html.

[2] https://afrique.lalibre.be/41799/rdc-qui-arme-les-rebelles/.

[3] Jean-Jacques Wondo : https://www.congoforum.be/fr/2014/05/28-05-14-direct-cd-rdc-une-hyper-militarisation-suspecte-de-la-garde-prsidentielle/.

[4] Jean-Jacques Wondo, Guerre imminente dans les Grands-Lacs ? Une inquiétante course aux armements dans la la région. https://www.burundi-forum.org/2541/guerre-imminente-dans-les-grands-lacs-une-inquietante-course-aux-armements-dans/.

[5] https://afridesk.org/rdc-levee-de-lembargo-sur-les-armes-ce-quignore-le-president-tshisekedi-jj-wondo/.

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