Le groupe terroriste Etat islamique (EI) a revendiqué, pour la première fois, via un message flou et très peu précis publié le 18 avril 2019 par son agence de communication Amaq, une attaque sur le territoire congolais. Comment expliquer ce subit fantasme islamique?
Dans cette étude scientifique sur la menace islamique en Afrique des Grands-Lacs, très bien documentée, notamment en faisant références aux analyses de Jean-Jacques Wondo sur la menace islamique en RDC, la chercheuse Myrto Hatzigeorgopoulos arrive au constat selon lequel, si l’ADF fut créée par un noyau dur de musulmans radicaux, membres de la secte Tabligh, et si la majorité des combattants qui la composent sont de confession musulmane, le groupe ne semble pas être dans une logique d’expansion idéologique d’un islam radical, et encore moins dans une démarche de recrutement de candidats au djihad [1]. Elle cite Gérard Prunier qui avait, dès 1999, qualifié l’ADF d’ « islamistes sociaux », arguant que « ces islamistes-là, [ne sont] souvent même pas musulmans au départ »[2]. Bien que les activités de l’ADF présentent un facteur d’insécurité majeur pour les populations de l’est du pays, l’ADF ne se situe pas dans la mouvance du terrorisme islamiste et ne participe pas à la « djihadosphère ». Aucune information ne permet, à ce jour, de confirmer que celle-ci aurait des liens financiers et opérationnels avec les réseaux terroristes internationaux[3]. Selon de nombreux observateurs, jouer la carte du radicalisme islamique lui a plutôt permis de recruter des combattants et d’obtenir des soutiens financiers conséquents en provenance des pays musulmans, comme le Soudan[4].
L’analyse va plus loin en pointant la complicité entre les FARDC et les présumés rebelles ADF. En efet, il a été démontré que certains officiers des FARDC ont contribué de façon « plus directe » à l’insécurité, certains ayant fourni du soutien matériel aux groupes responsables des meurtres[5]. Ces accusations remontent jusqu’au général Akili Muhindo Mundos, ancien commandant du secteur opérationnel des FARDC dans le grand Nord, qui reprit le commandement de l’Opération Sukola I fin août 2014, suite au décès du général Bahuma[6]. C’est, en effet, deux mois après son arrivée à la tête de l’opération que les massacres de Beni commencèrent, et celui-ci aurait, selon certaines sources, équipé le groupe en armes, munitions et uniformes des FARDC et donné l’ordre de tuer des civils[7] De plus, il est à noter qu’aucune personne soupçonnée d’être auteur direct des meurtres n’a été arrêtée ou renvoyée devant le procureur militaire, faisant peser le doute non seulement sur l’engagement des FARDC dans la lutte contre l’ADF, mais également sur la volonté des autorités militaires de traduire les personnes capturées en justice. Au contraire, les quelques individus soupçonnés d’avoir participé aux tueries et qui ont été arrêtés par les FARDC auraient été libérés par les FARDC mêmes. La connivence entre les FARDC et l’ADF (qui leur vaut parfois le sobriquet de « ADF-FARDC ») mais aussi entre les FARDC et d’autres groupes armés de la région, de manière plus générale, remet ainsi en question la responsabilité attribuée aux seuls combattants ADF dans les massacres qui se produisent à Beni et continue de ternir l’image des forces armées congolaises. De ce fait, il fait peser le doute sur l’existence d’une empreinte et d’une menace islamiste dans le pays. Plutôt, les liens entre l’ADF et les cercles de pouvoir congolais, y compris les FARDC, portent à croire que l’ADF est bien plus une actrice intégrante des dynamiques de conflit régional qu’un maillon de la chaîne djihadiste transnationale ou qu’une simple externalisation d’un conflit politique localisé, en Ouganda.
Par ailleurs, les attaques dont le prétendu caractère djihadiste fait aujourd’hui rapport, en raison de leur mode opératoire et des cibles auxquelles elles s’attaquent (femmes, enfants, lieux de culte) ne sont pas simplement le fait de groupes islamistes. De telles attaques ont été de nombreuses fois commises par les différentes vagues de rébellions et d’invasions que la région a connu depuis la fin des années 90, et qui connaît une instabilité chronique due aux activités de groupes armés depuis la période de l’indépendance.
Enfin, le maintien d’une situation d’instabilité à l’est du pays sert également un certain nombre d’intérêts politiques. L’histoire récente d’intégrations successives au sein des FARDC d’anciens belligérants, qui conservent des intérêts particuliers et des allégeances parallèles dans leurs régions d’origine dans lesquelles ils sont souvent renvoyés après avoir déposé les armes et intégré les FARDC, encourage de tels phénomènes.
Résumé de Jean-Jacques Wondo
Executive Summary
In the last five years, a rhetoric centred on the existence of an Islamist threat has largely spread across certain countries of the Great Lakes region. Although Islamist terrorism has historically spared Central Africa, today, such a threat is seemingly intensifying in the region. This study analyses the facts and factors identified as the warning signs of Islamist threat in the Democratic Republic of Congo and in Burundi. It will demonstrate that the threat of Islamist terrorism is actually particularly useful in these two countries, and that it has been instrumentalised for internal and regional political purposes.
Depuis cinq ans, une rhétorique centrée sur l’existence d’une menace islamiste s’est largement répandue dans certains pays de la région des Grands Lacs. Tandis que le terrorisme islamiste a historiquement épargné l’Afrique centrale, la région ferait aujourd’hui face à une intensification d’une telle menace. Cette étude se consacre à l’analyse des faits et facteurs sur lesquels repose l’identification d’une menace terroriste islamiste en République démocratique du Congo et au Burundi. Elle démontrera que la menace du terrorisme islamiste s’avère être particulièrement utile dans ces deux pays et qu’elle fait l’objet d’une instrumentalisation à des fins de politique à la fois interne et régionale.
Vous pouvez télécharger l’étude au format pdf ici
Etude_Nr_133_Menace_islamiste_dans_la_région_des_Grands_Lacs[1] Myrto Hatzigeorgopoulos, op. cit., p.11.
[2] Prunier, Gérard, « L’Ouganda et les guerres congolaises », Politique africaine, 1999/3 N°75, p. 46.
[3] Myrto Hatzigeorgopoulos, op. cit., p.11.
[4] Voir: Hovil, Lucy et Werker, Eric, op. cit., p. 10; Titeca, Kristof et Vlassenroot, Koen, op. cit., pp. 162, 166-167. Cité par Myrto Hatzigeorgopoulos.
[5] Conseil de Sécurité des Nations unies, Lettre datée du 23 mai 2016, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2016/466 (New York : Conseil de Sécurité des Nations unies, 23 mai 2016), p. 47. Ci-après : Conseil de Sécurité des Nations unies, S/2016/466.
[6] Groupe d’Études sur le Congo, Qui sont les tueurs de Beni ?, op. cit., p. 12.
[7] Conseil de Sécurité des Nations unies, S/2016/466, op. cit., p. 45. Note : le groupe d’expert a confronté le Général Mundos sur ces accusations, qu’il a réfutées en bloc, insistant sur le fait que les ADF étaient un groupe armé djihadiste responsable de meurtres de civils dans le territoire de Beni.
One Comment “La menace islamiste dans la région des Grands Lacs : un enjeu sécuritaire utile ? – Myrto Hatzigeorgopoulos”
John
says:Bien