La loi n°13/005 portant statut du militaire des FARDC – Un pas vers la professionnalisation de l’armée?
Cette loi, promulguée le 15 janvier 2013 est un maillon essentiel de la réforme des FARDC dans la mesure où elle constitue un début d’amorce vers la professionnalisation effective des FARDC. Ainsi, elle pourra favoriser le recrutement au sein des FARDC par la formation et garantir en même temps un assainissement des effectifs par le recensement, une revalorisation des salaires et une garantie de droits sociaux pour le personnel mis à la retraite. Cette double dynamique de recrutement et d’assainissement des effectifs est un facteur clé du renforcement des FARDC et de l’amélioration de son image au sein de la population[1].
En effet, jusqu’à sa promulgation, c’est la loi n° 81-003 du 17 juillet 1981 portant statut du personnel des carrières des services publics de l’État qui s’appliquait. Cette loi votée à l époque des Forces armées zaïroises (FAZ) régissait également le personnel militaire et ne prenait guère en compte la spécificité de la fonction militaire.
Dans son exposé des motifs, on peut lire que la réforme des FARDC ne peut aboutir que si, au delà de l’architecture, de la doctrine et d’autres éléments de notre système de défense, elle prend en compte le sort des hommes et des femmes formés, motivés et engagés à servir le sort des hommes et des femmes formés, motivés et engagés à servir la Patrie dans un esprit d’obéissance, d’abnégation et de dévouement.
Cette loi fixe les conditions du déroulement de la carrière du militaire depuis le recrutement jusqu’au terme de son service et les modalités de formation. Elle définit les droits sociaux et le régime disciplinaire du militaire.
Elle fixe notamment l’âge de la retraite pour les hommes des troupes et sous-officiers à 45 ans et à 59 ans pour les généraux. Elle donne, par ailleurs, au chef de l’état le droit de nommer, relever et, le cas échéant, révoquer les officiers de l’armée.
La loi comporte 300 articles répartis en cinq parties. L’ordonnance présidentielle de mise en application de cette loi a été publiée en juillet 2013.
Le Président nomme les officiers-généraux : une disposition qui a suscitée une levée de boucliers
L’article 73 confère au président de la république la compétence de nommer et relever de leurs fonctions et, le cas échéant de révoquer, par Ordonnance délibérée en Conseil des ministres, sur proposition du Gouvernement, le Conseil supérieur de la défense entendu: les officiers généraux et supérieurs des forces armées; le Chef d’État-major général, les chefs d’État-major général adjoints et les sous-chefs d’état-major; les chefs d’État-major des forces et leurs adjoints; les commandants des zones de défense (actuellement régions militaires) et leurs adjoints…
Lors de l’examen du projet de loi sur le Conseil Supérieur de la Magistrature et le projet de loi sur le Statut du militaire des FARDC au cours de la législature précédente, cet article avait fait l’objet des divergences de vues entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Une majorité de sénateurs de la législature écoulée voulait dépouiller le Chef de l’État de ses prérogatives constitutionnelles en matière de défense nationale, notamment de son rôle au sein de la chaîne de Commandement. Le réexamen de cet article, suite à la requête de la présidence de la république, a tranché en faveur de l’option de conférer au chef de l’État les compétences qu’on voulait lui retirer.
Ainsi, le président de la République dispose des instruments juridiques lui permettant désormais de nommer, de révoquer par ordonnance délibérée en Conseil des ministres des Officiers militaires et de la police nationale congolaise.
Il s’agit plutôt d’un rôle semi-actif, au regard d’un régime parlementaire voulu par le Constituant de 2006, qui a été mal interprété par le Sénat et a suscité de vives réactions au sein de l’opinion publique qui craignait, probablement à raison, que le Chef de l’État n’en fasse un pouvoir discrétionnaire et n’instrumentalise les autres organes devant intervenir dans la nomination des officiers susmentionnées, à savoir le Conseil des ministres qui, avant de proposer la liste des officiers à nommer par le Président, doit entendre le Conseil supérieur de la défense. Si ces étapes se déroulent sans interférences politiciennes, il n’y a pas à craindre sur la qualité des officiers nommés ou promus. Sauf qu’en RDC, trop souvent, la matière relative à la défense reste un domaine de chasse gardé du Président. Ce qui fait craindre des dérives politiciennes, clientélistes et ethno-régionalistes comme on a pu le constater lors des nominations et promotions des généraux en juillet 2013.
En réalité, cette spécificité n’est pas propre à la RD Congo. Même dans les États dites de vieille démocratie, c’est le chef de l’État qui nomme et révoque « officiellement » les officiers supérieurs.
Le rôle du chef de l’État en matière de défense en droit constitutionnel comparé
En Belgique, les officiers sont nommés par arrêté royal qui a valeur d’une ordonnance présidentielle en RD Congo. Il s’agit plus d’une disposition formelle que d’un réel pouvoir absolu et exclusif conféré au chef de l’État. D’autant qu’en Belgique, le Roi ne peut, constitutionnellement, poser des actes politiques que sous contreseing du ministre compétent. Donc du point de vue constitutionnel et théorique, le Roi des Belges est le chef des armées. Il s’appuie cependant sur une structure composée d’un ministre compétent en la matière, qui chapeaute à son tour le travail du chef de la Défense (l’équivalent du Chef d’état-major général des FARDC au Congo), la plus haute autorité militaire du pays. Ce dernier prépare les éléments pour l’élaboration de la politique de la défense nationale et conseille son autorité de tutelle au sujet des opérations planifiées et en cours. Il assure également le suivi des décisions politiques arrêtées par le gouvernement fédéral, ainsi que la gestion administrative du département public concerné.
En effet, l’article 107 de la Constitution belge dit : « Le Roi confère les grades dans l’armée. Il nomme aux emplois d’administration générale et de relation extérieure, sauf les exceptions établies par les lois. Il ne nomme à d’autres emplois qu’en vertu de la disposition expresse d’une loi ».
L’article 167 § 1er Alinéas 2 et 3 de la Constitution belge précisent que : « Le Roi commande les forces armées, et constate l’état de guerre ainsi que la fin des hostilités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’État le permettent, en y joignant les communications convenables. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire, ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi ».
En France, la constitution de 1958 prévoit dans son article 15 : « Le Président de la république est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale« . De plus, le secrétaire général de la Défense nationale ainsi que le chef d’état-major des armées agissent sous les directives communes du président de la République et du Premier ministre.
En tant que chef des armées, on conçoit mal le président français se contenter du simple rôle de gérer les débats ou les temps de paroles des généraux, un peu comme le président de l’assemblée nationale avec les députés. En tant que chef et Commandant des Armées, il se doit de commander, et même d’influer dans les nominations aux postes les plus stratégiques de l’armée. Ainsi, l’article 13 constitution de la Vème République dispose que « Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres. Il nomme aux emplois civils et militaires de l’État. »
Même si la Constitution stipule que les conseillers d’État, le grand chancelier de la Légion d’honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des comptes, les préfets, les représentants de l’État dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales sont nommés en conseil des ministres. Ce, pour la simple raison qu’en France, en application de l’article 9 de la Constitution, le Président de la République préside le Conseil des ministres. Il peut « à titre exceptionnel » se faire remplacer par le Premier ministre, « en vertu d’une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé » (article 21) ; la procédure est extrêmement rare.
D’autre part, le président de la République est le chef des armées. De plus, en vertu de la Constitution, le président de la République (française) est constitutionnellement garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. La politique extérieure et la Défense constituent les deux principaux volets du domaine présidentiel et sont considérées, même en période de cohabitation, comme le « domaine réservé » du président. A notre avis, c’est ce modèle qui a été suivi en RD Congo.
Enfin, l’article 16 de la Constitution française prévoit que : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Il en informe la Nation par un message. Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet. Le Parlement se réunit de plein droit. »
Aux États-Unis, le Président nomme des officiers généraux avec le consentement su Sénat. L’Article II Section 2 de la Constitution prévoit : « Le président sera commandant en chef de l’armée et de la marine des États-Unis, et de la milice des divers États quand celle-ci sera appelée au service actif des États-Unis… .
Il aura le pouvoir, sur l’avis et avec le consentement du Sénat, de conclure des traités, sous réserve de l’approbation des deux tiers des sénateurs présents. Il proposera au Sénat et, sur l’avis et avec le consentement de ce dernier, nommera les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls, les juges à la Cour suprême, et tous les autres fonctionnaires des États-Unis dont la nomination n’est pas prévue par la présente Constitution, et dont les postes seront créés par la loi. Mais le Congrès pourra, lorsqu’il le jugera opportun, confier au président seul, aux cours de justice ou aux chefs des départements, la nomination de certains fonctionnaires inférieurs. »
Le fait que le président américain dispose des attributions de nommer les fonctionnaires des États-Unis lui confère également la compétence de nommer les officiers de l’armée d’autant que le président dirige l’administration américaine qui comprend le département de la défense au sein duquel appartiennent les militaires. Et pour ce faire, il dispose d’un large pouvoir de nomination que la pratique assortit d’un pouvoir de révocation. Le Congrès américain a toutefois voté une disposition restreignant le pouvoir discrétionnaire (sans sanction sénatoriale) de nomination du président aux plus hauts postes de l’administration, ce qui correspond, dans le cas qui nous concerne, aux postes les plus élevés de l’armée.
C’est ainsi qu’avec le consentement du Sénat le président Obama a nommé en 2011 le général Martin Dempsey au poste de chef d’état-major interarmées (équivalent du CEMG en RDC), le plus haut gradé militaire américain. Dans son allocution de circonstance, le président parle d’un « choix personnel » en ces termes : « J’annonce mes choix aujourd’hui parce qu’il est essentiel… que nous restions concentrés sur les difficiles questions de sécurité nationale qui se posent à nous ». Ce qui laisse entrevoir un pouvoir discrétionnaire énorme dans ses prérogatives.
Une loi en conformité avec la Constitution et la loi organique sur les FARDC
Il est aussi à noter que cette loi portant statut du militaire s’est conformée aux articles 81 et 83 de la Constitution de la RDC et l’article 19 de la loi organique portant organisation et fonctionnement des FARDC. Lesquels articles stipulent que c’est le président de la République qui, en sa qualité de commandant suprême de l’armée, nomme les généraux et les officiers supérieurs sur proposition du Ministre ayant dans ses attributions la défense nationale délibérée en Conseil des Ministres, le Conseil Supérieur de la défense entendu.
En effet, le Conseil Supérieur de la défense (CSD), un des organes intervenant dans la nomination des officiers généraux, constitue la structure politique et militaire de la défense. Cependant son organisation, sa composition, ses attributions et son fonctionnement font l’objet, conformément à l’article 192 de la Constitution, d’une loi organique spécifique. Le CSD fait également partie des institutions et structures politiques nationales de la défense prévues dans l’article 18 de la loi organique portant organisation et fonctionnement des FARDC qui sont :
– le Président de la République ;
– le Gouvernement ;
– l’Assemblée Nationale ;
– le Sénat ;
– le Conseil Supérieur de Défense.
Or lorsque l’on analyse sur le terrain l’architecture institutionnelle actuelle issues des élections de 2011 où le président dispose d’une majorité politique écrasante au sein des deux chambres du parlement et avec un gouvernement constitué des cadres des partis présidentiels, la crainte manifestée par les opposants aux dispositions légales sus-évoquées peuvent, politiquement, trouver leur fondement.
Mêmes inquiétudes pour la loi portant statut du policier
Les mêmes inquiétudes émises par le Sénat lors du vote de cette loi l’ont également été lors de la discussion, au sein de la même chambre haute du parlement, du projet de loi relative au statut du policier, où la plénière a décidé par vote, d’élaguer l’article 4 suite à un amendement introduit par les sénateurs Henri-Thomas Lokondo et Mokonda Bonza soutenus par le président du Sénat Kengo wa Dondo. Pour le sénat, il fallait éviter à tout prix la politisation de la police. En effet, cet article impliquait les délégués de la présidence de la République et de la primature (cabinet du premier ministre) dans la commission d’avancement en grade des policiers de carrière. Les sénateurs préféraient garder dans cette commission uniquement le ministère en charge de l’Intérieur et de la sécurité pour représenter le gouvernement en tant que tutelle de la police. Cette décision de la plénière est allée à l’encontre de celle de la commission ad hoc, celle-ci ayant proposé de maintenir la présence des délégués autres que ceux du ministère de l’Intérieur. Mais la plénière [du sénat] étant souveraine, c’est son avis qui l’a emporté. Mais en fin de compte, le Président étant opposé à la position de la plénière du Sénat, a promulgué la version de la loi votée par l’assemblée nationale qui défendait la même position que celle de la commission ad hoc susmentionnée.
Une loi qui va valoriser la situation sociale et financière des militaires et retraités
Une autre valeur ajoutée de cette loi est sur le statut du militaire est de permettre une revalorisation des salaires et une garantie de droits sociaux pour le personnel mis à la retraite.
Actuellement, les avantages sociaux reçus par les militaires en activité sont:
- Le fonds de ménage qui s’élève à 30 $ US /Homme/mois depuis 2011.
- Une prise en charge médicale dont le taux a été proposé à 3$/Homme/mois
- Pas de frais funéraires. (Personnellement, il m’est arrivé plus d’une fois de contribuer aux frais funéraires des officiers (parfois supérieurs) décédés pour qui l’État congolais n’était pas en mesure d’assurer un enterrement digne.
Pour ce qui est des soldes des militaires, une étude réalisée en 2009 avait proposé de relever le traitement minimum de 65$ US pour le dernier soldat qui touche actuellement 50.018 FC, soit un peu moins de 55 $ US. cepêndant, à ce jour, cette augmentation n’est pas encore effective. De plus, la pension de la retraite reste très dérisoire et s’élève à 6.500 FC/mois soit 7 $ US ou environ 5 Euros par mois. Ceci explique pourquoi certains militaires en âge de pension, on en compte actuellement 28.000, préfèrent garder le statut de militaire plutôt que d’être retraité.
Lutter contre l’indiscipline car la discipline reste la charpente d’une armée efficace
Comme mentionné dans son exposé des motifs, cette loi établit en outre le régime disciplinaire du militaire. Ce qui est une valeur ajoutée indéniable pour un pays confronté quasiment, depuis son indépendance, à des mutineries, des rébellions, aux graves problèmes d’indiscipline et aux infractions liées aux crimes de guerre et violations de divers droits humains par les hommes en armes, particulièrement durant ces deux dernières décennies.
C’est ainsi que, par exemple, la loi dans son article 240 sanctionne au :
Point 9 : « le fait pour l‘officier ou sous-officier de présider ou d’être membre d’une association sportive civile ou autre association à caractère politique ou tribal ». Le cas du général Gabriel Amisi dit « Tango Four », l’ancien chef d’état-major de l’armée de terre, sous suspension, continue à exercer cumulativement ses fonctions de président des clubs de football Maniema Union et AS Vita Club de Kinshasa, tout en étant repris dans le cadre organique des FARDC.
On peut également noter le point 10 de la dite loi qui sanctionne : « le fait de piller et/ou de se mutiner ». Ce point constitue une base de légale d’une grande importance pour traiter le cas des mutins du M23 et d’autres rébellions qui écument à l’est de la RDC.
L’importance de la discipline est telle qu’en France par exemple, le Règlement militaire français de 1966 dit que « la discipline fait la force principale des armées ». Dans une armée l’ordre, l’obéissance et la discipline sont les composantes essentielles d’une organisation militaire efficace, sans lesquels il ne peut y avoir de force armée efficace et responsable ; en réalité, l’ensemble de l’organisation militaire devra tout simplement s’effondrer. Le bon ordre et la discipline sont à une force armée efficace et responsable ce que la colle est au contre-plaqué. Ils sont les moyens par lesquels la cohésion d’une force efficace et responsable est assurée.
En effet, la discipline est aussi nécessaire à l’armée que l’oxygène au corps humain pour la raison supplémentaire, qu’en cas de guerre, le soldat se trouve directement confronté aux richesses de l’adversaire par la conquête et des exactions qu’il s’agit d’encadrer. Il faut donc pouvoir contrôler aussi le soldat dans les dimensions de sa vie qui ne ressortent pas directement de la pratique au combat. La définition de la discipline du maréchal Maurice de Saxe (1696-1750) : « La discipline est l’âme de tout genre militaire. Si elle est établie avec la sagesse et exécutée avec fermeté inébranlable, l’on ne saurait compter avoir des troupes : les régiments, les armées ne sont plus qu’une vile populace armée, plus dangereuse à l’Etat que l’ennemi même ».C’est exactement la situation récurrente des armées au Congo qui (ont posé et) continuent de poser plus de problèmes aux populations qu’elles sont censées protéger et à leur hiérarchie car incontrôlables. Le cas du M23 est patent.
Pour consulter l’intégralité de la loi ouvrez le lien suivant :
Loi portant statut du militaire des FARDC (promulguée le 15-01-2013)
[1][ « Le Président de la République est le Commandant suprême des Forces Armées. Il nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque les officiers généraux et supérieurs des Forces Armées, sur proposition du Ministre ayant dans ses attributions la Défense Nationale, délibérée en Conseil des Ministres, le Conseil Supérieur de la Défense entendu. »